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Livre électronique555 pages7 heures

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À propos de ce livre électronique

Quand Elisa, 20 ans, accepte de remplacer sa tante au secrétariat de direction de la Société Beaumont, elle sait qu’elle va travailler avec le PDG, Pierre, mais aussi avec son fils, Alexandre. Elle est réservée, polie, presque timide et d’une beauté simple dont elle ignore tout. Alexandre est beau, riche, sûr de lui et collectionne les conquêtes. L’histoire entre ces deux là pourrait paraître cousue de fil blanc, mais c’est sans compter sur leurs tempéraments respectifs. L’affrontement n’attendra pas la fin de la première journée. - Vous êtes virée. - Et vous, un connard. Il leur faudra pourtant travailler ensemble. Elisa gardera en mémoire l’accueil que lui a réservé Monsieur, cet homme scandaleusement beau mais mal élevé, injuste, tyrannique et violent. Alexandre gardera en mémoire le regard glacial qui l’avait fusillé quand ce feu follet indomptable et totalement insensible à son charme ravageur n’avait que 16 ans et qui le foudroie à nouveau. Il leur faudra pourtant apprendre à se faire confiance. Oui mais voilà, pour Elisa, le moindre compromis avec cet homme, c’est se soumettre. Me soumettre ? Moi ? Jamais.
LangueFrançais
Date de sortie2 juil. 2015
ISBN9782312034751
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    Aperçu du livre

    Me soumettre ? Moi ? Jamais. - Estelle Neau

    cover.jpg

    Me soumettre ? Moi ? Jamais.

    Estelle Neau

    Me soumettre ? Moi ? Jamais.

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2015

    ISBN : 978-2-312-03475-1

    Élisa,

    J’en suis à la 10e, non 20e ou plus tentative pour commencer cette lettre. Comme je suis nul pour écrire, mettre les formes, je vais

    Bon voilà…

    Quand je t’ai vue dans le bureau de mon père, le jour de ton arrivée, ce n’était pas la 1re fois que je te croisais.

    Je t’avais rencontrée 3 ans plus tôt environ. Tu venais chercher Laurence à la fin de sa journée. Tu étais sur le trottoir d’en face, dans l’ombre. Tu portais un truc informe noir et tu avais mis la capuche sur ta tête. Malgré tout, je n’ai vu que ton visage dans la rue.

    Tu avais déjà un regard sombre et buté, un regard qui dit « Faites pas chier » au monde entier. Laurence t’a demandé de venir dire bonjour.

    Tu as obéi à contre cœur et traversé la rue en retirant ta capuche. Je me souviens qu’il pleuvait et que tu t’en fichais.

    À aucun moment tu n’as cherché à nous rejoindre à l’abri. Tu as salué mon père ; puis moi.

    Rien de bien extraordinaire, hein ?

    Rien sauf que le regard que tu as posé sur moi m’a fait l’effet d’une gifle.

    Tu m’as regardé comme si mon enveloppe physique n’existait pas : aucune surprise, ni étonnement, ni écarquillement des yeux.

    Aucun signe d’admiration, aucune rougeur.

    Rien de tout ce que je voyais sur le visage des filles de ton âge que je croisais habituellement ; ou de certaines femmes mûres, d’ailleurs.

    Personne jusque-là n’avait été aussi insensible à mon charme.

    Tu avais tout d’une sauvage mais mon envie de… je sais pas trop quoi.

    Comprendre ? Te charmer ?

    Bref, je t’ai demandé ce que tu faisais à Paris.

    Putain. J’aurais mieux fait de me taire. Tu m’as répondu mais tu m’as fusillé du regard et, je sais pas comment, touché en plein cœur.

    Je n’en ai jamais guéri.

    Et je t’en ai voulu.

    1.

    J’adore Paris. Ville de Lumières, ville de grandes avenues, de jardins, musées, monuments… Avec une marraine qui vit près de la Place d’Italie, jouer les touristes est un jeu d’enfant auquel je m’adonne pendant les vacances de février depuis que j’ai seize ans. Une fois passé le rush du matin, à moi les promenades au hasard des intersections, les grands magasins (juste pour le plaisir des yeux), les heures Place de la Concorde et Place Vendôme pour voir rouler les voitures de luxe.

    Les voitures tout court…

    Je déteste Paris. Ce monde bruyant qui ne sait pas s’arrêter, cette précipitation incessante à la poursuite du temps insaisissable. Ses immeubles surchauffés et son métro étouffant alors qu’à l’extérieur un vent glacial se fait un malin plaisir de tresser mes cheveux longs au pifomètre.

    Et par-dessus tout, je déteste courir derrière ma tante préférée parce qu’elle marche comme une dingue. D’habitude, elle prend son temps quand elle est avec moi ; mais d’habitude, elle ne travaille pas.

    – Bon, tu m’écoutes ou pas ?

    Aïe, Tatie Laurence qui râle. C’était quoi déjà la question ? Ah oui : si j’ai bien retenu le trajet.

    – Oui Lorie, soupiré-je.

    Faut quand même pas pousser, je connais Paris et son métro aussi bien qu’elle.

    – Pas Lorie, grince-t-elle en stoppant brusquement sa course, et jamais au travail.

