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Un indice crucial
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Livre électronique794 pages10 heures

Un indice crucial

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À propos de ce livre électronique

Lorsque Jessica, 22 ans, est retrouvée assassinée dans une forêt de Göteborg en Suède, le coupable n'a laissé derrière lui qu'un seul indice : la moitié d'une carte de jeu. Michelle Mohlin, ancienne policière et psychologue judiciaire fraîchement diplômée, accepte le défi lancé par le tueur de découvrir la signification de la carte... Mais la situation bascule radicalement alors qu'une femme impliquée par l'enquête est soudainement kidnappée !
Michelle doit retrouver cette femme avant qu'il ne soit trop tard. Mais cela la force à affronter le tueur d'une manière qu'elle n'avait jamais envisagée, mettant sa propre vie en danger...
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie1 mars 2024
ISBN9788726972788
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    Aperçu du livre

    Un indice crucial - Peter Gissy

    Peter Gissy

    Un indice crucial

    Saga

    Un indice crucial

    Traduit par Robin Fournier

    Titre Original En avgörande ledtråd

    Langue Originale : Suédois

    Cover image : Shutterstock

    Copyright ©2021, 2023 Peter Gissy et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788726972788

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    Life’s but a walking shadow, a poor player,

    that struts and frets his hour upon the stage.

    William Shakespeare

    En matière de comportement sexuel, j’ai l'impression

    qu'il n’y a pas de limites aux stimulations

    érotiques de certains hommes.

    Roger Wallinder

    So I’m telling you my friend

    That I’ll get you, I’ll get you in the end

    Yes, I will, I’ll get you in the end.

    Les Beatles

    ... Sa peau était blanche, ses yeux étaient bleus,

    mais son âme était noire.

    Evert Taube

    PROLOGUE

    Au début, les garçons pensaient que c’était un banal sac plastique noir. Juste un truc étrange qui saillait des broussailles, à moitié caché par de grandes branches. Sans doute qu’ils n’auraient tout simplement jamais remarqué le sac, dans l’étroite dépression, s’il n’avait pas plu et venté en continu la nuit précédente, et si la furieuse tempête automnale n’avait pas percé l’épaisse végétation de toute part. Cette partie de la forêt à l’extérieur d’Olofstorp n’était pas entretenue, difficile d’accès et pour ainsi dire inconnue. Aucun chemin n’y menait, seulement des ornières laissées par les machines forestières qui, quelques années plus tôt, avaient réussi à se frayer un chemin sur le terrain. Le premier chemin digne de ce nom était couvert de gravier et se trouvait sûrement à dix ou douze minutes de là.

    Ted, dix ans, se dit que quelqu’un avait dû se débarrasser de déchets dans la forêt. Sa première réaction fut de pédaler encore plus vite. Que lui importait un sac rempli alors qu’il passait du bon temps sur son VTT ? Ce n’était pas son problème tout de même si quelqu’un avait balancé quelque chose sur le terrain !

    Mais Glenn, son grand frère, avait lui aussi vu le sac.

    Glenn descendit de sa selle, s’accroupit et saisit une longue branche. Avec minutie et prudence, il sonda le sac, comme s’il craignait qu’il contienne un animal sauvage sur la défensive. Puis il prit son courage à deux mains et perça le sac. À l’intérieur, il y avait quelque chose de blond. De poilu. Un animal ?

    Qu’est-ce que c’était ?

    Il prit son courage à deux mains et enfonça la branche dans le trou pour l’agrandir. Les garçons furent choqués.

    Un visage.

    Un visage de femme.

    Immobile, elle les regardait fixement à travers l’orifice. Ses yeux mi-clos étaient étrangement éteints. Ted ne put retenir un cri.

    Même s’il ne faisait aucun doute qu’elle était morte, Glenn dit :

    — B-Bonjour ?

    Aucune réponse.

    Ils se regardèrent l’un l’autre, apeurés, effrayés.

    Ils s’étaient rendus dans la forêt sans prévenir leurs parents. La forêt était un terrain de jeu dangereux, on le leur répétait sans cesse, où ils ne devaient pas se rendre seuls. Pourtant, c’est là qu’ils se rendaient presque systématiquement avec leur vélo. Le terrain irrégulier offrait une quantité incroyable de pistes à parcourir. Les broussailles et les arbres étaient légion. Ils ne faisaient que s’amuser, rien de plus. Ils se lançaient des défis, chacun désireux d’être le meilleur.

    La femme décédée avait bouleversé leur séance de jeu. Glenn, âgé de douze ans, prit son petit frère dans ses bras.

    — On doit donner l’alerte.

    Ted opina, l’air hagard.

    Glenn avait déjà le téléphone collé contre l’oreille et composait le numéro. Il savait ce qu’il fallait faire : six mois plus tôt, sa mère avait dû appeler les urgences lorsque leur grand-mère âgée avait perdu connaissance dans son appartement. Quelqu’un répondit presque aussitôt. L’opératrice posa quelques questions, auxquelles Glenn répondit du mieux qu’il pouvait. De temps en temps, il reprenait sa respiration pour parler. Non, ce n’était pas une blague. Oui, il était sûr qu’elle était morte. Non, ils ne toucheraient rien et attendraient l’arrivée de la police.

    — Où êtes-vous ? demanda la femme dans son oreille.

    Il lui répondit.

    — Après Gråbo, répondit-il avant de s’éclaircir la voix, qui déraillait un peu.

    — Comment est-ce que tu te sens, Glenn ?

    — B-Bien.

    Mais il avait répondu avec hésitation, et elle avait dû entendre la panique dans sa voix.

    — Éloignez-vous un peu et attendez-nous, d’accord ? Ne faites rien. C’est important. Laisse ton téléphone allumé, on pourrait devoir te rappeler. En plus, huit véhicules d’intervention vont te suivre grâce à tes coordonnées mobiles. Tu comprends ?

    — Oui, répondit Glenn.

    L’instant d’après, il éteignit son téléphone portable. Ses jambes et ses mains tremblaient, il avait la gorge nouée et sèche.

    — Viens, dit-il à Ted en désignant du doigt de grosses pierres au loin. On va s’asseoir là-bas. La police est en route…

    Son petit frère passa devant lui. Soudain, il s’arrêta et se mit à vomir. Les larmes coulaient, il avait des haut-le-cœur. Puis il s’essuya maladroitement les joues de sorte qu’elles étaient maintenant recouvertes de terre.

