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Briser les chaînes
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Livre électronique595 pages9 heures

Briser les chaînes

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À propos de ce livre électronique

Désormais pleinement reconnu, Alexandre devient un financier de haute volée, une des superstars choyées par son employeur. Le succès professionnel se double d’un retour au bonheur grâce à une liaison amoureuse peu orthodoxe. Pendant un temps il peut se croire le roi du monde. Mais la vie est riche en surprises et Alexandre va découvrir à la fois les pièges de l’ambition et l’inconstance du sort.
Suite à ce dernier coup il se consacre enfin au projet qu’il mûrissait depuis longtemps. Celui-ci, très novateur, suscite bientôt l’inquiétude des puissants en place. En butte à des tentatives de déstabilisation de plus en plus brutales, Alexandre va devenir un homme d’affaires aussi impitoyable que brillant. Son côté adorable et son côté inquiétant se livrent bientôt une guerre pour le contrôle de son esprit et de ses actions d’autant plus implacable que, resurgi du passé, un jeune délinquant devenu criminel endurci tombe éperdument amoureux de lui et décide de mettre ses capacités et son manque total de scrupules à son service.
La dureté du milieu dans lequel évolue Alexandre affecte son comportement, qui devient de plus en plus violent, au point d’en inquiéter ses amis. Un homme rencontré par l’intermédiaire d’une de ses relations d’affaires sera peut-être le pilier qui l’aidera à reprendre le contrôle de lui-même.
Dans ce second volet du diptyque « La marche des géants » les jeunes pousses du premier brisent leurs chaînes, pour le bien ou pour le mal, dans un creuset d’intelligence et de violence.
« La marche des géants » est une version « grand public » de la trilogie « Pygmalions », du même auteur.

LangueFrançais
ÉditeurJosé Hodar
Date de sortie3 mars 2015
ISBN9781370627745
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    Aperçu du livre

    Briser les chaînes - José Hodar

    CHAPITRE I

    Alexandre traversa l’atelier. Celui-ci ressemblait à un champ de bataille : les tableaux et les sculptures disséminés au petit bonheur la chance empêchaient de se rendre compte de son immensité. Mais quand va-t-il se décider à mettre un peu d’ordre dans ce bordel ? pensa-t-il, entre impatienté et amusé. Logan, qui déboula d’un coin reculé, le tira de ses réflexions. Il était en pantalon de chantier et débardeur ; un masque protégeait son nez et sa bouche.

    – Quelle bonne surprise ! dit-il en soulevant son masque. Que fais-tu ici de si bonne heure ?

    – De si bonne heure, de si bonne heure…Ma journée de travail est terminée, je vais prendre un verre avec des collègues, je voulais te faire un petit coucou en passant.

    Ils s’embrassèrent rapidement. Alexandre, qui ne souhaitait pas voir ses vêtements souillés par la poussière de la sculpture que Logan était en train de terminer, s’écarta d’un pas et observa son compagnon, bien étoffé depuis huit mois qu’ils étaient ensemble. Oh, il n’avait pas grossi, mais il s’était mis lui aussi aux arts martiaux et l’entraînement impitoyable imposé par Craig et Alexandre avait développé sa musculature. Il avait, comme son frère, laissé ses cheveux pousser. Ceux-ci, lorsqu’il enlevait la coiffe qui les protégeait de la poussière, formaient une sorte de casque qui seyait particulièrement à son visage.

    – Tu es beau à couper le souffle, dit Alexandre. Et dans cette tenue, encore plus sexy. Si je m’écoutais, je te sauterais dessus.

    – Oh, je ne le serai jamais autant que toi, répondit Logan avec un large sourire. Tu vas rester absent longtemps ?

    – Non, c’est juste un moment. Ça va, tu avances bien ?

    – Oui, je crache le feu, je serai prêt largement à temps. Tu veux voir ?

    Sans attendre la réponse il s’en retourna par où il était venu. Alexandre le suivit. De la poussière flottait encore dans le coin où il avait travaillé. Une forme tourmentée était totalement dégagée d’un bloc de marbre blanc. Impossible de savoir de quoi il s’agissait.

    – Tu le sauras quand elle sera terminée, dit Logan comme s’il avait lu les pensées de son amant. Je suis en phase de polissage, c’est pour ça qu’il y a de la poussière. Quand j’aurai assemblé tous les morceaux, tu comprendras tout.

    – Les morceaux ?

    – Oui, c’est une sculpture composite, il y a une partie en marbre blanc, et des pièces en marbres de diverses couleurs, du basalte, du granit…Je suis sûr que tu vas adorer.

    – Il te reste beaucoup à faire ?

    – Non, terminer cette œuvre, mettre la dernière touche à trois tableaux, et tout sera prêt.

    – Pas trop nerveux ?

    – Non, je le serai bien davantage dans trois semaines. Pour l’instant, j’ai encore du mal à croire à ce qui m’arrive.

    – Tu verras, tout se passera bien. Allez, je file, à tout à l’heure !

    Nouveau baiser et Alexandre partit. Logan resta immobile quelques secondes, un sourire sur les lèvres, puis rajusta son masque et se remit au travail en fredonnant. Il bénissait à longueur de journée sa rencontre avec Alexandre. D’abord le jeune homme l’avait séduit. Ensuite, grâce à lui, il avait eu connaissance des œuvres de Karim. L’artiste mort, par ses trouvailles, avait donné des ailes à l’artiste vivant. Au prix d’un effort colossal, il en avait assimilé les leçons, les avait adaptées à sa peinture et transposées à sa sculpture. Tout l’été y avait été consacré. Frustré par les pauvres moyens matériels dont il disposait il avait eu, pour son vingt-sixième anniversaire, en octobre, le plus beau cadeau imaginable : un atelier. Vaste, bien éclairé et doté des équipements dont il rêvait. Il s’était mis de toutes ses forces au travail de création et n’avait pas tardé à impressionner ses connaissances par la puissance de son inspiration. Par un incroyable coup de chance, une importante galerie new-yorkaise avait entendu parler de lui. Deux mois plus tôt, un accord avait été conclu en vue d’une exposition en mars. Presque toutes les pièces étaient prêtes, il ne restait que cette sculpture qui intriguait tant son frère et Alexandre, et dont il refusait d’expliquer en quoi elle consisterait ; mais il était certain qu’elle serait considérée comme la pièce maîtresse de l’exposition. Il éclata de rire à la pensée de la tête que feraient ses compagnons lorsqu’ils la verraient terminée.