    Je m’arrête à son niveau et me contente de sourire. J’ai plein de répliques dans la tête, mais aucune suffisamment intelligente pour une jeune femme de vingt ans qui s’apprête à remplacer pendant trois mois l’assistante de direction d’une grande société d’expertise comptable.

    Laurence s’inquiète : si elle ne doute pas de ma capacité intellectuelle à assumer son poste, elle a quelques craintes quant à ma jeunesse et mon impulsivité.

    Même si elle n’a pas complètement tort, ça m’énerve un peu. Je sais bien que j’ai la réputation d’être ingérable ; mais jamais en cours ou au travail. J’ai aussi un peu de mal à me laisser marcher sur les pieds, mais je sais tenir ma langue quand il le faut.

    – Bon, fait-elle apparemment encore plus énervée par mon silence.

    À moins que ce ne soit par ma fausse contrition ; elle me connaît trop bien.

    – Est-ce que tu vas te rappeler de ce que je t’ai expliqué hier ?

    Je retiens un soupir au souvenir de mon dimanche après-midi passé à écouter l’exposé de Laurence sur sa boite, ses patrons, ses collègues, son travail… Pour ne pas m’endormir, j’ai pris des notes. La société, c’est une entreprise d’experts comptables et commissaires aux comptes qui fait de la comptabilité, et qui donne des conseils pour mieux truander le fisc.

    Ah non, faut pas dire ça.

    Ce sont des gens bien qui aident d’autres gens riches à placer leur argent intelligemment et toujours dans la légalité relative des vides juridiques pour payer le moins d’impôts possible. Ceci dit, il faut quand même être assez intelligent pour faire ce boulot ; assez retords aussi. Mais bon, en résumé, ce sont tous des gens gentils et agréables ; surtout le patron, Monsieur Beaumont.

    Pierre Beaumont, cinquante-sept ans, est le PDG de la société qu’il a lui-même créée et développée. Laurence m’a montré sa photo pour que je sache le reconnaître. Je le connaissais déjà ; mais de loin : je ne me suis jamais aventurée dans les bureaux.

    Nom de code : Robert Redford. Même classe, mêmes cheveux blond cendré fournis, mêmes yeux perçants, mais quelques années et rides en moins. Marié, deux enfants, divorcé et remarié. Ma tante est sa secrétaire particulière, ou assistante, ou assistante de direction. Je sais plus son titre exact et je m’en fous un peu : moi, je serai « la remplaçante ».

    L’autre personne importante que je dois reconnaître absolument, c’est le fils et associé : Alexandre. Lui aussi je l’ai déjà vu et le nom de code n’a pas été difficile à trouver : Brad Pitt ; et ça résume tout ce qu’il y a à savoir sur lui sur le plan physique.

    Vingt-sept ans et a priori célibataire ; j’ai vaguement compris qu’il ne s’en plaint pas. D’après Laurence, c’est un garçon brillant, exigent et perfectionniste. J’ai traduit ça par « mec pénible », ou « chieur », au choix. De toute façon, ce n’est pas pour lui que je vais travailler : son assistante Mélanie va très bien.

    Quant aux autres, je me ferai bien ma propre idée une fois sur place.

    – Tiens ta langue et observe.

    Voilà le seul résumé que je trouve à sortir en réponse à la question de Laurence. Je ne suis pas allée le chercher bien loin : c’est le dernier conseil qu’elle m’a donné hier soir, après vingt autres. Elle ne pourra s’en prendre qu’à elle-même si ça ne lui plaît pas.

    Elle me fusille du regard et je me retiens de lever les yeux au ciel. Ça ira mieux ce soir. Je le sais et elle sait que je sais ; alors elle reprend son chemin et moi, ma course derrière elle.

    Nous arrivons devant un hôtel particulier, quelque part dans le VIIIe arrondissement. Alors que Laurence ouvre la porte d’entrée, je reste plantée devant le bâtiment de type haussmannien ou quelque chose qui y ressemble. J’adore regarder ces témoins d’un passé, d’un homme ; mais, cette fois, c’est plutôt la timidité qui m’a arrêtée : pour avoir ses bureaux dans un tel endroit, cette société devait pas être de la gnognotte.

    Ma tante attendant en me tenant la porte ouverte, je mets mes craintes de côté, inspire un bon coup et enclenche le mode « fille sérieuse ». Laurence referme à clé derrière nous : il n’est pas huit heures et l’accueil n’ouvre qu’à neuf heures.

    Le hall, immense, trahit le rôle premier d’habitation de l’immeuble que je tente d’imaginer ; mais mon regard accroche mon reflet dans un immense miroir et je détaille ma tenue d’éternelle adolescente.

    Jeans, petites ballerines noires, chemise blanche et veste cintrée : classique pour une jeune femme mais pas très classe. Le plus moche, c’est mon jean trop grand de deux tailles. Voilà ce que c’est de maigrir ! Je vais pas me plaindre, mais il va falloir que je fasse quelques achats parce que je ne ressemble à rien avec des fringues dans lesquelles je nage. Pas tout de suite : pas les moyens.

    – Lizzy ?

    Argh ! Qu’est-ce que je déteste ce surnom.

    Ma mère voulait m’appeler Élisabeth. Mon père détestait mais, en grand fan de Gainsbourg, il a accepté Élisa. Laurence, ma tante et marraine, passionnée par l’œuvre de Jane Austen, l’a transformé en Lizzy et soutient que j’ai le même caractère impulsif et impétueux que l’héroïne d’Orgueil et Préjugés.