    — D-Désolé, dit-il. C’est juste terrible…

    — Calme-toi, dit Glenn tout en regardant au loin le sac. Il n’y a pas de raison d’avoir peur.

    Il avait adressé ces derniers mots à son petit frère, mais ils étaient aussi en partie pour lui-même : il savait qu’il devait être fort. Il fallait aussi qu’il appelle leur mère, elle devait être mise au courant, mais pas tout de suite. D’abord, il devait retrouver ses esprits. Il ressentait une drôle d’impression au niveau de la poitrine. Comme une boule.

    De toute évidence, la femme morte avait été assassinée.

    Quelqu’un l’avait descendue et mise dans le sac.

    Difficile à avaler.

    Il avait récemment vu un film à la télévision dans lequel un homme assassiné était jeté dans une fosse. À ce moment précis, il lui semblait être plongé dans ce film.

    Dans lequel l’assassin se cachait derrière une cabane avec une hache ensanglantée et observait les passants.

    Soudain, Glenn se dit qu’il y avait peut-être quelqu’un dans le coin.

    Que l’assassin du film était là. Alors il jeta un coup d’œil autour d’eux tandis que son cœur battait plus fort. Les branches tortueuses se transformèrent alors en d’immenses bras filiformes qui semblaient se diriger vers lui et Ted.

    PARTIE I

    LE RASSEMBLEMENT DES CHASSEURS

    CHAPITRE 1

    Après l’enterrement, Michelle Molhin décida de marcher sur la route rectiligne pour retrouver l’air libre. Les cloches de la chapelle résonnaient au-dessus de sa tête. D’une certaine manière, cela lui semblait à la fois lugubre et réconfortant.

    À travers ses lunettes de soleil, elle observait les personnes endeuillées qui sortaient sur le parvis. Il faisait plus froid à l’intérieur de la chapelle. Elle-même avait trembloté sous sa veste en cuir. Comme on pouvait s’y attendre, peu de gens avaient assisté à l’enterrement. La mère de Jörgen était là évidemment, silencieuse et le teint pâle, tout comme sa sœur et son mari, dont les rhumatismes l’obligeaient à prendre appui sur une canne, tel un vieux général britannique. Et quelques autres qu’elle ne connaissait pas, et qu’elle n’avait pas envie d’apprendre à connaître non plus.

    Elle était rentrée la dernière et s’était assise au fond, seule, aussi loin que possible des autres personnes présentes. Au dernier rang de la chapelle, près de la sortie.

    Elle ne s’était pas approchée du cercueil. C’était sa limite.

    Il y avait eu une réception un peu chiche.

    À l’exception de la mère, personne n’avait vraiment affiché de tristesse. Elle non plus d’ailleurs.

    Au contraire, elle s’était surprise à ne pas ressentir ce froid intérieur : les années passées avec Jörgen n’avaient pas toutes été ennuyeuses.

    Le prêtre, jeune et enthousiaste, avait fait de son mieux pour prononcer un discours adapté, évoquant « le dernier voyage d’une âme égarée » lorsqu’il s’était trouvé près du cercueil, lequel était placé au pied de la chaire. Quelques couronnes de fleurs avaient été déposées, mais si peu que c’en était ridicule.

    Michelle se demanda si Jörgen aurait apprécié qu’on dise de lui qu’il était « égaré ». Elle en doutait fort.

    Mais cela n’avait plus d’importance.

    Elle avait longuement hésité avant de partir, mais maintenant elle savait que le moment était venu. Elle pouvait définitivement tirer un trait sur sa vie avec lui.

    Après avoir inspiré profondément, elle noua son foulard. Enfin, tout cela était terminé.

    Le croassement d’un corbeau la tira de ses pensées. Il volait en direction des grands bouleaux qui surplombaient les stèles un peu plus loin. Puis il bifurqua élégamment avant de se poser dans l’herbe et de secouer ses plumes à plusieurs reprises. C’était une provocation à ses yeux : comme s’il voulait lui rappeler que la vie continuait, comme avant, malgré tout.

    Michelle ne put s’empêcher de sourire intérieurement quand elle vit cette scène. C’était ainsi. Rien de nouveau.

    Elle repositionna ses lunettes de soleil, il faisait bien trop sombre pour les porter en cette fin d’année, mais elle ne voulait surtout pas que quelqu’un la reconnaisse.

    Elle avait passé les sept dernières années à essayer d’oublier Jörgen. C’était un vrai connard, et il n’aurait même pas dû avoir droit à un enterrement, voilà ce qu’elle pensait. On aurait tout aussi bien pu le jeter dans une fosse avant de la reboucher avec du fumier.

    Elle avait gardé son nom de famille, mais c’était tout ce qu’il restait de sa vie avec lui. Lorsque le divorce avait été prononcé, elle avait loué un conteneur et jeté toutes ses affaires dedans. Vêtements, meubles, tapis, bibliothèque en tek dont il avait hérité de ses grands-parents maternels et qu’il avait revissée. Tout cela avait fini au centre de valorisation des déchets de Högsbo. Il s’était énervé lorsqu’il l’avait appris, mais pour elle, c’était une véritable libération. Toutes les vieilleries étaient vouées à disparaître ! Il était temps de faire place à la nouveauté. Et lui et ses affaires n’avaient rien à y faire.

    Chaque minute passée, elle se fichait un peu plus de sa déception à lui. Et un jour, elle se fit la promesse de reprendre son nom de jeune fille. Il était peut-être temps d’y songer d’ailleurs.

    L’atmosphère était paisible sous l’arbre, l’air frais l’aidait à relâcher la pression à chacun de ses pas. Tout cela était derrière elle maintenant. Michelle tourna et prit la direction du parking.

    Jörgen ne lui manquerait pas, pas une seule seconde : à personne d’autre non plus.

    Mais au plus profond d’elle-même, elle savait qu’elle se mentait. Elle ne pourrait tout simplement pas ignorer ce qui avait eu lieu. Le passé était toujours là, les bons et les mauvais moments, même si le bilan ne se faisait qu’avec les années.

    Comme à l’habitude, sa douleur à l’épaule se réveillait dès qu’elle marchait. Parfois, c’était comme si les antidouleurs n’avaient aucun véritable effet. Le froid cru et l’humidité avaient peut-être contribué à rendre la douleur persistante.

    Le soleil blafard allait sous peu céder la place à l’obscurité de la fin d’après-midi, la nuit n’était plus bien loin. La météo de décembre était fiable puisque le ciel était toujours couvert. La pluie était dans l’air, comme depuis plusieurs jours. En revanche, pas de neige, pas le moindre flocon en vue.

