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Gaïa, la maison sur la colline
Gaïa, la maison sur la colline
Gaïa, la maison sur la colline
Livre électronique215 pages4 heures

Gaïa, la maison sur la colline

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À propos de ce livre électronique

Gaïa surplombait la baie avec ses murs et son aura de mystère. Autour d’elle se déroule l’histoire de personnages qui connaissent leur propre «moi» à travers l’art de la musique, de la peinture et de la littérature, dont les citations nous font réfléchir sur le présent par les mots d’un passé nostalgique.
Dans le cadre de la littérature la plus récente, arrivent les mots que l’on n’aurait jamais pensés lire dans un roman: « virus», «confinement», «masque». Mais la forte expression de cette actualité se lie à l’importance des souvenirs et quelquefois au refuge dans les lieux de l’enfance, où les rêveries et les espérances s’étaient formées.
Son amour pour la mer, héritée de son enfance méditerranéenne, se noue à la poésie et Christiane Bernard fait de son dernier roman «Gaïa, la maison sur la colline» un hymne à la vie. La vie n’est-elle pas un roman, celui que chacun d’entre nous écrit, jour après jour, page après page? 

Christiane Charvet Bernard est née le 27 novembre 1945 à Montpellier. À la suite d’un bac littéraire, elle obtient un diplôme de psychologie clinique, à Lyon. Elle a toujours aimé la littérature pour sa façon de représenter l’être humain et elle a trouvé le moyen de mettre son écriture au service de textes consacrés à la psychanalyse («Une voix s’est tue. Parlons!»). Mais c’est une production plus romanesque qui lui permet enfin d’entremêler ses passions dans le même creuset. Ses livres suivants «Comme une aube encore barbouillée de nuit» et «Il y a longtemps que je t’aime» s’inscrivent dans cette veine.
LangueFrançais
Date de sortie28 févr. 2022
ISBN9791220123822
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    Aperçu du livre

    Gaïa, la maison sur la colline - Christiane Charvet-Bernard

    Pour l’Italie, imprimé par Rotomail Italia S.p.A. - Vignate (MI) Stampato presso Rotomail Italia S.p.A. - Vignate (MI)

    A mes fils, mes petits fils, mes petites filles.

    Un merci tout particulier à ceux qui m'ont fait la grâce de bien vouloir lire ce qui venait tout juste de sortir de mon encre, de m'en faire des retours et de me soutenir dans cette voie :  Dominique, Sylvie, Laurent, Nicolas, Délia.

    Viens, je vais t'entrouvrir des profondeurs sans nombre !

    Viens, je vais de clarté remplir des yeux pleins d'ombre ! Viens, écoute avec moi ce qu'on explique ailleurs, Le bégaiement confus des sphères et des fleurs.

    Victor Hugo - Les rayons et les ombres.

    Chapitre I

    La maison avait dû attirer le regard, des années auparavant, lorsqu'elle trônait, impériale, sur la colline qui surplombait la baie, mais, au fur et à mesure que de petits pavillons blancs ou ocre à l'usage des vacanciers étaient venus l'assiéger, elle avait perdu de son prestige. Le parc, planté de pins et de lauriers roses qui étendait ses plis froissés et brouillons devant sa façade, la protégeait, toutefois, de se laisser totalement submerger par cette masse de champignons bétonnés. Son toit à quatre pentes et ses hautes fenêtres du premier étage encadrées de moulures qui lui donnaient un air de parenté avec le fort Bellilois de Sarah Bernard émergeaient fièrement du feuillage à la façon d'un clin d'œil goguenard.

    Un siècle auparavant, ses propriétaires l'avaient baptisée Gaïa, mais à l'époque où la seule mémoire qui compte est celle des ordinateurs, peu s'en souvenaient.

    Marlène l'avait remarquée dès qu'elle avait été en âge de s'intéresser au paysage qui l'entourait. Intriguée par les rumeurs qui, telles des fumerolles aux bouches d'un volcan, s'en échappaient, elle y avait planté le décor des histoires qu'elle s'inventait : derrière ces hauts murs à moitié escamotés vivait une princesse victime d'un mauvais sort qui attendait un baiser pour s'en délivrer. 

    Elle n'était pas la seule à avoir fait de la maison le siège de ses fantasmagories. Ses cousins, eux, s'amusaient à la terroriser en prétendant qu'elle était le repaire d'un ogre qui se pourléchait de la chair d'enfants dérobés la nuit. Paul, l'aîné d'entre eux, était même revenu un jour, hors d'haleine, l'air apeuré, en prétendant avoir vu, derrière la haie, l'ogre en train de faire rôtir : devinez ce qui était embroché au-dessus des flammes ?

