Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Aucun répit: Une enquête haletante sur les routes de France
Aucun répit: Une enquête haletante sur les routes de France
Aucun répit: Une enquête haletante sur les routes de France
Livre électronique290 pages4 heures

Aucun répit: Une enquête haletante sur les routes de France

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Pour satisfaire les dernières volontés de sa mère, Alyzée empruntera des chemins qu'elle ne soupçonnait même pas et elle se découvrira capable de commettre le pire…

« Fini… Pas eu le temps. » Ce sont les ultimes paroles de Thérèse en présence de sa fille. Que signifient-elles ? « Tout est fini » ? « Finis ce que je n’ai pas eu le temps d’achever » ? Non, décidément, Alyzée n’arrive pas à donner un sens à ces mots. Des mots, elle va en trouver plein d’autres, tout aussi obscurs, dans les carnets que tenait la défunte. Certains sont empilés à la cave, d’autres sont toujours dans la maison en Écosse où Alyzée a grandi. Des écrits terrifiants qui finiront par lui révéler le secret de sa naissance, mais également la mission diabolique que sa mère s’était assignée. Pour honorer les dernières volontés de Thérèse, Alyzée sillonnera la France. Un parcours qui se transformera en un véritable chemin de croix jonché de cadavres.

Une des affaires les plus sombres jamais menée par le 36 Quai des Orfèvres !

EXTRAIT

Alyzée se sert un whisky, et maintenant qu’elle est affalée dans le vieux canapé de cuir, au milieu des coussins, c’est la maison blanche d’Écosse qui surgit. Le parfum des bruyères, des odeurs de tourbe et de malt s’enfuient du verre. Elle a noyé le liquide ambré dans du Perrier et des myriades de bulles explosent en sifflant de colère. Sacrilège ! « On n’a pas vécu dix ans au pays du whisky pour assister à ça ! » Alyzée s’émeut à ce souvenir. Elle entend encore protester sa mère. Mais pourquoi lui a-t-elle parlé de l’Écosse ?
De sa vie écossaise ne lui reviennent que le vent dans les cheveux, les embruns, les falaises noires et les vaches poilues, à l’air placide, qui la faisaient rire. Quelques rares images de son père jouant aux fléchettes dans un pub ou racontant son train franchissant les gorges de la Mescla à l’assaut de la vallée du Var. Le jardin derrière le Bed and Breakfast – B & B –, la balançoire au bord du lac. Il était parti sans rien dire. Pire encore, il l’avait lâchement abandonnée alors qu’elle n’était pas là. Son image s’invitait parfois au son de la cornemuse.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Vous connaissez les sanctuaires à répit ? Moi, je ne connaissais pas du tout, jusqu'à ce que je rencontre Pierre Brocchi au salon du livre de Riez. Une partie du livre se passe sur Moustiers Sainte Marie et Riez, et j'avais très envie de le lire tout en me demandant si j'apprécierais l'écriture de Pierre. Je n'ai pas été déçue ! En plus d'avoir appris un petit bout de notre histoire, j'ai découvert une écriture qui sait mettre en valeur les personnages et l'intrigue. Aucun temps mort jusqu'au dénouement ! - tatie04, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Brocchi est originaire de la Côte d’Azur (Antibes).
Professeur d’EPS, il officiera d’abord dans le centre de la France (Nevers, Tours puis Orléans) avant de revenir se fixer définitivement dans sa région natale.
Retraité en 2008, il fut honoré des Palmes Académiques en 2009.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie5 janv. 2018
ISBN9782848866796
Aucun répit: Une enquête haletante sur les routes de France

En savoir plus sur Pierre Brocchi

Auteurs associés

Lié à Aucun répit

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Aucun répit

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Aucun répit - Pierre Brocchi

    Parfum d’éther. Odeurs d’hôpital. Quelques rayons se faufilent entre les lames d’un store que caresse un ventilateur. Dans leur lutte avec les néons du couloir, ils animent en vaguelettes de lumière les infatigables ombres chinoises des infirmières. Gémissements étouffés, plaintes avortées et sonneries d’appel rebondissent sur la peinture verte délavée des murs. La souffrance chuchote sa honte d’avoir mal. Alyzée est assise devant la porte de la chambre de sa mère. Les coudes sur les genoux, le menton posé sur les mains, elle cherche à s’évader. Tente de s’éloigner de cette ruche de tourments et plonge dans son enfance, sa jeunesse. Que du bonheur.

