Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le Condor
Le Condor
Le Condor
Livre électronique683 pages11 heures

Le Condor

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Alexandre se consacre enfin au projet qu’il mûrissait depuis longtemps. Celui-ci, très novateur, suscite bientôt l’inquiétude des puissants en place. En butte à des tentatives de déstabilisation de plus en plus brutales, Alexandre va devenir un homme d’affaires aussi impitoyable que brillant. Son côté adorable et son côté inquiétant se livrent bientôt une guerre sans merci pour le contrôle de son esprit et de ses actions.
Resurgi du passé, un jeune délinquant devenu criminel endurci tombe éperdument amoureux de lui et décide de mettre ses capacités et son manque total de scrupules à son service. L’influence d’Alexandre, qui veut l’aider à se régénérer, et les habitudes héritées de son passé vont se heurter violemment.
La dureté du milieu dans lequel évolue Alexandre affecte son comportement, qui devient de plus en plus violent. Un homme rencontré par l’intermédiaire d’une de ses relations d’affaires sera peut-être le pilier qui l’aidera à reprendre le contrôle de lui-même.
Dans ce dernier volet de la trilogie « Pygmalions » se forge un destin exceptionnel dans un creuset d’intelligence, de violence et d’érotisme.

LangueFrançais
ÉditeurJosé Hodar
Date de sortie24 mai 2012
ISBN9781476497938
Le Condor

En savoir plus sur José Hodar

Auteurs associés

Lié à Le Condor

Livres électroniques liés

Fiction gay pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le Condor

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le Condor - José Hodar

    TABLE DES MATIERES

    CHAPITRE I

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    EPILOGUE

    A propos de l’auteur

    CHAPITRE I

    Alexandre mit fin à la communication en souriant. Son ami Jack avait rencontré un garçon que ses particularités physiques n’avaient pas rebuté. Leur première soirée ensemble s’était formidablement passée et n’avait pas entraîné de séquelles désagréables pour son nouvel ami. Le problème Jack semblait donc en voie de règlement.

    Vendredi soir. Alexandre et Robin respirèrent, satisfaits. Après un épuisant marathon de plusieurs semaines, ils venaient de boucler l’achat de deux bâtiments qui viendraient s’ajouter à celui qu’ils possédaient déjà et à leur installation pilote. Il n’était pas nécessaire de procéder à des travaux lourds. Les aménagements seraient prêts, si tout allait bien, dans quatre ou cinq mois, délai suffisant pour recruter le personnel nécessaire au bon fonctionnement des installations. Ils poursuivirent gaiement leur discussion jusqu’au domicile de Robin, où ils avaient laissé leurs affaires de sport, et prirent le chemin du club. Alexandre, insensiblement, amena le sujet qui lui trottait dans la tête depuis quelque temps. Devant ses élucubrations sur les cultures à l’air libre dans de grands domaines, Robin, d’abord amusé, éprouva une vague inquiétude.

    – Sur le long terme oui, ça peut être très bien, dit-il, et nous serons peut-être amenés à le faire. Mais il s’agira de toute façon d’un projet lourd, qui va exiger de très gros moyens. Nous ne sommes pas en mesure de relever un défi de cette ampleur en ce moment.

    – Nous, qui ? Le monde ?

    – Non, je parle de toi et moi. Je te vois, tu as les yeux qui brillent déjà. Avant de te lancer dans une telle folie il faut que nous réussissions dans ce que nous avons entrepris. Ce que nous avons fait est énorme, mais maintenant il faut tester nos solutions sur une grande échelle. Nous n’aurons pas l’occasion de nous pencher sur autre chose pendant plusieurs années. Rêve un peu si tu veux, mais ne te disperse pas.

    Alexandre rougit sous le regard quelque peu moqueur de son ami. Celui-ci finit par éclater de rire.

    – Tu as vraiment l’air d’un écolier pris en faute, dit-il. Note tes idées quelque part, tu seras content de les retrouver quand nous aurons l’esprit un peu plus tranquille.

    Après la séance de sport Alexandre marcha vers son domicile, perdu dans ses pensées. Le projet entrepris avec Robin, Michael et William entrait dans une nouvelle phase, après une longue période où il avait presque stagné. Presque. Ses amis avaient travaillé uniquement sur l’installation pilote imaginée par Robin, et l’indisponibilité chronique d’Alexandre, tant qu’il avait travaillé pour la banque, avait retardé l’expansion. En contrepartie ils étaient allés plus loin dans leurs recherches. Ils avaient réussi entre autres à éliminer tout pesticide ou engrais d’origine chimique de leur circuit de production. Tous les nutriments charriés par l’eau qui permettait aux plantes de s’alimenter étaient d’origine naturelle, et les processus qui permettaient de les obtenir aussi. Même les emballages ne contenaient aucune substance synthétique ! Dans le domaine de la lutte contre les parasites ou les contaminations, Michael avait réalisé des exploits. Ils étaient à des années-lumière de ce qui se faisait de mieux dans le monde. Ils avaient d’ailleurs longtemps discuté de la pertinence de déposer des brevets pour couvrir toutes leurs découvertes. Alexandre, contrairement à ses compagnons, estimait que c’était prématuré, et qu’ils devaient chercher d’autres façons de protéger leur travail.

    – Nous sommes encore insignifiants sur le marché, disait-il. Si nous déposons tous ces brevets maintenant, nous courons le risque de nous faire doubler par de plus gros que nous, une fois que nos brevets les auront mis sur les pistes que nous avons trouvées. Et dans d’autres pays, des gens indélicats peuvent très bien nous copier et nous priver du fruit de notre travail. Quand nous serons tellement en avance sur les autres que même leur taille ne leur sera d’aucun secours, nous pourrons publier la nature de nos découvertes. D’ici là, il faut que nous mettions au point d’autres manières de nous protéger. Nos propres échelles de température, d’humidité, de dosage, ...de telle façon qu’il soit impossible de nous copier, même si on nous espionne. J’ai déjà fait établir des protections qui mettent nos ordinateurs à l’abri de toute tentative de piratage. Si en plus ce qui est observable n’est pas compréhensible pour qui n’a pas les clés pour, nous pouvons être parfaitement protégés sans déposer le moindre brevet.

    Alexandre avait eu gain de cause : pendant que lui-même et Robin se chargeaient de préparer le développement de leur entreprise, Michael et William concevaient les divers systèmes de mesure dont ils avaient besoin. William se consacrait désormais à plein temps à ce travail. Michael le supervisait une partie du temps, et consacrait quelques heures par semaine à l’achèvement de sa thèse qui d’ailleurs ne l’intéressait plus que moyennement, car ce qu’il faisait aujourd’hui était plus avancé que ses travaux académiques. Il consacrait le reste de son temps disponible à surveiller les dépôts de brevets sur le marché : si des concurrents avaient progressé en même temps qu’eux sur tel ou tel point, et s’ils déposaient des brevets, alors eux seraient bloqués. Alexandre avait dû reconnaître que l’argument était de poids et ils étaient convenus de consacrer du temps et des moyens à ce sujet.

    Le jeune homme poursuivit ses réflexions chez lui tout en se préparant à dîner. Ils se trouvaient à la pointe de la recherche dans ce qu’ils avaient entrepris et devaient, outre le travail d’expansion, prêter attention à une foule de problèmes pointus. Ils ne parvenaient plus à tout piloter à eux quatre, leur équipe était en train de s’étoffer grâce à l’apport de scientifiques de haut niveau. Mais leur avance même révélait maintenant des problématiques d’un autre ordre, auxquelles il ne pouvait s’affronter seul. Yuri et Elizabeth lui vinrent tout de suite à l’esprit. L’intelligence et la formidable capacité de travail de la juriste seraient des atouts certains. Quant à Yuri, il saurait aller à la chasse aux informations utiles aussi bien que lui, et sa capacité d’analyse ferait merveille. Lui-même pourrait travailler avec Matt sur des niveaux plus élevés. Le génial informaticien montrait parfois des signes de lassitude devant certaines de ses demandes, manifestement de niveau inférieur à celui dans lequel il évoluait, et Alexandre ne voulait pas le dégoûter.

