e gobe un Advil et bois une gorgée de soda en regardant la ville de Manille s’éloigner par le hublot. Mon front est martelé de douleur. Je vais avoir 40 ans, je n’ai pas d’enfants et cela fait presque trois jours que je n’ai pas dormi. A l’étroit sur mon siège, je repense aux fauteuils matelassés et aux décorations Art déco de l’Atlas Bar, un établissement incontournable de Singapour où j’ai passé la soirée de la veille avec François Peraudot, ainsi qu’avec plusieurs autres gros investisseurs. Parmi les 1 300 références de gin proposées par l’établissement, je pense en avoir testé au moins une petite dizaine, tandis qu’on parlait autour de moi « placements », « enrichissement » et « profits ».
J’ai beaucoup de responsabilités, un emploi du temps surchargé et pour y faire face, j’éprouve parfois le besoin de boire un peu plus que de raison. Il faut dire que mon patron, François Peraudot, pèse 6 milliards d’euros. Né à Singapour, cet industriel français de 44 ans est le président de la compagnie pétrolière Perenio, particulièrement active en Afrique centrale et sur le pourtour méditerranéen.
Je suis son assistante – senior ! – et, à ce titre, je n’ai aucune vie privée. Mon quotidien se réduit à des nuits blanches entre Paris et Singapour, penchée sur des dossiers, à des soirées avec des investisseurs et à de longs tête-à-tête avec mon smartphone.
Quand j’avais encore des amis, ces derniers me reprochaient de ne pas avoir assez de temps pour eux. Aujourd’hui, je n’ai plus ni temps ni amis, et quand je trouve une seconde pour penser à moi, je me demande si je ne serais pas en train de passer à côté de ma vie.
Dans l’avion pour El Nido, je porte la main à ma tête. J’ai l’impression qu’elle va exploser. Puis j’ouvre le dossier sur la société « Tao Expedition ». Je regarde la photo de l’un des deux fondateurs, Eddy Broock, 42 ans. Avec ses grands yeux noirs, je le trouve franchement mignon. Mais à quoi bon y