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Les Chroniques de La Tour: Volume 1 : AlieNation
Les Chroniques de La Tour: Volume 1 : AlieNation
Les Chroniques de La Tour: Volume 1 : AlieNation
Livre électronique226 pages3 heures

Les Chroniques de La Tour: Volume 1 : AlieNation

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À propos de ce livre électronique

Entre futur proche et présent, La Tour, monstre de verre et d'acier au coeur du quartier d'affaires, est un véritable organisme qui se développe, se transforme et se nourrit. Les Sylvie en contrôlent tous les étages, ou presque, et les employés y passent, y vivent, y meurent, et parfois se métamorphosent.
Qui est le créateur de La Tour? Et les employés, qui sont-ils? Tous poursuivent un même objectif, sans véritablement en connaitre la signification, ni les conséquences.
Au fil de 14 chroniques, sorte de roman-puzzle où les vies des personnages s'entrelacent, le lecteur est amené sur les chemins de la transformation, inexorable, prometteuse, et terrifiante.
L'humain, homo technologicus, se retrouve face à ses contradictions et, par un jeu de fenêtres sans tain, se dévoilent les dérives d'un système auquel l'homo sapiens tente d'échapper.
LangueFrançais
Date de sortie6 nov. 2020
ISBN9782322178551
Les Chroniques de La Tour: Volume 1 : AlieNation
Auteur

E. Tulip

Observateur consciencieux de l'environnement humain, lecteur d'anticipation, l'auteur, présente son premier recueil de nouvelles et invite à réfléchir à la manière dont l'homme connecté du XXIe siècle est responsable de sa propre aliénation, et aux oscillations de son compas moral face aux choix qui lui sont proposés.

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    Aperçu du livre

    Les Chroniques de La Tour - E. Tulip

    TABLE

    Le 14e

    Le lauréat

    Sylvie

    Hippocrate

    Le placard

    Karma

    Love and marriage

    Alex

    Crazy train

    Fat and Furious

    Le barista

    Télétravail

    La planque

    Sympathy for the devil

    Le 14e

    « Enfin du vent frais, soupira Philippe, en tendant son visage vers la brise, les yeux fermés. De l’air, enfin de l’air. »

    Qu’importait l’absurdité de la situation, ce qui comptait c’était d’être enfin libre, ou plutôt, bientôt libre. Plus qu’un dernier effort, un dernier pas !

    Un lundi matin.

    En arrivant devant la porte de l’ascenseur, Philippe sentit une pointe d’excitation le parcourir. De jubilation, également, en décelant l’air jaloux de Franck, déjà informé de la nouvelle. Ils étaient entrés à peu près en même temps à La Tour, il y a des années. Le même profil, les mêmes ambitions. Mais ses efforts à lui avaient fini par payer. Il ne s’était pas ménagé ces trois dernières années en tant que manager de placard à l’étage 25. Il avait dû consentir à de nombreux sacrifices. Mais à force d’opiniâtreté, il y était parvenu. Un peu par surprise même, il n’y croyait plus trop à cette promotion. D’ailleurs, il avait commencé à douter : pourquoi n’avançait-il plus ? Il présentait bien pourtant, toujours conciliant avec les revirements de stratégie de la direction, jamais dans l’opposition. Il avait fini par s’enquérir auprès de Sylvie, l’assistante de son étage, pour comprendre ce qui lui manquait. « Confiance et patience », lui avait-il été répondu, « il faut laisser le temps à la Transformation ». Finalement, c’était arrivé, Sylvie l’avait informé juste avant la sortie pour le déjeuner, vendredi dernier. Et dans la foulée, il avait signé, sans même regarder, son nouveau contrat de travail. Il était promu à l’étage 14, au service Stratégie et Logistique. Sylvie avait insisté sur l’opportunité qui lui était offerte et le fait qu’il allait lui falloir s’intégrer au système. Mais elle avait confiance en ses capacités. Par ailleurs, il était temps pour lui de laisser la place à de nouveaux hauts potentiels. Elle lui avait conseillé de bien se reposer et de se faire plaisir pendant le week-end. Alex, le happiness manager, était passé le voir dans l’après-midi et lui avait remis des billets de réduction pour un spectacle assortis d’un bon pour un restaurant en vogue de la capitale. Un traitement de faveur que Philippe avait su apprécier. Il n’avait, cette fois encore, pas osé aborder le sujet de son diabète. Il restait sur ses gardes. Il voyait déjà bien comme ses collègues femmes voulant faire carrière étaient pénalisées par leurs grossesses. Jean-Luc du 20e ne progressait plus depuis sa dépression. C’était vraiment un bon professionnel, lui, mais malheureusement il avait été placardisé à un étage pas très sympa, pas de chance… enfin bon, chacun ses problèmes. De toute façon, il gérait très bien sa glycémie et personne n’avait jamais remarqué qu’il se piquait au travail. En même temps, avoir son propre placard lui conférait un espace de travail personnel, une certaine intimité. Certes, cela le coupait un peu des relations, mais il possédait son petit réseau des pauses-café et il voyait des clients de temps en temps.