    Soupir de désespoir.

    Je la dévisage aussitôt, abandonnant ma silhouette dans son cadre doré, et la rejoins dans un antique ascenseur – une vieille boite ajourée dont il faut ouvrir la grille avant d’atteindre la porte – posé face à moi et enrubanné d’un superbe escalier en bois. Elle appuie sur le bouton du cinquième étage avant de se tourner vers moi.

    – Au sixième, c’est la salle de détente. Mon bureau est au cinquième. C’est l’étage de la direction. Rez-de-chaussée ?

    Et allez, c’est reparti pour un tour ! Je suis tentée de lui répondre que je ne suis pas totalement débile et dépourvue de mémoire mais je ferme les yeux. Ce soir, ça ira mieux.

    – Accueil et grande salle de réunion.

    – Premier ?

    – Archives récentes, experts comptables, et responsable informatique. Deuxième et troisième, experts comptables. Quatrième, compta et RH. Cinquième, direction avec les bureaux de Messieurs Beaumont père et fils et de leurs… assistantes.

    J’ai failli dire « secrétaires », mais, à la façon dont me regardait Laurence, j’ai réalisé que j’avais débité ma tirade comme une gamine qui en a marre de rabâcher sa récitation.

    Ah ben oui, à force de me chercher, elle m’a trouvée.

    Elle n’est pas la seule à être nerveuse. Si elle croit que je le prends à la légère de la remplacer trois mois ! Pendant qu’elle sera en convalescence chez Mamie suite à l’opération de son épaule, moi, je vais me retrouver ici toute seule à faire un travail qu’elle assure depuis trente ans. Je sais que ces répétitions partent d’un bon sentiment, mais ça m’énerve.

    – Désolée, s’excuse-t-elle.

    – Je comprends… mais, par pitié, imploré-je avec un sourire, arrête de me mettre la pression. Tu as quinze jours pour me briefer.

    – OK, OK, concède-t-elle après un court silence.

    L’ascenseur sonne l’arrivée au cinquième. Match nul.

    Laurence s’avance vers le bureau qui fait face à l’ascenseur. En fait, ce n’est pas un bureau, c’est un espace ouvert sur le palier, limité sur les côtés par des murs pourvus de portes (une à droite, deux à gauche) et au fond par une baie vitrée avec vue sur la tour Eiffel. Les seules décorations sont une grande photo sur toile tendue représentant un ponton sur un lac à droite et un énorme ficus à gauche.

    Tout le reste compose ce qu’on s’attend à voir du poste d’une assistante de direction : bureau avec téléphone, ordinateur et bannettes, chaise, armoire fermée. La seule chose qui me choque, c’est le manque d’intimité.

    – Je suis bien là, non ? s’enquit Laurence.

    – Mouais… Pourquoi ton bureau n’est-il pas fermé comme les autres ?

    – C’est l’étage de la direction, rétorque-t-elle en se plantant derrière sa chaise comme si ça expliquait tout.

    – Donc, tu fais la réceptionniste, conclus-je légèrement moqueuse.

    Lever des yeux au ciel : touchée.

    – Les seules personnes à monter ici viennent voir soit Monsieur Beaumont…

    – Soit Monsieur Beaumont, la coupé-je.

    – Oh, arrête de faire l’idiote, soupire-t-elle avec un geste d’impuissance de la main. Viens-donc ici.

    Je m’exécute en faisant glisser mon sac à dos de mes épaules. Laurence brandit un jeu de petites clés du bout des doigts.

    – Les clés, annonce-t-elle avec grand sérieux.

    – Ça y ressemble, effectivement.

    Claquement de langue d’impatience. Fin du jeu. Je lâche mon sac à mes pieds et me mets en position d’écoute, bras croisés.

    – Si tu veux être prête à huit heures trente tapantes, je te conseille de toujours suivre le même rituel pour ne rien oublier.

    Hochement de tête pour attester de mon attention et passage en mode « écoute exclusive et mémorisation ». Je sais déjà que je vais devoir être capable de reproduire ces gestes comptés sans erreur avant la fin de semaine prochaine.

    Chargement du tiroir perso fourre-tout (clé ceci), allumage de la fusée ordinateur, vérification des portes de l’armoire (clé cela), déverrouillage de la session ordinateur, voyage d’exploration des bureaux voisins (clé père, clé Mélanie, clé fils) avec ouverture des entrées d’air (si besoin), mise en route de la photocopieuse dernière génération, vérification de la liaison avec la tour de contrôle « accueil ». Pilote à son poste, pas de décompte et feu (ouverture de la messagerie).

    À cet instant précis, Laurence cesse son monologue. Tant d’explications indispensables pour elle, inutiles pour moi. Là où deux phrases auraient suffi, elle a trouvé le moyen de ne laisser aucune chance au silence. On aurait pu croire qu’elle s’arrêtait pour respirer ou apaiser sa gorge asséchée, mais non, c’était juste pour me dire de prendre une chaise avant de repartir dans ses explications aussi sec.

    Finalement, le plus pénible dans ce remplacement va être de supporter celle qui part. Super, c’est ma tante, ma marraine, ma tatie préférée… Enfin, c’était.

