Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L’héritage des Danbury
L’héritage des Danbury
L’héritage des Danbury
Livre électronique378 pages5 heures

L’héritage des Danbury

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un précieux médaillon aux origines ambiguës refait surface grâce à Cynthia Caron, conservatrice de musée et ironiquement cambrioleuse d’artéfact. Cette amulette d’une autre époque mène la jeune femme et son compagnon Killian, pirate informatique de talent, jusqu’en Angleterre. Sur les traces d’une famille renommée, les Danbury, ils empiètent sur les platebandes d’un ennemi sans pitié: l’avocat Sean O’Connor.

Pour augmenter leurs chances de réussite et recouvrer un trésor depuis longtemps perdu, Cynthia et Killian s’allient à Viola Lennox, descendante directe d’une des célèbres soeurs pirates Danbury, ainsi qu’à Maximilien Cameron, archiviste atypique. D’un sombre caveau aux îles des Caraïbes, en passant par une banque dernier cri, le quatuor tentera par tous les moyens de découvrir le secret enfoui de Lord Christopher Danbury.

Chasses au trésor, batailles navales, complots, intrigues aristocratiques, pirates de légende, valses endiablées, périples en territoires hostiles… Suivez la grisante épopée des Danbury dans Élégance & Piraterie, une trilogie aussi riche en émotions qu’en péripéties.
LangueFrançais
Date de sortie16 oct. 2020
ISBN9782898180323
L’héritage des Danbury
Auteur

Charlène Nadeau

Diplômée du cégep de Sherbrooke en santé animale, Charlène Nadeau travaille depuis dix ans comme technicienne dans un laboratoire de recherche en pneumopédiatrie. Elle consacre son temps libre aux voyages, au volley-ball, à l’apiculture et, bien sûr, à l’écriture.

En savoir plus sur Charlène Nadeau

Auteurs associés

Lié à L’héritage des Danbury

Titres dans cette série (3)

Voir plus

Livres électroniques liés

Romance historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L’héritage des Danbury

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L’héritage des Danbury - Charlène Nadeau

    imagination !

    Prologue

    Octobre 1741, Londres

    Amber McCarthy, fille de Hyacinthe Danbury et de James McCarthy, se trouvait dans la résidence de ses grands-parents maternels. Une heure plus tôt, à peine débarquée du navire la ramenant de son aventure aux colonies, elle avait appris le décès de lord Christian Danbury, son grand-père. La jeune femme et sa famille s’étaient précipitées au domicile du défunt. Là, sa grand-mère lui avait confié les détails de l’événement. En raison de son âge avancé, le duc de Danbury s’était éteint deux semaines après leur départ. Amber n’avait pas entretenu de lien solide avec lui. Avec tous ses patients de l’aristocratie, il n’accordait pas beaucoup de temps à son entourage. Pourtant, elle savait qu’il l’avait aimée… à sa façon. Elle regrettait sa disparition, sans pour autant s’en trouver anéantie. Cependant, voir sa mère se faire violence pour contenir ses pleurs l’attristait.

    Lentement, Amber se dirigea vers Hyacinthe, qui voulut lui offrir un sourire rassurant, mais le cœur n’y était pas. Elle s’assit entre elle et sa tante Olivia. Cette dernière pensait sûrement à Jeffrey, son fils aîné, maintenant le nouveau lord Danbury. Au moment où les mains des deux sœurs entraient en contact avec sa peau, Amber se figea. Ses yeux se fermèrent et elle fut aspirée dans un monde inconnu. Des images sans suite défilèrent sous ses paupières, puis tout s’arrêta brusquement. Elle prit une grande goulée d’air et remarqua les regards interrogateurs des deux femmes. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Cherchant ses mots, elle observa le médaillon au creux de sa paume, un héritage de son grand-père. La partie supérieure était légèrement plus élevée que l’inférieure. De l’ongle, elle la repoussa et écarquilla les yeux. À l’intérieur du bijou reposait un bout de parchemin sur lequel on avait griffonné : 2015.

