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Les Arbres ont aussi leur histoire: Un roman provencal
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Les Arbres ont aussi leur histoire: Un roman provencal
Livre électronique228 pages3 heures

Les Arbres ont aussi leur histoire: Un roman provencal

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À propos de ce livre électronique

Une famille italienne s'installe en Provence et plante un arbre particulier.

Au cœur de la Provence, on se souviendra toujours de cette famille venue d’Italie. À peine arrivé, le père avait planté trois branches de peuplier rapportées de son pays dans son maigre balluchon. Des années plus tard, lorsque le fils Cesario, à la naissance de sa fille, veut perpétuer la tradition, il déclenche cette fois-ci une véritable révolution. L’arbre pousse si bien qu’il devient rapidement envahissant. Un véritable phénomène qui attire les foules ! Parfois, on entend le tremble chanter, même parler. Certains lui prêtent des pouvoirs, d’autres assurent qu’il les a guéris… Alors que les plus sages grondent et que les plus vindicatifs sont interloqués, les imaginations s’enflamment. Faudra-t-il abattre l’arbre pour retrouver la tranquillité ? Dans une ambiance des plus méridionales, au parler excessif et imagé, voilà une histoire aussi curieuse que mystérieuse, aussi amusante qu’émouvante, avec une pincée de fantaisie, ce petit grain de sel qui fait toujours rêver ! Ce roman est préfacé par Françoise Bourdon.

Sous le soleil de Provence, découvrez une histoire aussi curieuse que mystérieuse, aussi amusante qu’émouvante, avec une pincée de fantaisie, ce petit grain de sel qui fait toujours rêver !

EXTRAIT

Le soleil allait se coucher, lorsque la charrette du charbonnier laissa Cesario près de Contardon, et celui-ci marcha à travers champs pour rejoindre sa maison. Soudain, il changea d’idée et décida d’aller jusqu’à Sauveterre voir si son blé avait poussé au cours de son absence, s’il n’avait pas eu besoin d’être arrosé ou s’il n’avait pas perdu la moitié de sa semence. Il entra sur ses terres par le haut du champ et fut surpris de voir du monde rassemblé au pied des frênes. Des femmes, en particulier, discutaient haut et faisaient de grands gestes. Inquiet, il pressa le pas, et il les fit sursauter en s’approchant.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Vous n’avez jamais vu de peuplier, c’est ça ?
— Ah si ! Pour sûr qu’on en a vu ! N’empêche qu’un dans son genre, vois-tu, ça ne court pas les rues ! Approche-toi, regarde ! Tu en connais beaucoup, toi, qui continuent de pousser alors qu’on les a coupés en deux ? Il était comme ça avant ton départ ?
— Qu’est-ce que c’est que cette fable ? Quelqu’un l’a touché ? Qui l’a plié, sacrebleu ? On ne peut pas partir tranquille, sans trouver, à son retour, le diable sur les lieux !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Les ouvrages d'Alysa Morgon contiennent une petite musique, qui va piano, qui vous accompagne tout au long des histoires qu'elle invente pour vous. Une petite musique qui fait chanter le coeur des hommes. - Françoise Bourdon
A la lecture de cet excellent ouvrage, vous ne regarderez plus les arbres de la même façon... - Binchy, Binchy.canalblog.com

À PROPOS DE L'AUTEUR

Avec un remarquable talent de conteuse, Alysa Morgon entraîne les lecteurs dans des aventures touchantes et palpitantes. Dans chacun de ses romans, ils retrouvent les couleurs, les senteurs, les coutumes et les traditions provençales, celles d’une Provence qui a malheureusement disparu aujourd’hui. Alysa Morgon est née en Provence. Elle y passe toute son enfance et sa jeunesse, entreposant méticuleusement dans sa mémoire des souvenirs qui nourriront son imagination de romancière des années plus tard. À vingt ans, elle change d’accent et s’installe dans les Hautes-Alpes, où elle réside encore aujourd’hui (Gap).
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie7 sept. 2018
ISBN9782848867182
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    Aperçu du livre

    Les Arbres ont aussi leur histoire - Alysa Morgon

    Préface

    Une petite musique

    Il est des affinités en amitié qui ne s’expliquent pas (point n’en est besoin) et résonnent comme des évidences. Il en est ainsi pour Alysa et moi.

