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À l'ombre de l'olivier
À l'ombre de l'olivier
À l'ombre de l'olivier
Livre électronique434 pages6 heures

À l'ombre de l'olivier

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À propos de ce livre électronique

Italie, 1919. À la suite du décès tragique de sa mère, la jeune Rosalie Longo doit quitter sa famille pour se réfugier dans une région voisine, chez Fillippo, un oncle vivant en ermite et qu’elle connaît à peine. Peu à peu, Rosalie développera des liens avec les gens de son village d’adoption, dont Mirko, qui gère une plantation d’oliviers, et pour qui ses sentiments dépasseront bientôt la simple amitié. Malheureusement, leur amour se révèle impossible, car le jeune homme est destiné à la prêtrise. Parallèlement, à Montréal, Dr Charles Paradis fait son entrée à l’Asile Saint-Jeande- Dieu, où il espère révolutionner la médecine et améliorer le sort de ses patients. Il devra cependant réussir à vaincre les vieilles mentalités et les préjugés de son propre milieu envers la maladie mentale. Devant la montée du fascisme en Italie, Rosalie, Mirko et leur famille respective décident de plier bagage pour aller s’établir à Montréal. Les destins de Charles, de Rosalie et de Mirko se retrouveront dès lors inéluctablement entrelacés. Mais les temps sont incertains et l’adversité semble les poursuivre sans relâche. Les nombreux défis auxquels ils devront faire face entraveront-ils l’amour et la passion qui grondent chacun dans leur coeur ?
LangueFrançais
Date de sortie7 févr. 2024
ISBN9782897839062
À l'ombre de l'olivier
Auteur

Claudine Rongione

Née d’un père italien et d’une mère québécoise, Claudine Rongione s’est inspirée de son histoire familiale et de son expérience en milieu hospitalier pour créer cette série d’époque qui ne laisse jamais le dernier mot au malheur, mais toujours à l’espoir.

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    Aperçu du livre

    À l'ombre de l'olivier - Claudine Rongione

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : Des horizons incertains / Claudine Rongione

    Nom : Rongione, Claudine, 1970- , auteure

    Rongione, Claudine, 1970- | À l’ombre de l’olivier

    Description : Sommaire incomplet : tome 1. À l’ombre de l’olivier

    Identifiants : Canadiana 20230078591 | ISBN 9782897839062 (vol. 1)

    Classification : LCC PS8635.O54 D47 2024 | CDD C843/.6–dc23

    © 2024 Les Éditeurs réunis

    Illustration de la couverture : Jonathan Ly

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Édition

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    lesediteursreunis.com

    Distribution nationale

    PROLOGUE

    prologue.ca

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder.

    Résistez et votre âme se rend malade à force de languir ce qu’elle s’interdit.

    OSCAR WILDE

    Note de l’auteure

    Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes serait une pure coïncidence. Je souhaite tout de même préciser que je suis la fille d’un père italien et d’une mère québécoise francophone. Une partie de ma famille a immigré à Montréal, bien après la période où se déroule mon histoire, mais les nombreux défis et l’intégration dans une communauté demeurent tout de même un enjeu de taille, peu importe l’époque. Je voulais refléter cet aspect dans ce livre.

    Les personnages gravitant autour de l’Asile Saint-Jean-de-Dieu à Montréal sont fictifs. Aucun employé, aucune religieuse ni aucun patient de l’institution ne font partie de mon histoire. De nombreuses heures de recherches, lectures et visionnements d’archives m’ont permis de représenter, un tant soit peu, le quotidien des années 1920 à Montréal et également en Italie.

    Des éléments et lieux historiques font partie de l’œuvre, mais sont présents pour enrichir l’histoire, ce qui en fait un roman d’époque. Certains noms, par exemple ceux des villages en Italie, ont été inventés, mais les régions et cette beauté toute particulière de ce pays sont bien réelles.

    Je vous raconte donc les tribulations de trois personnages attachants dont le destin s’entremêlera dans les pages qui suivent. La science, la religion et l’amour guideront Charles, Mirko et Rosalie vers cette quête du bonheur. Bonne lecture !

    Prologue

    Basilique Notre-Dame, Montréal, samedi 6 septembre 1924

    Rosalie se tenait debout dans le narthex de la basilique Notre-Dame, devant les grandes portes. L’architecture et ses deux tours étaient inspirées de celles de Notre-Dame de Paris et de Saint-Sulpice. De l’autre côté, elle entendait le murmure des voix des invités. Elle devinait aisément son futur époux se tenant à l’avant, les yeux rivés sur les mêmes portes qu’elle regardait avec appréhension. Cette attente était interminable. Lors de l’entrée de Marguerite, sa meilleure amie, elle dissimula mal son sombre visage.

