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Gratte-ciel: Une aventure contemporaine
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Gratte-ciel: Une aventure contemporaine
Livre électronique281 pages4 heures

Gratte-ciel: Une aventure contemporaine

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À propos de ce livre électronique

Une course contre la montre s'engage pour éviter le pire...

Erwan est un jeune trader plein d’avenir, passionné par les nouvelles technologies, les smart cities et les quartiers connectés. Lorsqu’il est envoyé pour trois ans à Shanghai, c’est pour lui une nouvelle vie qui commence. Mais enfermé dans la tour ultramoderne du World Financial Center à Pudong, où il vit et travaille, il étouffe. Un monde vertical dont il ne sort plus, et dans lequel il dépérit doucement. Jusqu’au soir où il se décide à faire une courte sortie : une visite du temple Houzhai, situé dans un quartier sombre, à quelques stations de métro.
Il n’aurait jamais dû se trouver là. Mauvais endroit, mauvais moment. Erwan est alors entraîné, malgré lui, au cœur d’une entreprise terroriste impitoyable. Le Chemin du Renouveau, un groupe extrémiste aux appuis haut placés et redoutablement organisé, planifie la plus grande attaque que le monde moderne n’ait jamais connue. Les jours sont comptés. Erwan pourra-t-il déjouer ce 11 septembre à la chinoise ?

Au cœur de l'actualité, ce thriller haletant nous entraîne dans les coulisses d'un attentat terroriste !

EXTRAIT

En face se trouvaient les anciens bâtiments du Parti nationaliste, avec leurs grands jardins, transformés depuis quelques décennies en un parc public. Un peu plus loin encore se trouvait le temple Houzhai, un vieux temple bouddhiste dont le bâtiment central datait de plus de deux mille ans. Depuis la rue, on pouvait voir l’entrée du temple, une grande porte aux toits en étages, avec les bords recourbés, typiques de l’architecture chinoise ancienne. Juste derrière se trouvait une pagode octogonale à l’allure majestueuse.
— C’est magnifique, lança Erwan.
— Oui, Houzhai est un des plus vieux édifices de Shanghai. Le temple a été construit en l’an 250, mais la pagode elle-même en l’an 650 avant J.-C., expliqua Yi.
À Shanghai, ville magnifique, multicolore et pleine de diversité, on pouvait côtoyer à la fois les tours les plus modernes, des activités financières et technologiques de pointe, et la spiritualité à l’état brut, dans sa tradition millénaire, avec des bâtiments et des jardins soigneusement entretenus depuis des siècles.
Admiratif, Erwan voulait visiter l’endroit. Il demanda à Yi :
— On dirait qu’il n’y a personne. On peut rentrer ?
— Oui, bien sûr, n’importe qui peut venir prier et se recueillir. Il y a une communauté de moines qui vit ici et entretient le temple. Ils sont de l’ordre de Confucius. Il y a aussi une école, avec des cours donnés aux élèves dont les familles souhaitent une éducation religieuse. L’école existe depuis plus de sept cents ans. Le niveau en est très reconnu en Chine. Il y a aussi des séances de méditation collectives ouvertes au public le soir. Viens, on va voir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de la région parisienne, Xavier Romon est un amateur d’histoire, de voyages et des cultures du monde. Déjà auteur de trois ouvrages salués par la critique, il raconte dans son dernier roman, Gratte-ciel, une aventure contemporaine, entre La Défense et Shanghai, dans l’univers futuriste des tours de grande hauteur. Ici surgit un nouveau monde dans lequel la vie s’organise à la verticale et où tout reste encore possible…
LangueFrançais
ÉditeurThoT
Date de sortie23 déc. 2016
ISBN9782849214008
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    Aperçu du livre

    Gratte-ciel - Xavier Romon

    meilleur.

    CHAPITRE I

    Huit heures du matin, début février. Il fait beau sur Paris. Erwan traverse le parvis de La Défense en écoutant à fond la musique de son baladeur. Il pénètre dans la tour CB 22. Cela fait trois ans qu’il travaille comme analyste chez Herring Funds, une grande banque allemande.

    Il avait eu la bonne idée de louer un appartement au cœur de Courbevoie, à quinze minutes à pied, ce qui lui permettait d’arriver à l’heure au travail sans se lever trop tôt. De bonne humeur, il lâcha un « bonjour » au vigile black qui surveillait les portiques à l’entrée et passa son badge devant le détecteur. Puis il prit l’ascenseur pour rejoindre son bureau au 35e étage de la tour.

