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Le Chasseur De Libellules
Le Chasseur De Libellules
Le Chasseur De Libellules
Livre électronique379 pages4 heures

Le Chasseur De Libellules

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À propos de ce livre électronique

Gabriel Larsen est un anthropologue très attaché à son travail.
Dans sa ville de Florence, il continue à être perturbé par les restes retrouvés lors d’une fouille en Afrique.
Il sent qu’il doit donner une explication à ce qui semble en apparence inexplicable.
La découverte du corps mutilé d’une jeune fille à Malindi marque le début d'une spirale de meurtres.
C’est à la profileuse Doris, au médecin légiste Steven et au lieutenant Robert qu’il revient de se plonger dans l’un des pires cauchemars parsemé d’os.
Seule preuve qu’ils ont affaire à un tueur en série : la présence d’ailes de libellules glissées dans les yeux des cadavres. Sa signature. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Qui connait son secret ?
Le tueur est rapide, vif et ne perd jamais le contrôle : il suit les méandres obscurs de la perversion humaine, obsédé par la poésie et la musique.
Une seule chose est sûre : il tuera à nouveau.
Aucune femme n’est en sécurité : il les choisit, il les suit, il les torture.
Chaque fois qu’il tue, ses fantasmes se font plus intenses, plus provocants, plus violents.
Situé dans un environnement aux tons chauds, aux parfums et aux odeurs qui s’élèvent entre terre aride et verdure, où le rouge trouve sa place dans d’incroyables couchers de soleil, on se retrouve propulsés au cœur du Kenya, où vibre le souffle du peuple Massaï.
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2018
ISBN9781547522491
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    Aperçu du livre

    Le Chasseur De Libellules - Giuliana Guzzon

    Remerciements

    Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, le lieux et les événemets sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou utilisés fictivement.

    ––––––––

    Propriété intellectuelle article L.122-4 toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illecite.

    Photos et graphiques réalisés par Liliana Marchesi

    Images originales: © Arman Zhenikeyev - Fotolia.com

    © paulrommer - Fotolia.com

    LE CHASSEUR DE LIBELLULES

    ... les mouvements de son âme sont mornes comme la nuit, et ses penchants ténébreux comme l’Érèbe.

    William Shakespeare – Le marchand de Venise

    Dédié à mes enfants, en espérant que ma passion pour l’écriture puisse devenir un don pour leur avenir, et à mes grands-parents, Irma et Beppe, pour m’avoir aimée et élevée comme une fille.

    Giuliana Guzzon

    Prologue

    La pièce était sombre, éclairée uniquement par une lumière rouge.

    Sur le mur, des millions de libellules créaient de la musique.

    Des myriades de libellules.

    Le couteau à la main, il rejoignit le couloir qui menait à la porte.

    En un instant, il se sentit envahi par une fureur meurtrière. Il éprouvait l’absolue nécessité de lui faire du mal, de couper sa chair, de l’entendre hurler, de voir la mort dans ses yeux terrorisés.

    Il ne se fiait à personne et n’avait confiance en personne ; c’était un misanthrope et un observateur attentif.

    Sa capacité à duper dépassait de loin celle de la mante religieuse : comme elle, il cachait sa nature féroce sous un comportement calme. Il avait un concept romantique de la violence, mais qui en réalité se traduisait dans le sang, les os, la décomposition et la poussière.

    Il avança jusqu’à la porte et attendit.

    Son instinct le guiderait encore une fois.

    Dans sa main, le couteau s'élevait et s'abaissait frénétiquement en fendant l'air.

    La musique était en lui.

    Elle pulsait.

    Elle le dévorait.

    « ... je suis guidé par la musique,

    elle vole, légère »

    ––––––––

    Elle s'était habituée à l'obscurité.

    On l'avait enfermée, et elle ne savait même pas quel jour on était.

    Il y avait cette odeur dégoûtante de viande avariée, et la corde autour de ses poignets lui écorchait la peau.

    Elle avait perdu beaucoup de poids et ses bras étaient couverts de bleus ; il lui avait coupé les cheveux avec un rasoir.

    La soif.

    Combien de temps allait-elle pouvoir survivre sans eau ?

    Une semaine ? Un mois ?

    En six pas, l'homme la rejoignit et tira sur la corde pour l'obliger à se lever.