    Bon d’accord, c’est vache ; d’autant qu’elle m’a préparé un document où tout est écrit. Alors j’attrape le pavé dans mon sac, mes lunettes de vue, un crayon et je fais ce que je fais le mieux : j’écoute et je note.

    Vérification de l’agenda du patron, passage en revue des derniers courriels, épluchage des parapheurs, correction des documents annotés, copie des documents signés, préparation de leur envoi et classement des version scannées.

    Tout ça, même si c’est nouveau pour moi, ressemble à une routine très administrative que je devrais être capable d’intégrer sans problème. Ce qui m’inquiète vraiment, ce sont les dossiers techniques et les clients ; savoir qui suit quoi, qui est l’interlocuteur de qui.

    C’est à ce moment que j’entends tinter l’ascenseur. Lorsque je lève le nez de mon manuel de la parfaite assistante, les portes s’ouvrent sur le PDG de la société, Monsieur Pierre Beaumont en personne. Laurence se lève immédiatement ; je l’imite avec plus de mesure et en profite pour le détailler.

    J’étais pas si loin avec mon pense-bête « Robert Redford » : le costume léger couleur chocolat dont la veste est ouverte sur une chemise blanche au col légèrement ouvert est parfaitement ajusté à son corps visiblement toujours athlétique d’environ un mètre quatre-vingt (pas de petit ventre à cacher). Ses cheveux blond cendré sont aussi épais que la photo le laissait penser et il les remet en place inconsciemment de sa main gauche avant de lever les yeux sur ma tante… et moi.

    Petit arrêt sur image trahissant sa surprise aussitôt effacée par un sublime sourire. Il m’avait oubliée. J’aurais pu lui en vouloir ou être vexée mais je sais qu’un homme comme lui doit avoir mille choses à penser ; et son évidente gentillesse et son charme fou ont pulvérisé mon petit sursaut d’orgueil.

    – Bonjour Laurence, fait-il en s’avançant vers nous.

    – Monsieur Beaumont, lui répond ma tante avant de me désigner de la main.

    – Élisa, la précède-t-il en me tendant la main, chose qu’il n’avait pas faite pour Laurence.

    Je réponds à son sourire sans réticence. Je ne sais pas pourquoi mais je pressens qu’on ne peut pas se sentir autrement qu’en confiance auprès de cet homme. Peut-être quelque chose dans ses yeux gris pétillants, ou dans ses rides de maturité qui dessinent un visage éternellement joyeux. Je coince mon manuel perso contre moi d’un bras et serre la main tendue.

    – Monsieur Beaumont, salué-je avec toute la politesse inculquée par mon éducation.

    – Avez-vous déjà fait le tour de la maison ? m’interroge-t-il en m’écrabouillant la main.

    – Non, pas encore, intervient Laurence. Je souhaitais vérifier quelques détails avant votre arrivée…

    – Premier rendez-vous ?

    – Dix heures, répond ma tante sans même regarder l’agenda et je retiens sa capacité à apporter ce genre d’informations sans hésiter.

    – Parfait, il y a longtemps que je n’ai pas fait le tour ! Je pose mes affaires, vérifie mes mails et on y va ?

    Que répondre à tant d’enthousiasme ? Ben…

    – Oui Monsieur, fais-je dans un murmure discret et avec un sourire timide.

    Je ne m’attendais pas à un tel accueil.

    Monsieur Beaumont m’a donc entraînée dans son sillage. Nous nous sommes arrêtés à chaque étage, sommes entrés dans tous les bureaux, avons serré plein de mains. À part quelques « bonjour » et « merci », je n’ai quasiment pas prononcé un seul mot. J’ai renoncé à retenir tous les noms et visages dès que les portes de l’ascenseur se sont fermées sur le quatrième étage, le premier que nous ayons visité.

    Finalement, à part Saïd, le responsable de l’accueil et des locaux, l’homme le plus indispensable de la maison selon les propres termes de Monsieur Beaumont, tous les autres seront obligés de me rafraîchir la mémoire quand je les rencontrerai à nouveau.

    À présent assise face à Monsieur Beaumont dans son bureau, lunettes sur le nez, bloc-notes sur les genoux, j’écoute avec attention sa présentation de l’activité de son entreprise. C’est un homme passionnant et passionné, d’autant plus que mon cerveau a laissé le pilotage à mon infatigable curiosité qui semble le ravir.

    – Alexandre ! Votre père…

    La voix impatiente et sévère de ma tante traverse la porte fermée et me fait sursauter. Je me lève aussitôt, poussée par l’instinct, car je suis assise de dos à la seule entrée du bureau, le seul endroit d’où peut venir un danger potentiel. Au même instant, la dite porte s’ouvre violemment et fait place à… un mirage.

    Un mec peut pas être aussi beau. Plus beau que Brad Pitt, et c’est une de mes références absolues. Plus grand, même si je n’ai aucune idée de la taille de l’acteur. Plus musclé, je sais pas comment je le sais, mais… c’est sûr. Traits plus fins ; cheveux plus épais et d’un blond comme les blés plus gorgé de soleil. Yeux…

    Aïe, ses yeux.

    D’un vert tendre sublime, brillants de surprise, d’intelligence puis d’animalité et plissés. Très plissés. Perçants…

    Oh pétard, qu’est-ce que je fais là ? Je ne devrais pas être là. Où est mon trou de souris ?