    La soirée du lendemain fut, comme tous les samedis, consacrée aux combats. La tristesse refluait petit à petit, et la bonne marche de ses autres activités contribuait à lui remonter le moral. Il gagna près des deux tiers des rencontres qu’il disputa. Chase et Robin le complimentèrent lors d’une relâche. Il en profita pour expliquer à Chase, en quelques mots, la nature de l’activité qu’il développait avec Robin et ses incertitudes quand au dispositif à mettre sur pied pour assurer la sécurité physique de ses installations. Le grand Noir se montra rassurant : nul besoin de mettre une armée sur le pied de guerre, personne n’aurait l’idée d’aller cambrioler, encore moins vandaliser, un potager ! Au pire, un simple gardien, pour faire une ronde la nuit. Alexandre, qui ne voulait pas livrer de détails sur l’avance technique de ce que son ami et associé avait conçu, fit semblant d’être satisfait et laissa tomber le sujet. Chase proposa de l’affronter. Son ancien élève et amant, pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, réussit à le battre au terme d’un combat qui, par sa durée et son intensité, attira l’attention d’une grande partie des autres participants à la soirée. Alexandre qui, à l’exemple des autres, n’avait jamais célébré ses victoires avec des manifestations dépassant le sourire, ne put cette fois retenir son enthousiasme. Ses cris et sauts de joie firent rire l’assistance avec bonhomie. Même Monsieur Yue tint à le féliciter pour son exploit.

    Le Chinois, en son for intérieur, éprouvait une grande fierté. Les progrès d’Alexandre étaient en partie son œuvre. Sa femme était décédée sans lui donner d’enfant, il ne s’était jamais remarié et n’était pas loin de le considérer comme un fils. Il se morigéna. Au fil de ses conversations avec lui, William et Robin, il s’était fait une idée de ce que les trois garçons développaient. Il se pourrait que, lorsque leur projet serait suffisamment avancé, il fût amené à choisir entre son affection pour Alexandre et son devoir envers son pays. Il ne devait pas laisser les sentiments prendre une trop grande place en lui s’il ne voulait pas rendre le choix final trop douloureux.

    Etranger à ces réflexions, Alexandre s’accorda quelques minutes de repos. Chase le rejoignit et lui renouvela ses félicitations.

    – Tu dois vraiment travailler aussi d’autres armes que ton propre corps, poursuivit-il. Je te l’ai déjà conseillé. Le bâton, le sabre…et pourquoi pas les armes à feu ? Tu sais te maîtriser, tu ne dégaineras pas à tort et à travers, et ça t’apportera réellement beaucoup…J’ai senti tout à l’heure que tu n’étais pas satisfait avec ce que je t’ai dit. Pour commencer, tu peux essayer de voir par toi-même ce qu’est la protection de tes bâtiments si tu y passes quelques nuits. Tu sais te battre et ça te permettra d’avoir un minimum d’opinion personnelle sur ce sujet. Will et Robin aussi ; à vous trois vous devriez pouvoir échafauder une stratégie dans ce domaine, et ça vous permettra de discuter avec des professionnels si vous sentez qu’il faut vraiment vous blinder.

    – Tiens, je n’avais pas pensé à ça…Merci, tu es vraiment un grand ami.

    – Il n’y a pas de quoi, les amis sont là aussi pour aider. Au fait, tu restes ici pour les fêtes ?

    – Non, je pars en Europe ; je vais voir ma famille et quelques amis en France, à Noël, et j’ai prévu de passer la Saint-Sylvestre à Berlin, avec d’autres amis.

    Deux types, membres de la confrérie depuis des années mais installés récemment à Manhattan, et qu’Alexandre ne connaissait guère que de vue, vinrent lui proposer d’être leur adversaire. Un tirage au sort fut improvisé. Le rouquin perdit la première rencontre, gagna la suivante. Ils se retirèrent dans la salle de repos pour se désaltérer et analyser les deux combats. Alexandre eut l’occasion de transmettre quelques éléments du savoir qu’il avait accumulé, et apprit deux ou trois petites choses en matière de tromperie, qui lui auraient évité une défaite s’il les avait connues. Son vainqueur lui proposa, s’il ne souhaitait pas continuer à se battre, d’aller prendre un pot dehors. Alexandre n’avait pas envie de partir déjà ; il déclina l’offre et retourna regarder les rencontres en cours. Son interlocuteur fit une brève grimace de dépit une fois qu’il eut disparu. Le poisson n’avait pas été ferré.

    Alexandre tourna encore une bonne heure entre tatamis et conversations. Insensiblement les participants s’éclipsèrent les uns après les autres. Il eut enfin envie de suivre leur exemple : la soirée lui avait bien plu, mais l’avait également vidé de presque toute énergie. Il repensa à son adversaire de tout à l’heure. Pourquoi ne pas s’accorder un pot, et plus, si affinités ? Il n’avait rien de désagréable. Il se mit à sa recherche, le trouva dans une petite salle, où il s’était isolé avec quelqu’un d’autre pour échanger coups et savoir-faire. Le combat venait de se terminer. Alexandre le complimenta pour sa victoire.

    – Je vais partir, dit-il. Si l’idée de prendre un pot ensemble te tente toujours…

    – Bien sûr. Allez, à la douche !

    Dans le vestiaire, Alexandre ne put s’empêcher d’évaluer le physique de son interlocuteur. Mark, c’était son prénom, était blond, velu sur la poitrine et surtout sur les jambes. Il coupait ses cheveux très courts. Son corps mince mais puissant ressemblait beaucoup à celui de Karim. Il devait être à peu près aussi grand que son compagnon mort. Il paraissait bien monté. Les ressemblances s’arrêtaient là : son visage était agréable, certes, avec ses yeux bleus, son nez droit et long mais sans excès, sa bouche aux lèvres minces dont les coins se relevaient très légèrement, mais aucune comparaison n’était possible avec la rayonnante beauté du jeune artiste. En un éclair, et sans raison, Alexandre pensa que maintenant il était plus âgé que Karim le jour de sa mort et eut un pincement au cœur. Mark lui tapa sur l’épaule.

    – Hé, arrête de rêver ! s’écria-t-il. On n’a pas toute la nuit !

    Alexandre, confus, se déshabilla rapidement et le rejoignit dans les douches. Dix minutes plus tard, dehors ils poursuivirent la prise de contact tout en marchant. Plombier de son état, Mark avait été attiré à Manhattan par le flux d’activité qui accompagnait la construction des nouveaux bâtiments de Ground Zero. Il habitait un petit appartement Molt Street, près de Columbus Park. Moins de vingt minutes plus tard, assis dans son salon, une bière à la main, ils revinrent aux arts martiaux. Alexandre, qui trouvait son interlocuteur de plus en plus attirant, mais un rien empoté, s’apprêtait à le serrer de plus près lorsque celui-ci changea brutalement d’attitude.

    – Tu es gay, n’est-ce pas ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.

    – Euh…oui, répondit Alexandre, une seconde désarçonné par la question.

    – Moi je ne le suis pas. Désolé.

    – Inutile, ce n’est pas ta faute, ça arrive même dans les meilleures familles.

