La légende du lac

Valentina s’avança à pas lents jusqu’à la fosse. Au fond, on avait déposé le cercueil de son grand-père. Elle serrait si fort la tige de la rose qu’une épine s’enfonça dans le bout de son doigt. Une petite perle de sang jaillit, à laquelle elle ne prêta aucune attention.

Des larmes roulaient sur ses joues. Elle les laissait couler le long de son menton, puis goutter sur le décolleté de sa robe noire.

Lorsqu’elle jeta la fleur, elle ne put réprimer un sanglot. Elle demeura quelques secondes immobile, puis se tourna vers son père qui l’avait rejointe pour accomplir à son tour ce geste. Il se tenait raide, le visage sévère, le regard distant.

On aurait pu croire qu’il assistait aux funérailles d’un lointain cousin. Derrière lui, sa femme suivait, tête basse. Elle aussi pleurait, mais elle s’essuyait régulièrement les yeux comme si elle avait honte d’étaler son chagrin devant son mari.

Quand elle se retrouva enfin seule dans sa chambre, le soir de l’enterrement, elle se remémora les soirées passées en compagnie de cet homme hors du commun qui lui racontait des histoires de son enfance. Il lui parlait souvent de son propre père qu’il admirait tant, un homme d’une grande culture et d’une modestie étonnante qui passait son temps à mettre son entourage en valeur comme pour minimiser ses propres mérites. C’était un authentique poète. Il avait écrit des textes magnifiques sur les coutumes des habitants de son pays. Valentina conservait précieusement le petit cahier recouvert de sa fine écriture que lui avait donné son grand-père. L’ouvrage était une sorte de recueil des légendes transmises d’une famille à l’autre, au fil du temps, à travers l’Albanie. Dans les années 1960, l’écrivain à l’imagination débordante enseignait la littérature au lycée français de Korçë, une petite ville administrée conjointement par le pouvoir local et par les forces d’occupation françaises durant quelques années à la fin de la Grande Guerre, et où la présence française avait laissé des