    – Vous êtes ? claque la voix de Monsieur Alexandre Beaumont, aussi cinglante qu’un fouet.

    Heureusement pour moi, Monsieur Beaumont père intervient.

    – Élisa Dubois, je vous présente mon fils, Alexandre. Alexandre, Élisa est la jeune personne qui va remplacer Laurence le temps de son absence.

    « Jeune personne », « remplacer », j’ai l’impression que ça me réduit à quantité négligeable. J’aime pas trop, mais tant pis : d’abord, c’est la vérité, et puis si ça peut adoucir le regard de serpent que son fil pose sur moi…

    – Sa nièce, précise celui-ci avec une dose évidente de mépris.

    Raté. C’est même pire.

    Ça me rabaisse pas un peu plus ça ?

    Allez, un peu de courage ma chérie, n’oublie pas ta bonne éducation. Même si tu perds tous tes moyens, n’oublie jamais la bouée de sauvetage « politesse minimale ».

    – Monsieur…

    – Dehors.

    L’ordre me gifle.

    – Alexandre ! s’offusque Monsieur Beaumont père dans mon dos.

    Et voilà, super ! Je ne sais plus où me mettre. Je devrais obéir et sortir, mais m’approcher de cet homme qui me déteste sans même prendre le temps de savoir qui je suis me terrorise.

    – Excuse-toi immédiatement, exige le père.

    Le fils se bute. Ça se voit sur ses traits. Si, si, ils peuvent être encore plus durs et menaçants qu’ils ne l’étaient déjà.

    – Lizzy, viens, fait la voix douce de ma tante.

    Lizzy. Il ne manquait plus que ça. Merci Lorie !

    Pourtant, j’aurais bien voulu me jeter dans ses bras pour laisser éclater ma peur dans des sanglots. Ouais, sauf que j’ai quand même un minimum de fierté. D’ailleurs, l’afflux d’adrénaline a réveillé mon côté guerrière et je sens sa bravoure couler dans mes veines, tendre mes muscles.

    Ce mec est un mufle. Non, un connard.

    C’est peut-être le fils du patron mais, humainement, il est très en dessous de moi. Il n’a pas desserré les mâchoires et me fixe comme une intruse gênante.

    Quel con !

    Je sais pas quelle mouche l’a piqué et je veux pas savoir. Il a de la chance que son père soit derrière moi, sinon je crois que je l’aurais giflé quand je suis passée près de lui pour sortir, ou envoyé un bon coup de pied dans les tibias.

    Je file directement aux toilettes. Pas pour pleurer mais pour calmer ma colère. Y’a peut-être un punching-ball au sixième…

    Non, je ne m’attendais pas à un tel accueil.

    Quand je ressors des toilettes, Messieurs Beaumont père et fils m’attendent devant le bureau de Laurence qui me regarde bizarrement. Hors de question de m’énerver, de perdre mon temps et mon énergie ; me perdre moi dans un conflit avec un pauvre mec. Je me dois le respect. Je le dois à celui qui m’a embauchée, pas à son crétin de fils. Pour lui, ce sera l’indifférence silencieuse. Alors j’avance en regardant Monsieur Beaumont père.

    – Ah, Élisa.

    Il m’accueille avec bienveillance et visiblement gêné. Je ne cherche même pas à savoir quels sentiments peuvent passer sur le visage de son fils ; je sais pertinemment que ça ne doit pas être merveilleux.

    – Alexandre a quelque chose à vous dire, ajoute le père devant mon silence.

    Ah oui ? Je pose mes yeux sur Brad Pitt qui fait la gueule. Ça promet…

    – Je ne me suis pas montré très poli envers vous, dit-il, visiblement à regret.

    C’est le moins qu’on puisse dire. Et alors ? C’est tout ?

    Je m’efforce de rester calme face à ce goujat. Ce sont les pires excuses que j’ai jamais reçues – si tant est que ça en soit –. Je tourne mon regard vers mon patron et capte le léger coup de coude qu’il donne à son fils.

    – Désolé, lâche une voix glaciale.

    Coup d’œil furtif au petit garçon boudeur bien plus grand que moi. Il n’y a rien de désolé dans ce visage parfait. Quel salaud ! Je sens que ça va être un vrai bonheur de travailler avec lui dans les parages. En attendant, il peut toujours rêver s’il croit que je vais accepter des excuses aussi minables.

    Nos regards se croisent. Brrr. Ses yeux verts plissés de colère contenue me font froid dans le dos ; mais ce sera tête de mule contre tête de mule. Je ne m’abaisserai pas davantage qu’ils ne l’ont déjà fait, et jamais devant cet abruti. Alors je me tourne vers son père et use du ton le plus aimable qui traîne au fond de mes tiroirs.

    – Ce sera tout Monsieur Beaumont ?

    Mon patron hausse un sourcil de surprise juste avant que ses yeux ne trahissent un certain amusement. Pourtant y a rien de drôle dans tout ça : suffit de regarder le poing serré de son fils que je perçois du coin de l’œil. Serait-ce que sa Seigneurie n’apprécie pas que je le snobe ? Bien fait pour sa gueule !