    Alexandre aussi riait. Lui aussi bénissait sa rencontre avec les jumeaux. Il avait senti en eux une lumière semblable à celle qui illuminait son compagnon mort. Logan aussi était un créateur. Il n’avait pas le génie de Karim pour les images de synthèse, il n’était qu’un honnête utilisateur des logiciels graphiques, mais il le dépassait par son talent pour modeler la pierre. Même le granit prenait vie sous son ciseau. Et en matière de peinture les deux garçons se valaient, lui semblait-il. Tempéraments différents, pensait-il, mais talent certain et percutant. Il avait bien fait de parler de son ami à sa mère. Celle-ci avait accepté de dire un mot de Logan à certaines de ses relations new-yorkaises, et un accord avait été conclu avec l’une d’elles. Il était convaincu que son ami ferait bientôt partie des grands noms de l’art. Quant à son frère…Eh bien Craig, dans son domaine, brillait autant qu’eux dans le leur. Et sa jovialité s’était transmise à son jumeau.

    Alexandre lui-même se sentait bien plus léger, sociable et charmant depuis qu’il était avec eux. Il avait su réorganiser ses services et ses équipes sans provoquer les drames qui avaient marqué sa première promotion, et il ne déchaînait plus de crises d’urticaire parmi les services fonctionnels de la banque. Bien sûr, l’appui du président avait aidé, mais l’évolution de son propre comportement avait aussi facilité les choses. Et il attribuait ce changement à l’influence des jumeaux sur son état d’esprit. Il leur en était d’autant plus reconnaissant qu’il avait pu travailler de façon à la fois plus décontractée et plus créative. Ses résultats, déjà admirés, avaient explosé. Ses intuitions, nourries par un intense travail de documentation et de réflexion, avaient rapporté plus de trois milliards de dollars à la banque depuis un an. En cette époque d’extrême instabilité des marchés, la performance était stupéfiante. Elle avait d’ailleurs attiré l’attention des autorités de surveillance. Rien n’avait été relevé à son encontre, et sa réputation était sortie renforcée de l’enquête de la fin de l’automne précédent. Il allait être l’un des grands bénéficiaires des bonus qui seraient bientôt distribués. Un pourboire comparé aux revenus tirés de ses activités privées, mais un joli pourboire tout de même. La sérénité et le bonheur dans lesquels il baignait depuis le précédent mois de juillet avaient également influé sur la gestion de ses affaires et, en dépit du peu de temps qu’il y consacrait, il avait gagné trois cents millions d’euros. L’atelier offert à Logan n’était que peu de chose comparé à ce que ce dernier, avec son frère, lui apportait.

    La banque avait réservé trois salons dans un club huppé pour une réunion informelle au cours de laquelle la direction rencontrait les éléments les plus brillants de ses services. Alexandre salua d’autres jeunes stars, qui s’étaient particulièrement fait remarquer dans les fusions et acquisitions, les montages financiers ou la recherche. L’allocution du président fut courte, ponctuée des éclats de rire que provoquaient ses bons mots, après quoi l’assistance s’égailla dans les salons. Alexandre erra un moment, à la recherche des têtes connues qu’il s’attendait à rencontrer ici. Il fut surpris de ne pas rencontrer Yuri. Content de sa collaboration, il pensait qu’il avait sa place à cette réunion-cocktail. Il chercha des yeux le VP ressources humaines pour s’enquérir de lui. Il le trouva en grande conversation avec un petit groupe de commerciaux. Il s’approcha dès qu’il le vit libre.

    – Tiens, notre vache à lait numéro un ! s’écria le directeur. Ça va, tes marchés ne te manquent pas trop ?

    – Non, ça va, je digère pour l’instant, répondit Alexandre du tac au tac. Ça me permettra de continuer à donner du lait !

    Ils rirent. Après quelques généralités le jeune homme aborda le sujet qui lui tenait à cœur.

    – Je n’ai pas vu Yuri, vous savez, le gars des études…

    – Oui, je vois qui c’est…Un jeune homme très efficient, qui a développé une aptitude extraordinaire à la détection d’occasions d’affaires, et qui contrairement à toi arrive à expliquer ses intuitions…Non, il n’est pas là.

    – Ah bon ? Je travaille beaucoup avec lui, et je me félicite de son aide, il est aussi rapide que pertinent ; je pensais qu’il méritait de faire partie de notre groupe…

    – Il y a un problème avec lui, lié à une affaire dans laquelle il a été impliqué l’année dernière, et dont tu étais la victime. Son comportement à cette occasion continue de peser lourd dans la balance.

    – Et on ne peut pas annuler le blâme dont il a été l’objet ?

    – Pourquoi on ferait ça ?

    – Eh bien…Je crois qu’il est temps de passer l’éponge. En tout cas moi je l’ai fait depuis longtemps. Ça ne m’apporte rien qu’il reste puni, et je crois que ça va contre les intérêts de la banque. Qu’est-ce qu’on peut faire ?

    Un éclair d’estime brilla dans les yeux du directeur. Il fit signe à son homologue qui coiffait les services d’études. Les trois hommes s’entretinrent à voix basse quelques minutes. Alexandre eut un large sourire, les remercia. L’entretien terminé, il alla se servir à boire. Il ne resta pas longtemps seul : deux jeunes femmes de la recherche, avec qui il était en relation depuis quelque temps, l’abordèrent.

    – Tu sais que tu nous fais perdre la tête ? demanda Rosalynd, la plus petite des deux. Lorsqu’elle fut consciente de ce qu’elle venait de dire, elle pouffa. Ses beaux yeux bridés se réduisirent à deux fentes et des fossettes se dessinèrent sur ses pommettes.

    – Ah ? Tu m’en vois désolé, répondit Alexandre, pince-sans-rire.

    – Je veux dire, tes idées de contrats, elles sont excitantes, mais on n’arrive pas à les modéliser pour en faire des produits vendables !

    – De quoi est-ce que tu me parles ?

    – On a cru qu’on avait trouvé une solution mais elle est trop lourde à mettre en place, et en plus le produit n’est pas stable, il y a de trop gros risques d’implosion, répondit Elizabeth, l’autre jeune femme, une jolie blonde aux formes pleines, aussi dure dans le travail que tendre d’aspect.

    – Ah oui, j’y suis…Il faut bien accepter une certaine infrastructure, la valeur unitaire est suffisamment élevée. Et puis je ne vois pas ce que tu veux dire, avec ton histoire d’implosion.

    – Si on veut éliminer tout risque de perte, même momentanée, dit Elizabeth, il faut instaurer une surveillance permanente, et ça coûte cher. Si en plus ce produit se vend bien, il est vite ingérable. Et si les expectatives de gain ne sont pas atteintes, on se mettra à dos tous les clients qui auront investi.

    – Première nouvelle ! Et sur quel prix unitaire est-ce que vous avez travaillé ?

    – Cinquante millions.

    – Tu te moques de moi ! Il faut jouer beaucoup plus fort que ça, on n’est pas en train de parler d’un produit de masse !

