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Les Trublions
Les Trublions
Les Trublions
Livre électronique400 pages5 heures

Les Trublions

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À propos de ce livre électronique

Les Trublions est avant tout un roman d’action et d’aventure. Il raconte le combat sans merci qui oppose les forces gouvernementales à une poignée de résistants prêts à tout pour rétablir ce qu’ils pensent être la Vérité. L’action se passe dans un lointain futur, un futur sans vaisseau spatial ni arme futuriste, un futur où l’humanité décimée par une catastrophe technologique originelle vit en vase clos, dans ses certitudes qu’elle ne veut pas remettre en cause, une humanité identique à la nôtre… à quelques détails près.
LangueFrançais
Date de sortie15 mai 2013
ISBN9782312009285
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    Aperçu du livre

    Les Trublions - Jean-Noël Thibault

    cover.jpg

    Les Trublions

    Jean-Noël Thibault

    Les Trublions

    La mort est une longue période décès qui commence à la fin du moi

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00928-5

    Introduction

    La nocivité des ondes émises par les nouveaux terminaux à ultra haut débit n’avait que trop tardé à être comprise. L’enjeu économique était si fort et le progrès si considérable que personne ne souhaitait voir remis en question l’Avenir et le Progrès, les deux piliers du temple de l’éternelle croissance et il fallut trois interminables semaines pour qu’enfin quelques chercheurs idéalistes finissent par oser mettre en cause publiquement le réseau. En réaction, dans un cinglant communiqué de presse, le porte-parole de la CEP (Communauté Economique Planétaire) affirma avec beaucoup d’indignation qu’il n’existait aucune preuve de ces allégations et fit congédier ces fous rétrogrades. Puis, pour mettre un terme à cette calomnie ridicule, il annonça qu’une commission d’experts allait être diligentée. Soigneusement sélectionnés pour leurs divergences de vue scientifique, ces experts firent merveille par leur incapacité à parvenir au moindre résultat, alors qu’en attendant, la situation se dégradait à vitesse exponentielle.

    Les symptômes commencèrent à se manifester simultanément, tout autour du monde et les premiers rapports confidentiels firent rapidement mention d’une brutale augmentation du nombre de fausses couches. Tout autour du globe, seulement 15% des grossesses continuaient au-delà du deuxième mois. Autre fait étonnant, il apparaissait clairement que le mal s’attaquait aussi aux enfants en cours de croissance, dont une proportion de plus en plus importante se mettait subitement à présenter de graves difficultés motrices ou sensorielles. Après quelques jours, ce nouveau syndrome s’était propagé de manière systématique, se manifestant de diverses façons, semblant se focaliser au hasard sur l’anatomie de ses victimes. Plus les sujets étaient jeunes, en cours de croissance et plus cette nouvelle peste agissait vite et radicalement. Les adultes, quant à eux, semblaient en être totalement immunisés. En quelques semaines seulement, d’innombrables enfants perdirent la vue, d’autres l’usage de leurs bras, de leurs jambes, d’autres encore devinrent sourds et certains s’éteignirent sans prévenir, soufflés comme une bougie, sans que l’on ne puisse rien comprendre à la situation. Tout se passait comme si la vie elle-même était atteinte d’un trouble, d’une sorte de virus inconnu et terrifiant.

    Comme une traînée de poudre, la rumeur de la catastrophe planétaire se répandit dans les villes et déclencha une panique généralisée. Voulant à tout prix s’isoler du monde, une impressionnante marée humaine, à peine protégée de quelques masques, de foulards et de gants, partit à l’assaut des commerces dont les stocks furent pillés en quelques heures. Les plus chanceux, repartaient avec un misérable trésor de guerre, du pain, du sucre ou des boîtes de conserve qu’ils enfermaient avec eux, derrière leurs portes calfeutrées, hors d’atteinte, du moins le croyaient-ils, de ce mystérieux virus. Seul lien avec le monde, leurs récepteurs restaient allumés en permanence, dans l’attente d’une délivrance gouvernementale et pendant ce temps, dehors, il n’était plus surprenant d’entendre des hurlements inhumains parfois même ponctués de coups de feu, sans que cela ne veuille plus intéresser personne. Mais tous ces gens barricadés réalisèrent bien vite que leurs précautions avaient été vaines et durent, dans l’urgence, tenter de faire face au mal terrifiant qui soudain s’était abattu sur leur progéniture.

