Le retour de Bérénice
Jl pleuvait des cordes à Saint-Malo, sur les vieilles tombes de corsaires du cimetière de Rocabey. En ce dimanche de novembre 1964, jour de la Toussaint, Jeanne, du haut de ses 20 ans, avait accepté de mauvaise grâce d’accompagner Lucie, sa mère, et ses tantes Alice et Sophie, dans leur hommage annuel aux défunts de la famille.
Longue chevelure brune libre sur ses épaules, grande écharpe de laine enroulée autour du cou, Jeanne déambulait dans les allées. Elle portait un seau en fer plein d’eau dans le fond duquel elle avait plongé une grosse brosse de chiendent pour nettoyer les tombes.
– Ne fais pas ta mauvaise tête, Jeanne ! la houspilla sa mère.
– Le seau me tape dans les mollets, il pèse une tonne. Elle est tellement stupide cette coutume. Papa était de mon avis et l’oncle Georges détestait les fleurs, il n’en voulait pas dans la maison, tu l’as dit toi-même, tante Sophie.
– Justement, il n’a plus son mot à dire, rétorqua Sophie avec un petit sourire vengeur. Moi je les aime, les fleurs.
Jeanne haussa les épaules. Nicolas l’attendait sous la pluie au pied des remparts et elle n’avait même pas eu le temps de le prévenir qu’elle serait en retard. Le repas dominical s’était éternisé entre le gâteau et la liqueur de prune. Alice, qui avait abusé de cette dernière, avait même piqué du nez au bout de la table.
– Il ne fallait pas venir, ma petite, si c’était pour râler, continua Sophie. Cette jeunesse est ennemie du moindre effort !
Jeanne se renfrogna. Comment aurait-elle pu ne pas venir ? C’était cela ou faire le repassage et elle détestait repasser. Les tâches ménagères la rebutaient au plus haut point. Ce qu’elle aimait, c’était aider Nicolas à réparer de vieilles motos.
Elle adorait la mécanique. Elle aurait voulu en faire son métier, mais aucun garagiste ne voulait embaucher une femme.
– On ne te voit plus jamais en robe, remarqua Alice.
Puis se tournant vers sa sœur :
– Lucie,
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