    Les trois jeunes se lancèrent dans une discussion animée. Les idées soumises par Alexandre une dizaine de mois plus tôt avaient débouché sur une première gamme de contrats. Leur succès avait amené la direction à lui demander de trouver un produit que l’on pourrait proposer aux gros investisseurs, et qui ne serait pas soumis aux gigantesques fluctuations des cours. Les deux jeunes femmes, une mathématicienne et une juriste, travaillaient sur ses idées depuis près de deux mois sans résultat concret. La lourdeur de gestion et le problème de l’élimination du risque s’avéraient de sérieux écueils.

    – Je vous propose de continuer cette discussion chez moi, dit Elizabeth. Ici, ce n’est pas l’endroit approprié, et au bureau Alexandre n’est jamais disponible. Il faut qu’on arrive à sortir quelque chose qui tienne la route.

    – Ça me va, dit aussitôt Rosalynd.

    – Ce soir j’ai un petit souci, objecta Alexandre.

    – Eh bien, tu n’as qu’à le décommander.

    L’arrivée du président donna un nouveau tour à la conversation. Elizabeth résuma l’état de la discussion et réitéra sa proposition. Alexandre, mis en minorité, dut s’incliner.

    – Travaillez bien, dit le président avant de s’éloigner. J’aimerais avoir un aperçu du résultat pour la fin de la semaine. Je ne vous demande pas déjà un produit fini, mais quelque chose sur lequel on puisse discuter. Je dois une réponse à nos très gros clients, et ils nous trouvent lents. N’oubliez pas que d’autres banques ont eu la même demande. Nous devons être les premiers à trouver une solution valable.

    Pendant qu’Alexandre prévenait ses amis, ils se dirigèrent vers la sortie. Elizabeth habitait un superbe duplex avec une vue à couper le souffle sur l’Hudson. Elle apporta un ordinateur et des boissons et ils se mirent au travail. Au fil des semaines ils avaient identifié une formule et un schéma de fonctionnement qui répondaient à une partie des exigences.

    – Il faut qu’on règle le problème du risque, dit Rosalynd.

    – Pour ça nous devons affiner l’hypothèse d’un contrat qui fonctionne à deux niveaux, répondit Alexandre. L’investisseur ne verra que le premier niveau, celui qui aura un risque de perte nul. L’autre permettra de dévier les éventuelles pertes sur le reste du marché.

    – Oui, mais il ne faut pas qu’on puisse nous accuser de jouer sciemment au détriment d’une partie de notre clientèle, protesta Elizabeth. On a encore des procès en cours sur ce genre d’affaires.

    – On ne jouera pas sciemment, répliqua Alexandre. C’est le mécanisme de gestion lui-même qui déterminera quels clients vont se retrouver avec les actifs les moins rentables. Et on peut peut-être raisonner de façon à ne pas porter préjudice à nos propres clients.

    Les heures s’écoulèrent. Ils ne firent qu’une coupure pour avaler le dîner qu’Elizabeth avait commandé à un traiteur des environs. A un moment de la discussion, Alexandre eut l’impression qu’il se scindait en deux : une partie de lui-même poursuivait la réunion, et l’autre échafaudait des hypothèses à toute allure. Les deux moitiés se réunirent, lui sembla-t-il, au bout d’un temps infini, en fait, probablement au bout d’une seconde, et il soumit à ses interlocutrices les idées qu’il venait d’avoir. D’abord interdites, puis passablement énervées par ce qui leur paraissait des choses sans queue ni tête, elles interrompirent net leurs protestations. Rosalynd eut un petit frisson pendant qu’Elizabeth restait silencieuse, la bouche ouverte. La mathématicienne se mit au travail frénétiquement. Sa respiration s’accéléra.

    – Je crois que nous…que tu as trouvé. Bon sang, c’est génial, ça fonctionne ! Regardez !

    Ses compagnons s’exclamèrent lorsqu’ils virent les résultats. Le mécanisme d’évacuation du risque était enfin au point. Leur principal problème venait d’être résolu. Après quelques minutes consacrées aux cris de joie et aux embrassades, ils trinquèrent avec une bouteille de champagne qu’Elizabeth gardait en réserve pour le moment, dit-elle, où elle recevrait chez elle l’homme de sa vie. Ils se remirent au travail avec une ardeur renouvelée. Peu après une heure du matin, ils décidèrent d’arrêter, épuisés mais heureux. Le prix minimum du contrat était monté à un milliard de dollars, ce qui diminuait fortement la possibilité de spéculation sur ce produit spécifique, et permettait de justifier et de couvrir l’appareil de gestion nécessaire.

    – Je crois qu’on a vraiment bien travaillé ce soir, dit Rosalynd. On a une solution sur le risque, et on a bien avancé sur le reste. Je prends note de tout ça, et je vérifie les hypothèses et les calculs demain. Je vous préviens dès que je serai prête. On peut boucler ce travail demain en soirée, si vous êtes d’accord.

    – Oui, si on reste au bureau, ça me va, dit immédiatement Alexandre. Ça nous évitera des déplacements inutiles.

    – Hé où vas-tu ? demanda Elizabeth comme le jeune homme se levait. Tu ne vas pas t’en aller à cette heure ? Et seul ?

    – Tu sais, je ne risque rien, je sais me défendre.

    – Pas question, c’est trop dangereux. Si tu te retrouves face à des types armés, tous tes arts martiaux ne serviront à rien. J’ai de la place, tu dormiras ici. Tu pourras toujours passer chez toi te changer avant d’aller au bureau.

    – Et on promet de ne pas te manger, dit Rosalynd avec un sourire espiègle.

    Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire. Alexandre, conquis par leur gaieté, les imita. Le duplex comptait trois chambres à coucher et autant de salles de bains à l’étage.

    – Il y a des brosses à dents neuves et de la pâte dentifrice dans toutes les salles de bains, dit encore Elizabeth. J’ai aussi dû prévoir un rasoir et de la mousse qui doivent être encore là, vu la vie qu’on mène je n’ai eu l’occasion d’en faire profiter personne.

    Après un nouvel éclat de rire général, Alexandre vérifia. Ces accessoires se trouvaient bien là, et n’avaient jamais été utilisés. Elizabeth s’éclipsa encore pour aller chercher des serviettes et des peignoirs. Alexandre activa les jets de massage de la cabine de douche. L’eau chaude lui fit tout oublier. Il ne vit pas la porte s’ouvrir. Elizabeth déposa le linge promis et contempla longuement le spectacle. Habillé, Alexandre était suprêmement séduisant. Nu, c’était un appel au viol. Elle sentit qu’elle prenait feu. Elle ne plaisantait pas lorsqu’elle parlait de sa vie. Elle la vouait tout entière au travail, sortait peu, et lorsqu’elle le faisait rentrait seule et frustrée. Elle n’était pas grasse, mais les hommes ne semblaient pas attirés par ses formes. Le manque de sexe se faisait douloureusement sentir en ce moment. Elle faillit crier quand elle vit le jeune homme de face. Elle s’imagina au lit avec lui et quitta précipitamment la pièce, rouge de gêne et d’excitation.