    Elle fouilla dans sa poche pour retrouver les clés de sa voiture et se dirigea vers le parking. Elle entendit des pas sur le gravier derrière elle.

    Quelqu’un se rapprochait.

    — Michelle ?

    Elle reconnut immédiatement cette voix.

    D’abord elle hésita, puis elle se retourna.

    Åsa Kaspersson était globalement la même que dans ses souvenirs. Simplement plus âgée. Mais le haut de son corps était toujours aussi puissant. Il n’était pas courant de la voir vêtue de la sorte : veste et jupe noires. Ses cheveux blond cendré et bouclés retombaient sur son col. Ses yeux étaient comme à l’habitude, vifs, et à l’affût. Le regard d’un agent de police. Elle portait à une épaule un sac à dos vert, de type sportif, qui faisait un peu tache dans ce contexte.

    Åsa tendit une main, que Michelle saisit avec prudence.

    — Je dois te parler, lui dit Åsa sans ambages.

    — C’est professionnel, précisa-t-elle.

    — Ah ?

    — Il y a quelque chose… Oui, je crois que tu peux nous aider.

    Michelle comprit de quoi il s’agissait. Non. Il n’était pas question de faire ressurgir le passé.

    — Non merci, répondit-elle avec aplomb.

    Mais Åsa ne se laissa pas faire.

    — Est-ce qu’on pourrait s’asseoir ? Prendre un café ensemble, peut-être ?

    — Je n’ai pas le temps, mentit Michèle avec naturel.

    Et puis parler de quoi ? Elle avait laissé le passé derrière elle, pour des raisons qu’Åsa et ses collègues connaissaient parfaitement.

    Åsa retira sa main et soudain se mit à la scruter, les sourcils froncés, comme si elle cherchait à sonder son âme.

    — Comment vas-tu ?

    Michelle ne pouvait s’empêcher de poursuivre sa réflexion.

    — Tu t’inquiètes pour mon état de santé ?

    — Ce n’est pas ce que je voulais dire. Désolée. C’était un peu bizarre, mais… Oui, tu sais bien.

    Quand on y repense…

    — Je vais mieux que pendant mes années au sein de la police, si c’est ce que tu veux savoir, et je ne veux surtout pas que ça change.

    — Ça fait un bail qu’on ne s’est pas parlé. Je sais ce que tu pensais à l’époque, mais…

    Åsa se ressaisit et reprit.

    — Est-ce que tu peux essayer ? Je veux dire… J’ai besoin de toi, vraiment.

    Elle s’arrêta. De toute évidence, elle avait du mal à exprimer le fond de sa pensée.

    Michelle fit de son mieux pour se montrer de meilleure disposition.

    — Toujours la même chose ?

    — Oui.

    — Tout ça c’est derrière moi, Åsa.

    — Je comprends bien.

    Michelle ne se souvenait pas l’avoir vue dans la chapelle. Elle ignorait tout de la relation entre Åsa et Jörgen. Se connaissaient-ils ? Elle regarda de manière explicite vers l’horloge.

    — Désolée, mais… je dois y aller.

    Åsa ne se laissa pas faire.

    — Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?

    — Je travaille. Il existe une vie en dehors de la police.

    — Tu n’aurais jamais dû partir.

    — Tout le monde ne pense pas comme toi. Les traces ne disparaissent pas, ajouta-t-elle, le visage courbé dans une grimace.

    — Mais les années passent.

    Le ton était plus dramatique que ce qu’elle aurait voulu.

    — Je comprends. J’ai déjà essayé de te joindre, mais tu ne réponds pas quand j’appelle sur ton portable. Ni quand j’appelle l’université. Personne ne t’a dit que je cherchais à te contacter ?

    Michelle secoua la tête.

    — Non.

    Ce n’était pas la première fois que l’université se trompait dans ses coordonnées.

    — Je suis très occupée, ajouta-t-elle.

    — Je me suis dit que tu serais présente à l’enterrement, j’ai tenté ma chance. Désolée.

    Åsa semblait embarrassée.

    — C’est comme ça. Je travaille pour une équipe d’enquête nouvellement créée. Je dois travailler à l’international et je te veux dans mon équipe. Toi. Personne d’autre.

    Une voiture de police arriva lentement, puis vint se placer le long du trottoir. Le policier au volant leur adressa un signe derrière la vitre baissée. Åsa fit un signe en guise de réponse, se débarrassa du sac à dos et le tendit.

    — Tiens. Je t’ai préparé ça. Est-ce que tu pourrais y jeter un coup d’œil ?

    — Tu n’abandonnes jamais, hein ?

    — Je sais de quoi tu es capable.

    Leurs regards se croisèrent.

    — Je t’ai répondu.

    — J’ai besoin de toi, Michelle.

    Åsa Kaspersson était une ancienne collègue du commissariat de Göteborg à qui elle ne pouvait rien reprocher. Cela faisait longtemps qu’elle avait jeté l’éponge. Ces années avaient été mouvementées et elle s’était juré de ne plus jamais travailler dans le milieu policier. Pas après ce qui était arrivé. D’un autre côté, les missions lui avaient parfois manqué.

    — Si je rempile…

    Elle avait insisté sur le si.

    Åsa leva la main. Il y avait dans ses yeux une lueur nouvelle, plus vive.

    — Une jeune fille a disparu un soir. Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu, personne ne sait rien. Des gamins l’ont retrouvée morte, son corps violenté. Nue. Jetée dans un sac, au milieu de la forêt, comme un vulgaire produit de consommation. Aucune trace du coupable. Il se joue de nous, Michelle. J’essaie d’accélérer la traque policière.

    Elle hésita.

    — Dans ce sac à dos, tu as tout ce dont tu as besoin. Inspecte le contenu de tes propres yeux. Nous avons de bonnes raisons de croire que l’assassin peut encore frapper.

    Elle semblait la supplier.

    — Tu comprends bien que je ne t’aurais pas demandé si ce n’était pas important pour nous.

    — Il y a d’autres personnes que moi.

    — Oui, mais pas comme toi. Toi, tu arrives à voir ce que d’autres ne voient pas.

    Michelle sentit qu’elle se faisait plus douce. Si Åsa avait essayé de l’appeler, alors cela n’aurait servi à rien : elle ne répondait presque jamais aux numéros inconnus.

    — Est-ce que le Boss est d’accord ? demanda-t-elle.

