En principe, une via fonctionnait de façon si transparente qu’il était facile d’oublier son existence. Certains discutaient avec leur via au quotidien, mais Maxime avait toujours trouvé cette pratique narcissique : une via était le reflet intime de son utilisateur, et il fallait s’aimer beaucoup — ou se détester encore plus — pour passer du temps avec son reflet numérique. Cette fois cependant, la curiosité le fit réagir. L’ardoise sur son avant-bras affichait une alerte système. Maxime ne se souvenait pas avoir été importuné par une quelconque alerte depuis qu’il avait paramétré sa via, à son quatorzième anniversaire il y a déjà trois ans ! « Une fuite de données, lut-il à mi-voix. Qu’est-ce que c’est ? »
Il faillit rebrousser chemin pour rentrer chez sa mère. Mais mieux valait ne pas la tracasser avec ce genre de problème. Elle était assez parano comme ça. « Veux-tu la définition d’une fuite de données ? lui proposa la via de son éternelle voix aimable.
— C’est toi qui te charges des problèmes techniques. Moi, je n’y comprends rien. D’où vient cette fuite ?
— Je n’ai pas réussi à le savoir. »
Maxime leva les sourcils. À l’origine, les vias avaient pour fonction d’assurer la sécurité numérique des utilisateurs. Leur création remontait à une époque troublée, où les pouvoirs publics avaient pris la mesure de la toxicité des réseaux, sous la pression d’associations d’usagers. Une via était avant tout un pare-feu intelligent. Puis, d’autres services s’étaient greffés dessus. Alimenté par les données de son utilisateur, l’agent conversationnel intégré à la via pouvait recréer la personnalité de celui-ci, et simuler ses réactions lorsqu’un désagrément se présentait. C’était une technologie éprouvée. De pare-feu, la via s’était muée en clone numérique capable de reproduire avec fidélité le comportement de l’original, et d’encaisser à sa place les désagréments induits par les réseaux de naguère. De plus, elle restait disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; depuis, on la qualifiait d’ailleurs d’« avatar persistant ». Au début, de vives critiques s’étaient élevées lorsqu’il était devenu évident que la via deviendrait bientôt indiscernable de son modèle. Sur ce plan, l’avenir avait donné raison aux détracteurs. Ce qui n’avait aucunement empêché son essor : on supportait mieux internet avec que sans, et très vite, les services de santé avaient remarqué une chute drastique de l’anxiété dans les pays qui l’avaient adoptée. La via formait un sas entre agressions… bref, tout cela appartenait au passé. Aujourd’hui, il était difficile d’imaginer comment les anciennes générations avaient pu vivre dans un tel chaos. La via avait rendu internet agréable. Comment se faisait-il, alors, que sa via n’ait pu résoudre son problème ?