    J’admire l’inspiration d’Alysa, particulièrement riche et originale, capable de transcender la cueillette d’un bouquet de génépi ou l’acquisition d’un miroir en bois d’amandier. Autant de prétextes à faire vivre sous nos yeux un village, une famille, avec leur atmosphère à nulle autre pareille.

    Vous pensez parfois deviner quel chemin suit notre amie ? Eh bien, croyez-en mon expérience, vous vous trompez ! Elle nous entraîne, l’air de rien, vers des sentes de traverse, là où nous ne l’attendions pas, déroule le fil de son histoire, marque une pause, reprend… Alysa est une conteuse-née, doublée d’une musicienne hors pair. Elle évoque pour moi la Karen Blixen de La Ferme africaine, qui tenait son auditoire en haleine des soirées entières. Son amour des mots, son sens du rythme, nous emportent, loin, là où les arbres bossus mutilés renaissent, où l’on retrouve sur un banc les personnes tant aimées de leur vivant, là où le merveilleux côtoie la réalité du quotidien.

    Alysa est née à Calas, en pays aixois, tout près du lac du Réaltor, là où les grands chênes, les platanes et les peupliers croissent à loisir. Des peupliers semblables à ceux de ce roman.

    Saint-Exupéry l’a écrit : « On est de son enfance comme on est d’un pays. » Ce pays aixois, Alysa l’a gardé au cœur, et sait le faire revivre, rien que pour nous, avec infiniment d’amour et de talent. L’amour de la terre, des arbres, de l’eau, si précieuse, et de sa Provence, l’authentique, qui fait chanter son accent, sans oublier l’amour des hommes, car ils ne sont pas si mauvais, au fond, l’amour des familles, celles du sang comme celles du cœur, qui vous tiennent chaud et ne vous abandonnent pas…, caractérisent l’œuvre d’Alysa Morgon.

    Mais ce serait presque trop simple ! Les ouvrages d’Alysa contiennent aussi autre chose. Une petite musique, qui va piano, qui vous accompagne tout au long des histoires qu’elle invente pour vous. Une petite musique qui fait chanter le cœur des hommes.

    Françoise Bourdon

    1871. L’hiver s’était installé avant l’heure et apportait, dans son cortège, de basses températures qui avaient surpris la plaine et la population, tandis qu’à son tour la neige avait fait une brusque apparition. Depuis quelques jours, toute la Lombardie tremblait, transie sous son édredon blanc, prisonnière de ce temps aigrelet et mordant. Un vent bâtard soufflait et aiguisait sa langue sur les sommets environnants, avant de redescendre en courant vers la vallée. Aussi les femmes étaient-elles obligées d’ajouter du bois dans les poêles, et les hommes de fendre encore des bûches pour mettre dans les cheminées. Drôle de situation en vérité, qui n’améliorerait certes pas la triste condition de la pauvre Gabriella ! Qu’allait-elle donc devenir alors que sa vie et celle de ses enfants n’étaient que misère et chemin de croix ? D’ailleurs, la pauvrette avait passé la nuit à réfléchir et, à l’aube, bien que le soleil n’ait point montré le bout de son nez et la ville de Pinatello point ouvert ses volets, Gabriella, elle, avait pris sa décision et ne cessait plus de pleurer.