    — Oublie ça, Rosalie, ils n’arrivent pas, soupira-t-elle.

    — Mais quand nous sommes parties, ils étaient prêts et attendaient Arturo.

    — Faut croire qu’il n’est toujours pas rentré à la maison et qu’ils ne viendront pas. Il est peut-être encore saoul quelque part.

    Rosalie sentit les larmes jaillir. Elle aurait souhaité que sa sœur, Anita, soit à ses côtés pour son mariage, sa famille… Elle allait vivre toute seule cette journée. Du bout de son mouchoir, Marguerite épongea la larme sur la joue de la future mariée.

    — Je suis désolée pour toi. Attention que ton beau maquillage ne coule pas.

    Les mots que Rosalie voulait dire semblaient coincés dans le fond de sa gorge. Elle souffla.

    Son amie lui replaça doucement le voile qui recouvrait sa tête, fixé de chaque côté des oreilles avec des fleurs assorties au bouquet de roses que la jeune femme tenait entre ses mains tremblantes.

    Encore une fois, son oncle Arturo venait gâcher la journée qui devait être la plus belle de sa vie. Le serait-elle, la plus belle ? Soudain, les doutes l’assaillaient de toutes parts. Peut-être avaient-ils précipité le mariage ? Mais d’un autre côté, elle n’avait plus le choix de penser à son avenir. Il était maintenant exclu de mettre sa vie sur pause encore trop longtemps.

    Puis la grande porte s’ouvrit enfin. Elle releva la tête avec un fol espoir… Mais ce n’était pas celui qu’elle attendait !

    1

    Village San Marco, région de Campanie, Italie, mars 1919

    Cinq ans plus tôt…

    Recroquevillée sur le fauteuil usé et décousu, Rosalie s’était endormie, épuisée. Un hurlement terrible la fit sursauter. De stupeur, elle ouvrit les yeux pour réaliser que le temps s’était écoulé rapidement. La lumière du soleil plongeait vers le sol de la pièce, par la fenêtre. Elle se questionna à savoir si sa mère, Éléanora, criait ainsi depuis longtemps ou si elle venait tout juste de commencer à exprimer sa souffrance.

    Elle était seule dans la petite pièce sombre, faiblement éclairée par la lueur du jour. Une table ronde en bois servait de coin-repas. Un long comptoir d’ardoise surmontait une armoire où logeaient vaisselle dépareillée et aliments. Un grand récipient de grès y était déposé et servait de réservoir d’eau potable tirée du puits à l’extérieur.

    La maison n’était pas très grande, mais chaleureuse avec son jardin fleuri et parfumé. Une porte camouflait une toilette sèche qui, lors des chaudes journées d’été, empestait l’endroit. Un escalier attenant à l’unique pièce permettait de se rendre au deuxième étage où se trouvaient deux lits, tout juste séparés par un rideau élimé. La mère et la fille dormaient dans la même chambre. Bientôt, ils seraient trois. Un petit berceau de bois d’olivier avait été ajouté.

    Rosalie entendit avec stupéfaction un autre cri de sa mère, ressemblant à une longue plainte de douleur. Elle si calme habituellement. Elle ne la croyait pas capable de hausser la voix si fortement. Sa grand-mère racontait souvent des histoires horribles d’accouchements. Elle aidait régulièrement les femmes du village à mettre au monde des bambinos, comme elle aimait les appeler.

    Délicatement, elle se toucha le ventre de la main et put ressentir l’affolement de sa mère. Elle eut l’impression alors de partager un peu la souffrance de cette femme qui mettait au monde un petit frère ou une sœur. Elle fit la grimace et se leva difficilement, les jambes complètement engourdies. Elle tenta de défroisser sa robe défraîchie de la paume de la main et prit un grand verre d’eau pour étancher sa soif. Elle avait très faim. Rosalie entreprit de combler son estomac avec un restant de pain et une purée d’abricots préparée par sa grand-mère. En quelques minutes, son festin fut avalé. Au moins, Éléanora et elle n’avaient pas à se priver de viande et de sucreries durant le carême, car leur garde-manger était déjà pratiquement vide.

