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La renaissance des Danbury
La renaissance des Danbury
La renaissance des Danbury
Livre électronique376 pages5 heures

La renaissance des Danbury

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À propos de ce livre électronique

Vingt ans se sont écoulés depuis la première aventure des soeurs Danbury.

Amber McCarthy, fille unique de Hyacinthe et de James, veut à tout prix égaler le succès de ses parents, de vrais héros à ses yeux. Lors d’un bal où elle rejoint ses deux cousins et son oncle, un drame se produit. Lord Ratcliffe, un aristocrate imbu de lui-même, tente d’agresser Abigail. Une altercation s’en suit et l’offenseur est ramené chez lui, blessé et inconscient. Le quatuor est vite embarqué sur un navire marchand à destination de l’Italie, le temps que s’étouffent les rumeurs et le scandale.

Or, quelques jours après leur départ, les jeunes gens découvrent non seulement qu‘ils voyagent à bord d’un négrier, mais également que l’expédition est menée par nul autre que Ratcliffe! Son but? Rejoindre les colonies d’Amérique, où ses ennemis seront vendus comme esclaves…

Chasses au trésor, batailles navales, complots, intrigues aristocratiques, pirates de légende, valses endiablées, périples en territoires hostiles… Suivez la grisante épopée des Danbury dans Élégance & Piraterie, une trilogie aussi riche en émotions qu’en péripéties.
LangueFrançais
Date de sortie16 oct. 2020
ISBN9782898180293
La renaissance des Danbury
Auteur

Charlène Nadeau

Diplômée du cégep de Sherbrooke en santé animale, Charlène Nadeau travaille depuis dix ans comme technicienne dans un laboratoire de recherche en pneumopédiatrie. Elle consacre son temps libre aux voyages, au volley-ball, à l’apiculture et, bien sûr, à l’écriture.

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    Aperçu du livre

    La renaissance des Danbury - Charlène Nadeau

    Canada

    1

    15 avril 1741, Londres, résidence de la famille McCarthy…

    — Amber McCarthy ! Si tu ne viens pas immédiatement prendre ton petit-déjeuner, tu regretteras d’être ma fille unique, s’exclama une voix irritée que la jeune femme reconnut comme étant celle de sa mère.

    Un bref instant, elle tourna la tête vers l’injonction, mais reporta vite son attention sur le duel disputé avec son père. Elle bloqua le poing en direction de son visage et décocha un crochet dans les côtes. Son adversaire tressaillit sous l’impact, mais ne se déconcentra pas. Amber affrontait son paternel pirate, autrefois surnommé l’Aigle, depuis quelques années déjà. Elle savait qu’il fallait plus d’un coup pour le vaincre. Elle évalua la situation. Dans la grande salle du manoir familial, où l’espace était plus adapté que dans la salle d’armes, Amber observa son père. Bien qu’il soit dans la mi-quarantaine, il n’avait rien perdu de sa fougue. Le temps paraissait n’avoir aucune emprise sur lui et seules quelques mèches blanches aux tempes dévoilaient son âge. Ses yeux bleus la transperçaient alors qu’un sourire en coin étirait ses lèvres.

    — Quand ta mère t’a-t-elle enseigné tous mes points faibles ?

    Amber éclata d’un rire franc.

    — À la même époque où vous m’initiiez aux siens, père, répliqua-t-elle en se rapprochant.

    — Cela me semble… équitable.

    La tête inclinée, sourcils froncés, il réfléchissait à la manière de la déjouer. Amber releva les poings et tourna autour de lui. Dans le silence de la pièce, elle entendait le frottement des pans de son pantalon. Les bras couverts de sueur, la respiration sifflante, elle sentait l’énergie circuler dans son corps. Elle adorait cette sensation d’être à la fois éreintée et en pleine possession de ses moyens.

    Amber prit une profonde inspiration, se lança. Son pied s’éleva, mais fut repoussé. James contre-attaqua. Elle le bloqua et recula, encore et encore. Bientôt prisonnière du mur, elle changea de stratégie. Un enchaînement lui revint en mémoire. Elle attendrait le moment idéal.