    Le feu crépite dans la grande pièce sombre ; le vent hurle, cherche à entrer, fait geindre la balançoire et surfe sur le lac qui se donne des airs d’océan. Les barques s’entrechoquent sur le ponton de bois et s’interpellent en craquements sinistres. Les rares haubans du petit port, cerné de maisons blanches, cliquettent au rythme des vaguelettes prétentieuses, mais ne servent qu’à hisser un petit drapeau bleu qui claque comme un fouet. L’Écosse s’est invitée dans cet hôpital parisien.

    Daniel lui apporte un café. Elle le fixe sans le voir et chuchote :

    — J’ai huit ans.

    Il la regarde sans la comprendre. Voilà trois ans qu’ils sont ensemble et Alyzée n’en finit pas de le surprendre. Parfois, il se demande si elle a toute sa tête. Il lui prend la main, sourit.

    — Ce n’est rien.

    Non, ce n’est pas rien ! La mère de la jeune femme est en train d’agoniser de l’autre côté de ce couloir où ils sont venus se réfugier. Alyzée continue de sourire, de se parler, d’aligner des mots sans liaisons compréhensibles. Elle l’a souvent fait dans les moments d’intense émotion.

    — Papa…, l’Écosse…

    Des références permanentes à son père, mais c’est la première fois qu’elle cite le pays où elle a vécu ses premières années avec ses parents. Ils étaient installés dans les Trossachs, la porte sud des Highlands. Daniel ne sait pas si elle évoque les paysages de landes couvertes de bruyère dans un vent glacial découpeur de falaises ou si elle parle des vaches paisibles aux longs poils et aux immenses cornes pointues. Il passe son bras autour des épaules de sa compagne. Le rappel de l’enfance, c’est le lien virtuel qui la relie à Robert, ce père disparu. Il faut lui laisser poursuivre la vision de ce film englué dans les tourbières écossaises. Eaux noires scintillantes de sa mémoire. Lui faciliter le rembobinage pour lui permettre un jour de sortir du marécage de sa vie, des lacs profonds de son passé, ces lochs aux eaux de surface translucides et pourtant obscures et mystérieuses. Retour au générique. Toute son existence n’est que le rappel du jeu des deux acteurs principaux de sa vie. Ses parents, ensemble, ou pas. Instants privilégiés à trois. Ailleurs.

    — J’avais dix ans quand…

    La malade agonise, mais sa fille reste immobile sur sa chaise, tétanisée. Elle est repartie chevaucher son enfance.

    Dehors, c’était le bruit et la fureur des éléments. Un jour, Papa est parti et l’a abandonnée. Volatilisé. Elles se sont retrouvées seules, en France. C’était avant qu’Anne s’insinue entre elles. Que la présence permanente de l’amie de sa mère finisse par la mettre en rage et qu’elle leur claque la porte au nez. Elle s’était réfugiée auprès de Daniel et, sans qu’elle s’en rende compte, la distance qui la séparait de ces deux femmes était devenue un fossé infranchissable. Maintenant, c’est Charon qui allait faire passer la mourante sur la rive opposée.