    Elle s’avança devant le miroir, légèrement fissuré au milieu, qui était accroché au mur du fond. Elle se pinça les joues afin de donner plus de couleurs à son teint. Ses grands yeux rêveurs, à l’iris brun, étaient encadrés de longs cils qui rendaient son regard à la fois émouvant et expressif. Son visage d’un ovale parfait, son nez court et droit, ainsi que son menton volontaire définissaient ses traits délicats. Elle replaça désespérément quelques boucles brunes, qu’elle portait courtes. Ses cheveux épais étaient difficiles à coiffer. Elle arqua un sourcil en pensant que sa mère se trompait lorsqu’elle lui parlait de sa beauté. Aucun jeune homme jusqu’à maintenant ne l’avait approchée. Je ne dois pas être très attrayante, se dit-elle.

    D’autres cris retentirent à l’étage, lorsque subitement la porte d’entrée s’ouvrit comme un coup de vent. Arturo entra en trombe dans la pièce. Il avait la mâchoire crispée et ses pupilles dilatées exprimaient l’agitation. Il avait les lèvres proéminentes et rouge vif, mais son expression demeurait figée. Il était un colosse et prenait toujours les gens de haut. Ses tempes grisonnantes trahissaient son âge. Il était aussi beau que le père de Rosalie, mais ses traits étaient plus durs. Il tourna la tête vers l’escalier lorsqu’il entendit crier de nouveau. Son profil permettait de voir son long nez fin pointer tel celui d’un chien de chasse.

    Rosalie s’installa alors sur la chaise et déposa son verre d’eau presque vide.

    — Est-ce que ça fait longtemps qu’Éléanora se lamente ainsi ?

    — Non, je ne pense pas. Je viens de me réveiller, répondit-elle sèchement.

    Il lui jeta un bref coup d’œil, puis entreprit de gravir les marches une à une, lentement, comme incertain qu’il serait le bienvenu. Sa main tremblait sur la rampe. Il s’arrêta un moment, rendu en haut de l’escalier, et Rosalie ne pouvait plus voir son visage. Après un long soupir, il continua son ascension.

    — Comment va-t-elle ? l’entendit-elle demander à sa grand-mère.

    — Ce n’est pas le moment, Arturo. Descends rejoindre Rosalie. Je t’appellerai lorsque le bébé sera là.

    Rachele avait pris un ton doux, mais ferme. Rosalie était intriguée par sa voix, car sa grand-mère n’avait pas l’habitude de s’adresser à elle de cette façon. Par contre, elle s’avoua que la vieille femme semblait se tempérer souvent en présence de son fils, Arturo. La forte personnalité de Rachele prédominait la plupart du temps.

    Sans bruit, il redescendit de l’étage. Le visage tendu et triste, les yeux perdus dans le vide, il vint s’asseoir en face de Rosalie et mit ses deux mains à plat sur la table. Un son guttural s’échappa de sa gorge.

    Elle n’avait jamais vu son oncle si dévasté. Après tout, peut-être était-ce vrai qu’il aimait sa mère ? Entendre sa souffrance lui semblait de toute évidence insupportable, tout comme pour elle.

    — Veux-tu un peu d’eau, mon oncle ? demanda-t-elle poliment.

    Un autre cri encore plus effrayant le fit sursauter. Rosalie tenta de comprendre pourquoi c’était lui, l’adulte expérimenté, qui semblait si effrayé. Elle avait presque dix-sept ans et on la traitait encore comme une enfant, ce qui l’irritait beaucoup. Peut-être était-ce parce qu’elle était une fille, tout simplement.

    Elle n’avait jamais assisté à un accouchement, mais entendait différentes histoires à ce sujet. Pour son oncle, il était visible qu’il n’avait jamais eu connaissance des circonstances entourant la naissance. C’était une affaire de femmes, comme se plaisait à le dire Rachele. Rosalie pensait également qu’il pouvait se sentir coupable d’être en partie la cause de la souffrance de sa mère. Intérieurement, elle se réjouit de son accablement. Qu’il souffre un peu, pensa-t-elle. C’était la faute d’Arturo si Rosalie et sa mère avaient dû quitter leur jolie maison au village pour se terrer à la montagne, dans cette vieille bicoque qui tombait de plus en plus en ruine.

