Mais la lune ne s'écroule pas
Par ANDRÉ LEROY
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À propos de ce livre électronique
Une rencontre sur une Nationale, la nuit, entre deux destins brisés. Et cela ne va pas s'arranger.
« C'est à ce moment-là qu'elle ouvrit les yeux. Elle ne cria pas, elle ne montra aucun signe de peur. Au contraire, elle souriait. Il ne bougeait pas, ne sachant plus que faire. Elle frissonna. Son sourire se transforma en grimace quand un caillot de sang sortit de sa bouche. Son visage convulsé cherchait à happer un peu d'air. Il tira. Il tira encore. Quand elle ne bougea plus, il tira dans l'herbe, dans les arbres, dans la lune. Mais l'herbe ne saigne pas. Mais les arbres ne tombent pas. Mais la lune ne s'écroule pas. »
De ses allers-retours entre la France et la Russie, André Leroy a imaginé ce road book contant la rencontre improbable de deux fugitifs, le Français fuyant la police, la Russe la mafia.
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Avis sur Mais la lune ne s'écroule pas
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Aperçu du livre
Mais la lune ne s'écroule pas - ANDRÉ LEROY
1
Le visage d’un ange
IL ÉTAIT DÉJÀ BIEN TARD. Au volant de son épave, il réécoutait une cassette. S’il avait été dans son état normal, il aurait apprécié le spectacle qui s’offrait à ses yeux humides : la route, qu’on devinait droite, semblait couper ce grand plateau comme une cicatrice, le soleil finissait de couler lentement dans l’horizon d’une lueur rouge vif. Il n’avait ni trop chaud, ni trop froid, ni soif, ni faim, même s’il ne se rappelait pas quand il s’était nourri pour la dernière fois. Pour la dernière bouteille, c’était facile : elle gisait à ses pieds. Il n’avait besoin de rien et pourtant un manque diffus lui nouait le ventre. La seule vue d’une ombre noire au loin le dérangea. Il sentit aussitôt que ce ne pouvait être un arbre ou un panneau, dans ce désert. Sans pouvoir se l’expliquer, ce qui n’était encore qu’une tache à l’horizon lui apparut comme une intrusion. Filant vers lui, l’ombre se détachait jusqu’à être éclairée par ses phares violents. Un visage d’ange. Il disparut. Ou avait-il jamais existé ?
« Pompe numéro trois, quarante-sept euros soixante. »
Alors qu’il approchait sa main de la poche intérieure de son manteau, il entendit ce qui semblait presque une autre voix : « Attention, fais pas le malin avec moi !… » Le pompiste pointait sur lui le canon d’un revolver. Il ouvrit alors tout doucement le pan de son manteau qui ne dissimulait aucun arsenal. « Oh, excusez-moi ! Je suis un peu nerveux. Avec tous ces vols et ces meurtres… Ce matin, un automobiliste a été tué près d’ici. Il conduisait une voiture de sport. Je n’avais jamais vu une voiture comme cela, à part dans les magazines évidemment… Ce n’était pas un gars du coin, moi je les connais tous ici. J’ai pour ainsi dire tout vu : c’est même moi qui ai remorqué la voiture pour la ramener ici. Le meurtrier l’avait poussée en contrebas de la route. C’est sûr qu’après l’accident, c’était beaucoup plus dur de la trouver jolie la bagnole. Quand je suis arrivé avec la dépanneuse, le corps avait déjà été enlevé mais il y avait encore de grandes taches brunâtres sur le siège conducteur et le tableau de bord. Deux gars de la police, pas ceux du village, m’ont demandé s’ils pouvaient laisser le véhicule ici à l’abri pour cette nuit, le temps de faire quelques analyses. J’ai dit oui. Je n’aurais pas dû. Depuis, je vais souvent dans le garage, je regarde les taches et je pense à ma famille. J’habite au-dessus avec ma femme et ma fille alors j’ai chargé mes armes : un fusil à l’étage, un revolver ici. Je crois que je deviens dingue. »
En tout cas, moins dingue qu’il voulait bien le laisser croire car il essaya de vendre, en plus du plein de super, un revolver et une bombe lacrymogène (« Vous savez, on croit tous que cela n’arrive qu’aux autres… ») mais le conducteur sortit sans rien acheter, à part trente litres pour la voiture, et cinq litres pour le chauffeur. Comme quoi, il ne buvait pas tant que cela. Relativement, s’entend.