    Heureusement, ses cousins ne venaient que pendant les vacances d'été et, d'une année sur l'autre, elle finissait par oublier les peurs qu'ils se plaisaient à lui insuffler. 

    Mais même si elle n'avait pas ajouté totalement foi à leurs récits, elle s'était inquiétée les quelques fois où elle avait surpris sa grand-mère sur le chemin qui menait à ce lieu mystérieux et ne s'était rassurée que lorsqu'elle l'avait vue en redescendre.

    Soit par peur, soit par désir de préserver le mystère, elle n'avait posé à ses parents aucune des questions propres aux adultes. À qui la maison appartient-elle ? Qui l'a construite ? Qui l'habite ? Elle ne voulait pas connaître une réalité qui aurait mis fin à ce qu'elle supposait être un secret et qui aurait altéré le cours de ses rêveries.  Durant ses années d'enfance où elle avait vécu sous la garde de ses grands-parents, tandis que ses parents achevaient leurs études et se lançaient dans une vie professionnelle très active, elle en était restée à cette volonté de ne rien savoir. En grandissant et en découvrant les nombreuses distractions qu'offrait la grande ville, son intérêt pour la maison s'était émoussé et elle rechignait d'autant plus à aller passer ses vacances dans ce petit village du bord de mer, que ses grands-parents eux-mêmes avaient, eux aussi, fini par établir leurs quartiers à la ville et ne revenaient plus y séjourner que l'été.

    Le cabanon modeste que ses arrière-grands-parents avaient construit, quand ils avaient pris la décision de fuir la chaleur étouffante de la ville, était devenu, à force d'ajouts, vaste et confortable. Au fur et à mesure des naissances, le toit en avait été relevé, le grenier avait été emménagé et une annexe avait flanqué une de ses ailes. L'été, la villa voyait se déployer devant elle un afflux de touristes désireux de se cuivrer la peau sur le sable chaud. 

    Marlène n'y retournait que rarement. La plupart du temps, elle se contentait d'y passer quelques jours en début ou en fin de la saison touristique. 

    L'année qui venait de s'écouler, trop chargée en obligations professionnelles, avait été difficile pour elle et s'était achevée par la prescription d'un congé maladie qui portait le titre pompeux et à la mode de burn-out. Des questions de toutes sortes ne cessaient de déferler dans sa tête, au point qu'elle ne parvenait plus à trouver dans le sommeil un moment de répit. 

    Lorsqu'elle avait cherché un abri à l'écart de ses activités quotidiennes, elle s'était souvenue des temps insouciants qu'elle avait vécus en bord de mer et avait résolu de se réfugier dans le lieu de son enfance. Avait-elle exagéré sa fatigue aux yeux du médecin ? Complaisamment, son corps lui avait apporté son aide sous forme d'une tension trop basse. 

    S'il était vrai qu'elle était épuisée, elle n'aurait pas su dire quelle était la cause de sa fatigue. Le monde de chiffres dans lequel elle naviguait aux dépens de toutes autres considérations ? Les pressions de sa direction qui lui enjoignait de réduire les coûts de fonctionnement encore et encore, comme si elle avait le pouvoir de changer les réalités d'un coup de baguette magique ? Les mondanités auxquelles elle s'astreignait avec son mari, comme pour témoigner de sa valeur aux yeux de tous ?

    Les plaisirs qui la faisaient vibrer auparavant s'étaient affadis et sa vie, en perdant ses attraits, s'était réduite à une succession monotone d'instants. Insidieusement, les jours s'étaient mis à ressembler les uns aux autres. Elle les arrachait d'une main machinale à son éphéméride. Ils planaient un instant mollement dans l'air avant de se déposer au fond de sa poubelle. 

    Son esprit s'était vidé de projets d'avenir. En guise de pensées, des lambeaux de poème, comme des troncs emportés par un fleuve bouillonnant, surnageaient dans sa tête :

    Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,

    Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros

    Et discutant avec mon âme déjà lasse,

    Le faubourg secoué par les lourds tombereaux. ¹

    Son poste de directrice des ressources humaines dans un hôpital lui pesait de plus en plus. Elle se demandait ce qui l'avait conduite à se mettre au service d'une telle institution. Elle s'y était rendue souvent quand elle était plus jeune. Le grand bâtiment austère avait été un lieu de recours pour sa grand-mère maternelle. Victime d'une longue maladie, la vieille dame y faisait des séjours fréquents. Marlène avait admiré le bourdonnement molletonné qui semblait toujours y retentir, la valse si bien orchestrée des blouses blanches. Mais elle ne voulait pas être pour autant infirmière ou médecin. Elle n'était pas tactile, comme on le disait d'elle, et préférait tenir à distance les corps étrangers. Elle avait choisi la voie administrative en imaginant qu'elle serait au cœur du soin sans avoir à s'y commettre. Ses illusions s'étaient vite dissipées devant les colonnes de chiffres qu'elle devait équilibrer avant d'en rendre compte à une entité sans visage. Depuis quelques mois, elle s'interrogeait sur le parcours qu'elle aurait aimé suivre sans avoir d'idées précises sur ce qui lui aurait vraiment plu. Son chemin avait été tracé sans qu'elle ait eu, lui semblait-il, à le choisir. Bonne élève, elle avait été téléguidée vers les hautes écoles, délaissant derrière elle ses rêveries de petite fille. Elle avait appris à se conformer rigoureusement à ce qu'on attendait d'elle sans en éprouver de regrets. Étant l'aînée, elle devait servir d'exemple à ses deux frères. Étant fille, elle devait faire la preuve qu'elle valait bien un garçon.

    À la fin de ses études, elle s'était mariée à un homme du même milieu qu'elle et son choix avait été largement approuvé par ses parents. Elle se demandait à présent, si son couple n'était pas une illusion qu'avec son mari elle continuait à entretenir et qui ne cachait que le vide derrière sa vitrine. Peut-être que ce tandem qu'elle formait avec lui leur procurait simplement un certain confort ; il leur permettait de mener une vie de célibataire, sans avoir à s'avouer qu'ils étaient seuls malgré les digressions qu'elle ou lui se permettaient. 

    La façade de leur union scellée sept ans plus tôt par une belle cérémonie, mise en scène comme une pièce de théâtre, ressemblait à la façade de la maison sur la colline. Le temps l'avait tant érodée que, fantomatique, elle paraissait surgir, d'un monde dont nul n'avait plus le souvenir, à la façon des neiges d'antan chantées par Villon :

    Dites-moi, ou n'en quel pays 

    Est Flora la belle romaine ; 

    Archipiade ne Thaïs 

    Qui fut sa cousine germaine ?

    […]

    Mais où sont les neiges d'antan ? ²

    Au temps où les flots d'une passion, toutefois raisonnable, les portaient à se penser amoureux, ils avaient évoqué l'éventualité de mettre des enfants au monde. Depuis, cette idée s'était engloutie dans des rituels quotidiens qui ne laissaient place ni au sentiment ni à l'imagination et ils n'en avaient plus jamais reparlé.

    Elle vivait auprès d'un homme qui, peu à peu, était devenu transparent à ses yeux. Elle avait été mise en congé maladie par le médecin, alors que Julien était en mission en Corée. Depuis son arrivée en bord de mer, tous les jours, un appel en provenance de l'étranger l'assurait de la permanence du contrat qu'elle avait établi avec lui. Cet appel était aussi peu nourri que l'était leur vie à deux. La voix lointaine bruissait dans l'appareil comme un vol de mouche et quand elle raccrochait, elle aurait été bien en peine de dire de quoi ils avaient parlé. Qu'elle ait ou non exagéré sa fatigue, elle avait besoin de ce temps d'accalmie. Les mesures de confinement l'avaient surprise alors qu'elle venait tout juste de s'installer dans sa chambre de jeune fille, dans la maison familiale. Elle songeait qu'à ce moment de sa vie, être maintenue dans le lieu qui avait vu éclore toutes ses rêveries, toutes ses espérances était une bienheureuse étape de la route sur laquelle elle avait été parachutée. Comme un randonneur, elle devait maintenant se poser sur une pierre du bord du chemin, sortir une carte de son sac à dos et y dessiner de son doigt le parcours qu'elle choisirait elle-même de prendre.