    Le bip de l’ascenseur le tira de ses pensées et il laissa les autres entrer en premier. Après tout, ses anciens collègues allaient descendre après lui. Il avait, ce matin, mis son plus beau costume. Il en jetait mais pas trop, le genre classe mais discret. Il ne s’agissait pas de trop se faire remarquer le premier jour. Il devait veiller à laisser une bonne impression, une impression durable. Il avait eu le temps, ces dernières années, d’imaginer comment il gérerait cette situation quand elle arriverait. Ah le 14e… c’était le Graal de La Tour ! Pour l’obtenir, il l’avait joué fine. Il s'était montré patient et, en attendant, il en avait suivi des formations : cursus internes, externes, en ligne, à distance, tout ce qui pouvait potentiellement lui être utile. Il avait pris sur son temps de travail, son temps libre. Ah ça ! Il en avait fait des sacrifices ! Ce dernier week-end, il avait vérifié sur « NetWorkin’ » les profils des personnes travaillant au 14e. Il avait aussi balayé les différents réseaux sociaux de ses futurs collègues et directeur pour s’enquérir de leurs loisirs et autres passe-temps favoris. D’ailleurs, il devait penser à s’informer plus tard sur ces fameux « GN¹ » auxquels participait Greg, le patron du marketing. Ces soirées enquête avaient l’air vraiment sympas. Le mouvement autour de lui le ramena à la réalité. Voilà qu’il s’était encore perdu dans ses pensées. Il faudrait être vigilant aujourd’hui pour que l’excitation ne lui fasse pas commettre d’impairs.

    Pour que l’ascenseur s’arrête au 14e, Philippe devait apposer un badge spécial sur un lecteur installé spécifiquement à cet effet. Il attendit donc que tout le monde soit dans la cage avant de sortir la carte fournie par Sylvie. C’était un peu mesquin de sa part, mais il l’avait bien mérité, ce petit moment de gloire. Certes, à part Franck, il ne connaissait personne dans l’ascenseur, mais eux se souviendraient de son visage, comme faisant partie des élus du 14e. Car en plus d’appartenir à l’élite stratégique de La Tour, les employés du 14e avaient des privilèges : cantine et gymnase réservés à l’étage, et, selon un gars du service comptabilité de la tour d’en face, il semblait même qu’il y ait un accès dédié au parking du sous-sol. Au moment de passer sa carte sur le lecteur, il nota le silence dans l’ascenseur et sentit les regards se porter sur lui, pour une fois. 1, 2, 3… 12, 13 et 14 ! Même le bip lui parut différent, accueillant. La porte s’ouvrit et il lui sembla entendre Franck murmurer quelque chose. Tout le monde dans la cage eut un léger mouvement de recul vers le fond, lui laissant l’espace pour sortir. Ce qu’il fit d’un pas triomphant.

    Contrairement aux autres étages, la porte s’ouvrit sur un unique espace d’accueil, composé d’un bureau en forme de comptoir. Derrière, occupant tout le mur, savamment illuminé par un éclairage indirect, était gravé « 14e Stratégie & Logistique ».

    Sylvie, l’assistante du 14e, leva les yeux de son écran et afficha un large sourire.