    Mark resta la bouche grande ouverte sous l’effet de la surprise. Alexandre, qui venait de retrouver sa présence d’esprit, le regardait avec un sourire amusé. Ils éclatèrent de rire en même temps.

    – Je peux te demander pourquoi tu m’as invité chez toi ? demanda Alexandre.

    – Ben…je ne sais pas comment dire…Je ne suis pas pédé, mais ça fait longtemps que je me demande comment c’est…

    – Et de but en blanc tu débarques dans notre club, tu vises le premier mec que tu vois et tu te dis « tiens, celui-là, ça doit être une tante, je vais l’appâter pour rigoler un coup ». C’est ça ? – La voix d’Alexandre se faisait tranchante.

    – Non, non ! – Mark perdait son assurance à marches forcées. – En fait, je t’avais déjà repéré. Alors hier je t’ai suivi jusque chez toi après ta sortie du club. J’ai attendu que tu ressortes. J’ai été fixé quand tu es entré dans cette discothèque.

    – Ah bon, tu la connaissais alors que tu es hétéro et que tu viens de débarquer à Manhattan ? – Alexandre ne prenait pas la peine de dissimuler sa totale incrédulité.

    – Oh, arrête ! Bien sûr que je ne la connaissais pas ! J’ai été fixé parce que j’y suis entré après toi. Je voulais t’aborder, mais je t’ai perdu de vue.

    – Bien, supposons. Et pourquoi est-ce que je t’intéresse tellement ? C’est à cause de mon charme ravageur qu’un hétéro fait le pied de grue devant chez moi, pendant plus d’une heure, en plein mois de décembre ? J’ai vraiment l’impression que tu me prends pour un con. – Alexandre se mit debout. – Il vaut mieux que je m’en aille. La nuit risque de mal se terminer sinon. Merci pour la bière.

    – Non, attends ! C’est…c’est moi qui suis con. Je te le répète, je ne suis pas pédé, je ne sais pas comment aborder un garçon.

    – Et qu’est-ce que tu attends de moi ? – Alexandre, au comble de la perplexité, se rassit machinalement.

    – C’est à cause de mon frère aîné…Il est marié, avec trois gosses, et il vient de plaquer sa femme pour partir vivre avec un mec. Tu n’as pas idée du bazar que ça a foutu dans la famille. Tu comprends, rien ne laissait penser qu’il allait changer de bord, comme ça…Je me suis demandé pourquoi un type viril comme lui agissait de cette façon. Tu peux peut-être me dire comment il a été contaminé ?

    – Contaminé ? Je ne vois vraiment pas de quoi tu veux parler. Ce n’est pas une maladie, on ne l’attrape pas, comme ça, un beau jour. Si ton frère a tout plaqué pour suivre un mec, c’est sûrement parce qu’il a toujours été pédé, mais il a voulu faire comme tout le monde, s’est marié, a eu des enfants, et quand il s’y attendait le moins il a rencontré l’homme de sa vie. Enfin, c’est ce que j’imagine. Tu as de drôles d’idées, sans vouloir te vexer. C’est tout ce que tu voulais ?

    – Donc, si on essaie avec un mec, on ne va pas devenir pédé ?

    – Je ne crois pas, non. Bon, va au fait, j’en ai assez de cet entretien sans queue ni tête.

    – Je n’arrive pas à trouver les mots qu’il faut pour lui parler. J’avais pensé que si je savais comment c’est, avec un mec, par rapport à une nana, je discuterais mieux avec lui.

    Alexandre le scruta, le visage impénétrable. Sans le souvenir de l’épisode avec le chauffeur de taxi à Paris, il y avait déjà plus de quatre ans, il serait parti depuis longtemps. Et deux choses, dans cette histoire, l’attiraient et le rebutaient tour à tour. Bien sûr, Mark l’excitait, et l’expérience qu’il proposait le titillait. Seulement, ce récit lui paraissait, quelque part, cousu de fil blanc. Et si ses vraies raisons étaient ailleurs ? Il décida de le provoquer un peu.

    – Donc, si je te comprends bien, tu cherchais à savoir si enfiler un mec est plus plaisant qu’enfiler une nana. Et tu as pensé que je sauterais avec empressement sur l’occasion. J’ai bien peur que les choses ne soient un peu plus compliquées. Je ne vois pas pourquoi c’est moi qui devrais passer à la casserole, si tu vois ce que je veux dire.

    – Tu ne veux quand même pas… ? – Mark avait pâli.

    – Si tu veux savoir comment c’est avec un homme, il va falloir adopter tous les rôles.

    – Non…non, ça, je ne peux pas.

    – Dans ce cas, je ne peux rien pour toi. Je n’ai couché qu’avec des hommes qui avaient envie de moi. Et je ne veux pas me soumettre à une comparaison aussi inutile qu’humiliante. Il va te falloir chercher quelqu’un d’autre.

    Il se leva et enfila son blouson. Mark réfléchissait à toute vitesse. Il fallait le retenir, mais il ne voulait pas se soumettre à ce qu’il considérait comme l’infamie absolue.

    – Attends ! s’écria-t-il comme Alexandre se dirigeait déjà vers la porte. On n’est pas obligés de tout faire tout de suite. On peut se contenter de dormir ensemble, sans rien faire. Ça me permettra déjà de réfléchir et de voir si je veux vraiment aller plus loin. Et puis…on peut faire du sport, s’entraîner ensemble, on apprendra à se connaître. Je…je ne voulais pas faire ça avec n’importe quel inconnu. Ce qui est arrivé à mon frère n’est peut-être pas une simple affaire de cul. Je veux vraiment comprendre. Tu ne veux pas m’aider ?

    – Tout de suite et comme tu voulais, non, répondit Alexandre après une seconde de silence. On verra une autre fois. Bonne nuit.

    Il ouvrit la porte de l’appartement et dévala les marches de l’escalier sans plus prêter attention à Mark. Ce type tentait de le berner, il en était convaincu. Pour quelle raison ? C’est ce qu’il fallait découvrir. On verrait à partir de lundi.

    Mark était mécontent de lui. La mission qu’on lui avait confiée, gagner la confiance d’Alexandre et tout apprendre sur ses activités, n’avait en principe rien de difficile. Lorsqu’il avait, par un heureux hasard, découvert les goûts sexuels du jeune homme, il avait pensé que l’allumer serait un bon moyen de parvenir à ses fins. Il se savait attirant et pensa qu’un petit pédé ne pouvait que profiter de l’occasion de se faire sauter par lui. C’est par réflexe défensif qu’il avait déclaré qu’il n’était pas gay quand il avait senti qu’Alexandre se préparait à prendre l’initiative. Et il ne lui était pas venu à l’esprit qu’il pourrait vouloir inverser les rôles. Il avait improvisé une histoire idiote, fausse de bout en bout, dont il était désormais prisonnier. Bon, au moins tout n’était pas perdu. Le rouquin n’avait pas fermé la porte. Son rapport à son commanditaire ne serait pas aussi favorable qu’il l’avait espéré, c’est tout. On verrait tout ça au réveil.

    L’entretien téléphonique avec son interlocuteur, sans être totalement aigre, ne fut pas très agréable. Lorsqu’il exposa l’angle d’attaque envisagé et ses réticences à suivre les prétentions d’Alexandre, la réaction de son interlocuteur fut tranchante.

    – Nous vous avons confié ce travail parce que vous aviez la réputation d’être fiable et compétent. Nous voulons des résultats, pas l’exposé de vos états d’âme et de vos pudeurs de jeune fille. Résolvez le problème.

    Il coupa la communication sans laisser à Mark le temps de parler. Ce dernier eut un geste d’exaspération. Sa réputation professionnelle et donc ses moyens d’existence étaient en jeu. Il fallait se secouer.