    La lame du couteau lui caressa la gorge.

    Il hésita un instant et murmura quelque chose, juste au moment où elle perdait connaissance.

    Il pouvait être n'importe qui, et il pourrait lui faire n'importe quoi.

    1

    TROIS ANS ET SIX MOIS PLUS TÔT

    Les pas sourds résonnèrent sur les marches extérieures de l'escalier de secours. La fenêtre de l'appartement était entrouverte et la jeune fille s'arrêta net. Elle écouta.

    Retenant son souffle, elle trouva le courage de bouger et de s'approcher prudemment du palier de l'escalier extérieur.

    Consciente du risque, elle regarda vers le bas. Dans l'obscurité où il disparaissait, l'escalier formait une ample courbe jusqu'à l'étage du dessous. D'après ce qu'elle pouvait voir, l'intrus n'était pas là. Peut-être était-il caché dans un coin, recroquevillé comme un serpent prêt à attaquer.

    D’instinct, la jeune fille sentait sa présence agressive.

    Elle éteignit la lumière. Elle ne pouvait pas s’habituer tout de suite à l’obscurité, mais elle connaissait parfaitement son appartement, et elle parvenait à se déplacer sans craindre de se cogner sur les meubles.

    Convaincue que son salut se trouvait dans le mouvement, elle se déplaça prudemment, s’attendant à une violence soudaine.

    Elle sortit de la pièce, longea le couloir.

    De la main, elle trouva la porte du salon, posa les doigts sur la poignée, et la baissa lentement ; elle sursauta lorsque la porte s’ouvrit avec un petit déclic.

    Elle écouta, à l’affût d’éventuels mouvements ou bruits de respiration.

    Qui que ce soit, il était certainement déjà entré et pouvait la surprendre à tout moment.

    La pièce dans laquelle elle se trouvait était spacieuse. Il y avait contre un mur un canapé flanqué de deux fauteuils recouverts de tissu écossais et sur le côté, une grande bibliothèque en noyer massif remplie de livres.

    La jeune fille se rendit doucement au centre du séjour, vers la table recouverte de livres. Elle s’agrippa au bois du plateau et, tremblante de peur, elle sentit un fourmillement monter de ses jambes et la paralyser. À force d’attendre, son courage commençait à vaciller. Totalement tétanisée par l’angoisse, elle craignait que l’intrus l’entende si elle faisait le moindre mouvement. S’il entrait dans la pièce, elle serait prise au piège.

    L’espoir de lui échapper dura peu ; des pas lourds résonnèrent, puis la porte s’ouvrit d’un coup.

    La silhouette apparut sur le seuil, éclairée par la faible lueur de la lune qui filtrait par la fenêtre.

    Ses muscles la lâchèrent et son cœur battait si fort que chaque coup aurait pu la jeter à terre.

    D’un bond, l’homme se précipita sur elle. Elle lutta de toutes ses forces en s’agrippant à l’instinct de survie, puis un sifflement l’atteignit au cou : à la carotide. Le jet du sang de l’artère gicla sur le sol et vers le plafond en formant un arc.

    Sa respiration s’étrangla dans sa gorge lorsqu’elle s’efforça de déglutir.

    Il donna un autre coup, cette fois du bas vers le haut. 

    Elle porta les mains à son thorax en partie ouvert, alors que ses jambes cédaient sous elle. Elle s’écroula au sol, luttant inutilement pour reprendre son souffle. Sa vue commença à se brouiller, et elle sentit un début de torpeur l’envahir.

    En tombant, elle s’agrippa à la table, entraînant les livres au sol : des textes ésotériques et sur l’occultisme qui avaient alimenté sa passion. Les couvertures sur lesquelles le sang coulait abondamment semblaient englouties par la matière visqueuse.

    Dans un ultime effort, elle leva la tête pour le regarder. « Toi... » murmura-t-elle, stupéfaite.

    Elle reconnut cet ami en qui elle avait confiance. Avec lui, elle avait exploré les méandres les plus obscurs de l’esprit, et ils avaient même tenté quelques expériences de science occulte.

    Sous sa capuche, les yeux de l’homme luisaient d’une lueur folle, visiblement dilatés.