    Après un coup vain, James ouvrit sa garde. Amber en profita, empoigna le poignet et fit décrire un arc à l’épaule. En deux pas, le corps de son père effectua un demi-cercle avant de s’écraser au sol. Amber s’assit sur James, un air victorieux éclairant son joli minois.

    — Alors, très cher père, suis-je toujours votre petite punaise ? ricana-t-elle en repoussant sa tresse noire dans son dos.

    Elle n’eut pas l’occasion d’en dire davantage qu’elle se tordait de rire sous les chatouillis. Amber suppliait son père d’arrêter lorsqu’une voix assurée s’en chargea.

    — J’aurais dû m’en douter ! Vous vous amusez tandis que moi, je m’arrache les cheveux pour vous faire préparer un repas digne de la royauté.

    Le rire tonitruant de James résonna avant qu’il ne se redresse, non sans éprouver quelques difficultés. Amber regarda son père se diriger vers sa mère. Lady Hyacinthe McCarthy l’attendait de pied ferme, les mains sur ses hanches. Ses yeux verts lançaient des éclairs. Malgré que James la surplombe d’une tête, Hyacinthe ne le trouvait point intimidant.

    — Joli cœur, nous ne pouvons nous en empêcher. De plus, poursuivit-il en prenant ses mains dans les siennes, je te rappelle que tu faisais de même à son âge. Combien de fois ta mère est-elle venue te chercher parce que tu te trouvais avec Jeffrey ?

    Décédé avant la naissance d’Amber, Jeffrey avait été le maître d’armes de Hyacinthe. Il avait perdu la vie durant l’aventure qui avait valu une certaine notoriété à la famille Danbury. Jeffrey avait appris à lady McCarthy et à sa sœur, Olivia, à se battre, à penser de manière stratégique et les avait suivies au-delà de l’océan. C’était à cette époque que James et Hyacinthe s’étaient rencontrés.

    Amber les admirait, ainsi qu’elle enviait leur complicité. Son père couvait sa mère d’un regard profond qui ne laissait aucun doute quant à la solidité de leur amour. Amber espérait, un jour, jouir d’une relation semblable.

    — Ce n’est pas la même chose ! Je m’entraînais toujours après le petit-déjeuner, s’indigna Hyacinthe.

    Amber sourit en voyant l’expression exaspérée de sa mère tandis que James relevait un sourcil ironique. Elle se porta à son secours.

    — Mère, c’est moi qui lui ai proposé cet exercice matinal. Dans le feu de l’action, nous n’avons pas entendu le son de la cloche.

    Pour sceller le tout, Amber afficha son air le plus contrit.

    — Vous faites vraiment la paire, soupira Hyacinthe, attendrie.

    James lui offrit son bras et tous trois se rendirent à la salle à manger.

    — Vous ne comptez pas vous changer avant de vous mettre à table ? ! s’exclama Hyacinthe en laissant James la guider. Votre odeur fera fuir les serviteurs et ce sera moi qui me retrouverai sans repas par votre faute.

    Elle ébaucha un sourire ; sa contrariété n’était que comédie.

    — Vous n’aurez qu’à porter du parfum. Ainsi, vous couvrirez notre odeur pestilentielle.

    — Ta mère ne porte aucun artifice, elle n’en a nullement besoin.

    Ils pénétrèrent dans la pièce et prirent place à l’une des extrémités de la table.

    — Si vous continuez à vous louanger à chacune de mes phrases, je vais finir par être malade, répliqua Amber.

    — Ce qui signifie davantage de nourriture pour nous, répliqua James en remplissant son assiette.

    — À ce que je vois, vous n’avez aucun intérêt pour ma santé. Si je m’effondre ce soir au milieu d’une valse et que je me fais piétiner, vous en serez très peinés.

    Ses parents échangèrent un regard entendu, avant de reporter leur attention sur elle.