    Amber déglutit lorsqu’elle réalisa que ses visions ne provenaient pas de son imagination, mais vraisemblablement du futur. Les regards de sa mère et de sa tante lui pesaient. Elle effaça l’incrédulité de son visage et se composa un sourire rassurant avant de relever la tête.

    — Ce présent est magnifique n’est-ce pas ? déclara-t-elle, le médaillon serré contre sa poitrine. Je le chérirai à jamais, grand-mère, je vous le promets.

    Cette remarque parut satisfaire sa famille, car les conversations s’animèrent. L’atmosphère oscillait entre la tristesse du décès de lord Christian et la joie des retrouvailles après six longs mois de séparation. Lorsque tous se furent détournés d’elle, Amber quitta la pièce. La porte se refermait à peine qu’Abigail, sa cousine, se glissait à sa suite.

    — Amber, que se passe-t-il ?

    — Le médaillon m’a émue. Je ne m’attendais pas à recevoir un tel présent.

    Abigail posa les mains sur ses hanches, l’air buté. Sa cousine la connaissait trop pour se laisser duper. Amber soupira bruyamment et lui résuma le phénomène vécu plus tôt. Les yeux écarquillés, Abigail la regardait, éberluée.

    — Tu vois ! Je savais que tu ne me croirais pas. Avant de dire quoi que ce soit, laisse-moi te raconter…

    2

    Londres, Angleterre, 4 août 2015, en début d’après-midi

    —Calme-toi ! Calme-toi ! s’admonesta-t-elle à voix basse, se tordant les mains.

    Viola Lennox, professeure d’histoire émérite, se tenait devant la porte d’une salle de conférence. Ce n’était pas la première fois qu’elle présenterait ses recherches, mais son stress augmentait néanmoins de seconde en seconde. Elle redoutait la période de questions qui suivrait immanquablement, et un certain homme qui en tirerait avantage.

    Malgré elle, elle claquait du talon. Viola se reprocha sa poltronnerie, repoussa ses courts cheveux blonds derrière ses oreilles et expira bruyamment. Son travail la passionnait, voilà ce sur quoi elle devait se concentrer. Jamais encore elle n’avait eu un emploi aussi exigeant, mais il la comblait au plus haut point. Elle ferma ses yeux bleus et s’imagina dans la bibliothèque de l’Université de Cambridge, là où reposaient près de 12 millions de livres en tout genre. Elle se remémora l’odeur des vieux volumes et les gants de coton qu’elle enfilait pour en tourner délicatement les pages. Une douce quiétude l’envahit. La porte s’ouvrit et elle pénétra dans la salle, un léger sourire sur ses fines lèvres. Les applaudissements couvrirent le martèlement de ses talons hauts sur la céramique. Elle remercia l’assemblée d’un mouvement de tête et déposa sa mallette sur le bureau central. Viola y glissa la main à la recherche de son pointeur favori et retint un soupir de soulagement lorsqu’elle le trouva. Puis, relevant la tête, elle s’assura que le titre de sa conférence s’affichait sur la toile de projection avant de faire face à son public.

    — Bonjour à vous, je me présente, professeure Viola Lennox, de l’Université de Cambridge. Mon exposé se tiendra sur l’importance de notre ascendance sur notre vie moderne. Dans la société actuelle, le mot d’ordre est consommation, autant matérielle qu’émotionnelle. De plus, avec les nouvelles technologies, il nous faut obtenir tout ce que nous désirons dans la seconde sinon notre patience s’évanouit. Par exemple, les femmes ne veulent plus avoir de règles. La solution instantanée ? La pilule ! Et si un jour, elles souhaitent avoir un enfant et que cela ne marche pas dans le mois suivant celui où elles arrêtent leur méthode de contraception, elles prennent rendez-vous chez le médecin. Hormones, injections, comprimés s’ensuivent. Les gens ont oublié ce que prendre son temps signifiait, plaida-t-elle en se promenant dans la salle de conférence. Cependant, je ne suis point là pour vous parler davantage de cela. Vous vivez déjà dans cet environnement, je n’ai donc pas beaucoup de choses à vous apprendre à ce sujet. Voici plutôt le but de ma visite… Moi ! proclama-t-elle après un clin d’œil complice en direction de l’auditoire.