    Alexandre eut un peu de mal à émerger, malgré le radio-réveil. Au club il s’était beaucoup dépensé et ne s’était accordé qu’un léger en-cas en rentrant. La fatigue n’avait pas disparu totalement et le manque de nourriture l’avachissait encore. Il eut envie de dormir encore un moment. Pourquoi donc avait-il branché le réveil ?...Ah oui, il devait passer prendre Matt et Hans à l’aéroport. Il se leva, les yeux à demi fermés de sommeil, se rendit dans la salle de bains. Son reflet dans les glaces le fit sourire : plutôt comique, Alexandre, en ce moment ! Une douche avec les jets à pleine puissance et un bol de chocolat au poivre plus tard, il se sentit en pleine forme. Il repensa à sa conversation de la nuit pendant qu’il vérifiait que la chambre d’amis et la salle de bains attenante étaient en état de recevoir ses invités. Il en toucherait un mot à Matt : peut-être, malgré toutes ses précautions, commençait-il à attirer l’attention. Il en parlerait également à ses associés : ils faisaient peut-être, eux aussi, l’objet d’une surveillance sans s’en rendre compte. Il s’habilla et gagna l’aéroport JFK.

    Au cours de ces deux dernières années, il n’avait vu ses amis que via webcam. Matt était resplendissant. Ses cheveux, longs sur le sommet du crâne et se raccourcissant à mesure que l’on descendait sur les côtés et la nuque, lui faisaient un visage plus jeune que jamais. Personne ne lui donnerait vingt-sept ans. Surtout à côté de son immense compagnon. Hans avait, lui, laissé ses cheveux pousser. Il évoquait plus que jamais un dieu viking. Sa moustache et sa courte barbe renforçaient encore l’impression. Les deux hommes étaient aussi beaux l’un que l’autre dans des genres on ne peut plus dissemblables. Alexandre en perdit le souffle et la parole pendant un instant. Il les étreignit en silence.

    – Vous êtes incroyables, dit-il lorsqu’il fut revenu de sa surprise. La webcam ne vous rend pas justice.

    – Eh bien, change de webcam, répliqua Matt avec un grand sourire. Tu dois en avoir les moyens, maintenant !

    – Ne sois pas trop méchant, intervint Hans en ébouriffant les cheveux de son compagnon, lui aussi est plus beau au naturel que sur ton écran.

    Ils se rendirent au parking entre échanges de nouvelles et plaisanteries. De retour au loft et après déballage de leurs affaires, Hans et Matt rejoignirent Alexandre au salon, où des verres les attendaient.

    – C’est vrai que tu es splendide, dit Matt non sans rougir, ce qui fit rire les deux autres.

    – Sûrement pas autant que toi, dit le rouquin. Tu es réellement méconnaissable. Et toi, Hans, tu ne dois plus jamais te raser le crâne. Ni enlever la barbe et la moustache…Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis content de vous voir, poursuivit-il à voix plus basse.

    Ils se narrèrent les détails de ce qu’ils avaient vécu depuis deux ans. Alexandre ne fut pas surpris d’apprendre, ce qu’il soupçonnait déjà, que Hans avait quitté son travail pour épauler son ami. Sans être un génie avec les ordinateurs, il se débrouillait assez bien, et surtout prenait efficacement en charge les aspects organisationnels et administratifs des affaires de Matt. Ce dernier pouvait donc s’occuper, quasiment à cent pour cent, de ce qui l’intéressait. Avec l’aide de Laure, la sœur d’Alexandre, il avait d’abord retrouvé le haut niveau en mathématiques qui avait été si longtemps le sien, et ensuite fait la connaissance de certains de ses camarades et professeurs de Normale sup. Ces contacts avaient fait des étincelles. Ces apports intellectuels, joints à ce qu’il avait retiré des recherches effectuées pour le compte d’Alexandre, lui avaient fait prendre une envergure hors du commun. S’il avait été mû par l’appât du gain, ou par des idéologies extrémistes, il serait devenu aujourd’hui un danger mortel pour ceux qu’il prendrait pour cibles. Son absence de cupidité et sa relation avec Hans l’avaient protégé des dérives. Comme Alexandre lui en faisait la remarque, il rit et répondit :

    – Tu as peut-être raison. Je suis un vrai enfant gâté !

    La conversation continua sur des sujets plus personnels. Les visiteurs s’enquirent avec tact de la vie sentimentale de leur hôte ; celui-ci, pour une fois, ne résista pas au besoin de s’épancher. A mesure qu’il parlait, le visage de ses visiteurs devenait plus grave. En particulier Hans, qui avait déjà vécu des épreuves analogues, mesurait les dégâts que ses derniers déboires sentimentaux avaient faits en Alexandre. La façade était éblouissante comme jamais, certes, mais à l’intérieur il sentait que l’auto-estime était encore à un très bas niveau. Il fallait le rassurer. Il consulta son compagnon du regard. Pas de problème, ils étaient d’accord. Ils passeraient à l’action tout à l’heure. Alexandre, encore plongé dans ses confidences, ne remarqua pas l’échange muet. Il raconta l’étrange épisode avec Mark.

    – J’ai vraiment eu l’impression qu’il me racontait des craques, termina-t-il, mais je me demande ce qu’il a en tête.

    – Et tu as vraiment l’intention de continuer à le voir ? demanda Matt, le visage pour une fois inexpressif.

    – Oui, je veux savoir ce qu’il y a réellement…mais pourquoi tu fais cette tête ?

    – Moi ? Quelle tête je fais ?

    – Tu tentes de bannir toute expression, et ça ne te ressemble pas. Y aurait-il des choses que tu souhaites me cacher ?

    – Oui, soupira Matt après une longue hésitation. Ça n’a peut-être rien à voir, mais tes ordinateurs ont subi des tentatives d’effraction tout au long des dernières semaines. Depuis un peu moins de deux mois. En clair, depuis ton départ de la banque.

    – Quoi ?

    – Comme tu dis. Je n’ai pas voulu t’en parler, vu que ces deux enfoirés venaient de te plaquer et que tu n’étais pas en état de réfléchir calmement. Bien sûr, les attaques ont échoué. J’ai encore renforcé les protections autour de tes systèmes, y compris ton téléphone portable. Aujourd’hui, je crois qu’aucun site au monde n’est mieux protégé, ni avec autant de discrétion. Non, pas de détails, je t’en parlerai une autre fois. Par contre, il va falloir doper tes ordinateurs…Pardon, je m’égare, je reviens à mon histoire. Cette coïncidence a attiré mon attention, j’ai reconstitué le trajet suivi par les programmes espions, qui sont beaucoup moins discrets que les miens, et j’ai abouti…

    – A la banque, murmura Alexandre.

    – Exact. La banque continue de s’intéresser à toi, et comme il est impossible de pirater tes systèmes, elle a peut-être envoyé quelqu’un pour gagner ta confiance et te soutirer ce qu’ils veulent savoir. S’il avait été moins con, ce Mark aurait peut-être réussi. C’est pour ça que je me suis inquiété.

    – Et c’est pour ça que je dois le revoir. Si je coupe tout contact avec lui, ils me tendront peut-être un autre piège que je ne verrai pas. Là, je peux lui raconter ce que je veux, et tenter de lui tirer les vers du nez à mon tour. Et peut-être même en faire un agent double !

    Stimulé par cette perspective, Alexandre s’esclaffa, imité par ses deux amis. Un gargouillement d’estomac le rappela aux exigences de son corps. Compte tenu du froid ils ne voulurent pas sortir. Pendant le dîner, la discussion s’orienta sur les raisons que pouvait avoir la banque d’espionner Alexandre.