    Alexandre ne fut pas long à se coucher. D’abord embarrassé par la présence de deux femmes dans les autres chambres, il eut du mal à trouver le sommeil. Il se leva et passa par l’intermédiaire de son portable quelques ordres qu’il avait failli oublier. Cette tâche effectuée, la fatigue fit son œuvre et il s’endormit. Une quinzaine de minutes s’étaient écoulées quand la porte s’ouvrit silencieusement. Elizabeth entra, vêtue seulement d’un peignoir. Elle avait envisagé une tenue plus sexy, mais l’examen de sa garde-robe l’avait découragée. Elle n’avait pas de déshabillé vaporeux, ni de combinaison affriolante, ni de dessous incendiaires. Elle portait toujours des sous-vêtements confortables mais qui n’avaient pas été conçus pour le plaisir des yeux. Elle ne s’était préoccupée, depuis toujours, que de ses études puis de son travail et ne savait qu’être professionnelle, dans son aspect comme dans ses résultats. Ce soir elle regrettait plus encore que d’habitude sa méconnaissance de l’art de la séduction. Elle s’avança quand même. Ses cheveux, habituellement ramenés dans un impeccable chignon, ruisselaient sur son dos en une magnifique cascade d’or. Les yeux écarquillés, elle s’arrêta au pied du lit le temps de s’habituer à l’obscurité : Alexandre, manifestement, ne supportait pas la moindre lumière et avait tiré les doubles rideaux. Elle alla les ouvrir. Le ciel était dégagé et la lumière de la lune pénétra dans la chambre. Le jeune homme dormait paisiblement, couché sur le dos, recouvert d’un drap. Elle hésita. Il s’agissait d’un collègue, et elle s’était toujours juré de ne pas avoir d’aventure, même seulement sexuelle, avec eux. Le désir fut le plus fort. Elle mit sur la table de chevet le préservatif qu’elle avait apporté, repoussa prudemment le drap et se gorgea les yeux du spectacle avant d’enlever son peignoir. Elle était aussi féminine qu’Alexandre était masculin : épaules potelées, seins ronds, volumineux mais fermes, aux aréoles larges et aux mamelons dressés, qui auraient dû mettre les hommes à ses pieds, taille mince, hanches pleines, belles jambes longues et droites. Ses fesses avaient de quoi rendre fou tout mâle doué de raison. Son pubis, couvert d’une toison blonde qu’elle n’avait jamais rasée, cachait un trésor qui ne demandait qu’à être découvert. Au total, son corps ne correspondait en rien aux stéréotypes incarnés par les top-models, mais il était puissamment attirant.

    Elle se pencha sur Alexandre pour l’embrasser. Une demi-seconde plus tard, elle se retrouva sur le lit. Une main lui enserrait le cou. Une autre main plaquée sur sa bouche l’empêcha de crier.

    – Si tu fais le moindre bruit je t’étrangle, gronda Alexandre, menaçant. Ne t’avise pas de bouger.

    Il s’écarta d’elle le temps d’allumer. Trop effrayée pour bouger, elle fit face à son visage courroucé.

    – Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il dans un murmure.

    – Je…excuse-moi, je pensais que…que tu…

    – Que je quoi ? Que je n’attendais que toi ?

    – Je t’ai vu sous la douche, je voulais seulement te…te caresser un peu…

    – Me caresser un peu ? Dis-moi, qu’est-ce qui se passe d’habitude quand un homme entre dans la chambre d’une femme pour la caresser un peu sans y avoir été invité ? Elle hurle, tout le monde le considère comme un monstre et il va en taule. Tu as fait du droit, tu dois savoir ça. Maintenant, si c’est une femme qui entre dans la chambre d’un homme pour le caresser un peu sans y avoir été invitée, qu’est-ce qu’il devrait faire ? Tu peux me le dire ?

    – Je te demande pardon, je vais te laisser…

    – Non, tu restes ici. Je veux comprendre pourquoi tu viens ici pour essayer de me violer.

    – Tu es fou, je n’essayais pas de te violer !

    – Ah bon, tu voulais disputer une partie d’échecs, sans doute…

    – S’il te plaît, tu veux éteindre ? demanda-t-elle. – Elle reprit dès qu’il n’y eut plus de lumière. – J’ai toujours travaillé comme une folle. Je sors à peine, et je ne sais pas me faire valoir, je reviens toujours seule. Je suis jeune, je pense que ne suis pas mal, mais je n’arrive pas à aguicher les hommes. Il y a toujours une nana mince, mieux habillée que moi, pour les attirer à ma place…Alors, quand je t’ai vu dans la salle de bains…j’ai pensé que cette fois je n’aurais pas de concurrente…et je…

    Elle fondit en larmes. Alexandre, embarrassé et désarmé, la prit dans ses bras et la berça doucement. Cette fille, qui au travail était plus coupante qu’une lame de rasoir, avait aussi des points faibles. Il se remémora des scènes qui lui semblaient venir d’une vie antérieure. Sans s’en rendre compte il lui caressa les cheveux. Tiens, ils étaient soyeux. Si agréables au toucher…Un baiser sur le front suivit les caresses, puis un deuxième, et un troisième. Elle se serra contre lui. Il passa une main le long d’une hanche. Quelle peau douce ! Il posa les lèvres entre les sourcils. Elle leva la tête vers lui, posa une main sur sa joue. Leurs bouches se touchèrent enfin. Le premier baiser ressembla étrangement à celui que lui avait donné Karim. Le deuxième, lui, franchit toutes les limites d’un coup. Un bref sursaut, et il se retrouva sur elle. Spontanément elle écarta les jambes, les croisa sur ses reins. Ses mains étreignirent sa nuque. Stupéfait de ce qu’il vivait, il sentit son sexe grandir et durcir à une vitesse hallucinante. Il envoya ses mains à l’assaut des seins, les pétrit avec un enthousiasme dont il ne se serait jamais cru capable. De son côté, la jeune femme s’extasiait sur ce qu’elle découvrait : ce mec était aussi viril qu’il en avait l’air. Et il paraissait avoir envie d’elle malgré les goûts qu’elle lui soupçonnait.