    — Lasse Sjögren travaille pour Europol maintenant. Il a déménagé à Bruxelles, un truc du genre. On a un nouveau chef régional, Arne Krogh-Arnesen. Tu as peut-être entendu parler de lui ? Très bien. Jeune, danois. Moderne.

    — Moderne ?

    Åsa s’empressa de sourire.

    — Oui. Et il a plein d’idées innovantes.

    Un peu de sang neuf ne pouvait pas faire de mal. Certains menaient leurs enquêtes comme dans les années soixante-dix. Toujours plus souvent derrière un bureau, et de moins en moins sur le terrain. Ceux qui venaient d’entrer dans la police étaient souvent affectés aux enquêtes, et leur inexpérience, au lieu de les aider, les mettait en difficulté. Au final, personne ne prenait de responsabilités au niveau de la hiérarchie, malgré les recommandations. Michelle avait ses propres opinions sur ce sujet, encore plus qu’avant. Elle savait ce qui se passerait si elle acceptait de se charger de cette mission.

    De nouveau, elle secoua la tête.

    — Désolée. Tu devrais trouver quelqu’un d’autre. Je dois filer.

    Åsa lui saisit le bras.

    — Oublie le passé, Michelle. On doit tous apprendre à donner et à recevoir. Je t’assure.

    Puis, d’une voix neutre :

    — J’ai pu copier tout ce dont tu pourrais avoir besoin. Les coordonnées sont au verso. Ici. Elle chercha à remettre le sac à Michelle.

    — Et Einar est de la partie.

    — Einar ?

    — Oui. Einar.

    Une boule se forma dans son ventre lorsque Michelle entendit ce nom. S’il y avait bien une personne à laquelle elle avait pensé, c’était lui. Elle savait que dans le cadre d’une opération contre la filiale de Nordea sur le pont de Mölndal, il s’était blessé et s’était retrouvé en arrêt.

    — Était-il de nouveau en service ? Elle ne put s’empêcher de se poser la question.

    — Il se porte comme un charme, heureusement.

    Åsa s’empressa de sourire.

    — Au diable le prestige, Michelle. On a une réunion demain matin, ce serait bien si tu…

    — Demain, déjà ? l’interrompit-elle.

    — Tu sais comment ça se passe. Toujours plus vite !

    Quand Michelle secoua de nouveau la tête, elle poursuivit :

    — Tout n’a pas besoin d’être au point évidemment.

    — Tu as tout anticipé, n’est-ce pas ?

    Åsa pencha la tête sur le côté de sorte que ses épais cheveux se balancèrent.

    — Je prends ça comme un oui ?

    Au même moment, sa poche vibra. Michelle récupéra son téléphone et lut le message. C’était Katja, la directrice du Centre d’accueil de jour pour femmes à Åkered. Michelle prit sa décision en l’espace de quelques secondes.

    — Bon d’accord. Mais je ne te promets rien. Je ferai de mon mieux. À quelle heure demain matin ?

    — Huit heures.

    — Je serai là. Je dois y aller maintenant. Au revoir.

    Précipitamment, elle se tourna et vit son nom sur le téléphone.

    — Qu’est-ce qu’il y a ?

    — Où es-tu ?

    À l’autre bout du fil, Katja semblait comme prise d’une crise d’hystérie.

    — J’arrive. Il s’est passé un truc ?

    CHAPITRE 2

    Le Centre d’accueil de jour pour femmes, à l’ouest de Göteborg, était situé dans un petit bâtiment en bois, peint en rouge, sans étage, à Åkered. Il se trouvait près d’un bocage épais à quelques encablures d’une zone pavillonnaire tranquille et presque invisible depuis la route principale. C’était le but d’ailleurs : ici, les femmes qui avaient besoin d’un abri et d’aide pouvaient, de plusieurs manières, se mettre sous la protection de la municipalité, via ses services sociaux.

    Michelle savait depuis le début que les locaux servaient de point de rencontre au réseau, on y jouait aux échecs et on y apprenait les danses d’Amérique latine, mais c’était il y a longtemps. Plusieurs années. À cause d’un incendie destructeur, l’espèce de cabane aux airs de baraquement avait été entièrement rénovée avant de changer de fonction. Hélas, il y avait tant de femmes, jeunes et âgées, qui avaient besoin d’un nouveau départ, loin des abus et de la violence de leur mari ou de leur compagnon. Au volant de sa voiture, Michelle repensa à son engagement au sein du réseau d’accueil. Parfois, elle se demandait si inconsciemment elle n’avait pas cherché à rejoindre cet endroit. Comme si elle avait été attirée, en lien avec ce qu’il s’était passé avec Jörgen, elle avait peut-être eu besoin de rencontrer des gens comme elle ? Mais les choses ne s’étaient pas vraiment passées ainsi. Les malheureuses qu’elle rencontrait ici étaient en général dans un état bien pire qu’elle ne l’avait jamais été. Quoi qu’il en soit, elle faisait désormais partie de l’équipe et cherchait à comprendre chaque jour pourquoi elle était toujours plus impliquée dans ce réseau plus ou moins idéal. Même si la cause était louable, elle était extrêmement chronophage. Tout n’était pas rose : il fallait aussi qu’elle pense à elle.

    Elle avait décidé d’en parler à Katja, mais il y avait toujours un truc. Évidemment, elle ne consultait pas pendant des heures, mais c’était prenant et elle travaillait souvent gratuitement.

    Au milieu du rond-point d’Åkered, son téléphone se mit à nouveau à vibrer. Encore Katja.

    — Michelle ? Où es-tu ?

    — Je serai chez toi dans quelques minutes. Je suis juste au niveau du rond-point.

    — À Åkered ?

    — Évidemment.

    — Non. Mais… On est aux urgences de Sahlgrenska. Je ne te l’avais pas dit ?

    Michelle jura intérieurement. Tellement typique de Katja.

    — Absolument pas. Qu’est-ce que tu fais là-bas ?

    Katja avait l’air abattue.

    — Viens !

    Michelle fit demi-tour et ignora l’automobiliste qui la klaxonnait de rage. Sur la route en direction de la place Frölunda, elle abaissa sa vitre et inspira profondément à plusieurs reprises. Le vent, en provenance de la baie d’Askimsviken, charriait des effluves d’algue. C’était chez elle là-bas. Elle y avait vécu plus longtemps que nulle part ailleurs. Tant de souvenirs étaient associés à ce vent marin iodé. Jörgen avait pratiqué la pêche pendant un temps, et elle — parce qu’elle était amoureuse depuis peu — l’avait accompagné et avait pêché le maquereau à quelques occasions mémorables. C’était la même odeur déjà à l’époque.