    Une foule, chaque jour plus grande, convergeait vers les hôpitaux dont les longues files d’attente s’étendaient jusque dans les rues où, brûlés par le désarroi et l’angoisse, certains de ces bons pères et mères de familles finissaient par laisser éclater comme des pop-corn, leur rage et leur désespoir et bientôt, les établissements de soin durent se résoudre à fermer leurs portes, submergés par les mouvements de panique et de révolte de ces couples portant comme ils le pouvaient, parfois plusieurs enfants ou adolescents subitement devenus handicapés. Les communiqués officiels diffusés en boucle sur tous les medias, n’eurent pour effet que d’attiser la force et la violence d’une humanité tout entière, décidée à ne pas se contenter de simples promesses. Pour sauver leurs enfants, ils étaient prêts à mourir et bien plus encore, ils étaient prêts à tuer.

    Dépassé par l’ampleur de la catastrophe, le comité exécutif dut se résoudre à faire intervenir la troupe, conformément à ce que prévoyait la constitution. Depuis de longues années, les soldats n’avaient plus qu’une fonction décorative et si leur nombre n’avait pas décru, le niveau de leur préparation était devenu symbolique. Ils furent malgré tout mis sans délai sous la tutelle de la police et déployés vers tous les points réputés stratégiques, donnant ainsi aux villes de terrifiants aspects de guerre civile. Ordre leur avait été donné de ne pas accabler d’avantage la population, mais sous l’effet de la panique, leur mission de protection dissuasive dérapa en une incontrôlable répression qui se propagea partout, bien plus vite que ce mal étrange qui avait tout provoqué.

    Partout, on passa en quelques heures, du paradis libéral à l’enfer crépitant des armes de guerre. La chambre vota les pleins pouvoirs aux dix-sept sages du comité exécutif qui continua sur la lancée et, à défaut de résoudre le problème, fit en sorte d’éradiquer toute source potentielle de désordre. Ainsi, étouffée dans son sang, la foule décimée fut contrainte à rester chez elle. Par la force, on lui fit taire sa colère et son désespoir. Cette situation totalement inédite qui s’installait au fil des jours comme la plus dramatique qu’ait jamais connue l’humanité, devrait impérativement rester silencieuse. Le réseau à haut débit fut stoppé en même temps que les chaînes indépendantes de télévision. Puis, lentement, une fois le calme revenu et refroidies les cendres des cadavres incinérés à la hâte à même le trottoir des villes, le monde entra dans une silencieuse torpeur.

    Après trois mois de silence, le comité des dix-sept reprit les choses en main et fit regrouper les meilleurs chercheurs de la planète au sein d’une seule équipe. Il fallut plus d’un an d’un travail acharné pour comprendre que les ondes avaient définitivement altéré l’ADN de tous ceux qui n’étaient pas adultes. Tous les tests le montraient clairement, il y avait à présent sur la terre, deux genres Humains, ceux qui n’avaient pas muté et les autres…les « Handicapés » à qui, par égard pour leur infortune, on concéda le titre d’Humains alors que les autres seraient dorénavant appelés « Valides ».

    Après quinze ans de recherche, on comprit que le handicap venait d’une défaillance génétique qui entravait la conduite de l’influx nerveux et on réussit à mettre au point un boîtier régulateur grâce auquel il pourrait être rétabli. Après quelques tests et sans vraiment attendre, on implanta la première version du boîtier à tous les nouveau-nés Humains. Après dix autres années, ces boîtiers furent équipés de mémoire supplémentaire et d’algorithme permettant d’accélérer le calcul mental. Les Humains, avec leurs boîtiers intelligents, étaient maintenant mieux lotis que les Valides qui rapidement exigèrent d’en être eux aussi équipés à la naissance.

    Chaque année apportait son lot d’évolutions et on comprit bien vite qu’un jour prochain, il serait possible d’y mettre tout le savoir de l’Humanité.

    Avoir la connaissance universelle sans qu’il ne soit besoin de rien apprendre serait le progrès ultime, l’heureux happy-ending de la plus grave catastrophe humaine.

    Bien des années plus tard…

    Hiver

    1

    Ça y est !! Je sais où ils se cachent !!