    – Elle doit vouloir vérifier que tu respectes bien les termes de votre accord, dit Hans.

    – Oui, et aussi savoir comment tu utilises l’argent qu’elle t’a versé, indiqua Matt. Ça peut également leur donner des pistes pour leurs affaires futures. N’oublie pas qu’elle avait mis sur pied toute une équipe pour analyser ta façon de réfléchir. Tu continues à les intéresser. Il faut vraiment que tu leur tapes sur les doigts, sinon ils ne vont jamais te lâcher…Ça n’a pas l’air de te déplaire, d’ailleurs… – Il eut une expression inquiète.

    – Oh, il n’est pas désagréable de se sentir désiré…Mais, je plaisante ! Bien sûr qu’il faut les décourager.

    – Quand est-ce qu’on les attaque sur le produit que tu avais inventé ? Tu sais que j’ai continué à les surveiller, ils n’arrêtent pas de mettre au point des tas de trucs autour de ça, j’ai peur qu’ils n’aillent encore plus vite que tu ne le pensais.

    – On regarde ça demain, comme on s’était dit ? Allez, passer la soirée là-dessus ne nous avancera à rien.

    – Alexandre a raison. Je crois qu’on a besoin d’autre chose ce soir, intervint Hans. Changeons de sujet. Comment vont tes copains du club ?

    La fin du dîner fut consacrée à une revue de détail de leurs amis communs, qui se poursuivit à leur retour au salon. Le ton redevint léger. Matt, rouge comme une pivoine, suggéra un petit séjour dans le jacuzzi. Une fois leurs vêtements enlevés, Alexandre ne retint pas un sifflement admiratif. Matt, intelligemment entraîné par son compagnon, s’était fait un torse sculptural, aux muscles peu saillants mais bien définis. Ses jambes, toujours puissantes, étaient un peu moins lourdes qu’avant. Ses fesses en devenaient d’autant plus tentantes. Sa pilosité était restée la même. Quant à Hans, il portait splendidement ses trente-deux ans. Le bonheur ne lui avait apporté aucune courbe attendrissante mais superflue.

    Ses invités placèrent Alexandre, d’autorité, entre eux. Baisers, caresses sur tout le corps…Le jeune homme ne tarda pas à être au comble de l’excitation. Le dernier acte eut lieu dans sa chambre. Ses amis ne lui permirent pas d’exercer le moindre rôle dominant. La qualité de leur prestation – Matt fut extraordinaire en assaillant ! – et l’affection dont ils firent preuve le convainquirent de se laisser faire. Au bout de deux orgasmes ils décidèrent de laisser là les réjouissances. Alexandre eut à peine le temps d’éteindre. Le sommeil s’abattit sur eux. Il n’était pas encore vingt-trois heures.

    Neuf petites heures plus tard, ils émergèrent progressivement. Après le petit déjeuner, Alexandre demanda et obtint deux heures pour ses tâches personnelles. Il en profita pour informer ses associés, sans trop entrer dans les détails, de sa rencontre avec Mark et de ses soupçons à son sujet. Au bout de deux heures exactement Matt frappa à la porte du bureau.

    – J’ai donné quartier libre à Hans, dit-il. A nous deux !

    – Il n’est pas vexé qu’on s’obstine à le tenir à l’écart ?

    – Non, penses-tu ! Il comprend très bien que ce que je fais pour mes clients est confidentiel. Il n’a jamais essayé d’en savoir plus long. Bon, je reviens à ce qu’on se disait hier. J’ai l’impression que tu continues de bien aimer la banque. Je crains même que, si elle te rappelle, tu ne te laisses à nouveau séduire.

    – Non, aucun risque. C’est vrai qu’ils m’ont plutôt bien traité, et que je garde un bon souvenir de mon passage là-bas…

    – Bien traité ? Ils t’ont saigné à blanc !

    – Et c’est en grande partie pour ça que je suis parti. Mais je commence à avoir du recul et je crois qu’ils m’aimaient bien. Autant qu’on peut aimer bien un salarié doué.

    – Ça ne les a pas empêchés de travailler sur ton truc, sans même te le dire ! Tiens, je sens que je vais m’énerver…Regarde plutôt ce sur quoi ils travaillent d’arrache-pied depuis la fin de l’été. Je croyais qu’il s’agissait de simples corrections de détail, mais j’ai peur que ça n’aille beaucoup plus loin. D’ailleurs, j’en profite pour te demander, si tu pouvais me tuyauter sur tous ces sujets financiers, ça m’aiderait à mieux cerner ce qu’ils font.

    Matt brancha son ordinateur portable. En apparence il ne contenait que des programmes standards, et quelques logiciels de jeux, ce qui lui avait permis de franchir sans encombre les contrôles à l’aéroport, mais une fois qu’il eut connecté une innocente clé USB qu’il avait dans une de ses poches, la machine devint le poste de commande de ses ordinateurs à Paris. Alexandre le regardait, entre amusé et impressionné. Soudain son ami n’était plus le jeune homme timide et adorable que tout le monde voyait. Maintenant c’était un type à l’expression ferme et aux gestes assurés. Il montra d’abord des documents, des emails échangés entre le président de la banque et les responsables du nouveau projet majeur qui avait succédé à celui mené à bien par Alexandre. Ce dernier tomba vite des nues. Il avait espéré qu’on garderait son produit tel quel au moins un an, ce qui lui laisserait le loisir de bien calibrer son action tout en avançant sur ses projets personnels. Les spécialistes de la banque avaient vu, comme lui, qu’une utilisation intensive de ses contrats pouvait générer des risques majeurs de pertes parmi les autres clients de la banque. Ils avaient donc travaillé à mettre au point des instruments financiers dérivés qui permettraient d’évacuer ce risque au-dehors. Ces produits étaient d’un fonctionnement et contenu difficiles à comprendre même pour un financier. Il était donc peu probable que quelqu’un découvrît leur véritable rôle. En revanche, leur aspect séduisant et leur apparente fluidité leur ménagerait une place de choix parmi les instruments utilisés par les opérateurs. Ils constituaient un parapluie pour la banque et ses clients. Alexandre se prit la tête entre les mains.

    – Ça va trop vite, dit-il d’une voix sourde, je ne peux pas courir tous ces lièvres à la fois.

    – Il faut que tu te secoues. Parce que c’est grave, n’est-ce pas ?

    – Plutôt, oui. La banque va utiliser ce que j’ai inventé pour repousser tous les risques de pertes sur les concurrents – et leurs clients. Au moindre soubresaut, les autres banques vont passer pour des prodiges d’incompétence, et seule celle-ci sauvera les meubles à chaque fois, ce qui tournera vers elle de plus en plus de monde. Elle va donc éliminer ses concurrents. Et au train où vont les choses, il ne lui faudra que quelques années pour devenir intermédiaire obligé sur tous les marchés juteux de la planète.

    – Bref, tu lui as servi le monde sur un plateau en échange d’un petit pourboire. C’est ça ?

    – On peut le dire comme ça. Tu sais combien elle m’a versé ?

    – Non, et je ne veux surtout pas le savoir. Par contre, si tu n’as pas de parade intelligente, on peut sortir l’artillerie lourde. J’ai des copains un peu partout, et ensemble on peut totalement paralyser les ordinateurs de cette banque et en effacer le contenu. Y compris les sauvegardes à mesure qu’ils les mettront en marche. Elle ne se remettra pas du coup.

    – Non, on ne peut pas faire ça. Cette banque fait partie de celles qu’on considère « trop grandes pour disparaître ». Ce que tu proposes peut provoquer la crise qu’on essaie d’éviter, et plus encore...Est-ce que tu as pu trouver le détail des programmes qui sous-tendent tout ça ?