    Le jeune homme haletait. Les circonstances de cette nuit étaient totalement différentes de ce qu’elles étaient avec Kim : cette fois il n’y avait pas de traquenard, il pouvait se livrer sans arrière-pensées ; et cette fille était si excitante ! Il empoigna ses seins tout en mettant ses hanches en mouvement. Malgré leur souhait d’être discrets, le niveau sonore de leur activité s’éleva rapidement. Le bruit de leurs chairs se heurtant retentissait dans la pièce. Leurs râles aussi. Complètement déchaîné, Alexandre la pilonna de toute son énergie. La jeune femme était trop en manque pour pouvoir résister bien longtemps au traitement auquel elle était soumise. Elle jouit avec un hurlement aussitôt étouffé par la main puis la bouche de son compagnon. Il se laissa aller à son tour. Il la renversa sur le lit et poursuivit son martèlement, qu’il ne ralentit que progressivement. Lorsqu’il se retira, elle l’entoura de ses bras et l’embrassa.

    – Merci, tu as été fantastique, murmura-t-elle. Vraiment. Sachant que tu es gay, c’est encore plus impressionnant…Non, ne dis rien. J’ai eu, j’ai encore, des copains homosexuels. Ils m’ont appris comment les identifier, les homosexuels, je veux dire. Ne t’en fais pas, je ne le dirai à personne. Tu m’as donné un plaisir que les autres hommes me refusent depuis longtemps, et puis, amener un pédé à me faire ce que tu m’as fait, c’est un vrai titre de gloire ! – Elle rit doucement. – En tout cas, ça mérite toute ma reconnaissance. – Elle l’embrassa à nouveau.

    – C’est gentil de me dire tout ça…Je ne comprends pas comment ils peuvent ne pas se rendre compte que tu es belle et sexy ! Ces cheveux, cette peau, ces beaux seins…Ils sont vraiment cons.

    – Non, ils font d’après ce qu’ils voient, et je ne sais pas me rendre attirante. Je n’ai jamais su. Et puis, comme je ne rentre pas dans le canon à la mode, ça ne me facilite pas les choses.

    – J’ai un copain qui peut t’aider. Tu n’as, et encore j’en doute, qu’un problème de présentation, comme celui que j’avais il y a quelques années. Quand au copain dont je te parle, il travaille dans un magazine de mode. Il fera de toi une déesse.

    – Merci…Pourquoi est-ce que tu m’as laissé faire ?

    – Tu m’as touché. Je voyais une pauvre fille qui ne sait pas qu’elle est belle, ou du moins qui ne sait pas le montrer. Ça m’a désarmé. Et ensuite…je n’ai plus été maître des évènements. A mon tour de te poser une question : ça t’a vraiment plu ?

    – Oui. Et si tu as été aussi bon avec une femme, tu dois casser la baraque avec les hommes. Ils ont bien de la chance !

    Alexandre rougit brièvement. Elle s’en douta et rit. Il joignit son rire au sien, puis ils s’embrassèrent. Elle se leva, enfila son peignoir.

    – Je retourne dans ma chambre, répondit-elle à la question muette du jeune homme. Il n’est pas nécessaire que Rosalynd soit au courant de ce qu’on a fait. Et puis il faut qu’on dorme un peu. Bonne nuit.

    La journée fut ni plus ni moins animée que les autres. A la fin de l’après-midi, Rosalynd et Elizabeth vinrent le voir. La jeune mathématicienne sourit lorsqu’elle vit que l’air fatigué de son collègue répondait à celui de la juriste. Elle n’avait plus de doute quant à l’origine des bruits qui l’avaient fugitivement réveillée la nuit précédente. Elle ne fit aucune remarque, se contenta de montrer les résultats de ce sur quoi elle avait travaillé toute la journée. Alexandre constata que la jeune femme était bien plus intelligente qu’il ne l’avait pensé : elle avait résolu la plupart des questions encore en suspens. La simulation du fonctionnement de ces contrats était ébouriffante. Bravo, ne put-il s’empêcher de penser. Je ne suis pas la seule personne brillante, ici. L’inquiétude succéda vite à la satisfaction. Ce nouveau produit était susceptible de limiter l’accès aux marchés des produits de base aux investisseurs qui auraient les reins assez solides pour souscrire de tels contrats. Eux auraient la certitude des profits, et des profits maximum, et les risques seraient transférés au reste du marché. Comme le risque global du marché ne changeait pas, cela revenait à condamner tous les autres investisseurs à se contenter, dans le meilleur des cas, des miettes du festin. Et si l’on adaptait ce produit aux autres domaines, la dette, les actions, alors une petite minorité d’intérêts pourrait tirer un parti exclusif de la fortune mondiale. Une classe de super-rentiers, et le reste du monde aurait à supporter un surcroît d’instabilité, l’éventualité de gains modestes et la certitude de pertes accrues…Et lui ? Il n’était pas encore assez riche pour faire partie de cette future caste de privilégiés. Il revint à la discussion.

    – Je suis impressionné, dit-il. Je ne pensais pas que tu trouverais un schéma de fonctionnement élégant si rapidement. Et ça marche à partir d’un milliard ?

    – L’optimum se situe entre trois et cinq milliards, et à ce niveau on peut estimer que le gain minimum pour le client, dans un contexte de crise globale aiguë, est de dix pour cent par an. Bénéfice net avant impôts. Et si on exploite suffisamment les opportunités fiscales, l’impôt tomberait à près de zéro. Dans un contexte d’expansion et de confiance, le bénéfice dépassera nettement les cent pour cent. En fait il est virtuellement incalculable. Nous avons trouvé la pierre philosophale. Grâce à toi.

    – Il y a encore du travail, ajouta Elizabeth, bien des aspects restent à affiner, mais nous pouvons déjà présenter ça au président. Il aura du grain à moudre. On va attirer toutes les grosses fortunes, les principaux fonds d’investissement du monde. On va pulvériser tous les concurrents, et nous allons devenir des superstars.

    Le jeune homme se leva. Il regarda sans le voir le paysage au-delà de sa fenêtre. Les paroles des deux jeunes femmes confirmaient ce qu’il venait de penser. Il devait réfléchir à ce qu’il fallait faire. Il se tourna vers elles.

    – Bon travail, dit-il, c’est vraiment un plaisir de travailler avec vous. Je peux vous offrir un pot quelque part pour fêter ça ?

    – Je te remercie, mais ce soir je ne peux pas, dit immédiatement Rosalynd. Mon mari m’attend, je lui avais promis de lui réserver une soirée entière, ça ne nous est pas arrivé depuis longtemps. Par contre, la semaine prochaine, on peut organiser quelque chose, une fois que nous aurons la première réaction du président.

    Restés seuls, Elizabeth et Alexandre poursuivirent leur discussion. Maintenant que les points principaux avaient été élucidés, les inconnues juridiques tombaient les unes après les autres. Au bout de deux heures d’intense travail intellectuel, ils décidèrent d’en rester là pour l’instant.