    La chaise de Nathan fait un roulé-boulé fracassant et termine sa course contre la cloison du bureau de Mr Tony. En se levant brusquement, Nathan a propulsé sa chaise en arrière avec ses genoux, comme une arbalète humaine. Tout le monde sursaute et se tourne vers cet hurluberlu. Même Paul, son partenaire qui pourtant a l’habitude de ses improbables facéties, se demande ce qui peut bien lui prendre encore de crier ainsi, dès le matin. Nathan a toujours été comme cela… un peu déphasé. Sa grande silhouette désarticulée et ses choix vestimentaires discutables en ont toujours fait un être à part, une sorte de clown involontaire et génial, entre le ridicule et le charme.

    – Ça y est, je sais où les trouver, enchaîne-t-il d’un ton victorieux.

    Tous ses collègues le regardent à présent, certains avec étonnement, mais la plupart avec une moue réprobatrice. Ils n’apprécient pas d’avoir été si violemment extraits de leur torpeur matinale. Réalisant progressivement l’absurdité de ce qu’il vient de faire, il baisse les bras, tire son pull vers le bas et fait un ou deux petits gestes ; ce genre de geste que l’on entreprend lorsqu’on s’est fait prendre en flagrant délit de ridicule et que l’on tente désespérément de se donner une contenance. Il y a trois semaines déjà, Nathan et Paul s’étaient distingués en étant les premiers à accomplir l’exploit : lire le contenu des boîtiers. Cela faisait un moment qu’ils s’acharnaient à essayer de comprendre comment faire l’impossible et là, presque par hasard, ils avaient réussi. Alors, aussitôt, on leur en avait confié un vrai à analyser. C’était le boîtier d’un agent double qui s’était fait prendre l’année dernière. Mal surveillé, il avait bondi sur Mr Tony et lui avait pris son arme de service. On aurait pu craindre qu’il fasse un carnage dans le service mais, au lieu de cela, il avait immédiatement retourné l’arme contre lui, se faisant exploser la tête avant qu’on ne puisse véritablement l’interroger. Apparemment, c’était comme ça. Ils étaient déjà difficiles à attraper, mais tous les Trublions qui se faisaient prendre avaient une fâcheuse tendance au suicide, par tous les moyens possibles.

    Mr Tony a ouvert sa porte. D’une main, il ramasse la chaise de Nathan et arrive dans son dos. Il pose l’autre main sur l’épaule du jeune chercheur et, appuyant assez fortement vers le bas, l’invite, ou plutôt le contraint à se rasseoir, en pressant la chaise dans le pli de son genou. D’une voix dont le volume baisse à mesure que les articulations de Nathan cèdent sous la pression, il lui dit :

    – C’est bien Nathan, c’est super… montre-moi ça un peu.

    Mr Tony n’est pas de ce genre de gens qui donnent envie de plaisanter. Son regard, naturellement sévère ne détonne pas avec son visage buriné par une vie trop intense. Sa voix grave, un peu effilochée, accentue encore le tableau de cet homme-ours, dont la moindre phrase a une tendance naturelle à sonner comme un grommellement réprobateur. Penché en avant vers l’écran de Nathan, il feint de ne pas remarquer les petits mouvements d’épaule que tente ce dernier pour se dégager. Nathan sait bien que la pression qu’exerce Mr Tony sur son trapèze a un goût de reproches. Toutefois, il tente de ne pas trop montrer sa souffrance et enchaîne en grimaçant un peu :

    – C’est bien là, dans la forêt périphérique, comme on l’a toujours pensé. Ils se réunissent régulièrement… Là ! Exactement ici, y’a une maison ! Il met son doigt sur l’écran pour montrer un point qui déjà est entouré de rouge, en pleine forêt. J’en suis sûr !

    – T’es sûr ?

    – Formel, Mr Tony. Pas d’erreur possible ! Tous les chefs du mouvement ! Ils s’y sont réunis là-bas, le 27 mars et puis le 26 juin et encore le 23 octobre de l’année dernière. C’est donc régulier.