    Plus tard, dans les ruelles, un vent glacial soufflait par rafales. Ainsi, même si la neige fondait, chacun restait chez soi et le silence installé semblait bien résolu à régner partout à la fois en maître absolu. Seuls les pas de la femme et des deux gamins qui l’accompagnaient résonnaient sur les pavés. Le plus jeune des garçons, Teobaldo, refusait d’avancer et tirait la main de sa mère pour l’obliger à retourner d’où ils venaient, persuadé qu’il avait laissé là-bas son jouet. Oh ! pas grand-chose en vérité : un ours en carton velouté déjà bien usagé, recouvert de laine et de poils clairsemés, mais qu’il affectionnait et dont il ne se séparait jamais. Comment avait-il pu l’oublier ? Simplement parce qu’ils étaient partis très vite, à moitié endormis, sans manger, sans boire un peu de lait, et que, dans la précipitation, l’ours minuscule avait été abandonné sous la fine couverture râpée qui recouvrait une maigre paillasse de fortune. Pour faire cesser ses larmes, Gabriella finit par lui promettre :

    — Patience, mon petit ! Demain, je te l’apporterai.

    Cela calma le bambin qui continua de soupirer et de frotter ses yeux pour rester éveillé, sans savoir où il allait.

    De son côté, Marco, tête baissée, énervé, du bout de ses souliers envoyait des pierres au loin comme pour se venger de quelque chose ou de quelqu’un. Mais il ne disait rien. Enfin, leur mère s’arrêta près d’un grand portail en fer, peint en noir et sur lequel était écrit en vert clair : Orfanatrofio di San Pietro. Marco leva les yeux, lut le nom inscrit et hocha la tête parce qu’il venait de comprendre ce qu’il se préparait. Mais il continua de se taire tout en gardant les sourcils froncés et les poings fermés de colère.

    Gabriella posa une maigre valise aux pieds des garçonnets, caressa la joue du plus jeune et passa sa main dans les cheveux bruns du plus grand. Puis, le regard troublé par l’émotion, elle souffla, résignée :

    — Santo cielo ! Che miseria ! Eppure, è questo che devo fare per loro. È meglio cosi. Poveri bambini ! Povero me !

    Ensuite, elle tira d’un coup sec sur la poignée qui fit s’agiter la clochette de l’orphelinat Saint-Pierre, et le timbre guilleret et clair monta jusqu’au ciel encore étoilé. Après avoir donné un dernier baiser à chacun, Gabriella s’éloigna de trois pas, puis se mit à courir sans se retourner pour disparaître tout à fait, une fois passé le coin de la rue.

    ***

    Teobaldo, qui était devenu un homme maintenant, était toujours torturé lorsqu’il songeait à ses premières années d’enfance, parce qu’il était incapable d’expliquer ce passé. Cette période restait pour lui un mystère, un grand trou blanc rempli de la neige d’antan. Il n’avait point connu ses parents, ou si peu qu’il les avait vite oubliés. L’unique chose dont il se souvenait était un petit ours brun en peluche qu’il avait perdu, sans pouvoir dire où, ni pourquoi, ni comment. Seul, Marco, de quatre ans son aîné, avait pu lui confier quelques bribes sur ce qu’il s’était passé, et en particulier cette scène devant l’orphelinat de Pinatello. De fait, lui aussi avait été marqué par ce matin d’hiver peu ordinaire où, en un instant, leur vie et tous leurs rêves avaient basculé. Teobaldo était bien trop jeune à cette époque, pour se rappeler à présent quoi que ce soit, hormis la religieuse qui avait ouvert la porte et pris sa main illico. Lui n’avait été impressionné que par ses grandes cornettes blanches. Il se souvenait vaguement d’un jardin qu’ils avaient traversé, et des longs couloirs cirés qui les avaient menés à l’immense dortoir dans lequel, par la suite, il se rappelait avoir fait d’horribles cauchemars. Son frère parlait peu, et n’était point affectueux. En outre, il ne s’occupait guère de lui. Du reste, au bout de quelques mois, un soir, penché pour l’embrasser, il lui avait dit sans s’expliquer : « Ne t’attache pas à moi. Dorénavant, vaut mieux que ce soit chacun pour soi et qu’on parte chacun de son côté. » En confirmation à ses dires, peu de temps après, Marco, qui était un gamin brutal et arrogant, fut envoyé dans une maison de redressement, et Teobaldo se retrouva seul à Pinatello. Durant les premières années, il avait espéré que sa mère reviendrait le chercher ou qu’elle lui apporterait son ours bien-aimé. Le dimanche, en particulier, il l’attendait, assis en haut des escaliers, avec bon nombre de ses compagnons d’infortune. Mais Gabriella ne revint jamais.