    Son arbre généalogique s’afficha à l’écran.

    — Ou, plus exactement, mes ancêtres. Certains d’entre eux ont vécu au jour le jour, comme la plupart d’entre nous. Tandis que d’autres, pointa-t-elle, ont bouleversé l’histoire. Le dicton affirmant qu’une seule personne peut modifier le cours des choses a tout à fait raison. Mais est-ce qu’ils ont changé ma vie… ? À moi, leur descendante ?

    Sa question n’attendait pas de réponses, mais Viola laissa le temps aux gens d’en formuler mentalement une malgré tout.

    — Pour moi, férue d’histoire, chacun de mes ancêtres transforme mon univers. Il y a, par exemple, Christian, duc de Danbury, présenta Viola en affichant la peinture d’un séduisant lord anglais. Haut membre de l’aristocratie et consacré médecin de Sa Majesté George 1er quelques années après son brillant mariage avec lady Ève Westcliff. Il a été l’un des plus fidèles sujets du roi. Ce dernier n’était pas reconnu comme un grand souverain, mais son fils se montra bienveillant. Bon, je m’égare… Lord Danbury risqua même sa vie pour Sa Majesté, permettant à sa famille de passer à l’histoire. Pendant plusieurs années, il a veillé sur la santé de la royauté pour que ses membres puissent régner sur l’Angleterre en toute quiétude. Si lord Danbury n’avait pas été médecin, s’il n’avait jamais rencontré sa femme, lady Ève Danbury, et eu sa fille Olivia, ou encore, s’il n’avait pas servi George 1er, serais-je ici aujourd’hui, entre les murs d’une magnifique salle de conférence, à vous parler de ma passion : la nature humaine ?

    Viola avait réussi à capter l’intérêt de l’auditoire. Elle entretint la flamme jusqu’à la fin de sa présentation. Lorsqu’elle prononça la dernière phrase, elle fut soulagée. Une large main, à l’annulaire sertie d’une bague aisément reconnaissable, se leva. La quiétude toute neuve de Viola s’envola. Pourquoi cet homme la poursuivait-il de la sorte ?

    — Mister Cameron, quelle surprise de vous voir parmi nous ! s’exclama-t-elle avec une fausse amabilité.

    Maximilien Cameron, archiviste affecté au département d’histoire durant la récente année, ne la lâchait pas d’une semelle depuis qu’il l’avait rencontrée lors d’une précédente conférence. Toutes les têtes se retournèrent dans sa direction, ce qui ne lui déplaisait visiblement pas. Armé d’un sourire ravageur, vêtu d’un complet gris qui faisait ressortir ses yeux verts, il tendit les plis de sa veste en se levant.

    — Miss Lennox, tous mes éloges pour cette présentation des plus instructives…

    Viola serra le poing autour de son pointeur. C’était la troisième fois qu’il y assistait ; il devait la connaître par cœur. Elle aurait aimé qu’il arbore une vilaine verrue sur la joue, ou encore un tic choquant, mais non ; il était l’homme le plus séduisant de Londres. Et cette attirance ressentie à l’endroit de Maximilien augmentait sa frustration. À chacune de leur rencontre, il bombardait Viola de questions et prenait un malin plaisir à la regarder tenter de s’extirper de ce mauvais pas. Elle ne comprenait pas ce qu’il attendait d’elle

    — … dans celle-ci, vous expliquez de long en large la manière dont vos ancêtres ont une incidence sur votre vie. Mais qu’en est-il du futur ? Après tout, si notre passé influence notre présent, il en sera de même pour notre avenir. Non ?

    Cette interrogation, il y revenait toujours. Chaque fois, Viola lui servait la même repartie :

    — Le présent est éphémère, le futur… encore à déterminer et le passé, irrévocable.

    Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de Maximilien pendant que Viola se détournait pour répondre à une autre question. À sa grande stupéfaction, elle constata qu’il en restait là. Lui, qui argumentait habituellement pendant des heures, se contentait de la fixer intensément. Viola se détendit. Qu’il l’observe, du moment qu’il ne sapait pas sa crédibilité ! Trente minutes plus tard, après avoir salué son auditoire, elle rapatriait ses objets personnels. Au moment où elle bouclait son sac, Viola sentit une présence dans son dos. Après une légère inspiration, elle fit face à Maximilien ; le regard vert attira le sien. Comment pouvait-elle avoir envie de l’étrangler et de succomber à son charme en même temps ?

    — Eh bien, Cameron ! Quel plaisir de vous voir si assidu à mes conférences ! lâcha-t-elle d’un ton désinvolte en replaçant ses lunettes sur son nez. Avez-vous appris quelque chose d’intéressant aujourd’hui ?

    — Plusieurs choses en fait. La première, que le gris vous va à ravir. Ensuite, que vous êtes la femme la plus têtue que je connais ! Pourquoi refusez-vous toujours de répondre à ma question ? L’avenir vous effraie-t-il tant ?

    Viola se raidit. Cette fausse amabilité ne le mènerait nulle part. Il pouvait sûrement avoir n’importe quelle femme, pourquoi s’intéresser à un rat de bibliothèque comme elle ? Par ailleurs, oui, elle était terrifiée à l’idée de vieillir et de mourir. Tellement de souffrance, de solitude et de désespoir pouvaient accompagner les dernières années d’un être humain. Elle secoua la tête et se dirigea vers la sortie.

    — Si votre but était autre que de me ridiculiser, peut-être le ferais-je ! reprit-elle sur la défensive.

    — Moi ? ! Vous ridiculiser ? ! répliqua-t-il en se maintenant à sa hauteur. J’essaie seulement de vous préparer à toute éventualité.

    — Cela fait déjà plusieurs années que j’enseigne à Cambridge ; couvrir mes arrières est pour moi une seconde nature. Je n’ai donc aucunement besoin de votre protection. S’il advenait que je sois en danger, mon fiancé me défendra, inventa-t-elle en poussant une porte battante menant aux stationnements.

    — Vous avez peut-être des médecins dans votre famille, Viola, mais il se trouve que moi, j’ai des chevaliers. Il est contre ma nature de ne pas me porter à la rescousse d’une princesse. Qui est donc ce fameux fiancé ? Je n’en ai jamais entendu parler. J’aimerais bien le rencontrer.

    Viola fit volte-face, et manqua percuter son poursuivant de plein fouet. Les mains sur les hanches, elle le dévisagea, les yeux étincelants.

    — Premièrement, je ne suis pas une princesse, articula-t-elle. Deuxièmement, je vous le répète, je n’ai aucunement besoin de votre protection. Et Victor est un homme important qui ne perd pas de temps en conversations insipides. Vous n’avez donc aucune chance contre lui.

    — Qui a dit que j’étais intéressé ? lâcha Maximilien qui, bien qu’elle se soit inventé un fiancé, ne semblait pas en avoir fini avec elle.

    Lèvres pincées, Viola se dirigea d’un pas déterminé vers sa voiture. Un rire franc la fit tressaillir. Elle ouvrit violemment la portière et s’installa au volant. Elle le serra à s’en blanchir les jointures, appuya son front contre le caoutchouc froid et inspira profondément. Maximilien Cameron avait le don de l’agacer.

    Viola redressa la tête ; sa journée était terminée, il était temps de faire un tour au gymnase pour se défouler. Elle démarra. Comme elle se rendait là-bas à n’importe quelle heure, elle emportait toujours ses vêtements de sport. Le trajet ne lui prit qu’une dizaine de minutes.

    Viola entra dans la bâtisse et introduisit sa carte de membre magnétique dans le tourniquet. Après un léger signal sonore, elle pénétra dans le gymnase. Une odeur de transpiration, mêlée à celle d’un désinfectant, l’assaillit. Elle rejoignit le vestiaire des femmes. Après avoir changé de tenue et mis ses effets dans un casier, elle effectua quelques étirements, puis se posta devant les haltères. Elle en prenait deux lorsqu’une voix joyeuse l’obligea à retirer les écouteurs de ses oreilles.