    — Parfois l’inspiration naît comme ça... Sssssss..., murmura-t-il à son oreille tout en enfonçant la lame dans sa chair, laisse-moi finir...

    Il retira un gant pour le plaisir de la sentir. Il aimait faire courir sa main sur les poils pubiens d’une femme, jouir avec calme de sa chair de poule.

    En gémissant, il l’agressa avec plus de force, mettant en action toute sa perversion avec un malin plaisir.

    Il savait que le temps lui était compté, qu’elle n’allait pas vivre pour toujours ; il ne devait donc pas le gaspiller.

    La douleur n’était rien, elle avait une pièce dont il avait besoin.

    Il soupira. Il essuya sur sa manche l’os qu’il venait d’extraire.

    Il effleura encore une fois sa peau froide ; elle avait la bouche ouverte et les lèvres tachées de sang encore frais. Elle fixait le vide de ses yeux voilés par la mort.

    Ses vêtements étaient maculés de sang. Il devrait se changer avant de quitter l’appartement, mais il aimait porter ces vêtements sales.

    ***

    Un mois après, une puanteur douceâtre avait envahi la cage d’escalier de l’immeuble, et les locataires avaient appelé les services d’hygiène et la police. En enfonçant la porte d’entrée, les agents se trouvèrent face à une scène macabre.

    La victime gisait au milieu de ses fluides visqueux. Le premier policier qui était entré dans l’appartement en enfonçant la porte avait vomi sur le tapis.

    Des trainées et des flaques rouge foncé, presque marron, recouvraient les livres éparpillés sur le sol et toute la zone autour du cadavre jusqu’au plafond. Sur le lino jaune, des gouttes de sang désormais noires se succédaient jusqu’à la porte de la salle de bain, d’où elles étaient probablement tombées.

    La scène du crime avait été scellée. Les restes avaient été transportés à la morgue pour l’autopsie. Ils ne découvriraient pas grand-chose ; le corps avait été massacré, et il était dans un état de décomposition avancé. Aucune empreinte. Juste deux tatouages encore visibles : un pentagramme à l’épaule gauche et une libellule sur la cheville droite.

    2

    À l’autre bout du monde, là où la roche semblait empêcher la verdure de pousser pour laisser la place aux couleurs des couchers de soleil, une terre sauvage et inculte l’appelait : c’était l’Afrique qui hantait son esprit.

    Gabriel Larsen, anthropologue, était revenu en Italie depuis peu, et il était déjà submergé par la nostalgie. Malgré l’horrible doute qui entourait sa dernière découverte archéologique, ses oreilles et son cœur s’ouvraient à cette vision, qu’il percevait limpide et réaliste : il revoyait toutes les aubes et les aurores au Kenya, pour qu’ensuite son moral sombre dans le noir.

    L’inspection du lieu d’une fouille, qui, outre les fossiles trouvés, avait abouti à la découverte de quelques os, le perturbait. Les archives biologiques devaient apporter des réponses précises. Gabriel avait insisté pour rentrer à Florence avec quelques restes pour pouvoir bénéficier de l’aide technologique de la recherche.

    La fosse retrouvée, dans laquelle les morts avaient été déposés après les cérémonies funèbres et enroulés dans des étoffes rouges, était profonde de dix mètres et large de trois. La fosse mise à jour, tout le terrain avait été consacré et était devenu un cimetière.

    Morceau après morceau, couche après couche, avec l’humidité, la chair s’était consumée en peu de temps, et seuls les os étaient restés.

    Espace d’anthropologie du Musée d’Histoire Naturelle, Université de Florence. Gabriel Larsen, l’air digne, le visage émacié, arborant une barbe de deux jours, les cheveux plus longs que nécessaire.

    À trente-neuf ans, il pouvait en paraître trente-cinq tout au plus.

    Il avait reçu une éducation de niveau international. Il connaissait plusieurs langues et, surtout, il possédait la maîtrise de l’espace.

    Où qu’il soit, il semblait chez lui.

    Il avait le don de toujours suivre son instinct, une caractéristique vraiment précieuse, car elle le conduisait toujours en première ligne dans son travail ou sa mission, comme il aimait la définir.

    Et c’était un travail après l’autre.

    Anthropologue animé d’une grande passion, il avait obtenu son doctorat en bio archéologie et accepté un poste au service d’Ostéologie Humaine, où il restaurait et analysait des restes, surtout des fossiles.