    — Ma chérie, tu ne danses jamais dans ce genre de soirée, lâcha Hyacinthe avec un petit rire. La prochaine fois que tu nous menaces, n’oublie pas que nous sommes d’anciens pirates… nous adorons vivre sous pression.

    James sourit de la manière qui avait fait craquer Hyacinthe des années plus tôt. À l’époque, les parents des sœurs Danbury avaient été enlevés par un puissant membre de l’aristocratie : lord Smith. Pour se protéger, Hyacinthe et Olivia avaient dû s’engager dans la piraterie. Plusieurs mois après leur entrée dans ce milieu exclusivement masculin, elles les avaient retrouvés. Puis, elles avaient obtenu le pardon royal pour service rendu à Sa Majesté. C’était lors d’un bal que James avait vu sa future femme pour la première fois. Ça n’avait pas été un coup de foudre, mais Hyacinthe avait su capter son intérêt. Les deux pirates s’étaient affrontés pour ensuite tomber follement amoureux. Amber savait qu’elle n’aurait jamais le dernier mot face à ces hors-la-loi repentis.

    — Alors j’abdique, lâcha-t-elle. Je vais me régaler de ce succulent petit-déjeuner. Mère m’a promis une nouvelle robe. J’en profiterai pour dépenser un peu.

    — Tu peux avoir des centaines de robes, ma punaise. S’il n’y avait plus de place au manoir, je suis certain qu’Olivia et Andrew se feraient un plaisir de nous accueillir. Après tout, leur résidence est plus grande que la nôtre.

    Hyacinthe manqua s’étouffer avec sa gorgée.

    — Vivre sous le toit de ma sœur ! Nous subirions le bavardage incessant de notre fille et d’Abigail, sa cousine bien-aimée. Nous deviendrions vite sourds ! Chéri, il faut revoir nos priorités.

    Loin d’être contrarié, James prit la main de sa femme dans la sienne et y déposa un doux baiser.

    — Je cèderai mes vêtements avec plaisir, tant qu’il nous reste notre chambre à coucher…

    Amber grimaça de dégoût.

    — Beurk ! C’est de pire en pire !

    James et Hyacinthe éclatèrent de rire. Le petit-déjeuner se poursuivit sur le ton de la plaisanterie.

    Quelques heures plus tard, James Street…

    — Mère, pour quelle raison nous attardons-nous dans les échoppes ? demanda Amber en dépassant une boulangerie. Vous détestez faire des courses.

    Hyacinthe acquiesça. Cependant, elle cherchait un objet en particulier.

    — La patience est une vertu, ma chérie. Il te faudra apprendre à l’exploiter, elle t’évitera bien des ennuis.

    Hyacinthe sourit en entendant sa fille soupirer alors qu’elle l’entraînait vers un énième magasin.

    — Si je ne trouve pas ici, nous rentrerons, promis.

    — Bien, mère.

    Hyacinthe sentait un mal de tête germer ; c’était inévitable. À l’intérieur de la boutique surpeuplée, les effluves des fleurs, des encens et des parfums lui irritaient le nez. Tous les bavardages aux alentours lui donnaient envie de crier, mais en tant que membre de l’aristocratie, elle les supportait sans rechigner.

    — Dans quelques jours, nous célébrerons notre vingt-deuxième anniversaire de mariage, murmura-t-elle à l’intention de sa fille, tout en fouinant dans les différentes étagères. Je veux offrir quelque chose de spécial à ton père.

    — C’est donc cela ! Ma robe n’était qu’une diversion.

    — Oui. Sans toi, cette escapade dans les boutiques aurait éveillé les soupçons de James.

    Amber fronça les sourcils.

    — N’est-il point au courant de votre anniversaire ?

    Amber effectua un calcul rapide et réalisa qu’elle était née une année après leur mariage. Hyacinthe ricana.

    — Avec ton père, on ne sait jamais ! Nous nous sommes promis de ne pas nous offrir de présent, mais ce fripon ne tiendra pas parole et je ne veux pas me couvrir de ridicule. Ah ! Enfin…

    Elle s’empara d’une montre à gousset agrémentée de légers filigranes en or blanc. Exactement ce qu’elle cherchait.