    Voilà un peu plus d’un an que son père, Oscar, était mort. Il avait été capitaine dans l’armée italienne et avait combattu férocement durant les quatre dernières années pour finalement s’écrouler sous les balles en janvier 1918. Il avait été un père attachant et aimant. Toute son enfance heureuse auprès de ses parents lui procurait aujourd’hui des souvenirs douloureux. Jamais plus elle ne pourrait le revoir. Elle se remémora sa prestance, son beau visage avec une magnifique moustache qui retroussait de chaque côté des lèvres et dans laquelle elle s’amusait à glisser son doigt pour faire une jolie boucle. Il riait lors de ces moments. Avant la guerre, il était forgeron au village. Après l’école, Rosalie le rejoignait à son travail, s’occupait seule pendant un moment, puis son père et elle rentraient à pied ensemble à la maison. Ils vivaient à la sortie du village, tout près de la demeure de sa grand-mère. Un grand potager, à la charge de sa mère, leur procurait des tomates et différents légumes à l’année. Mais ces moments magiques partagés avec son père s’étaient envolés.

    Oscar et Arturo étaient frères, mais la complicité ne définissait nullement leur relation. L’année dernière, après le décès d’Oscar, et à son retour à la vie civile, Arturo avait pris l’habitude de venir à la maison soutenir Éléanora dans sa peine. Elle qui s’était retrouvée veuve à un si jeune âge. Il avait échappé, lui, à la mort dans les tranchées. Il était entreprenant, presque harcelant avec elle et, malgré ses protestations continuelles, il avait fini par s’immiscer dans leur vie. Puis, la mère de Rosalie avait annoncé sa grossesse. Rachele avait exigé qu’elles s’installent dans la montagne, le temps de mettre au monde cet enfant, à l’abri des commérages. Ce bébé était la honte de la famille. Il n’était pas question pour la matriarche de la famille Longo de détruire leur réputation pour une erreur commise par son fils cadet. Une solution serait alors envisagée à la suite de la naissance du petit ou de la petite. Un mariage peut-être. Horreur ! pensa Rosalie. Elle préféra chasser ses élucubrations, mais constata amèrement qu’ils étaient maintenant rendus à cette suite.

    Qu’allaient-elles devenir ? Rosalie avait déjà, à cause de lui, quitté ses amies et sa petite vie, qui avait été jusque-là tout à fait normale et remplie de bonheur. Elle détestait Arturo. Le voir souffrir en ce moment lui procurait une certaine satisfaction.

    Affichant un air désespéré, elle s’extirpa de ses pensées en entendant à nouveau sa mère. Elle aurait voulu abréger ses douleurs, mais comment ? Sa grand-mère lui avait interdit l’accès au deuxième étage et, avec sévérité, lui avait ordonné de se tenir tranquille. Entendre sa mère geindre de la sorte épouvantait Rosalie.

    Des encouragements venant de Rachele résonnèrent du haut de l’escalier.

    — Allez ! Pousse ! Pousse ! clama-t-elle avec vigueur.

    Cette fois, une longue lamentation s’éternisa et se termina dans un grognement presque animal. Un silence de quelques secondes suivit, puis le cri perçant et vif du bébé remplaça celui de sa mère.

    Arturo se leva d’un bond en renversant la chaise derrière lui et monta en trombe les marches qui le séparaient de son enfant. Rosalie retenait sa respiration et tenta d’interpréter les murmures provenant de l’étage. Pourquoi était-elle encore mise à l’écart ? Pourquoi on ne l’appelait pas ? Un accès de fureur la gagna. Elle s’élança vers l’escalier, mais à la première marche s’immobilisa, le souffle court. Un bourdonnement incessant envahit ses oreilles. Sa mère était-elle vivante ? Elle n’entendait pas sa voix, ne détectait pas d’indices qui lui auraient permis d’être rassurée. Elle reprit un rythme plus lent, incertaine de ce qu’elle allait trouver en arrivant dans la grande pièce sans porte. Elle tira sur le rideau. Rosalie aperçut, avec stupeur, les draps blancs maintenant maculés de sang. Une odeur âcre, inconnue, lui monta violemment au nez. Au pied du lit, Rachele s’affairait entre les jambes remontées de sa mère, laissant entrevoir une masse inerte rouge et du liquide. La vieille femme ne remarqua pas la présence de sa petite-fille, trop affairée à prodiguer des soins à la nouvelle accouchée.

    Des serviettes et des linges souillés jonchaient le sol. Rosalie approcha lentement et tenta de retenir sa respiration pour se fondre dans la pièce. Elle ne distinguait pas la voix de sa mère. Il devait lui être arrivé malheur, puisque le silence s’éternisait. Le nouveau-né avait cessé de pleurer et émettait à présent de drôles de petits sons. Arturo, les yeux rougis, semblait ému.