    Penché vers l’oreille de Nathan, Mr Tony lui dit à voix basse :

    – Merde, Nathan, T’as pas inventé l’eau en poudre ! Je t’avais dit de me prévenir moi et moi seul, si tu trouvais quelque chose ; pas de te mettre à brailler à travers l’open-space, comme une mémé qui se fait piquer son sac. Je sais bien qu’on travaille tous ici pour le même service, mais tu sais combien c’est sensible ce genre d’infos ! Imagine un peu les conséquences, s’ils ont une taupe ici et puis en plus…

    Il s’interrompt. C’est un vieux réflexe. Il vient de sentir la présence d’une tierce personne dans le cercle intime de leur conversation. Il se tourne, Nathan l’imite et sursaute littéralement. Nefta se tient, immobile, derrière eux. Elle s’est approchée et regarde l’écran de Nathan, en jouant machinalement avec une mèche de ses cheveux. Comment a-t-elle fait pour les contourner sans qu’ils ne s’en rendent compte ? Il y a une seconde encore, c’est sûr, elle était assise en face, à son bureau. Nefta a tout d’un chat. Belle, mystérieuse, fascinante et éminemment dangereuse. Alors qu’ils la regardent médusés, elle leur dit d’un air moqueur :

    – On s’en fout un peu, non, de savoir quand ils s’y sont réunis, ou je me trompe ? A moins que notre petit génie de service ait aussi inventé la machine à remonter dans le temps ? Parce que, dans le cas contraire, ce serait mieux de connaître la date de la prochaine fois, plutôt que la dernière.

    – Eh bien figure-toi qu’on le sait justement, rétorque Nathan d’un ton victorieux. Il laisse planer une petite onde de mystère et reprend. Regarde bien ! Il lui montre les trois dates des rencontres précédentes et précise :

    – Ce n’est pas dur, le point commun entre ces trois dates… Réfléchis !

    Nefta observe les dates et le regarde d’un air perplexe. Nathan jubile. Il laisserait bien planer le mystère encore un peu, mais c’est franchement au-dessus de ses forces. Trop content d’avoir la vedette, il reprend de plus belle :

    – Mais regarde ! C’est toujours un lundi, juste après un changement de saison.

    Nefta est bluffée.

    – Le premier lundi de chaque saison ? C’est pas possible ! C’est trop simple !

    – Ah non, attention ! Ce n’est pas le premier lundi de la saison, ce serait trop simple effectivement. Regarde mieux, il se passe un nombre de jours entre le changement de saison et le fameux lundi. Et toujours un nombre différent, bizarre non ?

    – Ben alors, c’est quoi la règle ? grogne Mr Tony, histoire de ne pas rester un simple spectateur.

    Nathan, d’un air presque supérieur :

    – Oh, vous ne trouvez pas ?

    Mr Tony et Nefta se regardent en haussant les épaules pour exprimer leur perplexité.

    – Non… Là, je dois dire que ça m’échappe ! concède Mr Tony.

    – Vous savez bien que les Trublions sont des amateurs de nature, non ? Moi, c’est ça qui a fini par me mettre sur la piste.

    – Ben oui, et puis ?

    – Bon allez, je vous la donne, ils se réunissent le premier lundi qui suit la première pleine lune de chaque saison… Regardez, ça colle impeccable. Je suis sûr que ça marche à tous les coups !

    – Et c’est quand le prochain coup, Nathan ? interroge Mr Tony, soucieux de garder le contrôle des opérations.

    – Oui, et c’est quand, d’abord ? reprend Nefta en chœur.

    Comme si c’était une évidence absolue :

    – Ben, vous ne connaissez pas vos saisons ? Oh, là là, le solstice,… c’était il y a dix jours, voyons !

    Nefta et Mr Tony échangent un regard agacé, puis se tournent maintenant vers Nathan avec l’air presque menaçant. Comprenant que la patience n’est sûrement pas la principale vertu de ses interlocuteurs et qu’il serait probablement risqué de faire durer encore le suspense, Nathan finit par céder.

    – Bon OK. Le solstice, c’était il y a dix jours, mais la pleine lune, comme vous avez peut-être pu le voir dans le ciel, c’était mercredi de la semaine dernière ! Et voilà, CQFD !

    Pensant que son explication aurait pu suffire, Nathan veut marquer une pause mais découvre avec étonnement que ses deux interlocuteurs sont toujours dans l’obscurité.