    – Bonjour, vous devez être Philippe, je vous attendais. Je vois que vous êtes un peu en avance, c’est bien. Je vais pouvoir vous montrer les installations avant le début de la journée. Ici, nous commençons un peu plus tard normalement, Sylvie ne vous l’a pas dit ? Nous travaillons en horaire décalé pour faciliter la vie de nos cadres. Tout le monde se donne à fond pour s’intégrer au système complexe qui permet d’alimenter La Tour, en contrepartie, les employés bénéficient de plus de flexibilité sur les horaires. Avez-vous bien mis à jour le formulaire médical qui vous a été donné vendredi ?

    – Oui c’est fait.

    Philippe repensa à sa glycémie mais il l’écarta rapidement de son esprit.

    – Très bien, remettez-le-moi avec la carte de l’ascenseur, vous n’en aurez plus besoin à partir de maintenant, la définitive vous attend sur votre bureau.

    Philippe eut un sourire extatique : il allait enfin retrouver un vrai bureau ! Sylvie continuait de parler.

    – Suivez-moi, je vous fais faire le tour des installations pour que vous puissiez prendre vos repères, n’hésitez pas si vous avez des questions.

    L’expression émerveillée, Philippe suivit l’assistante le long des couloirs étrangement circulaires, parsemés de portes ornées de plaquettes indiquant des noms et des fonctions. La disposition des lieux laissait penser que tous les bureaux donnaient sur l’extérieur, donc à des fenêtres, ce qui le soulagea. Sylvie montra à Philippe la salle de sport. C’était donc vrai, pensa Philippe. Suivirent la cantine et la salle de détente avec des fauteuils individuels modulables pour les « pauses sieste » et enfin l’ascenseur réservé allant directement au rez-de-chaussée ou au sous-sol. Sylvie insista sur la politique de l’étage en matière de bien-être des employés. Ils devaient être au mieux de leurs formes physique et mentale afin de mener leur mission à bien. La Tour prenait soin de ses employés mais elle était exigeante. Pas d’Alex au 14e, Sylvie prenait en charge la moindre demande.

    – Voilà votre bureau, il donne sur la face nord, mais si vous progressez bien et en fonction des mobilités, cela peut être amené à évoluer. Votre ordinateur est déjà installé, il vous faudra confirmer vos identifiants en premier lieu. Le siège est un ergo RS3 de chez HjO, vous le réglerez selon votre confort optimal. Je recommande la position quart-incliné arrière pour le travail en réso-conf. Vous vous débrouillerez pour le reste. Vous pouvez me joindre au 14 sur votre téléphone. Je vous recommande de vous installer et de suivre le tutoriel avant l’arrivée des autres. Installez-vous, mettez votre casque de RV² et, en attendant, je vais vous chercher un café. Vous le prenez noir et sans sucre si je ne m’abuse ? Philippe, confirma d’un large sourire et profita du départ de Sylvie pour jeter un œil au panorama qu’offrait la baie de son bureau. La masse de la banlieue se prolongeait jusqu’à se confondre avec le ciel grisâtre. Cet horizon de bitume le captiva quelques instants avant qu’une satisfaction jouissive n’inonde son cerveau. Il y était enfin ! C’était bel et bien réel, dans un vrai bureau, prêt à démarrer le premier jour de sa nouvelle carrière. First things first ! Allumer son ordinateur, initialiser ses identifiants, lancer sa session et ouvrir sa messagerie. Tout fonctionnait à merveille, il fut prêt en trois minutes. Il se demanda s’il devait attendre son café. Non, cela donnerait une mauvaise image. Il régla son fauteuil dans la position recommandée par Sylvie et enfila son casque. Au bout d’un moment, il sentit Sylvie lui toucher le bras, probablement pour lui signifier qu’elle lui avait rapporté son café. Il retira son casque et, effectivement, une tasse était posée sur son bureau. L’arôme lui chatouilla les narines, bien différent des cafés des machines de son précédent étage. Il reporta son attention sur Sylvie.

    – Je vois que vous vous y êtes mis de suite. Je pense que vous allez faire des étincelles à cet étage ! Croyez-moi, j’ai de l’expérience pour juger des potentiels. Vous allez beaucoup apporter à La Tour. Venez, vos camarades commencent à arriver, je vais vous présenter et ensuite vous pourrez commencer votre nouvelle vie. Vous allez vous plaire ici, j’en suis convaincue.