    Chapitre II

    Les promenades en bord de la mer ayant été interdites, elle s'est contentée de sillonner la pinède qui dominait la villa de ses grands-parents en compagnie de Dib, son chien. Ne pas dépasser la distance d'un kilomètre lui a laissé peu de choix quant au parcours qu'elle pourrait emprunter. La plupart du temps, elle s'est retrouvée, sans l'avoir particulièrement cherché, derrière la haie de lauriers roses qui protégeait la maison de la colline des regards.  La première fois qu'elle a vu la grosse bâtisse d'aussi près, elle a été frappée par son aspect, si différent de celui dont elle gardait le souvenir. Il est vrai que les récits de ses cousins l'avaient toujours maintenue à distance des murs vieillots qui, pour elle, gardaient jalousement leur mystère.  En souriant, elle s'est dit qu'en réalité il y avait deux maisons : celle de la colline et celle des histoires, qu'enfant, elle s'était racontées. Le temps, en émoussant sa propension à rêver, avait détrôné cette dernière. Parvenue devant les murs qui, pour elle, dérobaient au regard une belle princesse, elle s'est étonnée de découvrir une façade ridée de quelques lézardes, des volets à la peinture verte écaillée, un morceau de chéneau que le vent agitait dans le vide en bout de toit. Quelques vers des Djinns de Victor Hugo se sont entremêlés en elle :

    La poutre du toit descellée

    Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,

    Et la vieille porte rouillée

    Tremble à déraciner ses gonds. ³

    Ce n'est qu'au cours de son troisième passage devant la maison que, grâce à son chien, elle s'est aperçue qu'elle était habitée. Un chat siamois a traversé la pelouse d'un pas altier en la toisant de l'éclat bleu glacial de ses yeux. Dib s'est précipité sur la haie sans avoir compris qu'elle masquait un grillage beaucoup plus impénétrable. Réduit à l'impuissance, il s'est égosillé en jappements furieux. Embarrassée, elle lui a remis sa laisse et a tenté de l'attirer plus loin quand une voix un peu rauque lui a lancé un bonjour interrogatif. Sans chercher à voir le possesseur de la voix, elle a ordonné à son chien de mettre fin à ses aboiements. 

    Elle s'apprêtait à faire demi-tour, quand la voix qui semblait émaner du feuillage a insisté : 

    Elle s'est contorsionnée pour tenter d'apercevoir le corps d'où jaillissaient ces mots et, prise au piège du grillage masqué par la profusion de fleurs écarlates, elle a dû se débattre longuement pour se dégager des tiges de fer qui s'étaient accrochées aux mailles de son pull-over. Lorsqu'elle y est parvenue, en se penchant, elle a découvert, aux pieds du bouquet de lauriers, une femme assise sur un siège en rotin face à un chevalet sur lequel trônait l'ébauche d'un tableau.

    La femme tourne la tête vers elle :

    Avec un petit rire, elle ajoute :

    Puis sans que son regard change de direction, elle appelle :

    Marlène hésite un bref instant, se décide, déniche un vieux portail de bois qu'elle n'aurait pas pu voir sans les indications de l'habitante des lieux, tant il est enfoui dans la végétation. Au moment d'en dégager le loquet et de l'ouvrir, elle aperçoit un homme vêtu d'un pantalon en velours côtelé qui descend les marches du perron. Sans savoir encore ce qu'elle va dire, elle ouvre la bouche, mais l'homme ne lui laisse pas le temps de trouver des mots ; d'une voix bourrue, il l'apostrophe :

    De par sa profession, elle a perdu l'habitude qu'on s'adresse à elle de façon discourtoise. D'un ton aussi peu aimable que celui de son interlocuteur, elle riposte : – Je me promenais sur le chemin quand mon chien s'est mis à aboyer, je voulais le faire taire, mais la dame qui est là-bas m'a dit de rentrer, ce que je ne me serais pas permis de moi-même. Inutile de vous emporter, je repars. Pendant ce bref échange, l'homme est parvenu jusqu'à elle. Son visage est plus accueillant que ses paroles ne l'auraient laissé supposer. Une moustache en tablier de sapeur surmonte sa lèvre supérieure et ses yeux reflètent plutôt le rire que la menace.

    Elle est d'abord tentée de prendre sa mine de reine outragée, mais la femme lance à son tour :

    Lorsqu'elle se lève de son siège, Marlène l'aperçoit enfin dans sa totalité. C'est une femme petite, très mince, à qui il est difficile de donner un âge. Elle fait partie de ces personnes qui sont peut-être plus vieilles qu'elles ne le paraissent ou plus jeunes qu'elles en ont l'air. Il est difficile de déterminer si elle est jolie ou si elle pourrait l'être en usant de quelques artifices destinés à tromper l'œil. L'enfance et la vieillesse se sont entendues pour ciseler ses traits. C'est peut-être ce fondu enchaîné qui la rend plaisante à regarder. Elle est vêtue d'une blouse constellée de taches de peinture, qu'elle a enfilée sur un gros pull-over qui déforme sa silhouette. Elle se redresse avec difficultés et constate : 

    Et elle poursuit en tournant la tête vers l'homme aux pantalons de velours :

    Il

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