    — Une montre ! Vous voulez lui offrir une montre pour votre vingt-deuxième anniversaire de mariage ? ! s’étonna Amber, peu convaincue de ce choix.

    — Oui. Elle lui rappellera que le temps n’a pas d’emprise sur notre amour.

    — Le pensez-vous réellement ?

    — Quoi exactement ?

    — Que l’amour peut durer indéfiniment ?

    Hyacinthe releva la tête et fixa son regard à celui de sa fille.

    — Plus que tout au monde ! Mais il y a un bémol, comme pour toutes choses importantes dans la vie. L’amour se développe, mais se cultive aussi. Tu ne peux espérer vivre heureuse avec un homme sans qu’il y ait de désaccords entre vous. Ce serait faire preuve d’inconscience.

    — De quelle façon y parvenez-vous ?

    Hyacinthe leva les yeux au ciel pour réfléchir à sa réponse.

    — Avec de la confiance et de la communication. Lorsque nous nous disputons, notre amour n’est jamais remis en cause. Nous mettons plutôt en évidence notre divergence d’opinions et concilions nos différents points de vue. Ainsi, la conversation ne va jamais dans une direction qui serait destructrice. Et pour finir, nous avons une magnifique fille qui nous apporte énormément de bonheur, conclut-elle en posant une main sur la joue d’Amber. Lorsque tu auras trouvé ton compagnon de vie, vous créerez ensemble l’équilibre qui vous conviendra.

    Amber acquiesça, en réfléchissant à ces paroles.

    — Savais-tu que ton grand-père, Christian Danbury, porte toujours sur lui un médaillon ressemblant étrangement à cette montre ?

    Amber secoua sa tresse.

    — Non, je l’ignorais.

    — Il ne s’en sépare jamais et, un jour, il m’a confié vouloir te le transmettre en héritage.

    Amber écarquilla les yeux, étonnée. Son grand-père n’était pas très présent dans sa vie. Hyacinthe lut la surprise dans son regard.

    — Je comprends ce que tu ressens. Malgré sa démission en tant que médecin du roi, il reste très demandé. Tous les aristocrates de la ville le réclament. Dire que mère pensait qu’elle passerait plus de temps avec lui !

    — Pauvre grand-mère.

    Lady Ève Danbury ne manquait pas de caractère. L’imaginer se morfondre à cause de son mari fit sourire Hyacinthe.

    — Allons payer, Amber, je n’en peux plus ! J’ai tout ce qu’il me faut.

    Bras dessus, bras dessous, la mère et la fille s’empressèrent vers la vendeuse.

    2

    Lors du bal…

    Amber repoussa une petite mèche noire qui lui chatouillait le cou. Ses yeux verts balayèrent la salle à la recherche de sa compagne de bal : sa cousine Abigail. Leurs deux familles étaient proches ; elles se voyaient chaque jour.

    La pièce était bondée en cette soirée de printemps. Les danseurs effectuaient des figures repoussant les gens aux extrémités. Amber angoissait dans les foules compactes. Et puis, il y avait l’orchestre, les tables de rafraîchissements et les salles de jeux. Elle s’isola dans un coin pour respirer plus librement. Elle ne se doutait pas que, même ainsi à l’écart, ses parents ne la quittaient pas des yeux. Une chance pour elle, ils étaient des chaperons discrets. Amber tendit l’oreille vers deux femmes, sur sa gauche. Leurs fréquentes exclamations signifiaient sûrement que leur conversation était intéressante.

    — … Je t’assure, la Compagnie royale d’Afrique traite davantage d’esclaves à Liverpool et Londres depuis que les taxes sur le sucre ont augmenté, disait la première d’une voix haut perchée, cachée derrière son éventail.

    Amber écarquilla les yeux. Il était rare que ce genre de sujets soit abordé dans une réception. Habituellement, il était plutôt question du gentleman en vue ou de la débutante avec le plus de chances de convoler.