    Dès ses huit ans, avec cinq autres gosses de son âge, on le fit monter dans une charrette afin de le conduire à la ferme des Abris pour travailler dans la peupleraie. Là, plus qu’à l’orphelinat, il se sentit prisonnier, car il savait qu’à cet endroit personne ne viendrait le chercher. Son travail consistait à grimper au sommet des pioppi – dans ce pays, c’était ainsi qu’on appelait les peupliers –, et le jeune garçon s’imaginait être accroché au sommet du mât d’un bateau en train de lutter dans la tempête. Sa besogne, et celle de ses compagnons, consistait à les étêter. Mais Teo craignant le vertige, c’était pour lui une véritable pénitence, pour ne point dire un lourd fardeau. Afin d’éviter de tomber, il se cramponnait aux branches, même aux plus fines, aux plus flexibles, qui, elles, se balançaient encore plus fort et sans arrêt. De quoi être effrayé ! Parfois, il devait prendre des poses malaisées et se tenait alors arc-bouté, en équilibre précaire, tendant le bras et son corps tout entier pour couper les branches au-dessus de sa tête, pendant que la peur lui serrait le ventre et que son cœur se retournait dès qu’il apercevait le sol trente mètres plus bas. S’il ne pouvait pas redescendre pour calmer ses haut-le-cœur, il vomissait alors son repas sur un compagnon plus âgé, chargé, lui, de rassembler en tas toutes les branches coupées. Illico, celui-ci s’écriait, mécontent : « Tu n’as pas fini de cracher tes boyaux ! Attends que j’aie filé, bourricot ! Tu m’en fous plein la tronche ! Penche-toi de l’autre côté, piètre niais ! » Mais le pauvre Teo faisait bien ce qu’il pouvait. Avant de grimper, il n’oubliait jamais d’adresser une prière à la Vierge Marie, afin que la lombarde ne se mette pas à souffler quand il serait en train de tailler. Seulement, le vent n’en faisait qu’à sa tête, et pas qu’à moitié. Teo espérait que, dès qu’il serait redescendu sur la terre ferme, on ne l’obligerait pas à remonter parce qu’il n’en avait pas assez coupé. Pourtant, malheureusement, c’était souvent le cas lorsque le tronc bougeait trop dans les bourrasques. Ainsi, la journée terminée, il affichait un teint de papier mâché, un visage plus vert qu’une olive, et cela faisait rire et se moquer les autres garnements qui l’appelaient alors « Coule l’huile », sans que personne se soit apitoyé.

    Au fil des ans, vu que le garçon était d’un caractère docile, il avait fini par se lier d’amitié avec Silvio, le petit-fils du propriétaire. Le grand-père Mattei ne voyait pas cela d’un bon œil, car il n’aimait pas Teo ni tous ceux venus de l’orphelinat de Pinatello. Dès lors, entre eux, c’était la guerre, et l’homme se plaisait à leur faire remarquer qu’ils n’étaient que des orphelins, et qu’il leur faudrait trimer s’ils voulaient rester sur sa ferme demain. « Que des voleurs, des va-nu-pieds, des fils de rien ! » criait-il quand il était en colère. Et il crachait par terre, à côté des souliers éculés de ces petits abandonnés, debout, tête baissée, en train d’attendre qu’il ait fini de hurler. Silvio, plutôt timide et effacé, n’avait pas le tempérament de son grand-père, ce patriarche redouté qui menait d’une main de fer son fils, les employés, et tout le domaine des Abris. Malgré tout, contre vents et marées, quand ils le pouvaient, les deux galopins jouaient ensemble, et le fils de la maison laissait souvent gagner son copain. Maigre cadeau, c’était certain, mais qui faisait plaisir au petit orphelin. Il arrivait que Silvio lui donnât un morceau de gâteau en cachette, ou qu’il partageât avec lui son goûter. Un jour, il alla jusqu’à oser voler sur l’étendage deux paires de chaussettes ! Certes, elles étaient bien usagées, mais Teo les avait acceptées sans une hésitation, pour la bonne raison qu’il n’en avait point. Quand ils furent plus grands, à l’automne, les parties de chasse les réunirent dans la forêt. Là, Silvio prêtait volontiers le fusil à Teo, parce que celui-ci se montrait beaucoup plus adroit que lui pour tirer. Puis, à l’âge adulte, lorsqu’ils étaient tous deux attablés au café du village, Silvio offrait à boire à son ami, et, en retour, s’il avait en poche quelques économies, c’était Teo qui payait sa tournée. Il s’agissait toujours d’heures chaleureuses, entre partage et amitié. Néanmoins, Teobaldo ne s’habituait pas à la solitude, et souvent l’angoisse le gagnait lorsqu’il voyait sa vie ainsi, toute tracée, se poursuivre jusqu’à sa mort sur ces dures terres des Abris, chez le vieux Mattei.