    Il fallait maintenant qu’elle se dépêche, on l’attendait. Que pouvait bien lui vouloir Katja ? Que faisait-elle aux urgences ?

    Dans son rétroviseur, elle aperçut son propre visage et sursauta.

    Elle ne se reconnaissait pas ! Elle avait la peau grisâtre, fatiguée, et ses longs cheveux blonds n’étaient pas coiffés, surtout depuis qu’elle avait défait son foulard. La ride au-dessus de la base du nez était plus profonde que le matin même. Elle devait faire un effort sur le maquillage, mais elle n’en avait pas le temps pour l’instant. Le temps, oui. C’était toujours une denrée rare chez elle. Elle repensa au sac à dos qu’Åsa lui avait remis et soupira. Encore une demande qu’elle avait acceptée sans réfléchir aux conséquences.

    Par chance, elle trouva une place de parking près de l’entrée de l’hôpital, en haut du campus de Medicinarberget, et ne prit même pas la peine de payer son stationnement.

    S’il y avait des pervenches dans le coin, elle s’en occuperait à son retour. Après avoir rangé le sac à dos dans le coffre, elle traversa la rue Per Dubbsgatan à toute vitesse, au grand dam des automobilistes.

    Le hall d’accueil des urgences était bondé de malades.

    Haletante, elle força les portes en verre à la recherche de Katja, mais elle ne la voyait pas. Elle allait lui envoyer un SMS quand son amie apparut. Katja sursauta en la voyant adresser des signes nerveux, avec ses lunettes roses baissées jusqu’à l’extrémité de son nez qu’elle remettait systématiquement en place. Elle avait des cheveux blancs, courts, coiffés en pics, ce que Michelle n’avait jamais vu chez quelqu’un d’autre. Ce devait être un coup de son mari, Rune. Katja devait faire attention à son apparence. Sans un mot, elle tira Michelle vers elle dans les couloirs. La tension était palpable aux urgences, plusieurs patients étaient allongés dans des lits le long des murs, chacun attendant son tour. L’instant d’après, Katja s’arrêta et frappa délicatement à une porte avant de l’ouvrir. La pièce était plongée dans la pénombre et les quatre lits étaient séparés par des parois pliantes. Une légère odeur de détergent flottait dans l’air.

    L’unique source de lumière était une lampe faiblarde au mur.

    À l’exception d’une patiente, tous semblaient dormir.

    La femme dans le lit près de la porte avait des poches sous les yeux, au-dessus et en dessous des lèvres. Elle avait une joue bleuie. Hormis ce visage abîmé, elle était splendide. Des pommettes relevées et une charmante fossette au menton. Des yeux vert pâle, quasiment des yeux de chat, mais plus clairs et plus saillants : elle avait presque des airs supérieurs. Ses cheveux, lisses et blonds, étaient longs et ondulés comme la crinière d’un lion. Une infirmière était sur le point de lui faire une injection dans le bras.

    Sans fioritures, Katja présenta Michelle à la femme. De toute évidence, elles l’attendaient.

    — Que s’est-il passé ? demanda Michelle une fois l’infirmière repartie. La femme croisa son regard, avant de se détourner sans rien dire.

    Katja intervint.

    — Ça s’est passé au Centre d’accueil.

    Elle avait des airs dramatiques, ses bras gesticulant frénétiquement tandis qu’elle parlait à voix basse pour que les autres patients ne l’entendent pas.

    — Son mari l’a retrouvée. Vois par toi-même.

    — Mince.

    Michelle se tourna directement vers la femme alitée.

    — Comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-elle.

    — F… Frida Bergh, répondit la femme tout doucement après s’être humectée les lèvres du bout de la langue.

    Soudain les larmes envahirent ses yeux.

    — Doucement. Aidez-moi… Je n’y arrive plus… Je suis désolée.

    — C’est votre mari qui vous a fait ça ? demanda Michelle.

    Frida, la femme alitée, semblait avoir du mal à parler à cause des gonflements et de la douleur au niveau de la bouche. Elle hésitait aussi, comme si elle avait honte de ce qu’il s’était passé. Lentement, elle s’expliqua. Elle était en train de sortir les poubelles quand son mari avait surgi avant de la frapper au visage, de lui donner des coups de pied au niveau des bras et de la poitrine une fois à terre. Elle avait bien tenté de se défendre, mais il était déchaîné. Ce n’est que l’intervention de Rune qui avait permis d’arrêter ce déferlement de violence. Le mari de Frida avait disparu, elle ignorait où il était parti. Par chance, elle pourrait bientôt sortir de l’hôpital, une fois le plâtre posé. Mais il n’y avait pas de médicament contre la peur qu’inspirait un mari.

    Le visage couvert de larmes, elle murmura :

    — Il est tellement violent. J… je dors a… avec un marteau dans le lit… Je tremble quand j’entends des pas. Je sais qu’il finira par me retrouver… Qu’est-ce que je peux faire ?

    Michelle et Katja étaient silencieuses. Il n’y avait rien à dire. Toutes deux avaient entendu trop souvent des récits similaires, tous aussi déchirants. Leurs regards se croisèrent et Katja désigna la porte. L’instant d’après, elles se tenaient dans le couloir, chacune avec son gobelet en plastique rempli de café. Le personnel médical courait dans tous les sens, et elles faisaient en sorte de ne pas se trouver sur leur chemin.

    — Il ne faut pas que ça arrive, dit Michelle d’un ton réprobateur.

    Katja secoua la tête.

    — Je sais, mais.... elle doit quitter l’hôpital, et je ne sais pas quoi faire maintenant.

    — C’est-à-dire ?

    — Son mari a menacé de la tuer, tu comprends ? Dans cette situation, je n’ose même pas la prendre chez moi… C’est trop risqué.

    — Pour qui ? Pour elle ?

     Pour nous deux aussi. Il sait où elle est, et il finira par la retrouver si la police ne lui tombe pas dessus avant.

    — Depuis combien de temps est-elle chez toi ?

    — Cinq jours. La plupart du temps, elle reste dans sa chambre. J’ai essayé de lui parler, mais elle ne veut pas et.... hier, elle s’est enfermée, on a cru pendant un instant qu’elle allait se suicider. Rune a frappé à sa porte avant de la tirer de là jusque dans la cuisine.