    – OK… OK… Alors, donc, si vous préférez, pour être totalement clair, ça veut dire qu’ils se voient dans cette maison forestière depuis lundi. Lundi de cette semaine ! Il leur sourit poliment et ajoute :

    – Et voilà.

    Un autre silence s’installe et fige le sourire de Nathan qui pensait avoir été totalement clair. Il fait un petit geste fataliste, montrant ses deux paumes de main vers l’avant.

    – Ben quoi ?

    – Mais on est jeudi, Nathan ! dit Mr Tony l’air exaspéré. Il lève les yeux au ciel, cherche à rester calme. Il respire un grand coup et reprend :

    – Bon, tant pis, c’est pas grave. Ça veut dire qu’il va falloir attendre le prochain solstice.

    – Euh, l’équinoxe, Patron. Le prochain coup, ce sera l’équinoxe… de printemps. Parce que les solstices c’est l’été et l’hiver et puis sinon, ça s’appelle les…

    – C’est peut-être pas raté ! interrompt Nefta, qui n’aime pas attendre la fin des phrases trop longues. Ils y sont peut-être encore à l’heure qu’il est. On n’a qu’à y aller tout de suite, on verra, on a peut-être une chance de les pincer, ça vaut le coup de tenter, non ?

    – Non, non. Trop dangereux, Nefta. Pourquoi se précipiter ? A la limite, je préfère qu’on prenne le temps de bien faire les choses dans trois mois plutôt que de risquer de tout rater maintenant.

    – Tout rater ? Mais on est prêts, on passe notre vie à se préparer. Qu’est-ce que tu veux qu’on rate ? On a qu’à y aller et puis les serrer ! Qu’est ce qui nous manque ? A part le courage de prendre une décision ?

    Nathan fait prudemment rouler sa chaise en arrière. Les conflits, c’est pas son truc. Lui, il aime quand tout le monde s’explique courtoisement et il sait que Mr Tony n’apprécie pas bien qu’on lui résiste. Il sait que cette dernière phrase de Nefta va sûrement faire monter la température de la pièce de quelques degrés.

    Mr Tony grimace presque, tant il lui est difficile de rester calme et courtois dans ce genre de circonstances.

    – Ecoute, Nefta, c’est moi qui dirige ce service, tu le sais, ça ? Bon, alors ce que je te dis, c’est qu’on n’interviendra pas. Si tu veux, à la limite, tu peux y aller discrètement, en éclaireur mais pas d’intervention. C’est tout.

    Nefta, têtue, continue d’argumenter.

    – Si on attend la prochaine fois, qu’est ce qui nous dit qu’ils ne changeront pas d’endroit ? Et là, pour le coup, nous les aurons perdus à jamais.

    – En toute logique, pourquoi changeraient-ils d’endroit ? Ils doivent être loin de se douter que Nathan les a pistés et, par principe, quand t’as une bonne planque, tu la gardes ; ça, tu peux me croire. Ça t’évite de dire ta nouvelle adresse à tous tes petits copains, tu vois le truc ?

    – Oui, je vois le truc. Le truc, c’est qu’il faut battre son frère pendant qu’il a chaud !

    – Oh, non, pas encore ces vieux proverbes qui n’ont aucun sens Nefta !

    Nefta grimace un sourire et concède :

    – Humm, je reconnais qu’il est étrange celui-là, mais ça veut dire que ça sert à rien d’attendre !

    Mr Tony lui renvoie un petit sourire nerveux, mais suffisant pour apaiser un peu l’atmosphère.

    – Oui, je le connais aussi, je te remercie. Bon, écoute, va déjà en éclaireur, discrètement et viens me faire un rapport. On rediscutera de tout ça après et on prendra une décision. S’il le faut vraiment, alors OK, on interviendra.

    Nefta, qui commençait à se calmer trébuche subitement sur un petit mot de la phrase.

    – Quoi ? Euh… On interviendra ?

    – Ben oui, on. Tu m’excuses, mais un coup de cette importance là, tu l’opéreras, ça c’est sûr, mais tu penses bien que je serai là pour le superviser !

    Nefta est furieuse à l’idée qu’on puisse lui piquer, sous son nez, le plus bel os de sa carrière. Et qu’on lui dicte ainsi ce qu’elle doit faire… ça la rend folle. Personne ici ne sait mieux qu’elle comment préparer une offensive et le voilà qui veut jouer les hommes d’action, le con… Avec son gros bidon, il ne pourra pas courir bien vite et si ça chauffe, tant pis pour lui s’il se fait plomber le cul, comme ça, j’aurai peut-être une promotion !