    Erwan venait de fêter ses vingt-sept ans. Il avait été embauché dans la banque à la sortie de son école d’ingénieur. Au début, le job lui plaisait bien. Mais il savait qu’il ne ferait pas ça toute sa vie. Il avait d’autres ambitions que de faire de l’Excel à longueur de journée. Il se sentait plutôt attiré par l’architecture, les transports urbains, l’environnement. Les smart cities, la ville futuriste intelligente et connectée, cela le passionnait. Mais ne sachant pas mieux formuler ses désirs, il était décidé à suivre ce qui se présenterait pendant quelques années. Sa première expérience professionnelle dans la banque avait un côté excitant. L’image du métier et les fantasmes qu’il véhiculait l’amusaient, et il n’hésitait pas à en rajouter. Auprès de ses amis, il se disait trader, ce qui amenait systématiquement des questions du genre : « Ah ouais, alors tu peux te faire des sommes fabuleuses sur les bons coups ? » ou encore : « Ah bon, mais c’est risqué ? »

    Naturellement, il n’y répondait pas et laissait planer un certain mystère sur ses activités. En réalité, il était toute la journée derrière un écran à manipuler des chiffres, faire des prévisions et passer des ordres, rien de plus.

    Les crises financières qui s’étaient succédé ces dernières années, fragilisant l’ensemble du système bancaire, rendaient le job plutôt précaire. Il y avait eu l’affaire Jérôme Kerviel, condamné à cinq ans de prison et au remboursement de 4, 9 milliards d’euros pour avoir entraîné la Société Générale au bord de la faillite. Puis ce fut la crise des sub-primes, la banqueroute de Lehman Brothers et de Merrill Lynch en 2008. Enfin, le chaos des États européens surendettés en 2012, la quasi-faillite de la Grèce en 2015 et les désordres bancaires qui suivirent, achevèrent d’installer une situation instable et dangereuse sur le long terme pour les banques. Erwan savait que son poste était fragile. Et il n’était pas à l’abri d’un faux pas.

    Apprécié de sa hiérarchie, le jeune homme faisait son maximum pour être sérieux et efficace. Mais au fond de lui, sans rien en laisser paraître, il ne se sentait plus motivé. Il considérait que l’essentiel était ailleurs. Sortir, voir ses amis, marcher dans Paris, draguer, faire du sport, c’était quand même plus important que ce qu’il faisait à la banque.

    Ce matin-là, il avait rendez-vous à onze heures avec son chef Thibaut Vilain pour l’entretien annuel. Un exercice imposé qui l’ennuyait particulièrement. Il n’avait pas grand-chose à lui dire, alors il pensait parler de son intérêt pour un possible changement de poste à l’étranger. Thibaut l’avait évoqué l’année dernière. L’expérience de jeunes collègues partis récemment avait ravivé en lui cette idée de changer d’air.

    À cette heure-ci, il n’y avait encore pas grand monde à l’étage. C’est l’avantage d’arriver tôt : pas besoin de faire le tour pour dire bonjour. Une femme de ménage était en train de vider les poubelles de la veille. Elle passait de temps à autre un coup de chiffon au hasard sur certains bureaux, sans déplacer le moindre papier ni le moindre stylo, car telle était la consigne. Erwan se demandait du coup qui était le préposé aux poussières, et au nettoyage des taches sur les meubles et les fauteuils, qu’il ne voyait jamais. Machinalement, il alluma son ordinateur et alla prendre un café à la machine. « Pas beaucoup de mails aujourd’hui… Les cours sont neutres, la journée ne va pas être palpitante… »

    La matinée passe très vite en entreprise. L’après-midi beaucoup moins ! Le temps de dire bonjour, de prendre un café, de discuter avec quelques collègues, de lire et de répondre à ses mails, et il est déjà onze heures. L’heure d’aller chez le chef. En tant que membre du club des angoissés chroniques, Erwan était toujours inquiet avant chaque rendez-vous. Il prit l’ascenseur pour monter deux étages, et se retrouva devant le bureau de Thibaut. La petite étiquette marquée « T. Vilain » sur la porte le faisait sourire à chaque fois. Mais pourquoi n’avait-il pas mis son prénom en entier sur l’étiquette ? S’agissait-il d’un mauvais jeu de mots inconscient ?

    — Bonjour, Erwan. Comment vas-tu ? lui lança le chef, tout sourire, se levant pour lui serrer vigoureusement la main.

    — Très bien, merci, répondit-il en s’asseyant sur le siège que lui désignait Thibaut.