C’était cet après-midi et il ne s’était pas arrêté de rouler depuis.
Il ne pouvait pas laisser cet ange seul.
Il s’arrêta, fit marche arrière puis stoppa. Il se pencha sur le siège avant côté passager et ouvrit la portière.
« Où allez-vous ? »
L’ange n’était pas français. Les anges n’ont pas de sexe, peut-être n’ont-ils pas de pays ? Elle avait indiqué sa destination avec un fort accent étranger. Il pensait reconnaître un nom qu’il avait vu sur un panneau, il y a quelque temps. Il ne le jurerait pas, car depuis qu’il avait pris la route, il ne regardait plus beaucoup les panneaux. Il ne savait même pas où il allait, il comprenait à peine ce qu’il fuyait.
Il lui fit signe de monter.
L’ange montra son sac.
Toujours assis à sa place, il ouvrit la porte arrière droite.
Il entendit le bruit caractéristique des bouteilles qui s’entrechoquent. Il faudra d’ailleurs qu’il se réapprovisionne demain. La porte arrière se referma puis la porte avant s’ouvrit. Un vent glacial s’engouffra puis elle se referma.
Il n’avait pas pu voir nettement le personnage qui venait de monter. Il lui semblait que c’était une jeune femme à cause de la voix. On ne voyait pas grand-chose à cette heure et son plafonnier n’éclairait plus rien depuis longtemps.
Beaucoup plus tard dans la nuit, quand il gara la voiture au bord de la route, il se tourna vers elle. La forme ne bougeait pas. Il posa sa tête contre la vitre froide. Il trouvait que ce n’était pas un lieu ni une heure pour une jeune femme de faire de l’auto-stop.
Il avait bien dormi. Mieux que d’habitude en tout cas. Il étira ses bras, engourdis par le froid. Sa main droite toucha quelque chose de doux. Il tourna son regard. La jeune fille était là, encore endormie. Il l’avait crue plus âgée, la veille ; maintenant elle paraissait, à la lueur du jour naissant, très jeune : son visage enfantin, ses cheveux blonds coupés au carré, sa grande jupe bleu foncé et une grande veste de toile assortie qui lui servait maintenant de couverture. Il se dégageait d’elle une fragilité troublante qui tranchait avec la détermination qu’il avait sentie chez l’auto-stoppeuse la veille.
Il remonta le vêtement sur les épaules de la fille et se décida à marcher pour se dégourdir les jambes. La plaine, qui lui avait semblé si inhospitalière il y a quelques heures, était devenue paisible. La rosée lui mouillait les chevilles quand il marchait dans les hautes herbes. Il descendit en suivant la pente. Une petite rivière apparut dans les plis verts. Il s’assit sur un rocher et suivit des yeux un poisson. Tout était si paisible. Il dirigea sa main vers la poche de son manteau.
2
Du Porto sur le carrelage
« ENCORE À BOIRE, IVROGNE ! » cria une voix. Il ne répondit pas. Il avait l’habitude.
Elle avait tout essayé pour l’arrêter. D’abord des remarques : « Je crois tu as déjà assez bu ». Puis des prières : « S’il te plaît, arrête ! ». Puis des critiques, de plus en plus fortes : « Encore à boire ! ». Il le savait maintenant, ce n’était pas méchant : elle essayait juste de sauver leur couple. Mais lui, à l’époque, ne voyait rien, n’entendait rien, ne comprenait rien. Il buvait.
Un soir, alors qu’elle revenait de la cuisine, excédée de préparer à manger pour quelqu’un qui ne faisait que boire, elle arriva avec la soupe chaude, regarda la table vide. Pas de couvert, rien que sa bouteille, même plus de verre. Elle posa la soupière sur la table d’un geste si brusque qu’une flaque tacha la table : « Maladroite ! ».
Elle prit la bouteille et s’enfuit vers le couloir. Bien sûr, il aurait