    Elle sent son sang battre ses tempes et elle enrage de savoir qu’elle est en train de rougir, qu’il s’en rend compte et probablement s’en délecte. Alors qu’elle fulmine, germant soudain au fond de son cerveau, une autre option lui apparaît pour la sauver.

    A moins que…

    Elle prend sur elle et lui grimace un sourire si démesuré qu’il brille comme une insulte :

    – Il en sera fait selon vos désirs, Monseigneur.

    Mr Tony n’apprécie pas bien l’impolitesse de ce vouvoiement. Cette forme langagière désuète, qui n’est plus guère utilisée que pour marquer dédain et distance, claque à ses oreilles comme une insulte qu’il lui est bien difficile de tolérer. Décidé à ne pas entrer dans le jeu conflictuel que lui propose Nefta, il lui adresse un coin d’œil dédaigneux en haussant les épaules, tourne les talons et, sans les regarder, il leur adresse ses directives.

    – Nathan, tu me classifies tout ça. Je veux être le seul à y avoir accès. Nefta, je veux ton rapport pour 18h. Et dis quand même à tes troupes de se préparer… Juste au cas où.

    La porte de son bureau claque violemment. De derrière la porte, on entend clairement qu’il marmonne quelque chose.

    Tous les autres collègues du plateau ont regardé sans vraiment en comprendre la signification, la scène qui vient de se jouer devant eux. Ils se replongent dans leur travail, perplexes, mais au moins ça leur a fait une petite récréation.

    Nathan est un peu débraillé de s’être fait remuer l’épaule par Mr Tony. Tout est de biais. Il tend le bras vers sa tasse d’infusion, en boit une gorgée sans même se rendre compte qu’elle est froide depuis fort longtemps. Nous allons décapiter le mouvement Trublion.

    Il pose sa tasse, se penche en arrière sur sa chaise, les mains sur la tête avec, accroché à son visage, un sourire de contentement. Du fond de ma petite chaise de bureaucrate, je change la face du monde ! Finie la violence, finis les attentats.

    De son côté, Nefta, visiblement excitée, fouille dans ses tiroirs. Elle en extrait une paire de jumelles. Elle part vérifier par elle-même si cette maison forestière abrite une activité anormale. Cette petite escapade lui permettra de faire connaissance avec les lieux et préparer un assaut digne de ce nom.

    Il faut les capturer vivants. Enfin… Ce serait mieux… Enfin… On verra bien une fois sur place. Après tout, pas trop la peine de garnir nos prisons. Même morts, Nathan et Paul les feront parler.

    Un sourire carnassier est resté vissé sur son visage, alors qu’elle s’engouffre dans l’ascenseur avec, à l’idée de faire un beau carton, presque l’eau à la bouche.

    Les portes se referment et la font disparaître, mais au lieu de descendre, la cabine prend la direction des étages supérieurs.

    2

    – Mon BOBI, putain ! Où est mon BOBI ?

    Cette saleté de flingue se cache quelque part. Encore un coup de Gisel, c’est sûr.

    Depuis qu’il s’est fait braquer, il y a un an, par ce Trublion, Mr Tony a fini par laisser son arme de service chez lui, mais là, il en a besoin… et tout de suite !

    Il se dit qu’il n’aurait pas dû sortir hier soir, traîner plus que de raison et boire… un peu… beaucoup peut-être. Comme à chaque fois, il est parti rôder autour du mont aux âmes. Et puis voilà, comme souvent, il s’est réveillé au beau milieu de la nuit, tremblant de froid dans les relents nauséabonds que son haleine chargée d’alcool a diffusés dans l’habitacle de sa voiture embuée.

    Depuis des années, il fait tout ce qu’il peut pour être en mesure de rétablir la paix. Quel paradoxe ! L’idée de cet assaut sur la maison forestière devrait le remplir de satisfaction. Mais, au lieu de cela, il y a comme une petite voix en lui qui se fait entendre et qui lui demande s’il est sûr de ce qu’il fait. Un doute… ou plutôt l’ombre d’un doute. Une petite tache noire qui a tous les aspects d’un luxe qu’il ne peut s’offrir.