    — Dix ans…

    L’Écosse n’est plus qu’un diaporama d’images et de sons isolés, extraits d’un vieux film. Les jeux sur les plages de sable blanc, la langue anglaise rocailleuse, les lochs et les glens, les randonnées au Cairngorms National Park. Terminés les voyages dans la locomotrice avec son père qui chantait à tue-tête sous le crachin. « It’s raining, it’s pouring, the old man is snoring… » Elle a revu un jour la vieille locomotive à vapeur qu’il conduisait sur les soixante-dix kilomètres de Fort William à Mallaig, sur la côte ouest écossaise. Elle s’était invitée dans le film d’Harry Potter. Le train paternel franchissait de nouveau les vingt et une arches du viaduc de Glenfinnan, mais il n’était plus à la manœuvre. Il devait chevaucher un balai quelque part, dans le ciel des Highlands… Le pensionnat était prévu pour septembre en France à l’occasion de son entrée en sixième. Sa mère voulait qu’elle suive une scolarité dans son pays d’origine. « Dix ans. » La colo, ce dernier été pour revoir ses copines, peaufiner la langue, et sa mère qui surgit et vient la chercher. « Robert est parti. Il nous a quittées. » Immobilisation définitive à la case France. Plus de pensionnat, de train. De papa. Le métro, le collège parisien, l’intégration difficile. « Écossaise, pas anglaise ! » Le lycée, les premiers amoureux, les copains, la fac. Daniel, le prof de maths, compagnon rigide, lisse, prévisible, davantage « repose-tête » que tremplin au bonheur, car « il vaut mieux vivre mal accompagnée que seule… ». Bref, elle s’arrange comme elle peut avec la vie et ses dictons. Elle n’a plus jamais mis les pieds en Écosse autrement que dans ses rêves. Sa mère aurait bien voulu lui faire partager sa haine pour ce pays générateur de trahisons, mais elle n’y est jamais parvenue. Dans l’immense puzzle de son existence, il manquera toujours l’image du père, et les jointures entre les pièces disloquées de son être sont des cicatrices ouvertes et encore bien visibles. Le tableau se floute au milieu des larmes.

    — Papa…

    Film cassé à cet endroit. Toujours la même plainte, vite étouffée. Impossible de se souvenir d’autres images que quelques rushes incomplets de moments heureux saupoudrés dans le vide de sa mémoire. Dans les cahiers de dessins de son enfance, il y a des blancs qu’elle est incapable de colorier. Elle s’est perdue à l’âge de dix ans et elle erre depuis, dans les labyrinthes obscurs de son passé. Icare s’était envolé sur sa locomotive. Abandonnée en Écosse, Alyzée a pleuré comme Ariane, seule sur son île grecque. Pleure encore sur sa chaise devant Daniel, Thésée impuissant. La malade agonisante aura fait ce qu’elle a pu pour que le tableau de leur vie ressemble à quelque chose et aura manifestement échoué. Le présent n’est que la conséquence de cet échec. Maintenant, la mort rôde. Retour au dédale de sa vie, à ce couloir couleur amande, à cette porte que le prêtre a tout à l’heure délicatement refermée derrière lui. L’homme en noir a de fortes chances d’être la dernière pièce à s’incruster dans l’histoire de sa mère. Puzzle incomplet qui…

    — Fous le camp, salopard !

    Le couple sursaute. Alyzée bondit de sa chaise. La voix de la malade que l’excès de tabac a rendue caverneuse se moque des portes et vient de traverser le mur de la chambre. « Salopard ? » Elle ne l’a jamais entendue s’exprimer ainsi autrement que pour parler de Robert. Avant qu’elle puisse réaliser ce qui se passe, la porte s’ouvre. L’aumônier, blanc comme un linge, passe devant elle et la salue d’un petit signe de la main. Elle jurerait presque qu’il a les yeux rougis.

    — Mon Père ?

    Ersatz de sourire. L’ecclésiastique ne dit rien et elle doit se contenter de ce rictus, d’un hochement de tête. « Salopard ? » Stupéfaite, Alyzée n’en croit pas ses oreilles. Elle a dû mal entendre.

    — Satan… !

    De la chambre immaculée, la voix éraillée remet ça. La petite tache noire de Rorschach passe rapidement devant le couple stupéfait et court en titubant dans le couloir se réfugier dans l’ascenseur. Vol aléatoire d’une chauve-souris effrayée qui a croisé le diable. Image fugace du minotaure en fuite. Daniel voudrait le suivre pour lui demander des explications, mais sa compagne le retient. Sa mère utilise ses dernières forces pour insulter un prêtre venu la soulager ! Un plateau tombe, un verre se brise. Alyzée se précipite, oublie la soutane disparue dans les profondeurs obscures et labyrinthiques de l’enfer de l’hôpital.

    — Maman ?

    Dans l’entrebâillement de la porte, elle arrive à distinguer la malade semi-assise, les yeux fermés. Son visage écarlate est trempé, baigné de sueur. De larmes ? Autant de ruisseaux qui tracent leur chemin dans le lit des rides et s’étalent sur sa chemise de nuit.