    Enfin, un matin de printemps – alléluia ! – apparut la belle Anita ! Elle venait de l’orphelinat de Tortolla et avait été placée aux Abris pour s’occuper du linge de la famille Mattei. Sans tarder, la vie sembla changer pour ces deux jeunes gens qui tombèrent rapidement amoureux l’un de l’autre. Et dès l’hiver installé, le travail étant moins important, le patron ne vit pas d’inconvénient à ce qu’ait lieu la noce. Depuis, même s’il n’en disait rien, Teo se sentait devenir ambitieux et prêt à entreprendre la plus grande folie dont tout le monde parlait ici, et que beaucoup avaient osé tenter avant lui : partir vivre à l’étranger ! En effet, à la ferme, de nombreux gars discutaient de cette migration qui avait lieu depuis quelques années. Bien sûr, plusieurs étaient revenus déçus, ou ruinés, obligés de trimer le double afin de pouvoir rembourser leur créancier. Toutefois, le plus grand nombre était resté en France, du côté de la Provence, et les lettres qu’ils écrivaient vantaient leur nouvelle vie grâce à laquelle ils s’enrichissaient petit à petit. De quoi faire rêver et encourager tous ceux qui attendaient leur tour pour s’en aller. Pour sa part, Teobaldo ne voulait plus se contenter de patienter. D’ailleurs, ce soir, avant d’entrer dans leur petite chambre, il regarda une dernière fois la lune de mai en train d’inonder d’une douce pâleur toute la peupleraie, et, sans parler, il montra à Anita ce qu’il tenait caché dans un vieux sac.

    — Che cos’è ? lui demanda-t-elle à mi-voix.

    — Ce sont des plans de pioppi.

    — Le hai rubato ?

    — Penses-tu ! Je n’ai rien volé. J’ai pris trois jolies branches parmi toutes celles que Basilio a coupées tantôt pour les donner aux chèvres et aux brebis. Foutues pour foutues, j’ai préféré prendre les plus droites, les plus belles, et ni vu ni connu ! Je ne vais pas les payer, pauvre de moi, avec ce qu’on m’a fait trimer jusque-là ! Bien que, s’il l’apprenait, je sais que le vieux Mattei m’obligerait à le dédommager. Mais bon, l’occasion a fait le larron ! J’ai entouré chaque pied d’un bon nid de terre, je l’ai enveloppé d’un chiffon mouillé et j’ai plié le tout dans du papier journal chipé à la cuisinière. Ainsi, les boutures seront protégées et pourront attendre le moment où nous aurons rejoint notre destination pour les planter.