    – Alexandre, tu m’insultes…bien sûr que j’ai ça ! Et avec les modes d’emploi !

    – Super, on peut voir ? Et j’en profiterai pour t’expliquer ce que tu ne comprends pas.

    Ils perdirent la notion du temps. Matt n’eut pas besoin de beaucoup d’explications. La logique des produits et des programmes lui apparut très vite, et il fut en mesure de seconder efficacement Alexandre dans la recherche de failles. Alexandre, lui, s’aperçut, non sans surprise, que son esprit était encore plus affûté qu’avant sur ces sujets. Il n’était plus distrait en permanence par des détails matériels et des tâches de routine, et allait immédiatement à l’essentiel. Ensemble, ils identifièrent les points faibles qu’ils pouvaient tenter d’exploiter, des paramétrages abscons que des programmes-saboteurs de Matt pouvaient altérer de manière indétectable. Le choix des lignes d’action proprement dites fut plus difficile et faillit entraîner une dispute. Matt, très radical, voulait faire échouer ces produits en leur faisant encaisser les risques des marchés au lieu de les évacuer. Alexandre, plus posé et retors, estimait qu’il fallait influer suffisamment pour que les objectifs de rentabilité ne soient pas atteints, mais pas assez pour les transformer en gouffre.

    – Mais ce n’est pas possible, cria Matt, ce qu’il faut, c’est les dégoûter de ces jeux répugnants !

    – Matt, sois raisonnable ; si les résultats sont trop mauvais dès le début, ils vont éplucher ce qu’ils ont fait, et soit découvriront que leurs programmes ont été sabotés, soit mettront au point des produits améliorés. Par contre, si les résultats sont simplement moins bons, ils se méfieront moins, et surtout perdront la confiance des clients et des marchés. Ce coup-là sera bien plus dur pour eux, et bien plus difficile à détecter, surtout si on s’arrange pour que les choses se dégradent à mesure que l’utilisation de ces produits s’étend. De toute façon, dis-toi bien que nous ne sommes pas assez forts pour torpiller la spéculation financière. Cette banque peut bien disparaître, d’autres prendront le relais.

    – Quoi ? Parce que toute cette folie qu’on a connue va recommencer ?

    – Sans aucun doute. Je ne sais ni quand ni sur quoi ça va repartir, mais je suis sûr que ça repartira.

    L’air accablé de Matt fit rire son ami, qui se rendit compte du réalisme – ou du cynisme – que ses études et la vie à la banque lui avaient fait acquérir. Le jeune informaticien avait beau l’aider à spéculer depuis trois ans, il ne l’avait pas suivi sur ce terrain. Il jugea prudent de ne pas garder la conversation là-dessus et voulut arrêter les actions à entreprendre.

    – Bon, dit-il, on va faire comme j’ai dit. Fais-moi confiance. Dans quelques mois, si on s’y prend bien, tous ces produits seront tombés en désuétude, ou utilisés d’une manière qui ne les rende pas dangereux. Parlons plutôt des moyens dont nous devons disposer.

    – Hmm ?...Ah oui, il faut à mon avis que nous ayons des ordinateurs dédiés à l’opération, et situés dans des locaux qui n’aient rien à voir avec nous. L’idéal serait d’avoir un petit studio à Paris. Quant au matériel, ne t’en occupe pas, je ferai le nécessaire. On pourra liquider l’ensemble quand tout sera terminé. Ah, je pensais, il faut que tu améliores encore la protection de ce loft contre les intrusions, que tu installes des caméras discrètes, qui filment tout ce qui se passe si quelqu’un réussit quand même à entrer. Et si tu dragues, je crois qu’il est imprudent de ramener tes conquêtes ici. Il faudrait que tu aies un studio, ou un petit appartement sans prétention. Si tu ramènes un inconnu ici il peut perdre les pédales et chercher à te soutirer de l’argent par n’importe quel moyen.

    – Oui, ce n’est pas bête. Tu peux voir pour les caméras ? Je m’occupe du studio à Paris…On en reste là pour aujourd’hui ? On continuera demain.

    Ils se restaurèrent et consacrèrent le reste de l’après-midi à préparer la discussion qu’il devait avoir avec William le lendemain. L’Américain était intelligent et travaillait beaucoup, mais Alexandre avait l’impression qu’il lui manquait quelque chose pour prendre son envergure définitive. Il comptait sur l’aide de Matt pour le convaincre de se former encore en informatique. Et peut-être aussi dans d’autres domaines. Son interlocuteur refusa de prendre part à la réunion.

    – Hors de question, dit-il fermement. Je ne supporterais pas d’être convoqué au type d’entretien que tu veux avoir avec lui et y trouver quelqu’un d’extérieur, même si c’est quelqu’un que j’aime bien. Et de toute façon tu lui es encore plus proche que moi. Tu n’as besoin que d’utiliser ton charme au lieu de te contenter de jouer les juges. Tu es le patron, mais tu es aussi son ami. Joues-en…Non, je n’en écouterai pas davantage. Je vais retrouver mon homme.

    Il fit un rapide signe de la main et quitta le bureau. Alexandre souffla, entre exaspéré et découragé. Ah, ils avaient bonne mine, tous…Michael et Robin avaient eu des réactions analogues. Et ils avaient tous dit « c’est toi le patron ». Mouais…Les remarques de ses anciens professeurs sur « la solitude du dirigeant » lui revinrent en mémoire. A l’époque il avait considéré tout cela comme un fatras inutile. Maintenant il réalisait ce que ce « fatras » avait de pertinent. Bien, il ne s’était jamais dégonflé : il ferait au mieux avec Will. Il jeta un coup d’œil à sa montre : il serait bientôt l’heure de se rendre au karaté. Il prit ses affaires et marcha tranquillement jusqu’au club.

    Il était encore au vestiaire quand Mark arriva. Il paraissait nerveux. Comme prévu, ils s’isolèrent dans une petite salle une fois qu’ils se furent échauffés et assouplis. Ils travaillèrent leurs mouvements en silence puis entamèrent les combats. Quand, l’heure de la fermeture étant proche, ils décidèrent d’arrêter, son adversaire avait perdu presque tous leurs affrontements. Le rouquin, secrètement déçu parce qu’il espérait avoir trouvé un adversaire aussi difficile que ses précédents entraîneurs, eut soin d’avoir le triomphe modeste. Ils discutèrent stratégies et combats sous la douche et pendant qu’ils s’habillaient. Mark proposa de prendre un pot chez lui – en tout bien tout honneur !, eut-il soin de préciser. Alexandre, peu soucieux de tomber dans un piège, préféra un bar situé à proximité du club.

    La conversation, dans un premier temps centrée sur les arts martiaux, dériva insensiblement sur des sujets plus personnels. Alexandre ne fut pas long à s’apercevoir que Mark, sous couvert de sympathie, tentait de trouver quelque chose. Un point faible ? Ses propres réactions suite à certains des propos de son interlocuteur le mirent sur la piste : Mark cherchait à le flatter, à le disposer en sa faveur. Il le draguait presque. Il décida de suivre son jeu et déploya toute son innocence. Il se leva un instant en prétextant un besoin pressant. Il revint moins d’une minute plus tard, non sans avoir pris discrètement une photo de son interlocuteur et vérifié que son portable enregistrait toujours la conversation. Las de parler de lui, il questionna son interlocuteur à son tour.