    Monsieur Beaumont père me libère d’un simple hochement de tête et je les contourne en passant le plus loin possible de l’odieux personnage. Dans un silence de plomb, je m’installe sur ma chaise, chausse mes lunettes, reprends mon manuel et mon crayon, et m’applique à ne plus relever les yeux.

    Je perçois un mouvement devant le bureau et le son d’une porte qu’on ferme. Laurence quitte aussitôt son ordinateur pour me faire face.

    – Non mais ça va pas ? siffle-t-elle entre ses dents, indéniablement furieuse.

    – Quoi ? fais-je en la fixant, tout aussi furieuse.

    – Je peux savoir au nom de quoi tu te permets de refuser les excuses d’Alexandre ?

    – Parce que tu appelles ça des excuses ?

    Je me défends dans un murmure au lieu de laisser exploser ma colère face au reproche si injuste, mais, encore un mot de la part de Laurence et je me barre. Comme quoi, je sais me tenir. Elle ouvre la bouche, mais ne dit rien et scrute mon visage et mon regard. Je ne sais pas ce qu’elle y a trouvé mais ses épaules s’affaissent : elle renonce à me faire la leçon. Je prends deux inspirations profondes avant de poursuivre plus calmement.

    – Toi qui connais le fils Beaumont, qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il me traite comme ça ?

    – Je sais pas, avoue Laurence. Je ne l’ai jamais vu aussi…

    Elle hésite ; pas moi.

    – Mal élevé ? Injuste ? Tyrannique ? Violent ?

    Quelque chose derrière moi attire son regard. Rien qu’à voir la tête qu’elle fait, je devine que j’aurais mieux fait de me taire.

    Bon, au point où j’en suis… Je ferme les yeux en inspirant discrètement et me lève. Laurence me connaît trop bien et essaie de me retenir.

    – Lizzy, supplie-t-elle dans un souffle.

    Ah, si elle supplie, c’est qu’elle présume que ça va mal se passer ; et…

    Bingo !

    C’est le fils qui se tient à côté du bureau et me dévisage de ses yeux verts impitoyables. Il serre poings et mâchoires et je me demande ce qui le démange le plus : me gifler (m’étrangler ?) ou m’insulter ou me jeter dehors ? Comment peut-on être aussi beau et détestable ? En tout cas, s’il croit que je vais baisser les yeux.

    – Monsieur ?

    Pas de Monsieur Beaumont pour lui puisque Monsieur, c’est tout ce qu’il m’a laissé le temps de dire tout à l’heure. Les yeux se plissent.

    Aïe, si je suis pas virée après une telle effronterie… Ben tant pis.

    À mon grand étonnement, que je ne laisserai bien sûr pas transparaître, sa Seigneurie semble prendre sur lui et s’éloigne sans un mot vers le bureau de son assistante. Assistante qui, soit dit en passant, n’est pas là alors qu’il est plus de neuf heures. Mais bon, c’est pas mon problème. Pourtant j’aimerais bien savoir à quoi elle ressemble ; ça expliquerait peut-être certaines choses.

    En attendant, maintenant, c’est Monsieur Beaumont père qui me regarde. Impossible de savoir ce qu’il pense : son air est sévère, mais ses yeux semblent sourire. Je renonce à décrypter le visage de mon probable ex-patron. Je referme mon manuel, retire mes lunettes et lui fait face.

    – Je serai partie dans cinq minutes, Monsieur Beaumont.

    Silence, long silence. La guerrière en moi refuse de capituler. Quitte à pulvériser tous les records de présence pour une prise de poste, autant s’appliquer jusqu’au bout. C’est le moment que choisit le téléphone de Laurence pour sonner. PDG et assistante échangent un regard et ma tante répond à l’interrogation silencieuse.

    – Saïd.

    – Courrier ?

    Laurence acquiesce d’un hochement de tête.

    – Laissez donc Élisa y aller. Il me semble qu’elle a besoin de se défouler un peu.

    Cette fois, le sourire qui étire ses lèvres ne laisse plus aucun doute.

    – Saïd se fera un plaisir de vous expliquer comment trier le courrier à sa réception, ajoute-t-il à mon attention.

    Alors je suis pas virée ?

    Euh… Là, j’ai dû rater quelque chose.

    – Bien, Monsieur Beaumont, fais-je en baissant les yeux.

    Je récupère manuel, crayon et lunettes et m’éloigne en silence, encore abasourdie de la tournure des événements.

    – Élisa, m’interpelle-t-il alors que j’atteins l’ascenseur. Pourriez-vous vous arrêter chez Nadège, la GRH, pour signer quelques papiers ?

    Je me retourne et le dévisage. Aucun signe de moquerie, aucune sévérité ; rien qu’une bienveillance sincère. Je jette un coup d’œil à ma tante qui m’encourage d’un hochement de tête avec un léger sourire.

    Je ne suis pas virée et je ne sais pas pourquoi. Par contre, je sais que je ne dois pas pousser ma chance trop loin mais être très vigilante à mon comportement. Je comprends également que j’ai le droit de défendre ce que je suis… du moins dans une certaine mesure.

    – Oui, Monsieur Beaumont.

    Mais au lieu de m’en aller, je continue à scruter les yeux posés sur moi.

    – Merci, Monsieur Beaumont, dis-je avec un profond respect.

    À cet instant, je perçois la silhouette d’un homme somptueusement beau venir vers nous. Je n’ai rien vu, je ne veux rien voir et, sans dévier mon regard, je pars prendre mon ascenseur.