    Face aux yeux étonnés d’Anita, il ajouta :

    — Nous allons les emporter, et je les repiquerai quand nous serons installés. De cette façon, nous aurons près de nous un bout de notre pays ; et quand ils seront devenus grands, nous les entendrons nous chanter la canzonetta, Anita ! « La canzone del vento nelle foglie », c’est ce que tu dis, n’est-ce pas ? Ma, attenzione ! Sans attendre, il faudra que tu le dises en français : « la chanson du vent dans les feuilles » ; tu le sais. Et tant pis si tu gardes un brin d’accent italien. Moi, je te comprendrai !

    Teo se mit à rire, puis la prit dans ses bras pour l’encourager. Mais tout angoissait Anita, la faisait frémir, sans qu’elle puisse se retenir ni expliquer pourquoi.

    — Non è possibile, non è possibile…, chuchotait-elle dans son cou, tandis que les larmes coulaient.

    Comme il faisait beau, ce jour, sous le ciel d’Italie ! La terre exhalait un parfum d’origan et les grands peupliers murmuraient dans le vent une charmante mélodie. Le couple était prêt, les bagages chargés. Pas grand-chose en réalité, hormis une petite caisse de vaisselle, un maigre ballot de draps et de couvertures, ainsi qu’un balluchon de quelques vêtements. Deux chaises et une cruche en terre, trois poules et deux lapins – enfermés dans des paniers d’osier – étaient accrochés à la selle du mulet. Un mulet que Teo avait acheté pour une bouchée de pain à un paysan qui voulait s’en débarrasser parce que l’animal, estimait-il, avait fait son temps. N’empêche que, ce matin, il avait l’impression d’avoir réalisé une bonne affaire, vu que la bête avançait d’un bon train, faisant oublier son âge et mentir l’ancien propriétaire !

    Teobaldo marchait d’un pas alerte, puis, au détour du chemin, il se tourna une ultime fois pour regarder la ferme des Abris allongée en contrebas, telle une chatte en tapinois. Il put distinguer le jardin et, à côté, l’immense peupleraie qui semblait l’abriter de ses longues plumes alignées. La plantation formait un vrai damier où chaque carré était composé d’arbres de différentes grandeurs : ceux qu’on venait de repiquer – de quelques centimètres – jusqu’à ceux qu’il faudrait couper sans tarder parce que leur pointe se cognait au ciel à plus de quarante mètres de hauteur. Au loin, la ville de Pinatello fermait l’horizon, enroulée dans un manteau de brume, laissant presque penser qu’elle souhaitait se faire oublier, le front plissé sous ses lauzes brunes. Teobaldo poussa un long soupir et reprit le chemin qu’on lui avait indiqué. Celui-ci filait en courts lacets superposés en direction du Passo del Viaggio. Un nom prédestiné, « le col du Voyage », et rempli d’espoir pour celui qui l’empruntait aujourd’hui. Il l’emmènerait demain sur le côté opposé de la montagne, vers la France, devenue en quelques années un pays de cocagne. Teo avait l’impression de fermer une lourde porte, derrière laquelle resteraient cachées ses années de travail et de misère, l’essentiel de sa vie. En fait, il ouvrait une voie beaucoup plus légère qui le guiderait vers l’espérance et la félicité. Du moins était-ce ce que tout le monde lui avait souhaité.

    L’homme tirait le mulet par la bride, et de l’autre main il tenait Anita. Elle n’arrêtait pas de pleurer depuis qu’ils avaient franchi le lourd portail en bois de la propriété des Abris.

    – Mamma mia ! Ma che cosa stiamo facciando, Teo ?

    Celui-ci lui répondit d’une voix douce et affectueuse pour tenter de la consoler :

    — Nous faisons ce que nous pouvons et ce que nous devons, cara mia. Peut-être que dans quelques années nous reviendrons… Tu as entendu ce qu’a dit le vieux Mattei ? À la ferme, il n’y a plus de travail pour moi aujourd’hui. Alors, c’est mieux que nous nous en allions avant que naisse notre enfant. Ailleurs, nous pourrons lui offrir une vie différente. En tous les cas, une plus belle que celle que nous avons connue, ma chérie, faite de larmes et de nombreux soucis.

    Il l’embrassa, la serra dans ses bras, avant de reprendre leur marche

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