    – Rien que pour mettre tout ça au propre nous en avons pour la journée, dit Elizabeth. Ça va être chaud pour vendredi.

    – Oh, c’est jouable, ce n’est qu’une présentation générale. Le vrai travail va commencer après, quand les autres seront mis sur le coup pour fignoler le produit. On va encaisser commission sur commission, ça va encore prendre plusieurs mois avant qu’on voie le résultat final.

    – Tu n’as pas l’air enchanté.

    – Oh si, on a eu une bonne idée, j’espère qu’elle ne sera pas dénaturée ou mal exploitée, c’est tout…Bon, on arrête ? Je t’emmène prendre un verre, et je te présenterai le copain dont je te parlais. Il est accompagné d’un de ses collègues, très connaisseur en matière de mode féminine. L’idée, c’est que samedi on t’emmène faire les boutiques et qu’on montre au monde entier que tu es la plus belle des femmes.

    Ils quittèrent la banque quelques minutes plus tard. Craig était accompagné d’un homme plus âgé que lui, maigre et qui ressemblait plus à un clerc de notaire d’il y a cent ans qu’à un gourou de la mode, et fut traversé d’une pointe de jalousie : ils formaient un couple presque assorti. Si cette fille était habillée avec un peu plus d’élégance, ils seraient parfaits. Son camarade examina la jeune femme d’un air critique : dans le genre pulpeux, elle était fort belle et bien proportionnée. Mais sa tenue…quelle abomination ! Et cette coiffure stricte qui ne lui allait pas ! Et pas de bijoux ! Il y avait du travail en perspective. Quel samedi ! La conversation, d’abord superficielle et inconsistante, s’anima lorsque l’on aborda l’objet de cette rencontre. Les deux journalistes s’enquirent discrètement du type de garde-robe de la jeune femme. Comiquement, ils levèrent les yeux au ciel lorsqu’ils entendirent sa réponse. Ils lui firent comprendre qu’elle devrait prévoir un budget important. Rendez-vous fut pris pour le samedi matin. Alexandre prétexta d’autres obligations pour ne pas être amené à la raccompagner chez elle, et elle prit congé. A son tour, le collègue de Craig les quitta. Les deux jeunes gens restèrent seuls, face à face.

    – Je ne savais pas que tu avais une faiblesse pour les femmes, dit Craig à voix basse, le visage fermé.

    – Et je n’en ai pas. Mais c’est une chic fille et j’ai eu envie de lui donner un coup de main, comme tu as fait avec moi.

    – Moi, ce jour-là j’étais en train de tomber amoureux de toi. Qu’est-ce qu’elle t’a fait ? Une belle danse du ventre ? Ne me dis pas qu’elle t’a fait l’amour mieux que nous !

    – Ne sois pas désagréable, tu n’as aucune raison d’être jaloux.

    – Mais la nuit dernière, vous n’avez pas fait que travailler ?

    – Non, on a aussi discuté. Allez, changeons de sujet, ne pensons plus à elle d’ici samedi. Fais-moi un beau sourire. Non, mieux que ça…C’est bien. Je t’aime.

    Craig parut se calmer. Mais dès la porte d’entrée fermée, il se mit à pousser son compagnon, sans dire un mot, en direction de la chambre. D’abord rieur, Alexandre commença à s’inquiéter parce que les bourrades devenaient plus violentes. A l’entrée de la chambre il allait protester mais Craig ne lui en laissa pas le temps.

    – Ne nous fais plus jamais ce coup-là, dit-il en l’étreignant. On était fous de tristesse, on pensait que ces femmes t’enlevaient à nous.

    Sans attendre de réponse, il entreprit de le déshabiller. Alexandre était à moitié nu quand la porte du loft s’ouvrit. Quelques instants plus tard Logan les rejoignit.

    – Je ne veux pas savoir ce que tu as fait avec ces salopes, gronda-t-il. Mais tu ne dois plus nous laisser comme ça.

    Il gratifia le jeune homme d’un baiser véhément. Craig éclata de rire et se joignit à son frère. Ils finirent de déshabiller Alexandre, se débarrassèrent de leurs vêtements et l’emmenèrent dans la salle de bains. Pendant que Craig s’occupait de remplir le jacuzzi, Logan entraîna Alexandre sous la douche. Les passagères rancune et jalousie furent vite oubliées.

    Jeudi Alexandre n’eut pas une minute à lui et ne put discuter avec ses deux complices que par mail. A la fin de la journée seulement il put jeter un coup d’œil à l’ensemble du travail fait. Il fit quelques corrections, prépara la synthèse et la leur renvoya pour avis. Ils déjeunèrent ensemble le vendredi et en profitèrent pour mettre la dernière main au projet. Le texte partit en milieu d’après-midi. Ils soupirèrent de soulagement en même temps et s’esclaffèrent.

    – Bon, on ferait bien de se barrer, dit Elizabeth. Sinon on risque d’être pris toute la soirée encore. Allez, à demain.

    – A demain ? On doit se voir demain ? s’inquiéta Rosalynd.

    – Euh, pardon, je voulais dire à lundi. Je suis tellement crevée que je ne sais plus ce que je dis.

    – Bien, je pense qu’Elizabeth a raison, dit Alexandre. On a bien mérité un peu de repos.

    Alexandre profita de l’occasion pour faire un saut jusqu’à l’installation pilote dans laquelle Robin, Michael et William testaient leurs théories. William ne travaillait plus dans sa société d’informatique et s’éclatait sur la mise au point de programmes de contrôle de l’installation. Ce qu’il faisait était déjà à la pointe de la technique. Ses nouvelles connaissances en biologie et botanique s’étaient avérées décisives. Michael consacrait la moitié de son temps à leur projet, et y passerait à plein temps dès qu’il aurait son doctorat en poche. Quant à Robin, il tenait toujours le projet à bout de bras. Malgré de courts moments d’humeur, il s’éclatait aussi. Il était désormais certain qu’il aurait non seulement une installation de pointe, mais rentable à terme. Les améliorations qu’il n’avait cessé d’imaginer et de tester faisaient de ce potager hors sol l’installation la plus avancée dans le monde. Autour du trio, les opérateurs se donnaient à fond, conscients de participer à une entreprise exceptionnelle. Alexandre discuta de l’état de la question, des prochaines étapes. Il devint évident que bientôt il devrait y investir autre chose que de l’argent. Il quitta ses amis content mais un peu inquiet : tout allait plus vite qu’il ne l’avait pensé : encore, ce projet agricole ne le déséquilibrait pas, mais la prévisible évolution à la banque si. Il fallait préparer la suite. Il se dépêcha de rentrer : il devait faire la liste des sujets en cours avec Matt, et consacrer un peu de temps à la réflexion.

