La fille au bord du chemin

Sally avait passé Pine Creek depuis quelques kilomètres déjà sur la Stuart Highway, la longue et large route qui traverse le bush australien dans une illusion de ligne droite jusqu’à

Darwin. Soudain, elle aperçut une silhouette, longiligne et incongrue. La voie routière était quasi déserte, comme le paysage aride jusqu’à la limite du ciel et, à moins d’être endormie au volant, il était impossible de la louper.

La jeune femme connaissait bien la route, celle qui venait de Katherine pour rejoindre la capitale du Nord, Darwin, où elle vivait depuis une quinzaine d’années déjà. Le trajet était un résumé de son existence entière, puisque, née à Katherine, petite bourgade de quelques milliers d’âmes, noyée de chaleur et de pluies, elle avait émigré vers la côte nord où elle avait fait son trou : un travail, des amis, parfois des amours. Une vie à elle et rien qu’à elle.

Pour ce faire, elle avait dû s’extraire du cocon de son enfance et de son adolescence, quitter ses parents et ses souvenirs. Lorsque son père était mort, deux ans auparavant, elle avait pris sur elle de remonter le temps un peu plus souvent dans l’année, rendant visite à sa mère qui vivait et travaillait seule désormais dans leur petite ferme. Un rituel qu’elle accomplissait sans déplaisir, mais qui comportait sa part d’abnégation. « Quand est-ce que tu vas enfin faire de moi une mamie ? »

Sa mère ne prenait pas de gants avec ce qui était devenu, au fil des années et du tic-tac de l’horloge biologique, une litanie obsessionnelle. Sally avait de plus en plus de mal à botter en touche. Janet voulait du concret. Son horloge à elle s’emballait chaque année un peu plus et elle désirait s’essayer au plus tôt à l’art d’être grand-mère.

Tandis que la voiture grignotait la distance qui la séparait encore de la silhouette, celle-ci se définit peu à peu comme féminine, fluette et vêtue de vêtements en piteux état qui l’associaient plus à un zombie, dont elle avait la