    Histoire de masquer sa timidité et de faire bonne figure, Erwan le regardait fixement dans les yeux, avec un sourire niais.

    — Félicitations pour tes résultats du mois dernier. Tu as crevé le plafond !

    « Quel plafond ? » se demanda intérieurement Erwan. Il leva les yeux en l’air, mais évita de faire la blague douteuse à voix haute et arbora un large sourire en acquiesçant.

    — Merci. Oui, j’ai pris de bonnes positions sur les entreprises de services et les assurances au moment où elles se sont redressées. Il faut dire que j’ai la chance d’avoir un bon portefeuille.

    — Et tu te sens toujours bien parmi nous, ou tu désires bouger ? demanda Thibaut.

    Erwan fut surpris de la question. Thibaut était-il mécontent de quelque chose ? Voulait-on se débarrasser de lui ? Très prudemment, il fit une réponse ambiguë :

    — Non, non, je suis bien. Cependant, je reste ouvert aux opportunités à l’étranger. Je pense qu’avec une expérience internationale, par exemple aux États-Unis, je peux acquérir des compétences qui me permettraient d’enrichir véritablement mon parcours.

    Ça sonnait complètement langue de bois, mais le langage ampoulé était le mode « communication de base » dans l’entreprise !

    Thibaut marqua un silence.

    — Hum… Eh bien écoute, il y a peut-être une possibilité… c’est pour notre filiale chinoise à Shanghai. On m’en a parlé récemment. Il y aurait la possibilité d’une expatriation pour leur bureau de trading, sur un portefeuille de client français. Ils ont besoin d’un français. Tu pourrais très bien faire l’affaire.

    Erwan n’avait pas du tout prévu cette proposition. Il fit semblant d’être enthousiaste.

    — Vraiment, avec plaisir, je suis partant pour un tel poste.

    Il parlait de façon automatique. C’était la confusion dans son esprit. Il se disait : « Mais qu’est-ce que je viens de dire ? Qu’est-ce que j’irais faire à Shanghai ? En fait, je n’ai pas envie de bouger, je suis très bien ici… Ils veulent m’écarter ou quoi ? » Se rassurant à l’idée qu’il y aurait beaucoup de candidats et qu’il ne serait sûrement pas choisi, Erwan se ressaisit et écouta Thibaut continuer son discours.

    — Ok, je vais faire le nécessaire pour proposer ta candidature, et dès qu’il y a du nouveau, je te préviens.

    En redescendant au trente-cinquième, les pensées se bousculaient dans sa tête. Il chercha aussitôt sur Internet des informations sur la filiale de Herring Funds à Shanghai. Et en voyant l’image des tours chinoises qui accueillaient leurs bureaux, il se dit que ça ressemblait beaucoup à La Défense, en plus moderne, en plus dense, en plus vivant. L’idée de changer d’horizon commença à lui plaire un peu plus.

    Durant une semaine, il ne pensa plus à la proposition chinoise. Il n’y croyait pas vraiment. Pour lui, Thibaut avait dit cela pour le tester, mais ne mettrait pas les choses en route. Il y avait tellement d’autres jeunes sur les rangs pour un tel poste, qu’il y avait peu de chances que cela tombe sur lui. En attendant, il faisait son boulot comme d’habitude, consciencieusement, sans réfléchir.

    Vendredi midi. Erwan était pressé de quitter le bureau. Comme il le faisait régulièrement, il fuyait la cantine de la tour pour aller manger seul un sandwich dehors. En sortant du hall, il aperçut Thibaut qui rentrait d’un pas rapide, un dossier sous le bras.

    — Salut, Erwan. Déjà midi ? Tu manges dehors ? Alors bon appétit ! dit Thibaut en filant dans le hall.

    Son ton signifiait en fait : « Toi, tu te la coules douce, tu pars à midi, et moi j’enchaîne les réunions. C’est le bout du monde si j’ai le temps pour un plateau-repas… »

    Il voulait lui demander des nouvelles, mais trop tard, l’autre avait déjà disparu. C’est en traversant le parvis pour rejoindre le centre commercial qu’il repensa à Shanghai. Il imaginait les jeunes cadres chinois, enfermés dans des bureaux climatisés ultramodernes, passant la journée devant leur écran. Il imaginait une culture stricte et des horaires difficiles. Il ne pourrait certainement pas tenir longtemps dans une ambiance trop sérieuse, sans compter la barrière de la langue. Mais d’un autre côté, c’était l’occasion unique d’une expérience enrichissante. Si ça n’allait pas, il pouvait toujours demander à rentrer au bout de trois ans.