    — Sa Majesté a des idées bien étranges sur le trafic des nègres…

    Amber s’éloigna légèrement. Elle n’aimait pas le commerce triangulaire et tout ce qui s’y rattachait. Vendre des esclaves pour produire du sucre et vendre le sucre pour acheter des esclaves. Elle n’avait jamais rien entendu d’aussi ridicule.

    Amber s’impatientait. Tout comme sa mère et sa tante autrefois, elle ne se faisait pas courtiser, même si elle comptait parmi les plus belles dames présentes. Son aversion pour la danse y était pour beaucoup. Depuis trois ans, elle arpentait les planchers de salles de bal, mais n’y posait pas les pieds, de peur qu’un désastre survienne. Amber rencontrait tout de même des barons, des ducs et des vicomtes. Aucun ne faisait battre son cœur ou ne l’observait comme son père regardait sa mère. Elle se consolait ; elle n’était pas la seule. Abigail et son frère William étaient dans la même situation. Tandis que Jeffrey, l’aîné d’Andrew et d’Olivia, s’était marié le mois précédent. Amber espérait qu’un jour Abby et… Non, impossible !

    — Amber, enfin te voilà ! s’exclama cette dernière en venant à sa rencontre. Nous te cherchons depuis une éternité. Où étais-tu ?

    Amber resta un instant bouche bée face à la vision que Abigail lui offrait. De deux ans sa cadette, elle tenait d’Olivia son élégante silhouette ainsi que son abondante chevelure dorée. Dans sa robe vert pomme, ses yeux pers resplendissaient. À côté d’elle se tenait son aîné, William, le portrait craché de son père. Amber s’imaginait chaque fois son oncle Andrew plus jeune. Cette image la fit sourire.

    — Tu dis cela, mais c’est moi qui t’attends depuis une éternité. Ne t’a-t-on pas livré ma missive ?

    Abigail secoua la tête.

    — Le coursier ne doit pas être arrivé à temps. Ma mère nous a dit de nous rendre à la réception sans elle et père après que nous ayons attendu un long moment. Même si je l’avais voulu, je n’aurais pas pu être à l’heure. Dis-lui, Will, que ce n’est pas ma faute, plaida Abigail en se tournant vers son frère, toujours aussi stoïque.

    — Elle dit vrai.

    Amber sourit. Son cousin n’avait pas la parole facile. Avec ses cheveux bruns bouclés et son visage avenant, il aurait pu être très populaire auprès de la gent féminine… si seulement il s’y intéressait.

    — Tu vois, Amber, je ne suis qu’une victime.

    Amber se retint de justesse d’éclater de rire. À en juger par la lueur joyeuse qui brillait dans son regard, Abigail ne croyait pas ce qu’elle disait. Amber regarda ses cousins, le cœur léger. À eux trois, ils formaient un groupe soudé. Il ne manquait plus que…

    — Eh bien ! Eh bien ! Que se passe-t-il ? les interrogea un séduisant gentleman qui se trouvait être son oncle, Tristan McCarthy, le jeune frère de James.

    Amber releva le menton pour le saluer. Il possédait une imposante stature. Avec son sourire désarmant, son visage attrayant, il ne passait jamais inaperçu. Ses cheveux noirs étaient identiques à ceux de James, mais là s’arrêtaient les ressemblances.

    James s’était fait beaucoup d’ennemis en sortant son frère des bas-fonds après que leur mère fut décédée. L’Aigle avait renoncé à la piraterie pour poursuivre sa vie avec Hyacinthe. En vieillissant, Tristan avait préféré voyager de par le monde plutôt que de rester en Angleterre. Maintenant âgé de 38 ans, il revenait de plus en plus fréquemment. Jamais Amber n’avait ressenti chez son père cette recherche de soi que dégageait Tristan.

    — Je me posais la même question, Tristan. Que nous vaut le plaisir de ta présence parmi nous ?

    — Je m’ennuyais de toi, répondit-il en saluant Abigail et William du regard. Et je voulais m’assurer que tu ne provoques pas l’un de ces balourds en duel.

    Amber leva les yeux au ciel. Abigail pouffa.