    — Ça va ?

    Alyzée s’est immobilisée sur le pas de la porte. Daniel n’ose pas entrer, mais ne lâche pas la main de sa compagne.

    — Entre… Tout va bien.

    Le temps d’un soupir aussi long qu’un dernier souffle.

    — Seule.

    Locomotive poussive, sa poitrine ronfle bruyamment. Imite la chaudière du train des Pignes quand il attaquait les premières rampes d’Annot, sur la ligne Nice-Digne. Le père d’Alyzée lui avait si souvent raconté les histoires qui tournaient autour de cette compagnie des Chemins de fer de Provence. La voie métrique, la neige, les éboulements. Son surnom de train des Pignes, au temps du charbon. « Ce train allait si lentement que les voyageurs avaient le temps de descendre ramasser les pignes séchées des pins pour les mettre dans la chaudière ! » Elle ne comprenait pas la profondeur de cette nostalgie quand il lui racontait la vallée du Var, les tunnels dans les gorges rouges de Daluis, les ponts impressionnants. Pourquoi avoir un jour décidé de simplement changer de train ? Venir se perdre en Écosse et s’installer avec leur petite fille si loin de la mer et du soleil ? Pourquoi se faire embaucher par la West Highland Line, où circulait le « Jacobite », qu’un film a rendue célèbre, et ne parler que de la vallée du Var ? Un jour, il avait dû louper le terminus, oublier de descendre, suivre la voie imaginaire d’une rouquine aux taches de rousseur, d’une blonde platinée ou d’une brune mignonne, et elles ne l’avaient plus jamais revu. « Il a filé à l’anglaise », ironisait sa mère qui refusait, depuis, de prendre le train. Même le métro.

    Maintenant, sur son lit d’hôpital, c’est la motrice à vapeur de son corps qui approche du terminus. À quarante-deux ans, la chaudière n’est pas si âgée, mais arrive au bout de son parcours. Envahie par un charbon qui ne la fera plus avancer. Cancer.

    — Que s’est-il passé ?

    — Cet abruti, avec sa burette ! Il voulait me donner l’extrême-onction. Je lui ai alors raconté comment j’avais vécu leur premier sacrement, il y a longtemps. T’as vu comme il est parti en courant ?

    Le ricanement de la malade s’achève dans une interminable toux catarrheuse. Mouchoir en papier taché de scories rouges. Elle veut encore s’exprimer, mais Alyzée lui fait signe de se taire. Inutile. Sa mère fait de violents efforts pour rester assise. Insiste.

    — Manquerait plus qu’il me propose du vin de messe !

    Alyzée se dit qu’elle confond l’huile et le vin. Ce sont très certainement ses derniers mots et la jeune femme sait qu’il lui faut les entendre. Un temps infini s’écoule.

    — Il faut que je te dise… Quand les corbeaux arrivent…, il est temps !

    Lorsqu’elle reprend la parole, les phrases sont hachées, le souffle de plus en plus rauque. Elle transpire, tousse. Souffre. Des canules s’échappent de ses bras comme autant de serpents qui courent se réfugier dans des fioles. Ses mains tracent des arabesques avec l’illusion de s’en libérer et agitent ces mobiles improbables.

    — Calme-toi, Maman.

    Elles se regardent intensément. Dupes ni l’une ni l’autre de ce qui se passe dans cette chambre et va inéluctablement se produire.

    — Ne m’interromps pas… Jamais !

    Le ton se veut ferme, mais la voix n’est qu’un chuchotement. Alyzée hoche la tête, caresse la peau parcheminée des mains pour arrêter leur frénésie.

    — Tu… m’arrêtes ce… truc-là.

    Thérèse lui désigne le petit tuyau supposé lui injecter, à la demande, quelques gouttes de morphine.

    — Tourne… la molette. Non…, dans l’autre sens.