    Son air intéressé encouragea Mark à parler. Il débita l’histoire qu’il s’était inventée, raconta des anecdotes sur les endroits où il avait vécu, les gens qu’il avait connus. Alexandre le ramena aux arts martiaux et aux clubs qu’il avait fréquentés. Lorsqu’il estima qu’il disposait de suffisamment d’information pour pouvoir la contrôler, le rouquin prétexta l’heure tardive pour mettre fin à la conversation. Mark le regarda s’éloigner. Il n’en savait pas beaucoup plus long sur lui, mais il avait rattrapé sa gaffe de l’avant-veille. Et il était sûr qu’il plaisait. Allons, tout n’était pas perdu. Ce petit pédé finirait par craquer, et lui ne serait peut-être même pas obligé de passer à la casserole !

    Le lendemain fut une journée agitée pour Alexandre. La sortie de crise qui s’était précisée tout au long de l’année n’était pas exempte de coups de froid, et la disparition de certaines possibilités de spéculation réorientait les acteurs touchés sur ce qui restait ouvert. Résultat : pagaille accrue sur les marchés en raison des actions intempestives d’opérateurs venus d’autres horizons et qui, dans leur ignorance de leur nouveau terrain de jeu, agissaient souvent à tort et à travers. Il consacra toute la matinée à tenter de redresser sa situation et ne put réfléchir que quelques minutes à ce qu’il dirait à William. A l’arrivée de ce dernier, il tenait juste les lignes maîtresses de son petit discours. Il se jeta à l’eau à la fin du déjeuner.

    – Je t’ai demandé de passer ici parce que j’ai un petit souci, commença-t-il. Notre projet prend bonne tournure, et à partir des mois qui viennent notre activité va exploser. Notre plan de recrutement est lancé, surtout en ce qui concerne les personnes à très haut niveau de formation.

    – Ah, il était temps !... Mais ce n’est pas la seule chose que tu voulais me dire ?

    – Eh bien, j’ai un petit peu peur que ton niveau de formation actuel ne te permette pas de suivre le rythme…

    – Tu veux que je m’en aille ? le coupa William qui était devenu pâle.

    – Non, bien sûr que non ! Ce que tu fais est nettement au-dessus de ce que ton niveau d’études laissait supposer. Non, mon souci c’est que bientôt nous allons avoir à gérer du personnel très diplômé, en sciences, en informatique et dans d’autres domaines. Et là, je crains que tu ne finisses par être dépassé.

    – Et qu’est-ce que tu proposes ?

    – Je crois qu’il faut que tu continues tes études.

    – Mais c’est le cas !

    – Non. Tu suis des cours ponctuels, qui t’apportent des connaissances, mais pas le bagage qui fait que des gens qui auront un doctorat ou des diplômes délivrés par les meilleures universités te respecteront. Et il ne faut pas que tu sois obligé de te battre à longueur de journée, tu as mieux à faire.

    – C’est comme ça que tu me vois ? Le maillon faible ? Je n’ai pas réussi à ce que tu me considères mieux que ça ?

    – Will, tu es l’un des hommes les plus dignes d’estime que j’aie jamais rencontrés. Et j’avoue que j’ai été soufflé par ce que tu as fait jusqu’ici. Mais j’insiste : il faut que tu améliores encore ton niveau de formation. L’informatique est ton point fort, mais aujourd’hui je ne te vois pas gérer ou faire évoluer nos systèmes au niveau de Matt. Par exemple. Et tes connaissances actuelles en biologie ne feront jamais de toi un chercheur. Et encore, nous n’en sommes qu’au début. Aujourd’hui tu fais le poids, mais dans un an ou deux tu ne le pourras plus.

    – Et dans quel domaine penses-tu qu’il faut que je me forme ?

    – Je n’ai pas à en décider, c’est à toi de choisir. En tout cas c’est moi qui financerai, sur mes fonds personnels.

    – Je ne te demande rien, Alex.

    – Mais moi j’offre. Tu n’as pas les moyens de couvrir les frais d’études. Je ne veux pas que ce soit notre société. C’est donc à moi de faire. Je te dois bien plus que tu n’imagines, je peux bien t’offrir ça. Ne fais pas cette tête. Dis oui.

    William resta pensif plusieurs minutes, les yeux baissés. Il savait qu’Alexandre était dans le vrai. Ses études, faites dans des conditions souvent difficiles, lui avaient permis de gagner sa vie. Son intelligence et sa volonté de réussite lui avaient procuré un surcroît de compétences. Mais il constatait tous les jours le décalage qui le séparait de ses associés et de certains employés. Les cours qu’il suivait comblaient quelques lacunes, sans vraiment réduire l’écart. La proposition de son ami était aussi tentante qu’humiliante.

    – Qu’est-ce que tu me dois ? demanda-t-il d’une voix sourde. Tu m’as dépucelé, tu m’as donné confiance en moi, tu m’as aidé à grandir, et tu m’as gardé ton amitié après que je sois parti avec Corey. Sans toi je ne serais toujours qu’un pauvre type coincé et paumé. Et tu veux encore m’aider. Je ne peux pas accepter.

    – Et toi, tu m’as apporté ta candeur et ta bonté. Sans toi je me serais sans doute desséché à la banque et je serais devenu bien plus désagréable encore que je ne le suis. Ce que tu m’as apporté n’a pas de prix…Et de toute façon, je te dirai que ce que je te propose n’est qu’un investissement. Je me ferai un plaisir de te mettre sous pression pour que tu rapportes bien plus que tu n’as coûté !

    William releva les yeux, interloqué. Son ami le regardait avec un sourire en coin. Il éclata de rire.

    – Ben quoi, reprit Alexandre, tu ne pensais tout de même pas que j’agis par pure bonté d’âme ?

    – Un peu, quand même…C’est d’accord. Et c’est vrai que j’ai le choix de la formation ?

    – Je te déconseille la danse classique et le piano, tu es un peu trop vieux maintenant. Sinon, à ton choix. J’aimerais que ça reste en rapport avec notre société, mais c’est toi qui vois.

    Cette fois c’est Alexandre qui s’esclaffa en voyant la tête de son ami. Ce dernier se ressaisit, l’étreignit et l’embrassa sur les lèvres avec emportement.

    – Alex, je t’adore, dit-il. C’est promis, je me renforcerai en informatique, mais c’est surtout la biologie qui m’intéresse, les écosystèmes. Tout ce que mon entourage ne voulait pas me voir étudier. Je te promets de devenir une sommité mondiale… Je voulais te dire, tu es vraiment un chic type, sous les airs impitoyables que tu essaies de te donner. Permets-moi de te dire, en toute confidence, que tu n’y arrives pas…

    – Ah bon ? Je suis un mou ?

    – Oh, tu es très exigeant avec toi-même et avec les autres, tu es capable de dureté, mais tu n’es vraiment, mais alors, vraiment pas un méchant. Sache rester comme tu es, c’est comme ça que nous t’aimons.

    – C’est vrai ?

    – Sans cela, jamais tu ne serais resté si apprécié au club. Même Monsieur Yue chante tes louanges dès que tu n’es pas à portée d’oreille ! Ne lui dis surtout pas que tu es au courant, il serait très vexé, il veut que tu continues à avoir peur de lui.

    – Mais je n’ai pas peur de lui ! Je le respecte énormément, c’est tout !

    – C’est plus que du respect. Tu le considères comme un mentor, plus encore que les autres, tu ne peux pas le cacher.

    – Oui, c’est vrai, il est aussi sage que calé en arts martiaux…Tiens, comment il se débrouille, Corey ?

    – Eh bien il s’est fantastiquement amélioré. Comme je lui accorde des récompenses en fonction de ses progrès, il est tout le temps motivé. Il est déjà ceinture noire et au rythme qu’il suit il pourra être membre de notre confrérie dans quelques mois.

    – Des récompenses ? Lesquelles ?