    — Comme si elle avait besoin d’aide pour se défendre, répliqua cette dernière d’une voix douce. Aucun homme ici présent n’a la moindre chance contre elle.

    Cette déclaration lui valut un regard appuyé de la part de Tristan. Amber en profita pour se tourner vers William.

    — As-tu des nouvelles de Jeffrey et de la nouvelle dame Malory ? Comment se déroule leur voyage de noces ?

    Comme d’habitude, le regard bleu de William était inexpressif, son torse aussi raide que les murs qui l’entouraient, ses mains croisées dans son dos.

    — La dernière lettre reçue remonte à deux semaines, répondit-il en haussant les épaules. Ils voyageaient en Italie et semblaient s’amuser follement.

    Amber l’écouta d’une oreille distraite. Elle ne comprenait pas pourquoi il était aussi renfermé. Sa famille l’aimait et l’encourageait. À sa connaissance, son cousin n’avait vécu aucun traumatisme expliquant son comportement. Malgré cette froideur apparente, il avait du cœur et une loyauté à toute épreuve. Pourquoi ne pas les manifester ?

    — Si tout se passe comme prévu, ils participeront au dernier bal de la saison.

    — Pourquoi feraient-ils une chose pareille ? s’exclama Tristan, visiblement épouvanté par l’annonce de William. Maintenant qu’ils sont mariés, ils n’ont plus à s’y astreindre.

    Amber reporta son regard sur son oncle.

    — Pourquoi ne les imites-tu pas dans ce cas ? Si la société te pèse autant, tu n’as qu’à te marier.

    — Amber, laisse Tristan tranquille, intervint Abigail en fronçant les sourcils, désireuse de changer de sujet.

    — Parfait, dans ce cas, qu’il ne se moque plus de Jeffrey et de son épouse, répondit Amber, sinon je dirai à mon père qu’il pense au mariage.

    Tristan écarquilla les yeux sous la menace. Il s’avança au point de lui masquer complètement la salle.

    — Tu ne ferais pas une chose pareille, Amber. Hyacinthe serait trop heureuse de me présenter de jeunes femmes à marier.

    L’horreur qui imprégnait ses paroles la fit sourire. Elle se pencha vers William.

    — Qu’en penses-tu, Will ? Dois-je épargner ce gredin ou profiter de la situation ?

    William haussa les épaules, n’ayant aucune préférence. Le grognement de Tristan attira l’attention de la jeune femme ; ils n’étaient plus que trois. Abigail dansait avec lord Ratcliffe. Un homme qu’ils trouvaient tous prétentieux. Tristan jetait un regard meurtrier au couple. Abigail était la coqueluche de la saison, mais n’affectionnait pas ce rôle. Le dos raide, une moue crispée, une distance respectable entre elle et son partenaire ; son malaise était perceptible. Les hommes pariaient sur qui parviendrait à briser la carapace de la débutante.

    — Amber, prendrais-tu part à cette danse avec moi ? demanda William, main tendue.

    Il était l’une des seules personnes avec qui elle dansait. Il connaissait ses forces et ses faiblesses. Et ne la jugeait jamais.

    — Tu sais à quoi t’attendre, le prévint-elle en lui emboîtant le pas.

    William hocha la tête.

    — Ta mère t’oblige à inviter des femmes à danser même si elle est absente ? l’interrogea Amber, sa main dans la sienne. Combien pour ce soir ?

    William attendit d’être sur la piste pour répondre d’une voix bourrue.

    — Cinq.

    Amber grimaça et se compta chanceuse d’être dispensée d’une telle corvée.

    — Fichtre ! Tante Livvy est déterminée à avoir une nouvelle bru, lâcha-t-elle en tournant maladroitement autour de lui.

    — Elle aura plus de chance avec Abby, grogna William. Elle est aussi populaire que l’étaient nos mères lors de leur retour en société.