    Parfois, on faisait aussi appel à lui pour analyser des cadavres. Ainsi, sans grand enthousiasme et rarement, il endossait également le rôle de légiste.

    Chercheur en Argentine sur la culture disparue des Yagans, dans le Sahara algérien sur les populations Touaregs, en Afghanistan sur les nomades Kuci d’ethnie Pastum, il avait une faim de grand expert, et c’est à lui que l’on devait la collection ethnographique du Musée de Florence.

    À la mission en Afrique, les fouilles s’étaient poursuivies dans un bassin lacustre, et c’était juste à cet endroit qu’avaient été remarqués des témoignages de restes humains.

    Mais quelque chose d’étrange avait attiré Gabriel : il y avait des anomalies dans la structure des os humains, et le temps avait détérioré les traces qui restaient incertaines.

    Depuis le coucher du soleil et tant que ses forces le soutenaient, il restait au laboratoire, collé au microscope. Il ne se couchait que quand la fatigue ne lui permettait plus de poursuivre son étude.

    Pour un œil profane, les os qu’il analysait pouvaient paraître semblables à tous les autres, mais ceux de Gabriel n’étaient pas des yeux inexpérimentés, et ces fragments ne le convainquaient pas. Il essayait de donner un sens au sentiment d’angoisse qui le perturbait.

    Les fenêtres ne laissaient entrer que peu de lumière ; la ville était silencieuse et déserte, et comme cela arrivait souvent, les choses avaient une double apparence.

    Soudain, une voix claire emplit le silence.

    — Encore là ?

    Gabriel, qui n’avait entendu personne entrer, sursauta et se retourna.

    Un homme en blouse se tenait debout derrière lui. Son badge indiquait « Prof. Remus ».

    — Je suis en train de faire des examens supplémentaires.

    Le professeur acquiesça et se remit à le questionner.

    — Et pour quelle raison ? Tout est d’origine biologique, il me semble...

    Il attendit la réponse pendant quelques secondes.

    — Je ne sais pas, je ne suis pas convaincu...

    — Le recteur est au courant de tout cela ?

    Il le fixait avec un mélange de curiosité et de reproche. Gabriel secoua la tête.

    S’il ne remettait pas un rapport définitif, l’enquête sur la découverte des restes demeurait ouverte.

    — Vous savez que cette histoire est suivie de là-haut ?

    — Je le sais, mais je ne laisserai personne m’apprendre mon métier... 

    Irrité, le professeur Remus tourna les talons, le laissant seul dans la grande salle en refermant bruyamment la porte derrière lui.

    Gabriel se leva, les jambes molles.

    Son côté rationnel essayait de combattre une pensée qui aurait terrorisé beaucoup de personnes ; il frotta son visage de ses mains, éteignit les lumières et sortit dans l’air frais de la nuit, ne laissant que les ombres derrière lui.

    3

    Le matin était là depuis déjà quelques heures. Après une douche rapide et après avoir choisi la tenue adaptée, Gabriel sortit de la pièce.

    L’homme qui gérait le B&B était turc et peu aimable. Il se montra tout sauf ravi de devoir répondre à son « bonjour », mais cela n’allait pas perturber les projets de l’anthropologue qui avait rendez-vous avec le recteur de l’Institut d’Histoire à l’université d’anthropologie.

    À l’extérieur, Florence resplendissait dans sa couleur naturelle. L’intérieur embaumait la senteur fleurie des collines qui fermaient les places en un grand cercle ; vibrant dans la gloire de son art.

    Dans les villages, un écho rebondissait sur les immeubles qui donnaient sur la route en cailloux du fleuve.

    Gabriel marchait d’un pas alerte en direction de la berge de l’Arno.

    L'Afrique et les os avec leurs secrets occupaient ses pensées comme un mal silencieux.

    Ce mois d’août était étouffant. Il sentit la sueur couler le long de son dos ; il desserra sa cravate et défit le premier bouton de sa chemise.

    Florence, ses églises éparses, ses rues du siècle dernier, ses pierres, ses quelques trous.

    Le centre, lieu de nouveauté et respectueux du temps.