    Rosalie découvrit Éléanora tenant un petit paquet au creux de son bras. Ses longs cheveux fins et noirs s’étalaient sur l’oreiller et offraient un contraste saisissant avec sa peau blanchâtre, presque transparente. Ses grandes pupilles vertes admiraient le bébé. Le cœur de la jeune fille se gonfla d’émotions et l’émerveillement éclaira ses traits. Elle dut remonter dans ses souvenirs les plus lointains pour retrouver l’image du merveilleux sourire de sa mère, celui qu’elle adressait parfois avec tendresse à son père. Ses fines lèvres s’étiraient avec délicatesse et illuminaient son visage, à présent paisible.

    Arturo était agenouillé à côté du lit, une main enveloppant le poupon. Toute la rancœur que Rosalie avait ressentie plus tôt envers son oncle s’envola. Intérieurement, elle le remerciait pour cet air enjoué sur le visage de sa mère, comme s’il en était responsable. Elle était rayonnante malgré ses traits tirés.

    — Rosalie ! l’interpella Rachele sur un ton de reproche.

    — Non, Rachele. Laissez-la, supplia Éléanora doucement sans détourner son regard de son aînée. Viens, bella, viens rencontrer ta petite sœur.

    La bouffée de fierté qu’elle sentit envahir son être l’entraîna doucement vers le lit et c’est à ce moment qu’elle la vit pour la première fois. Sous la lueur des multiples chandelles allumées dans la pièce, Rosalie remarqua alors sa peau rose, ses joues rebondies et ses paupières ouvertes sur la vie. Ses yeux la fixèrent avec curiosité et elle, avec amour. C’était ce bébé qui permettait au bonheur de les rattraper. C’était par cette enfant que passait toute la gratitude de Rosalie de voir à nouveau sa mère au comble de la félicité. Son attention tournée vers sa petite sœur fit en sorte qu’elle n’entendit pas sa grand-mère l’appeler.

    Soudainement, le teint blanchâtre du doux visage d’Éléanora vira au gris, puis celle-ci ferma les paupières. Son thorax continua à se mouvoir sous les respirations, ce qui rassura quelque peu la jeune fille.

    — Rosalie ! Rosalie !

    Elle se tourna vers Rachele qui insistait.

    — Prends le bébé et descends. Allez, dépêche-toi, lui ordonna-t-elle en la chassant de la main. Et toi, Arturo, va chercher le médecin. Je veux qu’il vienne immédiatement, car elle perd beaucoup trop de sang. Vas-y !

    Sortant de sa torpeur, il se releva d’un bond, caressa de sa main le front de la femme qu’il semblait aimer, puis quitta la pièce en trois enjambées.

    Délicatement, Rosalie prit le petit paquet sous les multiples couvertures blanches. Les mouvements des lèvres du bébé semblaient former un cœur. Tendrement, elle embrassa sa mère sur une joue qui lui parut trop froide. Éléanora ne bougea pas. Rosalie dirigea un regard un peu affolé vers Rachele qui ne levait pas les yeux d’entre les jambes de sa belle-fille. Elle sortit de la pièce doucement et redescendit avec son précieux trésor entre les bras.

    Elle s’installa au fauteuil en continuant d’observer cette minuscule étrangère, pour qui elle avait déjà le cœur rempli d’un amour inconditionnel. Elle n’était plus seule maintenant en ce 20 mars 1919.

    2

    Montréal, Canada, 11 avril 1919

    Charles Paradis claqua la portière de la voiture et contempla, le torse gonflé de fierté, la bâtisse grise qui s’élevait devant lui. La longue allée qu’il venait d’emprunter avec l’auto, un modèle Ford noir à deux portes, pour se rendre devant l’Asile Saint-Jean-de-Dieu dans le quartier de Longue-Pointe de Montréal était bordée d’ormes immenses et de platanes allongés qui donnaient une impression d’arche d’honneur digne des plus beaux châteaux d’Europe. Il lissa sa barbiche pâle avec ses doigts et s’approcha de son ami Paul qui descendait à son tour du véhicule. Celui-ci déposa son chapeau pork pie marron sur sa tête et lui adressa un large sourire.

    — Alors, docteur Paradis, prêt ?

    Charles lui répondit avec une expression rayonnante sur son beau visage. Sa stature imposante et son regard gris perçant commandaient le respect. Ses traits séducteurs plaisaient à la gent féminine et on se retournait souvent sur son passage. D’un geste souple, il ajusta le veston de son complet trois-pièces en tweed sombre et bien taillé.