    Serrer la vis de plastique pour ralentir l’anesthésiant ? Continuer de souffrir ? Souffle court de récupération. Halètement. Devant l’intensité de l’effort pour laisser échapper intacts ces quelques mots, Alyzée s’exécute. La télé dans une chambre voisine parle d’attentats, de morts. La grimace de sa mère devient un sourire douloureux. La bêtise humaine est insondable. Dans cette course contre la montre avec le temps qui passe, elle ralentit le rythme. Cherche à retarder l’apparition de cette ligne d’arrivée que viennent de franchir les innocentes victimes qui l’ont doublée. Ses yeux expriment une immense douleur. Lui racontent son empathie avec ceux que la mort a injustement fauchés et qu’elle va rejoindre. Elle partage leur souffrance physique. Elle peut être supportable. Certaines, par contre… Pour ce qu’elle cherche à dire, il lui faut toute sa tête. Le crabe peut ensuite prendre tout son temps pour finir de la dévorer. Et la chaudière s’éteindre définitivement.

    * * *

    Alyzée est attablée à la terrasse du café qui jouxte l’hôpital. Daniel est parti à son boulot, mais, de toute façon, elle l’aurait envoyé balader ailleurs, n’importe où. Rester seule afin d’analyser les mots qu’elle vient d’entendre et qui, à ses yeux, n’ont guère de sens.

    À dix heures du matin, le barman trouve que, pour s’envoyer trois doubles whiskies, la jolie brune doit avoir pas mal trinqué au départ de son mec. Mais ce qui émane de son visage fait peur et il n’ose l’approcher autrement que pour prendre commande. Essaye quand même.

    — Doucement, ma jolie.

    — Connard !

    Il hausse les épaules. Fallait s’y attendre ! Les yeux de la jeune femme sont fixés sur une mouche qui se délecte d’une goutte, d’une tache. Son esprit la grossit de façon qu’elle puisse l’attraper. En la maintenant entre deux doigts, elle lui arrache mentalement les ailes. Cruelle. Mais pas suffisamment. Un moineau a maintenant les faveurs de son attention. Un aveugle et son chien perturbent le rythme endiablé des passants. Ils sont figés au bord du trottoir et appréhendent de traverser la rue. L’ancienne Alyzée se serait levée et… Elle grimace et quitte la table en claquant violemment un billet de vingt euros. Elle sent le regard du barman dans son dos et son bras s’étire jusqu’à son majeur dressé. Elle passe à côté de l’aveugle et marmonne des mots inintelligibles pour s’engouffrer ensuite au hasard d’une rue, le regard ailleurs, tourné vers l’intérieur. Cécité sociale qui la pousse à traverser entre deux voitures. Insultes inutiles, elle n’entend pas. L’écran de son présent est envahi par le visage écarlate de la mourante, peu de temps avant qu’elle s’éteigne. La voix n’était que le murmure d’un ruisseau dévalant une gravière, mais ses yeux enflammaient la pièce de l’hôpital. Il était manifeste qu’elle souffrait, mais la réduction de morphine lui avait permis ces derniers sursauts de lucidité. Le dos calé contre deux oreillers, elle avait fermé les yeux. Alyzée voyait bien qu’elle semblait utiliser le temps qui lui restait à bon escient. Recherchait-elle à retrouver son souffle ou mettait-elle de l’ordre dans ce qu’elle avait à dire ? Sa respiration saccadée, caverneuse, meublait le silence de cette chambre.

    — Anne t’expliquera… l’Écosse…

    Quelques mots glissés dans une expiration profonde. Sa fille lui avait caressé la joue, contrariée une nouvelle fois de l’entendre parler d’Anne à cet instant.

    — Tout va bien, Maman, ne t’inquiète pas.

    Le regard fiévreux de sa mère avait transpercé la jeune femme.

    — Pas Maman…, Alyzée.

    Anne était arrivée à ce moment, dans sa tenue de directrice d’une agence immobilière. Une grande blonde, chignon, talons hauts, tailleur strict. La cinquantaine. Jolie femme. Elle lui avait souri avec compassion, fait machinalement la bise, puis elle s’était retournée vers son amie agonisante.

    — Tu veux que… ?

    — Non.

    Anne lui avait chuchoté quelques mots à l’oreille, avait arrangé les coussins, tripoté deux ou trois molettes et pris le panneau au pied du lit. Thérèse Jefferson – 42 ans. Des courbes multicolores qui s’entrecroisent, des chiffres commentés par des hiéroglyphes. Langage obscur de médecins pour ne pas dévoiler la simple vérité. Cancer en phase terminale. Elle avait suivi du doigt la ligne des températures pour faire semblant de s’y connaître et elle lui avait caressé la joue. Larmes silencieuses, visage impassible, Anne, toute en retenue. La classe, même dans le malheur.