    Michelle opinait tout en écoutant. Une tentative de suicide n’avait rien d’anormal chez ces personnes-là. Il n’y a pas si longtemps, elle avait entendu parler d’une Iranienne, originaire de Téhéran, qui avait sauté d’un balcon jusque dans la cour de l’évêché pour échapper à son mari violent. La femme avait survécu, mais avait eu les deux jambes brisées. À son réveil dans l’ambulance, elle s’était mise à pleurer toutes les larmes de son corps. Non pas parce qu’elle souffrait, mais parce qu’elle n’avait pas réussi à s’ôter la vie.

    Au Centre d’accueil, le personnel, sous la houlette de Katja, faisait son possible pour permettre aux victimes de s’ouvrir et de se sentir en sécurité. Ils y arrivaient la plupart du temps, même si ce n’était pas toujours une mince affaire. Personne n’aidait et ne prenait soin des gens comme Katja, et ce malgré des histoires et un passé différents. Parfois, Michelle apportait sa contribution.

    Une aide-soignante passa rapidement à côté avec un fauteuil roulant vide.

    — Que sais-tu sur Frida ? demanda Michelle à voix basse tandis qu’elle écrasait son gobelet avant de le jeter dans une corbeille à papier.

    — Elle a étudié à l’université, mais je ne me rappelle plus quoi ? Un truc comme la zoologie.

    Katja haussa les épaules.

    — Je l’aime bien. Son mari est connu des services de police pour abus et violence, elle attend qu’une enquête soit ouverte. On a tout fait pour garder le secret sur sa présence chez nous, mais ça n’a pas été un franc succès. Il est à sa poursuite, Michelle. Je suis très inquiète.

    — Tu l’as vu ?

    — Pas moi. Rune l’a vu. Il m’a dit qu’il était grand et costaud… Il l’a vu dehors et l’a menacé d’appeler la police. C’est alors qu’il est parti. C’est vraiment la merde. Elle a une peur bleue de lui. Tu sais de quoi je parle.

    Michelle opina. Combien de femmes étaient dans la même situation que Frida ? Depuis que Michelle s’était impliquée dans le réseau, elle avait eu l’impression d’ouvrir la boîte de Pandore : il y avait toujours plus de cas. Elle avait lu quelque part qu’à l’échelle nationale, près de dix mille femmes vivaient dans un refuge. Des femmes qui n’avaient rien fait de mal, si ce n’est tomber amoureuses d’un homme qui les battait. Par ailleurs, nombreux étaient les enfants à en pâtir. La frustration était immense.

    — Elle a des enfants ? demanda-t-elle.

    — Non, non.

    Heureusement, pensa-t-elle.

    Katja prit son téléphone portable et se retourna pour parler. Michelle retourna auprès de Frida qui était sur le point d’enfiler un manteau. Avec ses mouvements, on aurait dit un mannequin, malgré la rigidité de son bras droit à cause du bandage. Elle était plus grande que les apparences ne le laissaient penser lorsqu’elle était allongée. Michelle dut lever les yeux pour rencontrer son regard.

    — E… excusez-moi, répéta-t-elle à l’intention de Michelle. Je ne veux pas être un poids, et pourtant j’en suis un.

    — Nous allons voir comment on peut régler cette situation, dit Michelle d’un air évasif tout en lorgnant sur l’horloge.

    Derrière elle, Katja mit fin à sa conversation téléphonique et lui cria de revenir dans le couloir.

    — On a un problème, Michelle.

    — Qu’est-ce qu’il y a ?

    Soudain, elle se dit que le mari de Frida était peut-être en route pour l’hôpital.

    — Il va venir ici ?

    Katja secoua la tête.

    — Non, ce n’est pas ça. Tu peux la prendre ?

    — Moi ? C’est-à-dire ?

    — Chez toi ?

    La question choqua Michelle. Le pouvait-elle ? Bien sûr, elle avait largement assez de place dans sa maison de ville, mais elle ignorait si elle en avait la force. Il fallait être capable de s’impliquer.

    — Je ne sais pas.

    — J’ai essayé de partout, mais je ne trouve rien, dit Katja. C’est juste pour quelques jours.

    Elle était passée maître dans l’art de convaincre. Convaincante, elle avait dû l’être dans sa vie professionnelle passée.

    Michelle repensa à Åsa Kaspersson et au sac à dos dans la voiture.

    — Ce n’est pas vraiment le bon moment, dit-elle, tout en entendant à quel point elle peinait à convaincre.

    — Argh. Vous allez bien vous entendre. J’en suis sûre.

    Katja lui adressa un sourire malicieux et remit ses lunettes en place. Elle était donc sérieuse.

    — Ce n’est pas si compliqué. En plus, tu as une maison rien que pour toi. C’est une situation d’urgence.

    — Tu n’as vraiment personne d’autre ?

    Katja écarta les mains dans un geste d’abandon.

    Les pensées de Michelle s’enchaînèrent à toute allure. En fait, ça n’aurait pas posé problème si elle n’avait pas accepté d’aider Åsa avec le contenu du sac à dos. Elle avait besoin d’être seule pour ça. Ça prendrait certainement plus de temps que prévu, c’était toujours le cas. Elle s’était imaginée être seule à la maison. D’un autre côté, elle pourrait toujours utiliser son bureau en centre-ville. C’était mercredi, et c’était plutôt calme en journée. Par ailleurs, il fallait qu’elle s’y mette. Elle avait prévu de passer prendre des vêtements plus confortables, mais ça pouvait attendre.

    — Combien de temps tu penses que… ?

    Elle ne termina pas sa phrase.

    — Deux ou trois jours au maximum, je te le promets. J’imagine qu’on aura réglé le problème d’ici là.

    — Bon d’accord.

    — Merci, Michelle. Rune et moi la déposerons chez toi après tout ça.

    Au plus profond d’elle, Michelle n’était pas sûre que ce soit une si bonne idée. Mais maintenant, il était trop tard pour revenir en arrière. Elle saisit son trousseau de clés.

    — Prends-les. J’ai un double.

    — Tu es un ange, tu le sais ça ?

    Michelle regarda sa montre. Il serait bientôt dix-sept heures.

    — Dis à Frida que j’arriverai plus tard, probablement dans la nuit. Qu’elle ne s’inquiète pas ! Donne-lui mon numéro de portable, au cas où. D’un air résolu, elle remit en place les longues mèches qui lui retombaient toujours sur le front.

    — Donne-lui le lit dans le bureau à l’étage. Il y a des draps dans la commode. Fouillez un peu. Je dois y aller.