    Rien ne justifiera jamais la façon dont je t’ai accueillie le jour de ton arrivée, encore moins mon comportement.

    Peu importe ma ixième engueulade avec Mélanie, chaque jour un peu plus exigeante dans notre relation et sur un engagement Peu importe… Elle voulait me faire prendre un chemin mais je refusais obstinément de l’emprunter avec elle.

    Elle… voilà où était le problème : ce n’était pas « la bonne ».

    Ce n’était pas /

    Peu importe la mauvaise surprise faite par un client.

    Peu importe ma nervosité. Parce que, putain, ce que j’étais nerveux de savoir que tu arrivais. Aucune raison pourtant : tu n’étais pas la 1re remplaçante.

    Je me suis montré… Comment tu as dit déjà ? Mal élevé : sans conteste. Injuste : pas mieux. Tyrannique : sur le moment, j’ai pas bien compris. Mais le pire, c’est quand tu as dit que j’étais violent.

    Comment ça, violent ? Autoritaire, impatient, impulsif. Tout ça, mon père a su me le servir quand il m’a sermonné.

    Mais violent ?

    Comment as-tu pu le savoir en si peu de temps ? Qu’as-tu vu pour le comprendre si vite ?

    Autant être honnête, je t’en ai voulu pour une telle clairvoyance.

    Pour l’engueulade aussi.

    2.

    Saïd est quelqu’un de très sympa et qui a beaucoup d’humour. Nous avons entamé le tri du courrier derrière le comptoir de l’accueil, mais le téléphone ne cesse de nous déranger.

    – On va finir par être en retard, glissé-je une fois la dernière communication terminée.

    – Ok, j’ai une idée : je te montre le contenu des lettres puis je les mets dans la case appropriée.

    – D’accord.

    Trois plis plus tard, nous sommes de nouveau interrompus, mais, cette fois, par l’arrivée d’une superbe jeune femme. Plastique de rêve mise en valeur par des chaussures à talon de dix centimètres, jambes nues parfaites, petite robe d’été à bretelles mi-cuisses, sac tendance au creux du coude et cheveux bruns relevés en chignon haut libérant son cou fin. Elle se dirige directement vers l’ascenseur en enlevant ses lunettes de soleil sans un regard pour nous. Je jette un œil à Saïd qui est déjà en train de reprendre le tri du courrier.

    – Cette charmante personne, c’est Mélanie, m’explique-t-il une fois la porte de l’ascenseur refermée.

    Ah, d’accord…

    – C’est l’assistante personnelle d’Alexandre Beaumont, précise-t-il avec un rire dans la voix ; et c’est une pétasse de première.

    Je cesse de m’intéresser au courrier pour mieux dévisager Saïd.

    – Elle présente bien, mais c’est du vent. Alexandre est du style à faire beaucoup de choses tout seul et elle ne va surtout pas s’en plaindre. Monsieur Beaumont père ne l’aime pas ; c’est Alexandre qui l’a embauchée et, pour l’instant, personne ne parle de la mettre dehors.

    Quelque chose me dit qu’il a semé plein de sous-entendus dans ses explications. Il croise mon regard et éclate de rire.

    – T’as tout compris ! s’exclame-t-il alors que le téléphone retentit dans le hall.

    Tout compris… ou rien. Qu’est-ce qui peut bien retenir un homme à la réputation de bosseur de virer une assistante qui a un poil dans la main ?

    Mais, que je peux être naïve… Ça vaut tous les mauvais scenarii. Que les hommes sont bêtes (dans tous les sens du terme) quand ils se laissent mener par le sexe ! D’un autre côté, ce ne sont peut-être que des rumeurs.

    – Et d’après Corine, reprend Saïd, c’est même très chaud.

    – Corine ?

    – C’est la dame qui fait le ménage des trois derniers étages. Elle finit toujours par la direction. Je dirai juste qu’elle a fermé la porte plus vite qu’elle ne l’a ouverte.

    Saïd est hilare. Moi, je ne sais que penser de ses allusions aux ébats entre Monsieur et son assistante.

    Les relations sexuelles sont un monde inconnu pour moi. Jusque là, j’étais boulotte et j’ai bien conscience de ne savoir ni m’habiller, ni me coiffer, ni me maquiller ; et avec des lunettes en plus… Dire que je suis aussi apprêtée qu’un épouvantail est un euphémisme.

    Mélanie est le modèle et moi, le pire brouillon.

    – Eh ho, fait Saïd en faisant passer sa main devant mes yeux.

    – Pardon, on en était où ?

    Silence d’observation.

    – Toi, soit tu complexes vis-à-vis de filles comme Mélanie, soit tu as eu droit à l’humeur massacrante d’Alexandre.

    Ah, je ne savais pas qu’il était aussi facile de lire sur mon visage. J’aime pas trop ça.

    – Joker, tenté-je d’une petite voix boudeuse.

    – Et qu’as-tu osé faire pour qu’il s’énerve sur toi ?

    – Si seulement je le savais…

    Quelques lettres plus tard.

    – T’as bien dû dire ou faire quelque chose pour qu’il t’engueule.

    – Il m’a pas engueulée, fais-je en commençant à trier moi-même le courrier.