    Le souvenir de ce Trublion qui lui avait subtilisé son arme le poursuit. Ce dont il se souvient le plus, c’est ce regard apaisé et ce petit sourire qu’il lui avait adressé juste avant de se poudrer la tempe, pointant son index vers le plafond et faisant le signe de l’Hélice (ε), l’epsilon en trois dimensions, signe des adeptes de l’εligion. Mr Tony ignorait tout de cette croyance des Trublions mais cet homme-là avait quelque chose de plus que lui.

    Il avait, bien malgré lui, passé la soirée dans la perplexité. Fallait-il trahir son camp et prévenir les Trublions avant que Nefta n’intervienne ? Fallait-il les sauver d’un probable massacre ? C’est cette troublante question qui l’avait poussé à retarder l’assaut et c’est avec ce doute en tête qu’il s’était réveillé en sursaut dans sa voiture. Malheureusement, en arrivant chez lui, il avait soudain réalisé qu’une fois encore, la vie l’avait pris de court et qu’il n’aurait pas le loisir d’approfondir ce dilemme. Un message l’attendait sur son répondeur pour le prévenir que Nefta venait de le doubler. Hier, il ne s’était pas inquiété outre mesure de ne pas la voir revenir à dix-huit heures, comme il le lui avait ordonné. Il s’était dit qu’il la verrait demain et avait tranquillement quitté le bureau. Mais elle, cette garce, elle ne s’est pas contentée de faire cette reconnaissance des lieux qu’il lui avait demandé de faire.

    Le message sur le répondeur était tout à fait explicite. Tony, c’est Francis ! J’ai Nefta dans mon bureau qui me fait part d’un rassemblement incroyable de Trublions. Elle m’informe qu’ils vont bientôt lever le camp ; bon, comme je ne sais pas où tu es et qu’il faut bien prendre les devants, je lui donne le feu vert pour un assaut ! A 05 : 00 demain matin. Pas question de les laisser filer ! Bon, je suppose que tu auras ce message à temps ! Joins-toi à eux et faites du bon travail. Je compte sur vous !

    Mr Tony sait que la seule solution est d’arriver le plus vite possible au bureau et se joindre à la fête pour limiter les dégâts. Sinon, Nefta n’aura aucun scrupule à faire un massacre.

    Le temps lui manque et le voilà qui fait du sur place à chercher son BOBI.

    – Mais où elle l’a mis, cette conne ?

    Il fouille tous les tiroirs du sous-sol, un par un. Leur contenu vole dans tous les sens, les jurons aussi. Elle ramassera, ça lui apprendra à laisser mes affaires tranquilles. Mr Tony commence à peine à être à court de qualificatifs envers sa femme de ménage, quand enfin l’objet apparaît, trônant dans l’un des derniers tiroirs, en fait, très précisément à l’endroit où il l’avait rangé. Il le sort du chiffon souillé de graisse dans lequel il baigne depuis un an, l’essuie tant bien que mal, en essayant de ne pas s’en mettre plein les doigts. D’un geste précis, avec cette habitude qui ne s’oublie pas, il enfiche le chargeur dans son logement, met l’arme dans une poche et deux chargeurs supplémentaires dans l’autre.

    Il quitte le sous-sol. Quatre heures moins le quart. Comment je vais faire ? Pourvu que j’arrive à temps !

    Mr Tony sait qu’il a au moins trente minutes de retard. Aussi vite que son manque de condition physique et son mal de tête le lui permettent, il trottine vers son véhicule et fonce, grimaçant, en direction du bureau. Dans sa tête, c’est les tambours du Bronx. Normalement, l’escouade part du bureau et, s’il les y rejoint à temps, il pourra se joindre au convoi et reprendre le contrôle des opérations.

    Vite ! Vite !

    Son 4x4 léger n’est pas un modèle de tenue de route, ce qui ne lui permet pas d’adopter un style de conduite vraiment sportif, mais il fait de son mieux. Il file comme un furieux à travers les rues de la ville… désertes… et c’est tant mieux. Malheureusement, lorsqu’il arrive au point de rendez-vous, la situation se complique encore un peu.

    Merde ! Ils sont partis ! Il faut absolument que je les rattrape là-bas !

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