    — Lennox ! Quel plaisir de vous revoir ! s’exclama un grand Noir engageant. Ça fait longtemps que vous n’êtes pas venue dans l’arène. Je commence à penser que vous avez peur de moi.

    Viola se redressa et lui rendit son sourire. À son arrivée au gymnase, Brian lui avait enseigné le kickboxing. Ce n’était pourtant pas son genre de sport, mais elle s’était prise au jeu. La patience de son entraîneur ne connaissait aucune limite. Et, à la fin de chaque séance, le corps fourbu et l’esprit enfin apaisé, Viola ressentait les bienfaits de ses efforts.

    — Disons que les classes et mes recherches me tiennent occupée, mais je prendrai rendez-vous avec vous dès que j’aurai un moment.

    — Pourquoi pas maintenant ? Vous commencez votre entraînement. Il n’est pas trop tard pour un échange ou deux. Et à voir votre mine, je suis certain que cela vous ferait le plus grand bien.

    Viola secoua la tête. Après une telle journée, cela pouvait mal tourner.

    — Non merci, Brian. C’est gentil, mais pas aujourd’hui.

    Les sourcils froncés, il la dévisagea.

    — Je crois que ce sera parfait, au contraire. Allez, sinon je demande à Larry, du kiosque des boissons protéinées, de venir vous chercher.

    Pour donner plus de force à son discours, il croisa les bras sur son impressionnant torse. Viola abdiqua.

    — Je vous suis !

    Le visage de Brian s’éclaira. Il la guida jusqu’à une pièce isolée, à l’autre extrémité de la salle. De minces matelas protégeaient les sportifs qui chutaient. Au fond, une cage servait aux combats singuliers. Brian se dirigea vers cette dernière. Sans attendre, Viola récupéra une paire de gants de boxe sur une étagère. Leur poids la surprit, comme chaque fois.

    Au centre de l’arène, Brian tenait un long coussin rembourré contre sa jambe.

    — En garde, Lennox. Regardons si vous n’avez pas perdu la main.

    Viola obéit, les poings au niveau de son menton. Brian commença par des enchaînements simples, pour augmenter sa pression artérielle et délier ses muscles. Viola essaya de vider son esprit pour peaufiner l’exécution de ses mouvements. Elle était une femme de recherche qui sacrifiait beaucoup de son temps à sa passion : l’histoire. La majorité des gens la trouvait folle d’en avoir fait son métier. Elle, elle ne se justifiait pas. Elle adorait fouiller dans les archives, à la découverte de trésors plus ou moins importants. Même si cela demandait de renoncer à une vie sociale exubérante. Un coup à l’arrière de la tête la surprit. Les yeux écarquillés, elle comprit qu’elle se laissait distraire par ses pensées. Une chance, ses lunettes étaient restées en place.

    — Désolée, s’excusa-t-elle piteusement.

    — Concentrez-vous, je regretterais d’abîmer un si joli visage parce que vous rêvassez.

    La réplique lui fit l’effet d’une douche froide. Viola acquiesça, se remit en garde sans lâcher un instant son adversaire du regard. Les ordres claquèrent comme un fouet ; elle obéit. Lorsque Brian tourna autour d’elle, Viola le suivit, un voile de sueur sur sa peau laiteuse, les mains moites dans ses gants et les bras engourdis. L’acide lactique l’obligeait à serrer les dents à chacun de ses mouvements. Ses coups manquaient de puissance, mais ils avaient le mérite d’être précis. Brian ne lui laissa aucun répit, allant même jusqu’à exiger sa dernière parcelle d’énergie. Ce ne fut que lorsque Viola lui demanda grâce qu’il s’arrêta enfin. Son souffle laborieux résonnait dans l’arène. L’esprit embrumé, elle s’allongea sur le tapis. Ce contact froid lui tira un gémissement de bonheur. Encore fringant, le jeune homme prit place à ses côtés en lui tendant une bouteille d’eau. Viola s’empressa d’y boire goulûment. Une fois désaltérée, elle la lui rendit et essuya son visage du revers de la main. Puis, elle plongea son regard apaisé dans celui de son entraîneur.