    Il ne fallait pas rester à attendre : il devait montrer sa motivation. Il allait en parler de nouveau à son chef, si possible dès la semaine prochaine. Mais pas question de dévoiler quoi que ce soit tant que rien n’était confirmé, ni à ses parents, ni à ses amis, ni bien sûr à ses collègues.

    Petit arrêt à la sandwicherie. Erwan commanda comme d’habitude un poulet-crudités et une bouteille d’eau, puis partit manger en flânant dans la galerie commerciale des Quatre Temps. Il avait besoin de s’échapper du boulot le midi et de marcher seul pour se remettre les idées en place. Il était plutôt solitaire dans la vie. Ok, il se forçait à voir des amis le plus souvent possible, mais sans jamais vraiment être à l’aise avec eux. Les idées et le comportement des autres lui semblaient si différents des siens. Il faisait des efforts pour être souriant, positif et faire des blagues, mais aucune construction affective ni sentimentale ne se faisait.

    Lui qui rêvait depuis tout petit de l’amour parfait, immédiat et éternel, il se retrouvait toujours à aimer des gens qui n’avaient aucune attirance pour lui. Ou à l’inverse, il était courtisé par telle ou telle secrétaire dont il n’avait rien à faire. Il aurait rêvé de se marier et de fonder une famille, mais comme aucune fille attirante ne se présentait, il trompait sa solitude en fréquentant les lieux de drague ou les sites Internet. L’excitation de goûter aux corps d’inconnus était plus forte que tout. À vingt-cinq ans, il n’avait connu que des plans sans lendemain et se retrouvait désespérément seul. Mais il cachait bien son jeu : tout le monde le croyait très entouré.

    Philippe était un de ses rares amis fidèles. Lui aussi toujours seul, il ne parlait jamais de lui. Même en le fréquentant depuis des années, on ne savait rien de sa vie privée ni de ses envies. Erwan l’avait rencontré pendant ses études ; ils suivaient des cours dans la même école. Il ne savait même pas pourquoi ils s’étaient rapprochés. Ils n’avaient pas grand-chose en commun, mais il avait annoncé immédiatement à tout le monde qu’ils seraient amis pour la vie. Et c’est ce qui se produisait. Il l’emmenait partout où il n’avait pas envie de se retrouver seul. Au restaurant, aux concerts, en voyage, Philippe le suivait.

    Le sandwich avalé, Erwan alla faire un tour au sous-sol. C’était son rituel. Là où les jeunes de banlieue côtoient les businessmen, où des hommes mariés revenant de faire les courses s’envoient en l’air dans un coin sombre, où toute une faune traîne sans que cela se remarque. Toujours très exigeant quant à la beauté de ses fréquentations, Erwan avait repéré une jeune métisse, la vingtaine, le genre « regard de braise », dont on ne sait si elle va vous sourire ou vous casser la gueule. Il s’approcha, lui fit un regard appuyé, et prit l’escalator qui descendait au parking, tandis qu’elle le suivait de loin.

    Le parking fonctionne par étage occupé. En général, seuls les deux étages supérieurs sont utilisés pour se garer, tandis qu’aux sous-sols inférieurs une autre population s’active, dans le noir, derrière les piliers ou dans les escaliers, souvent à plusieurs. Il y avait bien des rondes de police, surtout depuis les attentats, mais le même trafic revenait toujours. Arrivé au niveau -3, sans un mot, Erwan se plaça derrière un des piliers du parking, puis la fille le rejoignit. Étreintes et plaisir étaient au rendez-vous. Erwan quitta son ange de passage en l’embrassant très fort. Puis il sortit du parking pour rejoindre à toute allure son lieu de travail. Il était heureux de cette rencontre. Le délicieux sentiment de faire des choses interdites lui donna de l’énergie pour toute l’après-midi.

    CHAPITRE II

    Lundi matin, le premier avril. Le radio-réveil se déclencha à sept heures. « … Tension toujours très forte au Moyen-Orient… Plusieurs manifestations ont eu lieu dans les capitales syrienne et jordanienne… » À moitié dans les brumes, Erwan entendait les informations sans les assimiler. « Rien de neuf », pensa-t-il en se levant péniblement et en passant sous la douche. « Le monde va mal. Cela fait des décennies que le Moyen-Orient est une poudrière qui enflamme le monde. Ne perdons pas le moral pour autant ! » Il s’habilla, et partit à huit heures précises.