    Philippe suivit Sylvie d’un pas léger, sans pouvoir se départir d’un léger sourire de triomphe. La journée allait bien se passer, il le savait. Il le sentait dans ses tripes, ça montait doucement comme un euphorisant. Et le lendemain, ce serait pareil sauf qu’il monterait par l’ascenseur privé, réservé à l’élite. Il pourrait arriver pour 10h, mais pas plus tard. Il passerait la semaine à étudier son environnement, ce serait le round d’observation, comme disaient les boxeurs de la salle qu’il fréquentait parfois. Puis il passerait à la phase 2 de son plan, il attendrait la semaine suivante pour commencer à émettre des suggestions et proposer des améliorations. Tout se présentait bien. Il avait opéré un virage stratégique dans sa carrière qui allait s’avérer payant. Il n’attendrait pas 3 ans cette fois !

    Plus tard, jour inconnu.

    Philippe cligna des yeux en reprenant connaissance et reconnut aussitôt la sensation de vertige et de suée accompagnant l’hypoglycémie. Il se sentait nauséeux et fébrile, son regard était posé sur l’objet gisant à côté de son visage. Son casque de réso-conf virtuelle… Il était donc dans son bureau. Ses pensées étaient confuses. S’était-il évanoui ? Il était allongé par terre sur le lino, son visage le grattait et une drôle d’odeur émanait autour de lui. Il se releva péniblement en prenant soin de ne pas perdre l’équilibre. Il avait des sueurs froides et l’estomac au bord des lèvres. Il s’assit sur son siège capitonné et fouilla le fond du tiroir de son bureau pour y récupérer son paquet de biscuits d’urgence, comme il l’appelait auprès de ses anciens collègues. Dissimulé au fond du paquet se trouvait un nécessaire d’urgence de traitement du diabète. Fébrilement, il sortit la bandelette et l’appareil de mesure. Une minute après, il avait la confirmation de son état. Il se sentait vraiment mal. Il saisit le « pistolet » et, après avoir réglé la dose, se l’injecta d’un geste expert, fruit de longues années de pathologie. Il espérait que personne ne viendrait dans son bureau, il ne fallait surtout pas qu’on le voie dans cet état, surtout pas Sylvie. Il faisait sombre dans la pièce, il voyait peu et la lumière était éteinte. Il se leva avec précaution dans l’intention d’aller verrouiller la porte entrouverte. Pas de verrou ! Il ne l’avait jamais remarqué. Il se cala dans l’embrasure et jeta un œil dans le couloir. Il y faisait sombre, aucun éclairage n’illuminait le passage. Il en conclut qu’il devait être tard. Il n’arrivait pas à recoller les détails de la journée. L’hypoglycémie devait l’avoir vraiment pris par surprise ! L’insuline n’avait pas encore rétabli son organisme. Il crut halluciner lorsque, de nouveau assailli par cette odeur nauséabonde, il comprit qu’elle émanait de son propre corps ! Il mit de longues secondes à identifier ces émanations nauséabondes. Bien sûr, c’était ce que l’on pouvait sentir dans les métros sales et mal entretenus de la capitale. C’était aussi cette même puanteur âpre que dégageaient les corps sales des sans-abris, marinant, depuis trop longtemps, dans les mêmes vêtements.