    — Merci, déclara-t-elle, essoufflée. C’est exactement ce dont j’avais besoin.

    Brian écarta ses paroles d’un geste de la main.

    — Ne me remerciez pas. Aucune femme ne devrait terminer sa journée dans un tel état.

    Viola hocha la tête. Elle pressa l’épaule de son mentor avant de se redresser. Une sorte d’euphorie l’envahit, elle se sentait légère. Après une douche rapide, elle regagna sa voiture, alluma la radio au maximum et prit la direction de la résidence familiale.

    3

    Estuaire du fleuve Saint-Laurent, près de Rimouski, 6 août 2015

    Cynthia resserra autour de sa taille la ceinture spécialisée qui contenait tous les instruments essentiels pour accomplir ses missions, outils de crochetage, poudre, batteries, et bien plus encore. Elle l’avait choisie pour ses nombreux compartiments et son étanchéité. Elle replaça ensuite la veste pare-balle sur sa poitrine. Étant toujours au premier plan, elle ne manquait jamais de la porter au cas où. Le bateau pneumatique sous elle s’agitait au gré des flots. Une vague plus forte que les autres obligea Cynthia à décaler son pied dans l’embarcation pour compenser. Ses cheveux noirs remontés en un chignon pesaient sur son cou et des gouttelettes d’eau salée lui éclaboussaient le visage. Elle essuya ses yeux verts du revers de la main en soupirant. Son navire cible n’était pas encore assez près ! Killian et elle avaient choisi cet emplacement pour éviter toute fuite de la part de leur proie. Le fleuve Saint-Laurent était reconnu pour sa traîtrise envers les navires de marchandises. Un expert en navigation embarquait d’ailleurs obligatoirement à bord des navires étrangers pour piloter, afin de s’assurer que la cargaison se rende à bon port. Seul point à surveiller dans le cas présent : les tuyaux d’arrosage à haute pression, un système conçu pour décourager les pirates de tenter un abordage.

    — Il sera bientôt dans notre champ d’action, l’encouragea Killian, son collègue et seul autre passager du pneumatique.

    La main sur la barre, Killian, travesti pour la circonstance en pêcheur, surveillait les instruments de navigation. Des mèches noires descendaient sur sa nuque.

    Cynthia acquiesça, inquiète. Ce n’était pas la première fois qu’elle volait de la marchandise sur des navires, et cela lui procurait toujours un mélange d’appréhension et d’excitation. Elle ajusta les lunettes à visions multiples sur sa tête, remonta la fermeture éclair de sa combinaison noire moulante, replaça ses gants et repositionna la demi-cagoule sur le bas de son visage.

    — Ils nous repèreront bientôt ; camoufle-toi, annonça Killian en rectifiant leur trajectoire.

    Cynthia se plaqua au sol et se recouvrit d’une bâche brune. La voix grave dans son oreillette la fit sursauter.

    — Prépare-toi à tirer. N’oublie pas, tu n’as qu’une seule chance.

    — Comme si je pouvais l’oublier, marmonna-t-elle entre ses dents.

    Elle rampa pour atteindre le fusil à ses côtés.

    — J’ai entendu, Cyn.

    Elle appuya la crosse de l’arme contre son épaule. Jambes écartées pour rester en équilibre, elle colla un œil sur le viseur : l’immense porte-conteneur les dépassait. Elle chercha sa cible. Sans aide radio, l’équipage ne pourrait pas communiquer avec la garde côtière et encore moins les suivre, après le cambriolage, jusqu’au port de Rimouski. Ils s’y débarrasseraient du pneumatique et passeraient la nuit dans un chalet. Très calme, Cynthia fléchit l’index. Sa respiration épousa le rythme des vagues. Tout s’effaça autour d’elle.

    — Maintenant ! lâcha Killian dans son oreillette, son accent anglais d’Angleterre augmenté par la nervosité.

    Cynthia appuya sur la détente. Son épaule fut projetée vers l’arrière lorsque le projectile s’envola. L’anneau magnétique s’accrocha au support métallique de l’antenne du navire. Ce petit appareil était spécialement créé pour envoyer des ondes électriques vers le centre de commande. Quelques secondes plus tard, Killian confirma qu’elle avait atteint sa cible pendant qu’il pianotait furieusement sur l’écran de sa tablette. Cynthia se découvrit et se protégea les yeux de ses lunettes.