    — Plus que jamais, docteur Houle ! Allez, viens, ajouta-t-il d’un ton confiant.

    Les deux hommes s’avancèrent vers l’immense entrée de l’asile. La bâtisse en pierres de cinq étages s’allongeait de chaque côté, ce qui en faisait une façade majestueuse. Charles observa les nombreuses fenêtres afin d’entrevoir les différents pavillons construits de chaque côté de l’allée.

    — Je continue de croire que tu aurais dû venir seul à cet entretien.

    — Mais non, j’ai mon plan tout ici, dit Charles en se coiffant de son chapeau à son tour et en cognant avec son doigt deux petits coups sur sa tempe. Je vais te présenter et il verra que mes projets de recherche sont du concret.

    — Ouais, il ne comprendra pas comment il se fait que je travaille dans un autre hôpital et que je me retrouve devant lui.

    — Tu es mon partenaire, un point, c’est tout.

    Charles était même allé chez le barbier pour faire couper ses cheveux blonds très courts et être rasé de près. Il arborait la barbiche et la moustache bien fines et taillées. Sa mère lui avait toujours dit que la première impression de l’image que l’on projette reste à jamais gravée dans la tête des gens que l’on rencontre. Ils passèrent donc la porte d’entrée et se dirigèrent vers le bureau ovale qui faisait office d’accueil. Une jeune femme les salua poliment.

    — Que puis-je faire pour vous aider, messieurs ?

    Elle avait un certain entrain dans la voix. Charles ôta son chapeau et lui offrit son sourire le plus charmeur qui illumina instantanément ses traits réjouis.

    — Nous avons rendez-vous à dix heures avec le docteur Patenaude, le chef de la psychiatrie.

    — D’accord, un instant, je vous prie.

    Elle leur désigna des fauteuils en cuir, puis disparut.

    Ils s’installèrent en observant les alentours. Le hall d’entrée, entouré de hautes fenêtres, grouillait de membres du personnel, vêtus d’uniforme blanc, qui marchaient avec empressement. Charles remarqua deux religieuses qui sortirent en lui adressant un léger signe de tête au passage. Il s’agissait de sœurs de la congrégation de la Providence¹, qui gérait cet établissement, comme plusieurs hôpitaux dans la province du Québec.

    Le jeune psychiatre perçut alors la nervosité de Paul qui balançait sa jambe croisée. De toutes les années passées à ses côtés à l’Université, c’était la première fois que son ami semblait inquiet. Enfants, ils avaient partagé jeux, complicité et surtout espiègleries. Ils avaient décidé d’étudier ensemble la médecine, bien conscients qu’il y aurait une saine compétition pour leur permettre de se dépasser. Par contre, lorsqu’ils étaient arrivés à l’échéance de leur formation, leur chemin commun s’était séparé en deux directions, Charles ayant choisi la psychiatrie et Paul, la médecine générale. Charles avait exprimé sa déception face au choix de son compère, car il croyait sincèrement que Paul possédait toutes les aptitudes pour œuvrer dans un domaine qui lui aurait conféré une admiration et un statut que le généraliste avait moins en réalité. Par contre, il n’était pas surprenant que Charles ait choisi la spécialité la plus critiquée qui soit. C’était justement cela, le pari pour ce jeune médecin, il aimait défier les autres à sa façon et aspirait à de grandes percées en matière de recherches scientifiques.

    — Est-ce que tu veux prendre un verre ce soir au club ? s’enquit Paul. Nous fêterons le référendum sur la vente d’alcool !

    — J’ai lu les résultats dans Le Devoir de ce matin. Nous avons eu gain de cause. On pourra acheter de l’alcool pendant que nos voisins dans le reste du pays continueront de subir la prohibition.

    — Tu parles ! Nous aurons encore plus d’Américains de ce côté-ci de la frontière.

    — Merci pour l’invitation, mais ce soir, j’ai d’autres plans.

    — Ah ! Pas encore ! Tu ne m’avais pas dit que tu arrêtais de trafiquer avec ce Lucien ?

    — Bientôt, mon cher, murmura Charles en baissant volontairement le ton de sa voix. C’est la dernière fois que j’utilise le local de l’Université.

    — J’espère ! Car dans peu de temps, nous n’y serons plus et tu te feras attraper.

    — Mais non, je trouverai un autre endroit. Ne t’en fais pas, dit-il en s’exprimant comme s’il s’agissait d’un sujet banal.

    — Charles ! Ne me dis pas que tu feras ça ici même ?