    – Devine !

    Après un nouvel éclat de rire et quelques plaisanteries pas très légères, William partit. Alexandre appela Robin et Michael pour les mettre au courant de l’entretien. Ils en étaient à leur énième discussion sur les prochaines phases du développement de leur société lorsque Hans et Matt rentrèrent, chargés de paquets qu’ils laissèrent dans le salon. Au bout d’une demi-heure Alexandre vint les voir. Il écarquilla les yeux à la vue de tout ce qu’ils apportaient.

    – Et encore ce n’est qu’une partie de ce que je dois t’installer ! dit Matt avec un grand sourire. Je t’avais dit qu’il fallait doper ton ordinateur. En fait il t’en faut un autre, ad hoc. Ce qu’il y a dans le commerce n’est pas adapté ou alors il te faut un gros système. Tu vas trop attirer l’attention. Je te monterai tout ça tranquillement, et avant la fin de la semaine tu auras un monstre à ton service. Et pour ce qui est des caméras, il faut que tu m’aides à repérer les endroits les plus intéressants pour les mettre.

    – Tu es vraiment extraordinaire. Mais comment est-ce que tu sais où acheter tout ça ?

    – Oh, j’ai des contacts un peu partout, et puis tu oublies que c’est mon dada !

    – Je me demande vraiment ce que tu as à Paris maintenant. Il te reste de la place pour vivre ?

    – Oh oui, mais heureusement que tu avais vu grand, j’ai vraiment la gamme supérieure. Et je m’éclate !

    – Je peux te demander un petit service ?

    Alexandre parla à son ami de la conversation qu’il avait enregistrée la veille et lui montra la photographie de Mark. Matt n’eut pas besoin d’explications. Il récupéra les informations et se mit au travail pendant qu’Alexandre se rendait au gymnase où Monsieur Yue, au terme d’un entraînement épuisant et à peine moins douloureux que d’habitude pour son élève, eut avec lui de longs échanges sur les stratégies de tromperie dans le combat.

    * * * * *

    La circulation sur l’autoroute en direction de Paris était très dense. La voiture mit plus d’une heure à parvenir jusqu’au domicile de Matt et Hans. Ce dernier laissa leur invité aux bons soins de son compagnon et alla se coucher. Alexandre visita avec intérêt l’appartement, dont il ne gardait qu’un vague souvenir, et fut estomaqué par les équipements acquis par Matt. Ce dernier, bien que flatté, remit sur le tapis sa grande préoccupation.

    – Je serai vraiment heureux quand tu m’auras donné ton plan d’action précis pour bousiller cette foutue banque, dit-il. Non, laisse-moi terminer. On a pris une décision ensemble, à New York, et tu t’es arrangé pour te défiler. Je sais bien que tu les aimes bien, ces gens-là, je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs…

    – Je te l’ai dit, avec le recul je m’aperçois que moi, ils m’ont plutôt bien traité.

    – Ils ont foutu ta vie privée en l’air, quand même. Si c’est là ce que tu entends par « être bien traité » !

    – Je crois qu’elle aurait été bousillée de toute façon. Ça se serait produit plus tard, sans doute, mais ça se serait produit, et ça m’aurait sans doute fait encore plus de mal. Je ne crois pas qu’il faille mettre ça sur le dos de la banque. Mais tu as raison, avant de retourner à New York je te donnerai mon plan.

    – J’y compte.

    Avant d’aller dormir ils consacrèrent un moment à la recherche d’un appartement pour loger les ordinateurs prévus par Matt. Dans les environs immédiats de l’immeuble, Alexandre repéra quatre endroits possibles. Dès le lendemain il se mit en chasse et se décida pour le plus grand des appartements identifiés, qui combinait le luxe des aménagements intérieurs et la discrétion de l’emplacement. L’immense jardin intérieur de l’immeuble, qui compensait largement à ses yeux la modestie de la façade sur la rue, acheva de le séduire. C’est ce qui me manque à New York, ne put-il s’empêcher de penser. Par principe, il discuta le prix, mais un accord fut vite trouvé. Il passa voir Matt avec la bonne nouvelle. Ils bavardèrent quelques minutes puis Alexandre se prépara pour le dîner qu’il avait prévu avec sa sœur et le petit ami de celle-ci.

    Il faillit tomber à genoux devant elle lorsqu’il la vit. Bon sang, pensa-t-il, ce n’est pas possible d’être aussi belle ! Elle se jeta à son cou sans lui donner le temps de dire ouf.

    – Tu es le plus beau garçon du monde ! s’écria-t-elle lorsqu’elle consentit à le lâcher.

    – Et toi…tu es un rêve ! Dès que je rentre je change de webcam, celle que j’ai est trop mauvaise. Papa et maman me le disent toujours, les maths te réussissent sur tous les plans.

    Il se détacha d’elle pour mieux la regarder. Elle avait toujours été ravissante, mais là…il manquait de mots. Elle avait pris ce qu’il y avait de plus beau chez leurs parents. Il songea aux descriptions des princesses de contes de fées. La peau blanche comme la neige, les lèvres rouges comme le sang…Un sourire éclatant, des yeux où les garçons devaient se noyer, un corps qui devait les mettre en transes. Elle portait une robe d’un bleu soutenu, proche du bleu roi, au superbe décolleté, qui épousait joliment ses formes. En un éclair il imagina une parure qui rehausserait sa beauté. Il n’avait pas encore trouvé de cadeau pour elle. Bien, il avait son idée maintenant. Il ferait un saut place Vendôme avant le réveillon. Il la prit en photo pendant qu’ils se racontaient les derniers évènements survenus dans leur vie. Elle étudiait avec enthousiasme. L’enseignement ne la tentait pas, mais elle avait tout de même décidé de se présenter à l’agrégation de mathématiques.

    – Pour moi c’est une sorte de récapitulation générale, dit-elle. Et ça me donne une carte de visite supplémentaire. Mais je veux faire de la recherche. Les maths du XXIe siècle, tu ne peux pas imaginer ce que c’est, je prends un pied inimaginable !

    – Et les langues ? Toujours aussi déterminée ?

    – Plus que jamais, maintenant je parle aussi anglais, allemand et russe ! Et dès que je peux souffler un peu je me mets au chinois, ils sont en train de former des gens à la vitesse grand V. Il va bientôt falloir compter avec eux !

    – C’est marrant, je te vois aussi survoltée que Matt.

    – C’est l’une des meilleures rencontres que j’aie jamais faites. Ce type est vraiment hors concours. Il transmet une sorte de…fluide, je ne sais pas comment appeler ça, mais il dope tous ceux avec qui il s’entend. Moi j’ai l’impression d’être cent fois plus forte depuis que je le connais, et ceux à qui je l’ai présenté ont senti la même chose. C’est comme s’il était capable de débloquer tout ton potentiel. Et en plus il est lui-même plein d’idées. Il est devenu la coqueluche de bon nombre d’entre nous. D’ailleurs nous lui avons proposé de donner des cours, au moins de temps en temps. Jusqu’à présent il n’a pas voulu, il dit qu’il préfère nos discussions informelles, mais j’ai bon espoir qu’on parvienne à le convaincre. Mes copains qui étudient l’informatique à Normale disent qu’il est nettement meilleur que la plupart de leurs professeurs, tu te rends compte !

    – Impressionnant. Et toi tu craches le feu. Je vois que tout va bien pour toi. Comment va Guillaume ?

    – Oh, très bien, il est d’ailleurs en retard…comme d’habitude. Il a dû se laisser attraper par ses lectures et il viendra dire que c’est à cause du métro !

    Ils rirent. Laure avait fait la connaissance de Guillaume à son entrée à

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1