    La concierge était déjà dans sa loge. Il lui lança un petit bonjour tout en pensant : « Qu’est-ce qu’elle m’énerve ! À tout épier sans arrêt… et dire qu’elle est payée pour ça ! »

    À vingt-sept ans, Erwan était d’apparence aimable, polie. Timide, il se sentait en marge. Il était irrémédiablement seul, et pourtant les autres adoraient sa compagnie et son humour. Il passait pour un original et un boute-en-train. Pourquoi n’avait-il pas de relation sérieuse, pas d’amis véritables ni d’amour dans sa vie ? Probablement était-il trop exigeant avec les autres, et son perfectionnisme le mettait-il systématiquement en décalage. Mais surtout, il était d’une impatience hors norme et ne laissait aucune chance au temps de s’écouler. Pour lui, tout devait être immédiat, instantané. L’amitié devait naître en une seconde, et il était capable, si cela se présentait, après un simple regard, de déclarer son amour à une femme pour la vie et ne plus jamais la quitter. Sauf que les autres ne fonctionnent pas comme cela. Ils n’entrent que progressivement dans l’intimité et prennent du temps à construire leurs relations. Et donc, un peu comme le surdoué à l’école qui termine dernier de la classe parce que son rythme est trop rapide par rapport à celui aux autres, il se retrouvait à l’écart dans la vie, terriblement seul.

    Les conseils des autres l’exaspéraient : « Sors, inscris-toi à des clubs, ne reste pas enfermé », etc. Autant de remarques qui prouvaient qu’ils ne comprenaient rien à sa situation.

    L’air frais du matin soufflait sur La Défense. Le casque sur les oreilles, Erwan fit le chemin habituel de l’appartement au bureau. Le morceau en cours, Strictly business d’EPMD, balançait un bon rythme rap sur la reprise de I shot the sheriff et lui donna la pêche pour la journée.

    À dix heures, il devait suivre une formation sur le nouveau logiciel P-Form que la société venait d’adopter pour le contrôle des transactions. Il regarda ses mails de la nuit. La filiale chinoise lui envoyait justement le bilan consolidé de leurs placements pour la veille, et il étudia les chiffres d’un peu plus près. Il voulait en parler à Thibaut, et en profiter pour demander des nouvelles de sa mutation. Mais il n’en eut pas le temps. À neuf heures trente, alors qu’il préparait ses affaires pour aller en formation, il reçut un appel de la responsable des Ressources humaines, Ricky Laverky, qui lui demandait de passer dans la matinée. Il lui confirma qu’il passerait à dix heures.

    « Merde ! J’aurais dû la voir en fin de journée… Comment faire pour la formation ? » Cette formation était importante. La direction avait insisté pour que tout le monde la suive, et c’était aujourd’hui la dernière session possible. Mais ce que voulait lui dire la responsable RH était sans doute encore plus important. C’était peut-être à propos de son départ pour Shanghai. Y avait-il un problème qu’il n’avait pas prévu ? Il lui restait peu de temps, il appela donc le responsable de formation pour dire qu’il ne viendrait que l’après-midi.

    Le département RH était au 11e étage. Erwan frappa au bureau de Ricky Laverky. Malgré son nom très rock’n’roll, Ricky était une petite femme banale, volontaire, d’environ quarante-cinq ans. Elle avait une tête de campagnarde, s’habillait en tailleur court, et portait un collier à grosses boules nacrées du plus bel effet.

    Tout sourire, elle le pria d’entrer, puis lui proposa un café. Il accepta par politesse. En allant avec elle à la machine à café, il parla de tout et de rien, attendant qu’elle s’explique sur la raison du rendez-vous. Ce qu’elle fit en rentrant dans son bureau, après l’avoir invité à s’asseoir :

    — Erwan, j’ai une très bonne nouvelle pour vous : vous nous quittez !

    Il ne répondit rien et la laissa poursuivre.

    — Votre demande d’expatriation est acceptée. Thibaut Vilain a réussi à ce que vous soyez choisi pour le poste de responsable de comptes dans notre bureau de Shanghai. Vous vous occuperez du portefeuille des clients français. C’est un poste d’une durée de trois ans, naturellement renouvelable si vous donnez satisfaction. Mais quoi qu’il arrive, vous avez la garantie de retour chez nous. Vous avez beaucoup de chance, c’est une opportunité exceptionnelle. Qu’en pensez-vous ?