    Il ne grimaça pas lorsque Amber lui écrasa le pied. Elle savait que cette maladresse ne serait pas sa dernière. Elle sourit tendrement au souvenir de cet épisode de la vie des sœurs Danbury. Le Grand Mattias, le maître et protecteur des pirates, la régalait sans cesse de leurs péripéties. Néanmoins, le cas d’Abigail était plus complexe qu’il ne le paraissait.

    — C’est sa première saison. Je serais étonnée que tes parents l’obligent à quoi que ce soit !

    — Nous savons que personne n’obligera ma sœur à agir contre son gré. Elle dissimule son caractère sous des airs d’ange timide.

    Amber retint un rire et se concentra sur ses pas, les pieds emmêlés dans ses jupons. Depuis que Priscilla, une débutante agaçante, avait lancé la rumeur qu’elle-même dansait comme un canard boiteux, les commérages fusaient. Elle excluait de s’humilier davantage avec un pair du royaume.

    Cette danse se termina pour son plus grand bonheur. Bien que William soit introverti, sa présence était apaisante. Il n’entraînait jamais Amber dans des figures complexes. Il l’escorta vers le buffet où ils prirent un rafraîchissement. Puis, ils se rendirent dans les jardins par l’un des cinq balcons. La nuit devenait plus froide. Une brise légère faisait voleter les jupons. Amber soupirait en les replaçant lorsqu’un geignement féminin la fit tressaillir. Alertée, elle referma sa main sur l’avant-bras de William. Aussitôt, son regard bleu se fixa sur elle.

    — As-tu entendu ?

    William, les sourcils froncés et les yeux écarquillés, scrutait maintenant un point non loin. Amber se tourna et retint une exclamation. Abigail approchait, les bras serrés autour de son corps frêle. L’une des manches de sa robe pendait à son bras, ses cheveux blonds étaient désordonnés et ses yeux pers scrutaient frénétiquement les alentours. Amber jeta à son tour un coup d’œil aux environs. Personne ne semblait avoir vu sa cousine ; il fallait que cela demeure.

    — Will, assure-toi qu’elle reste dans l’ombre du pilier et qu’elle rajuste sa robe. Je reviens tout de suite.

    Sans un regard en arrière, Amber traversa la salle de réception. Elle observa sa mère jusqu’à ce que leurs regards se croisent. D’un léger mouvement de tête, elle lui intima de la rejoindre. Hyacinthe s’excusa auprès de ses interlocuteurs et entraîna James à sa suite.

    — Abigail a des ennuis, murmura Amber d’une voix tendue.

    Ils s’éclipsèrent. Dès qu’ils furent avec Abigail, Hyacinthe prit les choses en main. Elle demanda à William de leur résumer les événements.

    — Le peu qu’elle m’a dit est assez inquiétant. Lord Ratcliffe lui a proposé d’aller se rafraîchir sur la terrasse. Abby l’a suivi, continua-t-il, les traits neutres. Les choses se sont envenimées quand il a posé des gestes indécents. C’est là que Tristan est intervenu…

    Trois paires d’yeux englobèrent William.

    — Si Tristan était dans les parages, je ne donne pas cher de la peau de Ratcliffe. Il faut le trouver immédiatement. James !

    Ce dernier s’enfonçait déjà dans le labyrinthe du jardin.

    — Amber et Will, emmenez Abigail à l’entrée. Passez par les corridors des domestiques et faites du bruit. Moins vous serez discrets, moins ils vous suspecteront. Dès que James et Tristan seront de retour, nous vous rejoindrons.

    Chacun acquiesça. Amber passa son bras sous celui de sa cousine. William les devança, les camouflant aux regards. Les yeux rouges d’Abigail et sa tenue vestimentaire ne trompaient pas. Amber voyait combien elle tentait de maîtriser ses émotions, mais la détresse marquait ses traits. Elle lui caressa le bras en un geste rassurant.

    — Tout va bien, Abby. Mes parents régleront cette situation.