    Il lui sourit triomphalement. Paul souleva les yeux vers le ciel, exaspéré.

    — Bonjour, messieurs, dit une femme tout près d’eux. Je me nomme Jeanne Montour, je suis la secrétaire du docteur Patenaude. Veuillez me suivre.

    Charles contempla la jeune femme devant lui. Elle portait une robe marron, cintrée sous les hanches, qui laissait entrevoir les formes de son corps et dont le tissu s’arrêtait juste en bas des genoux, dévoilant des jambes délicatement fuselées. Une nouvelle mode féminine qu’il appréciait de plus en plus. Elle avait une chevelure brune sublime, avec de légers reflets cuivrés, qui balayait ses épaules à chaque mouvement de tête. Subjugué par sa beauté, il se leva pour la suivre. Paul lui emboîta le pas.

    Talonnant cette dernière de quelques mètres, ils observèrent sa silhouette en circulant d’un pas rapide, longeant de nombreux et interminables couloirs.

    — Ça, c’est mon type de femme, chuchota Charles à son ami.

    — Mais elle est mariée !

    — Comment le sais-tu ?

    Charles haussa un sourcil, tout en conservant des yeux fascinés sur son déhanchement attrayant.

    — Elle porte un jonc, ici, ajouta Paul d’un ton sérieux tout en agitant son annulaire gauche devant lui.

    — Mais tu connais ma devise : ce n’est qu’un bijou après tout, répliqua-t-il en lui adressant un clin d’œil.

    Paul s’étonna, puis son visage s’éclaira d’un sourire moqueur, reconnaissant la personnalité de son ami.

    — Je te le rappellerai le jour de tes noces !

    Ils croisèrent un petit train électrique d’intérieur, ressemblant étrangement à un minuscule tramway, avec un chauffeur à bord. À l’arrière, des boîtes remplissaient deux wagons fabriqués en bois et le reste des compartiments étaient occupés par des religieuses assises.

    — C’est fou comme cet asile doit être grand pour avoir besoin d’un transport intérieur afin de se déplacer, siffla Paul en échangeant un regard étonné avec Charles.

    — C’est le cas de le dire, c’est vraiment fou ! s’esclaffa-t-il.

    Ils s’arrêtèrent enfin devant la table de travail de la secrétaire et en déduisirent qu’il s’agissait de celle de Jeanne qui stoppa subitement ses pas en projetant un parfum d’ambre vers eux.

    — Veuillez attendre un instant, messieurs. Je reviens, poursuivit-elle en leur adressant un sourire discret.

    Elle poussa la porte du bureau du patron. Ils entendirent leur courte conversation, puis Charles dévisagea Paul.

    — Allez, viens me voir serrer la main de celui que je remplacerai un jour, railla-t-il.


    1. Plusieurs congrégations de religieuses catholiques intervenaient auprès des pauvres et des malades. Celle des sœurs de la Providence de Montréal fut fondée par Émilie Gamelin en 1843 et elles ont ouvert l’hospice en 1844.

    3

    Village Santa Maria, région des Pouilles, Italie, printemps 1919

    Mirko arrêta sa bicyclette à l’arrière de l’église. Comme à l’habitude, il la posa près du mur de l’entrée. La porte était entrouverte, probablement laissée ainsi afin que les gens y aient accès facilement.

    Pour l’occasion, il avait mis son pantalon de toile ample qu’il portait le dimanche. Il secoua la poussière de sa chemise blanche à l’aide de son béret et resserra son veston, en proie à un frisson.

    C’est le curé Giuseppe Caboga qui l’avait fortement incité à venir à cette assemblée. Bien que Mirko ne portât jamais attention aux discours politiques de son frère Angelo, qui était très engagé, il était curieux d’assister à cette rencontre, puisqu’une partie des hommes du village, le curé et même le maire y seraient.

    Il descendit vers le sous-sol de l’église, là d’où provenaient les voix des citoyens rassemblés. Il fut surpris de constater qu’il y avait au moins une cinquantaine d’hommes massés dans la grande pièce enfumée et mal éclairée. L’air y était étouffant. Mirko n’avait plus froid, il suffoquait maintenant. Le lutrin de l’église était installé dans un coin et une longue table avec des chaises, probablement pour les invités, trônaient à l’avant. Plusieurs hommes étaient assis, tandis que d’autres demeuraient debout, l’endroit n’ayant manifestement pas de chaises disponibles pour tous. Les dirigeants ne devaient pas avoir prévu qu’il y aurait autant de participants.