    Erwan ne fit nullement part des doutes qui l’avaient assailli depuis plusieurs semaines et enchaîna avec enthousiasme :

    — Je dois dire, c’est formidable ! Merci ! Mais quelles sont les formalités à accomplir ? Quand pourrai-je commencer ?

    — C’est simple, on vous fera un contrat d’expatriation ici, puis les demandes de visa. Tout peut être fait pour démarrer là-bas début septembre. À Shanghai, ils s’occuperont des papiers ; vous serez entièrement pris en charge. Au début, vous serez logé à l’hôtel, et ce sera ensuite à vous de chercher un appartement. Ils vous donneront des adresses d’agences.

    — Et pour les conditions financières ? Quel sera mon niveau de salaire ? Y a-t-il des frais qui seront pris en charge ?

    Elle fronça les sourcils.

    — Alors là, je serai très claire : c’est une expatriation, au même niveau de salaire que celui que vous avez actuellement. Croyez-moi, c’est déjà fortement supérieur au salaire moyen des cadres chinois qui seront vos collègues, donc nous n’en rajouterons pas. Vous aurez un bulletin de salaire chinois, payé en yuans par notre filiale. C’est le siège qui finance, vous continuerez donc à bénéficier des points de retraite en France. Votre salaire, comme pour tous les expatriés, est un équivalent du net que vous avez en France, corrigé de la différence moyenne de niveau de vie avec Shanghai. Nous rajoutons toutes les charges qui sont à payer en Chine. Vous ne perdez rien, vous ne gagnez rien. C’est non négociable.

    Elle reprit un léger sourire tout en basculant le haut du corps en arrière dans son fauteuil.

    — Par contre, vous aurez de nombreux avantages en tant qu’expatrié. Vous aurez une prime de déménagement qui équivaut à un mois de salaire. Tous les frais d’hôtel et de restauration, tant que vous n’aurez pas votre logement, seront à notre charge. Les frais de recherche et d’installation seront payés par la société.

    Erwan, craignant de la froisser de nouveau, osa rajouter d’une petite voix :

    — Et pour les impôts ?

    — Vous devrez vous acquitter de tous vos impôts en France avant de partir. Si vous avez des difficultés de trésorerie, nous pouvons vous prêter cet argent. Et naturellement, si vous souhaitez rentrer pour les vacances, vous avez droit à un aller et retour en France par avion, au maximum une fois par an.

    — Et pour la langue ? Je suppose qu’il faut apprendre le chinois ?

    — Ne vous inquiétez pas, là-bas tout se passe en anglais. Mais vous aurez naturellement des cours de chinois sur place, et vous pourrez peu à peu vous débrouiller sans difficulté.

    — Ça me va parfaitement. Dès que le contrat est prêt, je le signerai. Si j’ai des questions, je repasse vous voir.

    Erwan quitta le bureau de miss Laverky, plein de fierté. Il allait enfin pouvoir annoncer son départ à tout le monde. Certes, il aurait aimé une augmentation de salaire au passage, mais il sentait que l’expérience allait être unique, et que sa soif d’aventure allait être comblée. Il descendit aussitôt dans le bureau de Thibaut, qui par chance était là, pour le remercier et lui dire son enthousiasme.

    — Tu verras, tu ne le regretteras pas ! C’est une chance pour ta carrière. Aujourd’hui, il faut avoir travaillé en Chine pour progresser. Moi-même, je regrette de n’en avoir pas eu l’occasion. Alors bonne chance, mon vieux, on reste en contact ! Même là-bas, on continuera à te surveiller ! Donne le meilleur de toi-même, et n’oublie pas que quelque part, tu représentes le siège. Mais tu seras excellent, j’en suis sûr, ce poste est fait pour toi !

    Erwan lui serra la main. Il l’ignorait alors, mais c’était la dernière fois qu’il le voyait.

    Pendant tout l’été, Erwan se prépara au départ. Le contrat d’expatriation avait été signé très vite par Herring Funds. Les collègues étaient tous au courant et lui demandaient déjà quand il ferait son pot de départ. Il n’avait pas du tout l’intention d’en faire un. Ce genre de cérémonie était pour lui d’un ennui profond.

    Il avait averti son propriétaire qu’il partirait le premier septembre. Aucun problème de ce côté-là, il fallait juste récupérer la caution avant le départ. Il avait fait ses vaccinations, et obtenu son visa. Il avait acheté le Lonely Planet de Shanghai – ça pouvait être utile – et se disait que, pour le reste, il fallait partir l’esprit ouvert, prêt à découvrir sur place les endroits intéressants, et vivre l’aventure sans trop anticiper

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