    Le beau temps avait poussé les citadins à envahir les rues, devenues noires de monde et plus animées qu’à l’accoutumée.

    Tous déambulaient parmi les vitrines luxueuses, quelques musiciens de rue rompaient le bourdonnement frénétique des pas des touristes. Les musiciens changeaient, mais la musique était toujours la même, jusqu’à la place du Duomo, un point où tous se rencontraient.

    Un cheval avançait en fonction de l’état de la route, parfois au trot, d’autres fois au pas, trainant une calèche avec des arbalètes et des sièges rembourrés.

    Quelques touristes y étaient installés ; ils prenaient des photos tout autour d’eux.

    Gabriel resta un instant immobile, à suivre du regard le glissement lent et rythmique des sabots qui donnaient la cadence à ses pensées.

    Il reprit sa marche dans les ruelles de pierre pas plus larges que deux hommes, où l’ombre permanente était préservée par les toits désordonnés des maisons construites les unes à côté des autres.

    Il passa par une petite place en se concentrant sur sa marche et sur sa rencontre avec le recteur : sous ses pieds, le sol dur rendait son allure rigide et peu naturelle.

    Il haussa les épaules et mit les mains dans les poches.

    Devant le bâtiment, Gabriel regarda sa montre. Il était arrivé à l’heure. Le recteur n’aimait pas attendre, et il aimait encore moins les personnes qui arrivaient en retard.

    Le musée d’histoire était austère mais accueillant. Sur les murs, l’exposition de tableaux anciens alternait avec les meilleurs projets des étudiants, et chaque rayonnage le long du couloir débordait de livres.

    La mezzanine dominant le mur du fond, à laquelle on accédait par un escalier muni d’une rampe, conduisait au bureau du directeur.

    D’un pas décidé, l’anthropologue s’avança dans la direction indiquée pour se rendre à l’étage supérieur. Il hésita quelques secondes devant la porte, puis frappa.

    — Entrez, professeur...

    Le savant était assis derrière un bureau en chêne massif. Sur le dessus, la hauteur de la pile de documents dépassait celle de l’ordinateur.

    C’était un homme de petite taille au regard intelligent qui reflétait une curiosité attentive au monde qui l’entourait ; il devait avoir au moins cinquante ans.

    Une bande de petites rides marquait son front. Les traits de son visage fin étaient encadrés par une légère barbe à peine argentée qui soulignait la ligne de son menton.

    Gabriel examina la pièce et sa décoration minimaliste. Les rayons du soleil qui traversaient une grande fenêtre tombaient à l’oblique sur le sol. Même de là où il se trouvait, il pouvait remarquer la vue splendide de la ville jusqu’à l’une de ses célèbres collines.

    — Vous avez terminé l’étude des pièces ?

    Sa voix était un peu rauque, à cause des trop nombreuses cigarettes qu’il fumait.

    — Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps, je dois rédiger ce certificat. Et puis l’institut anthropologique a programmé une conférence, nous avons les journalistes sur le dos. Ce sera vous, l’orateur principal...

    Un muscle se contracta sur la joue de l’anthropologue.

    — Alors, que pouvez-vous me dire sur ces os ?

    — Qu’ils posent un problème, répondit Gabriel avec calme.

    — Que voulez-vous dire ?

    Gabriel haussa les épaules.

    — Je ne peux pas faire de déclaration affirmant qu’ils sont d’origine archéologique... (il fit une pause) Nous devons contacter les autorités sur place. Je crois qu’ils sont en danger et qu’ils devraient en être informés...

    — Vous en êtes sûr ? Nous ne pouvons pas lancer une alerte de ce genre. Vous avez une idée de ce que cela déclencherait ?

    — Et vous, vous avez une idée des conséquences si nous ne disons rien ?

    4

    Le réveil marquait huit heures. Gabriel avait passé une nuit blanche, immobile face à ses pensées. Peut-être qu’il devait juste se laisser aller et dépasser ses peurs. Il ne voulait pas accepter le doute laissé par d’étranges signes sur les reliques ; plus il y pensait, et plus il transpirait.

    Il se leva et se prépara une tasse de thé. Il regarda vers la fenêtre de la cuisine. Le chat du voisin se frottait contre la vitre avec un cri plaintif, faisait une pause puis reprenait.

