Privée de lecture
Le siècle s’achevait, on entrait de plain-pied dans le vingtième, sans savoir ce qu’il réserverait. Pour le moment, tout allait bien et personne ne se souciait de politique à la ferme des Martinot, à Champfleury. Louise avait onze ans, c’était l’aînée des trois enfants de Germain. Thérèse était la cadette, elle venait de fêter ses dix ans, mais, petite et fluette, sa mince différence d’âge avec sa sœur paraissait beaucoup plus importante. Louise était très blonde et très jolie. Elle avait bon caractère. Thérèse avait des cheveux roux et frisés, et elle était sensible, fantasque… et raisonneuse aussi, un peu. Pourtant, elle était en secret la préférée de grand-mère Pauline, qui avait pris en charge la maisonnée à la mort de Mariette, sa belle-fille, décédée d’une embolie après avoir donné naissance au petit Paul, ce garçon tellement attendu qui lui avait coûté la vie, trois ans plus tôt.
Germain, le père, homme taciturne, sans sa vieille mère se serait laissé aller, après son deuil. Mais Pauline veillait au grain. Et par sa gentillesse et sa fermeté, elle avait l’art de le remettre dans le courant de la vie quand il succombait à des idées noires. Elle savait qu’il ne chercherait jamais à se remarier, il avait trop aimé sa Mariette. Pour lui, la vie se résumait à présent à son travail d’arboriculteur et à ses enfants, qu’il aimait tendrement, même s’il ne leur manifestait que rarement des signes de cet attachement, car c’était un homme pudique.
La propriété de Champfleury – qui portait bien son nom avec ses vergers en fleur au printemps — prospérait. Mais il fallait travailler dur. L’été, Louise, qui était déjà forte et raisonnable, accompagnait Germain et se joignait aux journaliers. Ce n’était pas une corvée pour elle qui aimait tant les arbres et tout ce qui touchait