    — Je coupe toutes les communications… je ralentis les moteurs… et je brouille les radars.

    Cynthia empoigna un grappin rétractable et attendit le signal. Après plusieurs longues minutes, Killian redressa la tête.

    — Tu peux y aller ! Estimons que tu as 20 minutes avant qu’un garde-côte ne s’interroge sur l’immobilité du navire.

    Cynthia se releva et, pour la seconde fois, visa et tira. Le sifflement de la corde qui se déroulait la fit grincer des dents. Dès que le grappin s’accrocha à un poteau de la rambarde, elle enclencha le mécanisme du moulinet pour tendre le fil. Elle porta sa main libre à ses lunettes et zooma sur la passerelle. Sur les cinq hommes qui s’y déplaçaient, deux couraient vers elle. Les autres étaient sûrement partis suivre la progression de Killian. Lorsque la pression sur le fil fut suffisante, Cynthia jugea la distance et s’élança au-dessus des flots. Jambes tendues, elle sentit ses pieds s’écraser contre la coque du bateau. Elle entama son ascension tout en poussant un juron retentissant. Les marins seraient vis-à-vis d’elle avant qu’elle atteigne le pont. Dès que la rampe fut à portée de main, elle abandonna le fusil et se hissa sur le navire. Déjà, un homme approchait. Cynthia s’aplatit au sol et faucha son adversaire, qui s’écroula dans un bruit sourd. Elle se redressa et lui décocha un coup de poing en pleine figure. Le deuxième opposant s’immobilisa et la jaugea. Elle s’élança vers lui, se laissa glisser sur le plancher et passa entre ses jambes. L’homme se figea, surpris. Cynthia se releva et, d’un coup de pied, l’envoya s’écraser sur son collègue.

    — Droit devant ! indiqua la voix tendue de Killian dans son oreille.

    Cynthia enjamba les deux hommes ébranlés.

    — Troisième rangée sur ta droite.

    Des silhouettes accouraient vers elle, Cynthia accéléra.

    — Killian, ils sont trop nombreux. Il me faut une diversion.

    — J’ai une idée. Fais-moi signe le moment venu.

    Cynthia sourit ; rien ne désarçonnait son associé et ami. Ses muscles entraînés s’échauffaient. Elle tourna selon les indications de Killian.

    — Ensuite ? demanda-t-elle, la main sur l’oreillette pour bien entendre la réponse.

    Un long silence s’ensuivit. Si Killian avait des ennuis, elle n’aurait aucun moyen de s’échapper ! Des hommes de l’équipage se rapprochaient.

    — Killian ? Killian !

    Un grincement lui vrilla l’oreille.

    — Je suis là, beauté. Désolé du temps mort. Ils sont plus coriaces que d’autres. Septième colonne, rang du bas, à gauche.

    Cynthia reprit sa progression. Elle tendit la main vers un compartiment de sa ceinture pour en sortir un microlaser.

    — Combien de temps ?

    — Moins de 10 minutes.

    Le laser rompit rapidement la chaîne l’empêchant d’accéder à la marchandise. Elle ouvrit le conteneur dans un grand fracas. Une quarantaine de caisses de bois, disposées le long des murs et solidement arrimées pour ne pas bouger dans le transport, s’offrirent à son regard. D’un clic sur ses lunettes, elle passa en lecture radiographique. Elle poussa un cri de joie en apercevant ce qu’elle cherchait. Les lunettes sur la tête, elle récupéra sa précieuse cargaison, une boîte de bois d’un pied par un pied. Son visage se fendit d’un sourire.

    — Je l’ai !

    — Pas pour longtemps ! s’exclama une voix dans son dos.

    Cynthia se retourna lentement et évalua la situation. Devant l’ouverture du conteneur se tenait un homme imposant, une barre à clous dans une main.

    — Et qui va me la prendre ? Vous ? J’aimerais bien voir ça.