    CHAPITRE 3

    Le bureau sur la rue Sveagatan en centre-ville se trouvait dans un vieil appartement fin de siècle loué par l’Université de Göteborg. En plus d’être temporaire, le lieu était sens dessus dessous, un peu comme sa vie en ce moment même. Autrefois, l’appartement avait dû être à la mode chez les gens de la haute, mais il était désormais miteux, le vieux papier peint se décollait et pendouillait par endroit. Parce qu’il était grand et que la hauteur du sol au plafond avoisinait les trois mètres (elle avait déjà mesuré), qu’il avait de magnifiques fenêtres voûtées, l’appartement était extrêmement pratique, même si la vue n’avait rien d’intéressant : une voie bitumée grisâtre et les fenêtres closes de tous les appartements le long de la rue. Si elle ouvrait les fenêtres et qu’elle se penchait à l’extérieur, elle pouvait apercevoir Sveaplan, une petite place où, l’été, elle pouvait se laisser aller à prendre un verre de rosé. Mais pour l’heure, en plein cœur de l’hiver, elle était relativement déserte.

    Le bureau disposait de plusieurs pièces, l’une d’entre elles étant la sienne. Enfin, pour être exact, la moitié d’une pièce. La plus grande était en fait divisée au moyen de vilaines armoires métalliques fermées à clé et remplies de trucs dont elle ignorait tout. Elle la partageait avec quelques collègues qu’elle ne connaissait pas et qui travaillaient dans différents domaines relatifs à la formation. Un grand bureau devant une lithographie en couleur, œuvre d’un artiste inconnu, quelques fauteuils et une petite bibliothèque, c’est tout ce qui lui servait à meubler la pièce. Sur un tableau d’affichage étaient suspendus des post-its. Les post-its étaient régulièrement remplacés, et ce même si Michelle n’avait jamais vu personne les changer. Dans la nouvelle penderie, dans cette partie de l’appartement qu’on appelait « le hall », juste avant la porte d’entrée, se trouvaient un évier et une machine à café (en panne) ainsi qu’un frigo au ronronnement grippé par les années. C’était son bureau. C’était là qu’elle « organisait ses séances », comme les appelait parfois la secrétaire de l’institution psychologique, probablement pour tenter un trait d’humour. Elle, la secrétaire, s’occupait de prendre les éventuels rendez-vous et les supervisait un par un.

    Michelle avait détesté le bureau dès les premiers instants.

    Il était sombre et impersonnel, et ceux qui y passaient s’y sentaient aussi mal à l’aise qu’elle. Entre ses collègues de bureau et elle-même existait un accord tacite et respectueux : quand l’un d’entre eux recevait quelqu’un, les autres se tenaient à l’écart du mieux qu’ils pouvaient. La plupart du temps, ils se trouvaient une occupation en ville.

    Officiellement, Michelle était une « personne-ressource » de l’Université de Göteborg et dépendait directement, d’un point de vue administratif, du doyen et de son secrétariat. Ses fonctions étaient somme toute assez floues : tandis qu’elle consacrait quelques heures chaque semaine à sa formation dans le domaine de la « psychologie médico-légale », elle devait « développer la pédagogie de l’institution », comme ils l’appelaient. Concrètement, le doyen l’avait repérée : c’était un domaine nouveau pour l’université, qu’il considérait comme son bébé.

    Après plusieurs années dans la police, Michelle avait décidé de se reconvertir.

    Elle avait tiré parti de ce talent si spécial dont tout le monde parlait. La formation psychologique de deux ans, axée sur le droit de la famille, lui avait convenu à merveille. Sur sa carte de visite, il était désormais écrit Psychologue médico-légale.

    Grâce à l’argent de son divorce avec Jörgen, elle avait pu financer sa formation, même si cela n’était pas grand-chose. Le divorce, oui, il avait été déchirant, mais d’un autre côté, il lui avait permis de se concentrer entièrement sur autre chose. Elle avait passé ses journées à travailler, et en même temps elle faisait tout pour oublier ce qu’il s’était passé. Le divorce, le procès, l’hospitalisation.

    Jörgen s’était moqué d’elle parce qu’elle n’était soi-disant pas déterminée. Elle avait voulu lui montrer à quel point il se trompait.

    Leurs amis communs avaient presque tous disparu, la plupart après le divorce, les autres après le procès. De toute façon, elle n’avait pas vraiment besoin d’amis. N’était-elle pas un loup solitaire après tout ? Dans tous les cas, c’est comme ça qu’elle le ressentait. Qui plus est, elle ne faisait plus confiance aux gens, donc ça lui allait. Il s’était passé beaucoup de choses.

    Un picotement se réveilla dans sa poitrine lorsqu’elle y repensa.

    Il y avait une sorte de bien-être à être seule, mais personne ne le comprenait bien sûr.

    Michelle Mohlin consacrait la plupart de son temps au travail, tout le monde le savait.

    Après ses examens, c’était un peu comme si elle avait gagné à la loterie, car décrocher un poste dans ce domaine n’était pas chose facile. Même si elle n’aimait pas particulièrement son rôle d’enseignante à l’université par rapport à celui de formatrice, elle avait appris à s’accommoder de la situation.

    Au départ, ses missions ne suffisaient pas à remplir ses journées, elle avait donc donné un coup de main lors des évaluations psychologiques de diverses manières, à la fois pour des entreprises et pour le secteur public. La plupart du temps, il s’agissait de venir en aide à un DRH à la recherche de la « bonne » personne, pour le « bon » poste.

    Et puis un jour, grâce au jeu des relations, elle s’était retrouvée à travailler sur « un petit truc » en dehors de son boulot. Elle, la relation, fut recrutée par les services sociaux chargés eux-mêmes de recruter des familles d’accueil. Il s’agissait de fournir un « soutien psychologique » pour les nouveaux arrivants et les autres. C’était vague, et Michelle aurait dû y réfléchir à deux fois, mais elle avait accepté presque immédiatement.

    C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance de Katja.

    Michelle appréciait ce qu’elle faisait, elle se sentait utile. Même si la rémunération était minime, que les missions étaient souvent complexes et chronophages, elle aimait ça.

    Les lampadaires menaient une lutte perdue d’avance contre l’obscurité lorsque Michelle tapa le code. Elle ignora l’ascenseur et prit les escaliers. Lorsqu’elle referma la porte, sa respiration était marquée. Son souffle n’était pas au mieux.