    Très vite, Mirko repéra le curé qui lui fit un signe de la tête. Puis il remarqua Filippo, assis dans la dernière rangée. Il se questionna sur les raisons qui avaient motivé le vieil homme à venir à ce genre de réunion. Probablement par curiosité, tout comme moi, pensa-t-il en se dirigeant vers son ami.

    — Qu’est-ce que tu fais ici, Filippo ? demanda Mirko en s’installant à ses côtés.

    Le vieil homme sursauta et conserva un air sérieux en voyant Mirko. Il fit la moue. Filippo avait des cheveux grisonnants, peu abondants, et arborait, comme toujours, des traits figés et soucieux. Il était ridé comme si une lame de couteau s’était amusée à dessiner de multiples stries sur sa peau tannée.

    — Mais c’est à moi de te retourner la question, dit-il, surpris.

    — C’est le père Caboga qui m’a fortement recommandé de venir.

    — Ah bon ! déplora-t-il en observant le curé à l’avant qui s’avançait vers le lutrin. Il est donc plus impliqué que je ne le pensais.

    — As-tu vu mon frère ?

    — Oui, dit Filippo en le désignant de la tête, dans la deuxième rangée.

    Mirko tenta de l’apercevoir. Son frère Angelo était entouré de ses quatre amis, toujours les mêmes, constata-t-il. Depuis quelque temps, il avait délaissé le travail à la maison pour traîner avec cette bande. De plus en plus, son père craignait que son fils ne soit impliqué dans de quelconques manigances qui pourraient nuire à son futur.

    — Je sens que je n’aimerai pas ce que nous allons entendre ce soir, grommela le vieil homme.

    — Chut ! Ce n’est pas le moment, fit Mirko.

    Le père Caboga intima aux gens de se taire en levant les bras. Puis, d’un air sérieux, il prononça son discours, qui n’avait rien à voir avec son sermon du dimanche. Il portait sa longue soutane noire, son collet blanc et arborait un visage sévère dont les cheveux argentés et le teint blafard ne lui conféraient pas le halo lumineux qui l’enveloppait habituellement dans l’église.

    — Merci, messieurs, de vous être déplacés pour entendre ce que nous avons à vous dire…

    Un silence s’abattit sur l’assemblée, comme toutes les fois que le curé prenait la parole.

    — J’ai décidé de prêter cette salle pour cette réunion, car j’ai jugé que les propos et le mouvement que l’on commence à découvrir ces derniers temps doivent être entendus. Comme la bonne parole…

    Il fit une légère pause, puis reprit sur un ton ferme :

    — Il est important de défendre et de valoriser les principes religieux sur le terrain de la politique. Les deux demeurent indissociables, à mon avis… Et c’est l’opinion également du Vatican. Il faut demeurer fidèle à la tradition catholique. Le programme du Centro Nazionale dénonce la profonde déviation subie par le Parti populaire…

    Des murmures s’élevèrent dans la salle. Le curé cessa de parler et leva la main pour inciter les gens au silence.

    — Notre principale force est celle de la cohésion spirituelle et l’élévation morale et civile de tout le peuple italien ! Nous pouvons maintenant rechristianiser la nation et en faire une qui sera catholique. Je vais laisser la parole à notre maire, monsieur LaCorte.

    Des applaudissements fusèrent et l’homme ciblé prit sa place au lutrin. Mirko n’applaudit pas. Il était furieux de constater que le curé avait complètement prêté allégeance à ce type de parti. Selon lui, la religion ne devait pas se mêler de politique. D’autant moins si les frasques de son frère devenaient une norme et un type d’agissement préconisé par ce parti. La violence et les abus ne faisaient pas partie des convictions de Mirko et il sut que Filippo non plus ne cautionnait pas ces manigances lorsqu’il échangea avec lui un regard entendu.

    — Merci, mon père… et merci à tous de vous être déplacés. Je vois ici, dans cette salle, beaucoup de jeunes hommes et j’en suis fier ! Nos pertes ont été lourdes au cours des dernières années durant cette terrible guerre. Plusieurs de vos pères, vos oncles, vos amis, ne sont pas revenus du front…

    Des chuchotements fusèrent dans la salle.

    — Et tout ce qui avait été promis ne nous a pas été donné ! Certains ont perdu leur terre, leur entreprise ; le temps est donc venu pour nous de s’allier à Mussolini. Cet homme va nous aider à développer la force de la collectivité. Il ne faut pas baisser les bras. Nous devons utiliser notre énergie à nous entraider et non à

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