    Elle avait plus de chance contre lui à l’intérieur qu’à l’extérieur ; moins il aurait d’espace pour se déplacer, mieux ce serait. Sans effectuer de gestes brusques, elle déposa son fardeau sur le plancher et laissa son adversaire approcher.

    — Une minute, murmura-t-elle en priant pour que Killian comprenne.

    L’arme fut projetée vers elle. Cynthia l’esquiva en souplesse et, d’un coup de pied, expédia son opposant au sol. Elle profita de ce court répit pour récupérer sa marchandise. Malheureusement, ce délai permit à l’homme de se redresser.

    — Tu vas payer pour ça, sale…

    — Chut ! Chut ! Chut ! l’interrompit Cynthia en effectuant un pas vers la porte. Ce n’est pas très poli de parler ainsi à une dame.

    La seconde suivante, un avant-bras musculeux l’étranglait. Ne pensant qu’à sa survie, Cynthia laissa tomber son précieux chargement pour se débarrasser de son assaillant. Malheureusement, il la dépassait d’une tête, si bien que ses pieds frôlaient à peine le plancher. Elle enfonça ses ongles dans la chair, sans succès. La poitrine de l’homme vibra contre son dos alors qu’il riait.

    — Essaie tant que tu veux. Tu ne m’échapperas pas.

    Une puissante déflagration retentit. Le dispositif accroché à l’antenne du radar comportait un explosif. Killian l’avait ajouté après un vol où les gardes étaient plus nombreux que prévu, quelques mois plus tôt. Surpris, l’homme relâcha légèrement sa prise. Cynthia se jeta en avant et le fit passer par-dessus elle. Elle récupéra la boîte avant le marin, qui se relevait péniblement, et courut vers la proue.

    — Où es-tu ? Il ne nous reste pas beaucoup de temps ! hurla-t-elle pour couvrir les rugissements du vent.

    — Continue ! Fais attention, ils ont enclenché le système d’arrosage.

    Elle jura tout en s’engageant dans le mince corridor bordant le flanc du navire. À tribord, les canons projetaient un volume considérable d’eau pour tenir Killian à l’écart. Cynthia entendit dans son dos un bruit de cavalcade. Que faire ? Elle n’avait pas d’autre grappin. Elle changea son colis de bras, fouilla dans une pochette de sa veste et en sortit un sac plastique où elle glissa sa précieuse cargaison. Concentrée sur sa manœuvre, elle percuta un grillage. Cynthia le secoua violemment et pesta devant le cadenas qui le barrait. Utiliser son laser prendrait trop de temps. Rebrousser chemin n’était pas une option ; cinq poursuivants la talonnaient de trop près. Elle chercha frénétiquement une autre issue. L’une de ses devises préférées lui revint en mémoire : « Si tu ne peux avancer ni contourner l’obstacle, vole ! »

    Cynthia releva la tête et sauta. Du bout des doigts, elle atteignit la plaque métallique au-dessus de la porte grillagée. Dans un effort considérable, elle passa l’une de ses jambes par-dessus cette dernière avant de se laisser glisser et s’accorda une seconde pour reprendre son souffle. Une fois atterrit sur la passerelle, elle sourit aux marins qui cherchaient frénétiquement les clés et continua sa course. Elle déboucha sur un espace sans conteneurs. Deux grandes poulies servaient à remonter les ancres. Prudemment, Cynthia s’avança vers le bastingage.

    — Je te vois, Cyn ! entendit-elle dans son oreillette. Que comptes-tu faire ?

    — Excellente question ! marmonna-t-elle, indécise.

    Habituellement, ses expéditions se déroulaient sans réelles complications. Cynthia se demanda où sa chance se trouvait. Elle évalua la distance qui la séparait de l’eau et déglutit. C’était la seule solution envisageable. Elle se déplaça pour ne pas se retrouver directement à l’avant du navire.

    — Derrière toi !

    Cynthia abaissa la demi-cagoule sur son cou. D’un léger saut, elle passa par-dessus bord. Les jets l’aspergèrent. La boîte serrée contre elle, le corps tendu, elle attendit

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1