    — Ne t’inquiète pas.

    Le maquillage waterproof avait failli et elle était allée se refaire une beauté dans la salle de bains de la chambre avant de venir serrer la main de son amie, une dernière fois. Lui répéter :

    — Ne t’inquiète pas.

    La malade avait souri et fermé les yeux. Alyzée était restée silencieuse, jalouse de cette complicité qu’elle n’avait jamais pu pénétrer. Elle regardait le visage grimé de souffrances. Thérèse s’était rendormie. Anne était sortie. Fuite du temps devant l’éternité immobile qui s’installait. La chambre se vidait de toute vie. Alyzée osait à peine respirer.

    — Stoppe… l’injection.

    Sursaut. Retour de la voix rocailleuse. Plus faible, un ton en dessous. Elle avait agrippé la main de sa fille et, en articulant chaque syllabe, elle avait difficilement ajouté :

    — L’Écosse… Les carnets dans la cave…

    Des bouts de phrases.

    — Anne te dira.

    Un dernier sourire.

    — La malle en fer… Pas eu le temps… Harry Potter.

    Harry Potter ? Messages incompréhensibles sans queue ni tête, mais Anne, encore et toujours.

    — Calme-toi, Maman.

    La mourante lui avait planté ses ongles dans le bras, avait fait un immense effort pour se redresser légèrement et fixer sa fille dans les yeux.

    — Pas… avant ma mort.

    En s’effondrant sur ses oreillers, elle avait ajouté :

    — Robert… Mari… Fini… Pas eu le temps.

    Mots ultimes. Dernière rampe avant le terminus. Elle avait appelé son cheminot de mari pour qu’il l’aide dans son ultime trajet. C’était la fin. Alyzée avait posé sa main sur la sienne sans rien comprendre à ce délire. Quand la machine avait émis son bip continu caractéristique, elle lui avait caressé le visage, puis était sortie, les joues inondées de larmes, au moment où un bataillon d’infirmières se précipitait, rythmé par les cliquetis des talons d’Anne. Elle l’avait bousculée, avait repoussé Daniel et s’était enfuie.

    Ses pas hésitants la ramènent machinalement dans la maison où elles ont vécu toutes les deux. « Pas Maman ? » Le regret de mourir sans avoir eu le temps d’être grand-mère ? Elle avait si souvent fait ce genre d’allusions quand Daniel venait chez elle. Le rappel de l’Écosse où son père les avait abandonnées était plus étonnant. Il était interdit d’évoquer la petite maison dans les Trossachs et, encore plus, d’envisager d’y retourner. « Trop de souffrances. »

    Thérèse était partie à la recherche de son époux. De là-haut, c’était peut-être plus facile. Elle avait aussi incité Alyzée à retourner vers les fantômes de son enfance. La jeune femme sourit. En Écosse, les fantômes du passé, on est dans un lieu commun ! Les carnets dans la cave… Quelle cave ? En Écosse ? Celle de la maison ? Divagations de malade. Elle aurait pu lui parler d’amour une dernière fois, lui dire adieu, être tendre. Mais non ! Elle était restée dure, jusqu’à la fin. Ses mots l’avaient bousculée, giflée et lui avaient fait perdre l’équilibre. Elle s’était retenue à la barre du lit. Elle vacille encore sur le trottoir, parle toute seule et fait se retourner un passant.

    — Ça va, mademoiselle ?

    Elle n’entend pas. Lui a-t-elle demandé de retourner en Écosse ? C’est inconcevable. Et ces dernières paroles jetées en pâture à sa curiosité, achevées mystérieusement par le mot « fini ». « Fini ». Un participe passé pour signifier que tout était terminé…, fini ? « Finis ». Un impératif à suivre, une injonction pour qu’Alyzée achève ce qu’elle n’avait pas eu le temps de réaliser ? Les mots entendus se moquent de la grammaire. Aujourd’hui, tout était bien fini. C’était la seule réalité. Du présent de l’indicatif.