    — Tu voudrais une goutte de lait... pensa Gabriel en s’étirant. Alors entre, prononça-t-il.

    Il l’observa un moment en souriant. Le téléphone sonna à cet instant.

    — Allô ?

    — Professeur, ils vous attendent... La conférence, vous avez oublié ?

    — Oui, j’arrive.

    — Professeur, tout va bien ?

    — Ouiiii, bafouilla-t-il, endormi.

    Il quitta la maison peu après d’un pas décidé et en proie à une angoisse qu’il ne parvenait pas à dompter. Il passa devant le palais des congrès près de l’université. Il avait choisi ce trajet plus d’une fois et à chaque fois il l’avait jugé parfait. Chaque fois avec plus de conviction.

    Le bâtiment donnait sur la Place della Signoria, la place la plus importante de la ville.

    Non loin de là se trouvaient des magasins en tout genre et le bar le plus réputé du secteur était toujours grouillant de monde.

    Gabriel regarda à l’intérieur, avant de se mettre à courir ; il était en retard.

    Devant la porte de la salle de conférences, il reprit son souffle et baissa la poignée. La pièce était rectangulaire et elle était bondée de personnes attirées par la curiosité qui bavardaient entre elles ; cela donnait la sensation d’entrer dans un nid de guêpes.

    Debout devant la porte, il regarda tout autour de lui et reconnut des personnages éminents du monde des sciences et de la médecine. Il ne se rappelait pas le nom de tous et il avait collaboré avec quelques-uns sur de nombreuses recherches.

    Il y avait une tension étrange dans l’air. Il était dix heures du matin. Tous les étudiants étaient présents dans les gradins. Devant, au premier plan, les journalistes avaient déjà pris place.

    Pour l’occasion, Gabriel portait le costume bleu qu’il réservait à ses sorties importantes ; dans sa course, il s’était un peu froissé.

    Le plafond semblait menaçant avec son faste. Des fresques du XIVe siècle regardaient vers le bas dans une succession d’images dédiées à la chasse.

    Le stuc doré faisait office de corniche avec des broderies de fleurs et de lauriers.

    Au centre, autour d’une table recouverte de damas rouge, quelques techniciens terminaient les essais audios.

    Il se surprenait toujours au moment où il s’approchait du micro.

    Dans toutes les questions, même dans celles qui à première vue pouvaient paraître ingénues ou évidentes, Gabriel réussissait à saisir une observation pointue, un problème à approfondir et il répondait toujours avec profondeur.

    Tous le fixaient, chuchotaient et la curiosité saturait l’air.

    — Bien ! dit-il enfin, en donnant deux petits coups sur le micro. Merci d’être venus. Je suis désolé d’entrer tout de suite dans le vif du sujet, mais l’hypothèse d’une datation précise des os humains est encore loin d’être confirmée. Il n’existe pour le moment aucune identification et je ne suis pas en mesure de remettre un certificat.

    Un brouhaha général explosa dans la salle.

    — Qu’est-ce qui vous fait croire que la fouille puisse cacher quelque chose ? demanda, en élevant la voix, un étudiant qui avait participé à d’autres de ses rapports.

    — Nous avons recueilli de nombreuses preuves...

    À cet instant, il croisa le regard austère du recteur. Il s’éclaircit la voix.

    — Je ne sais pas encore si quelque chose se cache là-dessous, je ne peux rien faire d’autre que poursuivre les examens exigés par les autorités locales...

    Il y avait de la ferveur dans sa voix, une sorte de frénésie qu’il ne parvenait pas à masquer : il se passa une main dans les cheveux d’un geste visiblement nerveux.

    Les journalistes s’attroupèrent avec des appareils photo, des camescopes et bien d’autres choses, cherchant à s’approcher le plus possible.

    Gabriel se protégea les yeux des flashs et des réflecteurs.

    — C’est tout... conclut-il, je n’ai pas l’intention d’ajouter autre chose.

    — Nous voulons que vous exposiez plus de détails...

    La voix arriva parmi le tumulte.

    La réponse de l’anthropologue fut rapide et forcée.

    — Il y a différents critères d’évaluation et chacun nous ouvre une fenêtre sur des années de travail et d’expérience provenant d’autres sites de fouille... poursuivit-il, animé.

    — Et ce serait ... ?

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