    Il ferma doucement la porte et retourna à son bureau. Ce fut à ce moment-là qu’il vit, pendant du plafond, juste au-dessus de son fauteuil, des tuyaux qui gouttaient encore de liquides inconnus. Son corps commençait à lui envoyer différents signaux. Son visage le brûlait, ses bras lui faisaient mal, les crampes montaient dans ses jambes et une sensation de contraction abdominale commençait à pointer. Sous l’effet des différentes douleurs, son esprit commença à sortir de la vase dans laquelle il baignait pour s’intéresser à son environnement. Juste avant de s’asseoir, il remarqua que son fauteuil possédait un orifice au niveau de l’assise d’où sortaient des tuyaux un peu plus gros que ceux du plafond. Il se pencha et découvrit sous le siège une sorte de bac à moitié rempli d’excréments liquides. Il eut un haut-le-cœur, bien qu’aucune odeur ne se dégageait réellement de ce bouillon, et se redressa un peu trop vivement. Il fut pris de vertiges et s’assit sur son bureau face à la fenêtre. C’est à ce moment-là qu’il réalisa que ce qu’il avait pensé être une vitre était en fait un écran géant. Comment ne s’en était-il pas aperçu avant ? Il secoua la tête. Baissant les yeux, il vit que son pantalon était trempé. Il préférait ne pas en connaître l’origine. Sa belle chemise « Mugo Bass » avait les manches découpées au niveau des biceps et il découvrit les cathéters incrustés dans chacun de ses bras. Ces derniers avaient perdu en épaisseur et lui-même se sentait amaigri. Il repensa au paquet de gâteaux. Fébrilement, il en mangea seulement quelques-uns, faisant attention à sa glycémie. Ce n’était pas le moment de s’évanouir. Il se saisit du téléphone, prêt à composer machinalement le 14, sorte de réflexe après des semaines de travail au 14e, mais il se ravisa. Non, il ne pouvait pas s’afficher en plein délire devant Sylvie. Il fallait qu’il se reprenne et laisse passer cette crise. Il se sentait si faible, si fatigué… Il ferma les yeux.

    Plus tard, date indéterminée.

    Si ses calculs étaient bons, cela faisait presque 5 jours qu’il s’était déconnecté et avait émergé. Le constat était sans appel, il était enfermé au 14e. Il avait essayé d’appeler mais aucun téléphone ne fonctionnait, son portable était complètement déchargé et sa sacoche avait disparu. Par ailleurs, son ordinateur n’était connecté à aucun réseau. Il était resté un moment cloîtré dans son bureau avant d’oser en sortir. Quand il s’était enfin décidé, il avait foncé là où il pensait retrouver l’ascenseur dédié au 14e, mais il avait cherché en vain. En désespoir de cause, il s’était rabattu sur la réception où il n’y avait personne. Impossible de prendre l’ascenseur, Sylvie lui ayant pris son badge le premier jour. Il avait cogné à la porte de l’ascenseur dans l’espoir que quelqu’un entendrait, mais cela n’avait rien donné. N’ayant pas encore tout à fait réalisé la situation dans laquelle il se trouvait, il avait pris sur lui le fait de se présenter dans un si piteux état et s’était décidé à aller voir ses collègues pour demander de l’aide. Et ce qu’il avait découvert avait presque eu raison de lui. Dans chaque bureau la même vision : une coquille humaine grotesquement habillée de tailleur ou costume découpé aux endroits où les tubes transperçaient la peau pour injecter l’abominable substance qui la maintenait dans une parodie macabre de vie, le casque gardant l’esprit prisonnier et étranger aux sévices subis par le corps. Sa raison avait vacillé et son estomac avait menacé de rendre le peu de nourriture qu’il contenait. Il avait lutté pour garder ses ressources. Certains corps étaient si maigres qu’ils ressemblaient davantage à des cadavres qu’au souvenir qu’il avait d’eux. Car il les connaissait, il avait partagé des réunions ou des cafés avec la plupart d’entre eux. Cependant, il aurait bien eu du mal à les identifier sans les noms sur les portes. Il avait essayé vainement d’en réveiller plusieurs en les secouant mais cela n’avait rien donné. Il avait pensé à les déconnecter mais il ignorait les risques encourus. Et vu leur état, il doutait qu’ils puissent marcher. Avec leurs corps squelettiques raccordés à tout un tas de tuyaux, on aurait dit des insectes pris dans des toiles d’araignée. D’un coup, il s’était senti faible. Il s’était mis en quête de nourriture, ses réserves de biscuits n’allant pas durer. Il avait trouvé quelques restes de nourriture dans l’espace cafétéria de l’étage mais ils lui avaient semblé dater du jour de son arrivée. À un moment, il avait cherché un escalier de secours, ouvrant toutes les portes les unes après les autres, mais rien. Il n’avait même pas réussi à arracher les écrans qui cachaient les fenêtres et de toute façon, celles-ci ne comptaient pas d’ouverture visible.

    L’esprit de Philippe revint au présent. Il était assis par terre dans son bureau. Il devait bien y avoir un moyen de sortir. Quelqu’un allait s’inquiéter et demander à La Tour. Peut-être, se dit-il, dans un éclair de lucidité. Il était fort probable que l’on ne se préoccupe pas tout de

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