    — Pauvre Maman.

    * * *

    Le portail grince. Il a toujours couiné. Sa mère disait que ça valait tous les chiens de garde. Alyzée vient de passer un coup de fil à Anne.

    — J’ai besoin de rester seule. Je rappellerai.

    Anne a insisté.

    — J’ai des choses à te dire.

    — Plus tard !

    Elle lui avait raccroché au nez. Un sanglot lui échappe. Peu de temps après l’hospitalisation, elle a emménagé dans ce grand pavillon froid et lugubre, voisin de l’agence immobilière où travaillait Thérèse et que dirige Anne. Elle décide d’y rester après son décès et appelle Daniel pour lui dire qu’elle ne retournera pas dans son appartement. Pour l’instant. Besoin de tranquillité. Elle a souvent rêvé d’être seule, de désencombrer sa vie où se bousculaient sa mère, Anne, Daniel, les amis, les élèves. Aujourd’hui, sa solitude est physique et, pour lutter contre l’angoisse, elle peuple son monde d’odeurs, de détails, d’arrangements, de vieux objets. De passé. Les souvenirs affluent. Elle navigue dans sa mémoire.

    Peu de temps après leur arrivée d’Écosse, Thérèse avait acheté, avec l’aide d’Anne, ce pavillon de banlieue en viager à une vieille dame adorable qui s’était retrouvée veuve. Elles venaient toutes deux souvent l’aider jusqu’à ce qu’elle ait la mauvaise, ou bonne, idée de décéder rapidement à la suite d’un malaise cardiaque.

    Alyzée se sert un whisky, et maintenant qu’elle est affalée dans le vieux canapé de cuir, au milieu des coussins, c’est la maison blanche d’Écosse qui surgit. Le parfum des bruyères, des odeurs de tourbe et de malt s’enfuient du verre. Elle a noyé le liquide ambré dans du Perrier et des myriades de bulles explosent en sifflant de colère. Sacrilège ! « On n’a pas vécu dix ans au pays du whisky pour assister à ça ! » Alyzée s’émeut à ce souvenir. Elle entend encore protester sa mère. Mais pourquoi lui a-t-elle parlé de l’Écosse ?

    De sa vie écossaise ne lui reviennent que le vent dans les cheveux, les embruns, les falaises noires et les vaches poilues, à l’air placide, qui la faisaient rire. Quelques rares images de son père jouant aux fléchettes dans un pub ou racontant son train franchissant les gorges de la Mescla à l’assaut de la vallée du Var. Le jardin derrière le Bed and Breakfast – B & B –, la balançoire au bord du lac. Il était parti sans rien dire. Pire encore, il l’avait lâchement abandonnée alors qu’elle n’était pas là. Son image s’invitait parfois au son de la cornemuse. Elle se souvient d’une soirée, avec les amis de Daniel. Ils s’étaient réunis pour assister devant la télé à un match du Tournoi des Six Nations. Écosse-Pays de Galles. Le verre de bière à la main, les garçons s’étaient levés pour fredonner l’hymne gallois. L’imprononçable Hen Wlad fy Nhadau, « Pays de mes ancêtres ». Et puis il y avait eu le Flower of Scotland. Elle avait éclaté en sanglots. L’image de Robert-le-Scottish surfait sur chaque note jouée par les cornemuses et il traversait l’écran pour venir la prendre dans ses bras. Peut-être chantait-il a capella au milieu de ce peuple fier ? Thérèse refusait d’en parler. Alyzée était pourtant persuadée qu’elle connaissait la raison profonde de son départ. Une autre femme ? Sa vie, trop réglée comme du papier à musique au rythme des horaires de train… ? La petite fille qu’elle était avait si souvent culpabilisé, imaginant être à l’origine de cette disparition. Elle ne l’avait jamais su. À chaque question, les mêmes réponses. « Il est monté dans son foutu train et je ne l’ai plus jamais revu. Il nous a rejetées de sa vie. Je ne veux plus en entendre parler ! » La jeune épouse avait rapidement cessé toute recherche sur son mari disparu. La police, les hôpitaux, les compagnies de chemin de fer… Il pouvait être n’importe où et il n’était nulle part. Elle en avait assez de tous ces regards

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1