Le goût des autres
Louisa ne s’était jamais vraiment éloignée de ses montagnes du val Clarée même lors de son départ entre Saône et Rhône, une sorte d’exil volontaire pour embrasser le métier de soignante, désiré dès son plus jeune âge… un éloignement en tout cas, loin des étés resplendissant d’une lumière sans pareille, loin de ces cimes emblématiques d’une enfance sur les pas d’un père montagnard émérite… Loin encore des étés flamboyants au cœur des forêts de mélèzes, dans le bêlement des derniers troupeaux transhumants en partance pour les plaines; loin enfin des hivers qui cernaient le haut pays sous un manteau prégnant de givre et de glace… Que ce pays de montagne fut loin certes, il n’en était pas moins accroché à l’âme de Louisa, au moment où elle scrutait son parcours de vie depuis la colline embrumée de la Croix-Rousse à Lyon.
La quarantaine dépassée, la jeune femme psychologue de quartier en centre de soins médico-psychologiques, souhaite faire une pause, peut-être même réfléchir à une réorientation de sa vie… Mais quel chemin emprunter pour bâtir un nouvel avenir ? Le doute s’infiltre dans ses nuits d’insomnie.
L’eau qui ruisselle maintenant sur les vitres de son studio, lui rappelle les lointains hivers d’enfance, où pluie et neige s’invitaient pendant de longues journées au village de Granon ; chacun s’armait alors d’une grande patience pour surmonter ce rude moment de la vie d’en haut !
Le poêle ronflait joyeusement dans les craquements secs du bois de mélèze, la soupe de légumes mijotait lentement dans la lourde soupière en fonte, legs de générations de montagnards… une forte odeur mêlant suint et foins séchés envahissait la cuisine dès l’arrivée des hommes de la maisonnée affairés à soigner les bêtes. Louisa pointait alors sa frimousse d’enfant à la fenêtre pour observer la tempête de neige. Parfois, le grincement des poutres de sa chambre suscitait chez elle un rictus inquiet, mais toujours son regard restait bienveillant à l’égard de la montagne…
Alors aujourd’hui, ce temps d’avant peuplé de visages burinés, de gestes oubliés, de paysages ensoleillés retrouvait le chemin de son âme profonde ; peut-être l’appel du pays se faisait-il plus lancinant au fond de la femme d’âge mûr.
goût des autres avait mobilisé
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