    Abigail ébaucha une esquisse de sourire. Amber espérait ne pas mentir en affirmant que tout se passerait pour le mieux…

    La puissante poitrine de Tristan se mouvait exagérément à chacune de ses respirations. Perdu dans un univers de violence, il ouvrait et refermait les poings. Ce fut la douleur de ses blessures aux jointures qui le ramena à l’instant présent. Il baissa les yeux et remarqua le sang sur ses mains. Ce n’était pas seulement le sien, la vue du corps inerte à ses pieds le confirmait. L’énergie quittait graduellement ses veines, son esprit s’éclaircissait. Quelques instants plus tard, il mesura l’ampleur de ses actes : lord Ratcliffe tabassé et inconscient. Après une inspection rapide, Tristan conclut que ce dernier s’en sortirait avec quelques côtes douloureuses, le visage tuméfié et une mâchoire cassée. Accroupi près du blessé, il se remémora les récents événements…

    Il gardait un œil sur Abigail. Son cavalier étant un coureur de jupons. Lorsque ce dernier avait entraîné la jeune femme vers les jardins, Tristan leur avait emboîté le pas. De la terrasse, un bruit de lutte lui était parvenu, étouffé. Reconnaissant la voix féminine, il avait accéléré le pas, les poings serrés. Si lord Ratcliffe touchait le moindre cheveu d’Abigail, il était un homme mort, avait pensé Tristan, le souffle court. Des visions d’horreur défilaient dans son esprit au moment où il avait contourné les buissons le séparant des jeunes gens.

    La scène lui avait fait perdre le peu de retenu qu’il possédait. Abigail était adossée à un mur de pierre, semi-camouflée par le corps de son agresseur. Son regard affolé s’était accroché à celui de Tristan. Ratcliffe, concentré sur sa victime, n’avait pas remarqué qu’ils n’étaient plus seuls. Dans un cri de rage, Tristan l’avait envoyé valser dans les buissons épineux. Pendant que le lord pestait et jurait en se redressant, Tristan avait serré une Abigail tremblante contre lui. L’état de sa robe l’avait obligé à la couvrir de son justaucorps… Il avait pris son visage entre ses mains et avait plongé son regard dans le sien.

    — Abby ! Abby ! Prends de grandes respirations, lui avait-il ordonné d’une voix tendre tout en lui caressant la joue. Voilà… tu es en sécurité. Il ne t’ennuiera plus jamais. J’ai vu Amber et ton frère à la troisième ouverture sur la gauche. Rejoins-les… J’arrive dès que j’en aurai fini avec ce gredin.

    Il avait compris qu’Abigail demeurait sous le choc. Un instant, elle discutait avec un gentleman pour, l’instant suivant, se faire attaquer par lui. Tristan savait qu’elle se réprimandait pour sa faiblesse.

    Il avait patienté. Lorsque Abigail avait hoché la tête, la respiration normale et le visage plus coloré, Tristan l’avait relâchée et repris son justaucorps. Il avait attendu qu’elle disparaisse pour se tourner vers lord Ratcliffe qui époussetait ses vêtements, inconscient de ce qui l’attendait.

    — Espèce de salaud ! J’allais conclure.

    La réplique avait attisé sa colère et la fureur avait grandi à chacun de ses coups, l’empêchant de penser de façon rationnelle. Ce ne fut qu’à l’odeur du sang qu’il s’était arrêté.

    Le visage du lord avait perdu de son charme. Tristan espérait que les marques s’imprègneraient pour que le gredin ne puisse plus jamais recommencer. Pour éviter le scandale, il devait maintenant sortir Ratcliffe de la propriété.

    — Tristan ! Tristan ? Mais que s’est-il…

    Tristan tourna légèrement la tête ; James approchait. Sa posture démontrait qu’il était furieux. Tristan grinça des dents ; il n’aimerait pas la suite.

    — Qu’as-tu fait ?

    Tristan ne répondit pas. Il connaissait James ; il analysait déjà les moindres détails de la situation. Il en tirerait ses propres conclusions. Tristan patienta.

    — Sacrebleu, qu’as-tu fait ?

    James soupira, une main dans les cheveux. Il savait son frère colérique et impulsif. Il s’imaginait à sa place… surprenant quelqu’un en train d’agresser Hyacinthe… Le

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