    Le week-end fut aussi frénétique que la semaine : entraînements, séance d’essayage avec Elizabeth, qu’il délaissa dès qu’il s’aperçut qu’il n’était d’aucune utilité, longue conversation avec Matt, communications diverses avec ses amis. Le dimanche en fin d’après-midi, totalement vidé, il s’endormit dans le salon. Les jumeaux l’observèrent un moment et s’éclipsèrent discrètement pour faire un tour. Ils revinrent à l’heure du dîner et durent le secouer pour le tirer de sa torpeur. Le repas à peine avalé, il les entraîna au lit et s’endormit immédiatement dans leurs bras.

    Le mardi suivant Alexandre s’entretenait dans son bureau avec Elizabeth et Rosalynd. Le dossier transmis au président le précédent vendredi leur revenait encore plus vite qu’ils ne l’avaient pensé. Leur patron leur demandait un dossier complet pour examen par les instances compétentes avant OK définitif. Les deux jeunes femmes venaient d’être mises à plein temps sur ce projet. Alexandre, compte tenu de ce qu’il rapportait à la banque, n’avait pas eu droit à la même mansuétude. Le résultat serait un allongement sensible de ses journées de travail à moins qu’il ne trouvât le moyen d’être encore plus efficient.

    Yuri vint interrompre la discussion. Il déboula dans le bureau comme un cyclone mais s’interrompit net à la vue des visiteuses. Alexandre fit les présentations. Son collègue fit à peine attention à Rosalynd. Ses yeux parurent déshabiller Elizabeth en un éclair. Il bafouilla une excuse et s’empressa de s’éclipser.

    – Si je n’étais pas mariée, je serais vexée, dit Rosalynd avec un petit rire quand ils se retrouvèrent seuls. Il ne m’a même pas vue ! Toi par contre, tu vas le revoir très vite, et souvent !

    Alexandre sourit et Elizabeth rougit. Son aspect avait subtilement mais totalement changé. Ses nouvelles tenues de travail, sans cesser d’être strictes, soulignaient sa grande beauté. Elle réussit, non sans mal, à mettre fin aux plaisanteries et remit la conversation sur ce qui se présentait comme le grand dossier de leur carrière. Ils travaillèrent encore pendant plus de deux heures avant de lever la séance. Pas de surprise, Yuri attendait derrière la porte la sortie des deux jeunes femmes. Il suivit des yeux la silhouette d’Elizabeth. Alexandre dut lui taper sur l’épaule pour le faire revenir sur terre.

    – Eh bien, qu’est-ce qu’il t’arrive pour faire le siège de mon bureau comme ça ? demanda-t-il.

    – J’étais venu te remercier. On vient de m’annoncer qu’à ta demande expresse le blâme que j’avais eu l’an dernier avait été annulé.

    – Ah, c’est bien, j’en suis ravi.

    – Je voulais te demander…Tu la connais bien, la blonde sublime qui vient de sortir ? Elle a déjà un mec ?

    – On travaille ensemble sur un dossier ; je ne connais pas sa vie privée. Une fois je suis allé chez elle…

    – Et tu as couché avec elle ? Elle est aussi bien qu’elle en a l’air ?

    – Mais non, c’était pour le travail, il y avait Rosalynd aussi ! Je crois qu’elle est seule, en tout cas elle ne partage son appartement avec personne…Et tu ferais bien d’arrêter de penser avec ta braguette, on est au bureau !

    – Explique-moi comment tu arrives à penser avec autre chose quand tu as une beauté pareille en face de toi. Tu as ses coordonnées ?

    Après quelques échanges sur le ton de la plaisanterie, Alexandre s’exécuta. Yuri ne tarda pas à le laisser. Egayé par la scène qui venait d’avoir lieu, Alexandre appela Elizabeth et lui résuma l’entretien ; il prit soin de préciser qu’il n’avait pas dit un mot de ce qui s’était passé entre eux. Il ne fit plus rien au bureau ce soir-là.

    * * * * *

    – Tu es en retard !

    – Je suis désolé, il y a de plus en plus de choses à faire au bureau et j’ai un peu de mal à suivre…

    – Ce n’est pas une excuse. Le jour où tu te décides à fêter ton anniversaire, tu n’as pas le droit de rester au travail !

    Alexandre encaissa d’un air résigné la vraie-fausse colère des jumeaux. Ce dernier projet menaçait de le déborder. La séance de présentation au comité de direction de la banque, la semaine précédente, avait occupé toute la journée. La complexité du produit n’avait échappé à personne. Ses monumentales perspectives, non plus. Alexandre avait décroché maints sourires au fil de ses explications, qui ne s’étaient passagèrement figés que lorsqu’il avait mentionné la nécessité de limiter la diffusion de ces contrats, afin de ne pas courir un risque de crise grave comme celle qui avait suivi la sur-utilisation des hypothèques subprime. Heureusement pour lui, il ne s’attarda pas sur ce sujet, qui était plus du ressort de ses auditeurs que du sien. Lorsque la séance prit fin sur l’approbation du projet, il eut droit aux applaudissements de la direction au grand complet. Il lui fut demandé de piloter la mise en place et le lancement. Son supérieur, sans perdre son amabilité, avait écarté d’un revers de main ses protestations et l’avait assuré que c’est parce que la banque l’estimait au plus haut point qu’elle lui confiait la direction de ce projet stratégique, qui aurait dû être porté par de plus haut placés que lui, sans le décharger par ailleurs. Il avait seulement obtenu davantage de moyens pour assurer les tâches d’intendance du projet.

    En attendant, sa vie privée accusait le contrecoup de cet état de choses. Il ne mettait plus le pied au club que le week-end, et c’est chez lui qu’il s’entraînait le reste de la semaine. Il avait même dû renoncer à ses séances si instructives avec Monsieur Yue. Et les jumeaux, qui pourtant travaillaient eux-mêmes comme des fous, commençaient à se plaindre de sa faible présence lorsqu’il rentrait : il s’enfermait dans son bureau, pièce qui leur était interdite en toute circonstance, s’entraînait seul ou avec Craig, dînait la plupart du temps en silence, et s’écroulait dès qu’il était couché. Il ne reprenait vie que le week-end. Et c’est par miracle qu’il avait réussi à dégager sa soirée pour l’inauguration de l’exposition de Logan. Il avait d’ailleurs failli s’y endormir, en dépit du monde, du bruit et de son réel intérêt pour les œuvres de son compagnon. Les coups de coude providentiels de Craig lui avaient évité une explication désagréable avec l’artiste. Ce soir il devait fêter son anniversaire, passé depuis quelques jours. Un important – et importun – entretien avec le vice-président dont il dépendait l’avait retardé.