    Saïd me laisse travailler en silence, se contentant de jeter un œil à ce que je fais et de répondre au téléphone.

    – Tu veux en parler ? demande-t-il alors que je fais glisser la dernière lettre dans la bannette du quatrième.

    Parler de quoi ? Ah oui, de l’affreux Alexandre Beaumont. À me concentrer sur mon travail, je l’avais oublié celui-là.

    Je dévisage Saïd et tourne sept fois ma langue dans ma bouche. Après tout, je ne le connais pas et je ne sais pas ce qu’il va faire de ce que je pourrais lui dire. Monsieur Beaumont père m’a donné une seconde chance et je n’ai pas très envie de la gâcher. Alors je vais me taire et laisser cet incident à la place qu’il mérite.

    – Y a rien d’important à en dire.

    – En tout cas, tu sais où je suis, dit-il avec une apparente sincérité.

    Apparente. Voilà tout le danger de ce nouveau monde : l’apparence.

    – Merci. Dis-moi, embrayé-je aussitôt pour changer de sujet, on fait quoi des bannettes maintenant ?

    – On attend Mélanie, répond-il après un court silence, Laurence l’aura prévenue qu’on fait le tri et elle l’a peut-être remarqué. Elle prend tout et fait la distribution en remontant au cinquième.

    – Et je suppose qu’il est inutile de vouloir rendre service.

    – Tu supposes très bien.

    – Alors je remonte les mains vides, conclus-je sans réussir à masquer ma consternation, ce qui aura au moins le mérite de faire rire Saïd.

    Deux heures que je suis dans cette boite et autant de situations navrantes. Je me demande vraiment où je suis tombée. Pourtant Laurence ne m’a jamais fait l’impression d’être stupide ou naïve. Enfin si, peut-être un peu naïve, ou bonne poire ; mais quand même pas au point de ne pas voir les dysfonctionnements de cette société.

    C’est dépitée et pleine d’interrogations que je mets le pied sur le pallier du cinquième étage et me retrouve nez à nez avec Mélanie la sculpturale qui me toise de la tête aux pieds comme si j’étais une extraterrestre. Quelqu’un qui arrive par les escaliers est une grande première ou quoi ?

    – Vous êtes ? aboie-t-elle comme un roquet protège sa propriété.

    Oh, c’est pas vrai… Ça va pas recommencer ?

    – Élisa…

    – Ah oui, la nièce, crache-t-elle avec mépris.

    Ben si !

    Bon alors, les options : lui en coller une. Au nom de quoi ? De son patron. Elle y est pour rien (enfin presque), mais ça me ferait du bien. Mouais… Pas acceptable. L’ignorer comme elle nous a snobés à l’accueil ; sûre qu’elle pique une crise. Non, il faut être plus subtil.

    – Oui, c’est ça. Et vous êtes ?

    Mélanie se raidit, visiblement outrée que je ne le sache pas. À ce moment, j’aperçois en second plan Monsieur Beaumont et son fils qui sortent du bureau du PDG. Il ne manquait plus que ça ! Réfléchis bien avant de parler, Élisa.

    – Je suis l’assistante personnelle de Monsieur Beaumont, clame Mélanie avec hauteur.

    – Ah, laissé-je tomber platement, nullement impressionnée et plutôt agacée.

    J’ai envie de rajouter quelque chose de percutant, mais je suis nulle à ce jeu et tout ceci est finalement ridicule ; complètement ridicule. Je ne suis pas ici pour me battre mais pour bosser. L’indifférence étant la pire des insultes, je m’avance en direction du bureau de Laurence en prenant garde de ne plus croiser le regard de personne.

    Manque de bol, Mélanie fait un pas de côté, ce qui m’oblige à m’arrêter et lever les yeux sur elle.

    Et merde…

    – Vous venez d’où ? interroge-t-elle sèchement.

    – De l’accueil, soupiré-je, m’attendant au pire.

    – Et vous ne pouviez pas remonter le courrier ?

    J’aurais dû être medium… Alors, comment dire ?

    – J’ai cru comprendre que ça ne faisait pas partie des attributions de mon poste.

    Et que ça t’est réservé pour que tu puisses justifier d’une bonne demi-heure à rien foutre.

    – Mais je peux retourner le chercher, rajouté-je en lui coupant la parole. Aucun problème, y en a pour quoi… cinq minutes maxi ?

    Voilà, celle-là, tu l’as pas loupée. Cours chérie, cours.

    Oups, mon cynisme n’a pas dû passer inaperçu, parce que Madame est furibonde. Elle me fusille du regard. Je m’apprête à reprendre les escaliers quand elle m’interpelle.

    – Non ! Comme vous l’avez dit, cette tâche ne fait pas partie de vos attributions.

    – Comme vous voulez, fais-je en haussant les épaules.

    Et, l’air de rien, je jette un œil à ma montre.

    – Où est Mélanie ?

    Oh là ! Voix cassante à souhait : Monsieur n’est pas content. Je lève le nez et son regard vert me fusille. Quoi encore ? J’y suis pour rien, moi, si son assistante n’est pas à sa place !

    – Je n’ai pas fait attention, répond très diplomatiquement ma tante.

    C’est pas bien de mentir !

    Coup d’œil discret à ma montre. Mince, pas si discret que ça, car Monsieur m’imite aussitôt et son regard se

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