    Il accueillit ses invités avec un sourire d’excuse, fonça prendre une douche et se changer. Sa tenue – débardeur vert sombre, jean moulant blanc et baskets – fut saluée par une salve d’applaudissements. Le fastueux buffet préparé par ses deux compagnons put enfin être pris d’assaut. Alors qu’Alexandre se restaurait tout en plaisantant avec Andel qui lui faisait perfidement remarquer qu’il se faisait vieux – un quart de siècle déjà ! – Craig et Logan prirent une table achetée pour l’occasion et l’installèrent au centre du salon. Ils allèrent mettre un CD firent signe à Chase et Andel. Les deux hommes se saisirent d’Alexandre et l’obligèrent à monter sur la table. Les cris « Un strip-tease ! Un strip-tease ! » retentirent aussitôt. Le jeune homme, de prime abord surpris et gêné – cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas livré à ce genre d’exhibition ! –, eut un sourire de défi. Il commença par un doux balancement des hanches qui se termina par une étourdissante suite de coups de pied simulés. Il finit en grand écart facial sur la table. Il ne maintint pas la position : il monta un équilibre qu’un gymnaste professionnel n’eût pas désavoué, se remit sur ses pieds et cette fois entama une véritable danse. Les acclamations allèrent croissant à mesure que son numéro devenait plus lascif. Un tonnerre d’applaudissements accueillit la fin de l’effeuillage. Il salua et s’assit sur la table pour se rhabiller.

    – Ah non ! Ah non ! s’écria Logan. Tu restes à poil. Hein les gars, qu’est-ce que vous en pensez ?

    Un « Oui » tonitruant remplit l’air. Alexandre tenta de négocier, mais il n’obtint que le droit de mettre un string. Il revint dans cette tenue une minute plus tard sous une nouvelle ovation. La soirée devint progressivement plus débridée. Tous les invités se connaissaient, la plupart avaient couché entre eux ou avec Alexandre, il n’eut guère de peine à les convaincre qu’il n’avait pas à être le seul en petite tenue. Au milieu des rires et des plaisanteries, ils montèrent sur la table et se déshabillèrent à tour de rôle. Quelqu’un proposa des combats dans cette tenue, avec un gage pour le perdant. Les rencontres qui suivirent auraient déshonoré n’importe quelle compétition, mais elles se déroulèrent dans la gaieté la plus totale, et les vaincus furent aussi applaudis que les vainqueurs. Après la séance de déballage des cadeaux, la fête d’anniversaire se termina en monumentale orgie. Les deux frères emmenèrent Alexandre dans la chambre.

    Logan contempla ses deux compagnons, plongés dans un ardent baiser, en silence. C’étaient les deux êtres qu’il aimait le plus au monde. Alexandre, malgré la dureté de son métier qui parfois influait sur son comportement à leur égard, était un garçon délicieux. Pas seulement son corps : sa culture, sa gentillesse, sa générosité l’enchantaient toujours autant. Si seulement il était un peu plus présent…Depuis un mois c’était plus un zombie qu’un homme. Et ce travail qui absorbait toute son énergie ne le rendait pas heureux, il le sentait : mais il refusait obstinément d’en parler. Quant à Craig…Aujourd’hui ils étaient identiques au point que seul Alexandre parvenait, il ne savait comment, à les distinguer. Leurs personnalités aussi, violentées par les années de séparation, se rapprochaient jour après jour. Alexandre n’en était probablement pas conscient, mais c’est à travers lui qu’ils retrouvaient leur intimité d’autrefois. C’est grâce au regard qu’il portait sur eux qu’ils identifiaient les différences qu’il fallait gommer. Ils pouvaient bien exercer des métiers différents, ce serait la seule chose qui les distinguerait à l’avenir. Mois après mois, le sentiment qui les unissait s’était renforcé.

    – Bon anniversaire, murmurèrent en chœur les jumeaux une heure plus tard, lorsque l’ambiance fut devenue plus calme.

    – Merci, vous m’avez fait un magnifique cadeau…Je sais que je ne m’occupe pas autant de vous que je le devrais, et j’en suis désolé. Dès que j’aurai terminé ce foutu projet qui me bouffe, je vous promets que tout redeviendra comme avant. On se prendra des vacances et on oubliera tout le reste. Je vous aime.

    – Fais attention à ce que tu dis, on va te prendre au mot ! s’écria Craig.

    – En attendant les vacances, on devrait peut-être retourner auprès de nos invités, ajouta Logan, qui déjà enfilait son slip. Et puis prendre une douche !

    Ils quittèrent la chambre bras dessus, bras dessous. Une partie des invités était retournée dans le salon et dévorait le buffet à belles dents. L’orgie du gymnase prit progressivement fin : les participants prirent d’assaut les douches et se précipitèrent pour se restaurer. La fête continua encore un bon moment dans le salon. Mais tout a une fin, et les invités prirent congé les uns après les autres.

    La semaine suivante, Alexandre reçut un appel qui le remplit de joie : Farah et son mari allaient retourner en Europe avec leur fils. Il ne leur restait que quelques examens à lui faire passer pour confirmer la guérison. Ils souhaitaient faire escale à New York pour le voir et le remercier une fois encore. Il leur fit part de sa satisfaction, s’informa des goûts de l’enfant. Ils se verraient une semaine plus tard. Il appela les jumeaux pour leur demander de se joindre à lui. Logan refusa aussitôt : il avait un problème avec un tableau et souhaitait rester à l’atelier. Craig, lui, accepta immédiatement. Alexandre réserva aussitôt une table dans un des restaurants les plus spectaculaires de Manhattan.

    Il eut un coup au cœur lorsqu’il les vit descendre dans le hall de l’hôtel : le garçonnet, fabuleusement beau, avait beaucoup grandi. Il eut l’impression de se trouver face à un Karim enfant. Il marchait sagement de la main de ses parents. Farah resplendissait : la joie qui explosait sur son visage effaçait les traces des mois éprouvants qu’elle avait traversés. Son mari était tout aussi radieux. Ils étreignirent Alexandre, incapables de prononcer un seul mot. Lorsqu’ils eurent retrouvé leur calme, Alexandre embrassa le petit garçon et fit les présentations. Après quelques échanges sur le voyage, ils allèrent dîner. La vue que l’on avait de la table où ils furent installés fit crier l’enfant de plaisir.

    Farah et son mari avaient eu largement l’occasion de pratiquer leur anglais au cours des douze derniers mois ; Craig put ainsi suivre sans avoir besoin de traduction. Alexandre était bien sûr au courant des grandes lignes de l’année écoulée, mais bien des choses lui avaient échappé. Farah et son mari lui firent un récit circonstancié : l’affolement du début, puis le voyage, le début du traitement, les incertitudes, les doutes, le chagrin, la soudaine et foudroyante amélioration, le séjour dans un sanatorium qui avait fini de remettre en état les poumons du gamin, les derniers examens qui avaient confirmé

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