    Comme elle l’avait espéré, le bureau était vide et plongé dans le noir.

    Dans le frigo, elle trouva une cannette de Coca non entamée. Elle s’en saisit sans même avoir mauvaise conscience. Après avoir allumé sa lampe de bureau, elle pesta contre son habituelle douleur à l’épaule. Lorsqu’elle posa le sac à dos sur le bureau et commença à en sortir quatre classeurs format A4, elle s’en voulut de s’être laissé convaincre si facilement par Åsa.

    Dans quel pétrin s’était-elle fourrée ?

    CHAPITRE 4

    Rue Sveagatan.

    L’homme derrière le volant sifflote doucement pour lui-même lorsqu’il découvre le passage entre les deux voitures, bifurque et s’arrête. Il est costaud et se déplace en grognant tandis qu’il sort sa valise et en tire un appareil photo avec son long objectif. Il regarde autour de lui, tel un chasseur essayant de s’orienter avant de partir traquer l’animal, il passe entre les voitures, se met à plat ventre, la capuche sur le visage. Le vent souffle fort, et il fait de son mieux pour ne pas relever la tête quand souffle une rafale : la vérité, c’est qu’il ne veut pas qu’on le reconnaisse. L’instant d’après, il se tient précisément au bon endroit et sort son calepin. Il tourne les pages. Des colonnes sont déjà tracées dans un ordre précis. Date, Heure, Lieu. Et tout à gauche : Observations. Il note les informations en haut, avec la date du jour.

    Des gens se déplacent autour de lui, c’est généralement le cas en ville. Il ne se laisse pas déconcentrer. Un couple plus âgé avec une poussette s’approche et le dévisage en passant près de lui.

    L’homme avec l’appareil photo a l’air concentré.

    Il est évident qu’un point spécifique, de l’autre côté de la rue, est l’objet de son extrême curiosité. Il s’appuie contre le mur de la maison et tâche de paraître blasé. Mais il est tout sauf blasé.

    À l’intérieur de lui, il y a de l’excitation. Il la cartographie. Il veut tout savoir d’elle. Où elle habite, où elle travaille, qui elle fréquente, ce qu’elle fait.

    Quand elle rentre et quand elle part.

    Il a besoin de tout savoir, tout !

    — après tout, il a des projets pour elle. Mais il ne peut pas rester plus longtemps. Ce serait une erreur. Il ne peut rester que vingt minutes, s’il veut avoir l’air naturel.

    Il ne peut s’empêcher de siffler. Il siffle systématiquement un air qui correspond à ce qu’il est en train de faire :

    I’ll get you in the end.

    C’est une chanson des Beatles, un groupe qu’il adore. Aussi.

    L’obscurité est sa véritable amie. Bien sûr, il y a un réverbère un peu plus loin, mais la lumière ne l’atteint pas : son visage est plongé dans la pénombre. De temps en temps, il regarde sa montre, comme s’il attendait quelqu’un. Comme si quelqu’un avait rendez-vous avec lui à cet endroit-là. Mais c’est un jeu. C’est une partie du jeu. Il a l’impression d’être un acteur et de jouer sur scène. Ça le fait rire intérieurement, rien que d’y penser.

    Ça l’amuse énormément.

    Il saisit son téléphone portable et lit un SMS. Mais il fait semblant : il ne quitte pas des yeux ni l’entrée ni les gens qui s’agitent autour de lui.

    Il attend patiemment.

    Il a déjà des photos d’elle, mais il en veut plus. Il n’en a jamais assez. Il veut voir à quoi elle ressemble au quotidien. N’a-t-il pas attendu toutes ces années pour cela ? Il a planifié chaque étape du jeu. Les années derrière les barreaux n’ont pas été vaines.

    Il passe d’un pied à l’autre de temps à autre, comme s’il avait froid (encore une fois : cela fait partie du jeu), mais sinon il reste immobile, tout à fait immobile. Tel un renard dans son terrier qui observe, qui attend sa prochaine proie. Il déglutit, ça lui fait mal, il a la gorge toute sèche.

    Il ressent une véritable excitation à ce moment-là.

    Là !

    Elle marche sur le trottoir. Il arrive tout juste à respirer lorsqu’il saisit l’appareil photo et prend des clichés d’elle en train de taper son code, avant d’appuyer sur la poignée et d’ouvrir la porte.

    Ses jambes tremblent, son cœur s’emballe, sa respiration accélère.

    Lorsque son manteau se soulève sous l’effet du vent et qu’il aperçoit son superbe profil  sa poitrine et sa jupe !

    — il a l’impression d’avoir reçu un coup au niveau de l’abdomen. Juste avant que le portail se referme, il réussit à prendre une dernière photo.

    Elle a disparu. Un moment de pure chance.

    Il retourne à la voiture et doit rester assis quelques minutes et se calmer derrière le volant avant de prendre son calepin et d’y noter quelques lignes sous Observations. Tout en grommelant, il démarre la voiture, et pendant qu’il remonte la rue Kastellgatan en direction de la place Skanstorg, il réfléchit à la meilleure manière de mettre la main sur le code.

    I’ll get you in the end. Oh yeah, siffle-t-il doucement pour lui-même.

    CHAPITRE 5

    Michelle tira les rideaux de la fenêtre avant de s’asseoir au bureau. J. A., pouvait-elle lire sur les classeurs, lesquels contenaient toutes sortes de choses, comme des photos, des bandes vidéo, un rapport d’autopsie, des cartes, des esquisses du lieu de la découverte et la transcription des auditions de témoins, jusqu’aux rapports de la police scientifique et aux antécédents de la victime. Il y avait même une vieille photo Polaroïd qui dépassait. Elle soupira. Il lui faudrait plusieurs jours pour tout consulter.

    En saisissant une carte avec des photocopies de photos, elle ressentit des picotements dans tout son corps. Était-elle toujours de la police ? Les dernières années n’avaient-elles pas fait d’elle quelqu’un d’autre ? Ou alors était-ce comme le disaient certains : policière un jour, policière toujours ?

    Elle n’ignorait pas ce qu’on attendait d’elle.

    Åsa et son équipe voulaient qu’après étude de ces documents, elle puisse leur dresser un portrait de la victime. Elle s’en était déjà chargée par le passé, et ce à un niveau tel qu’elle avait fait parler d’elle au sein de la police, mais c’était peut-être aussi la raison pour laquelle ça ne fonctionnerait pas cette fois.

    Mécaniquement, elle tira sur sa mèche de cheveux au niveau du front et la glissa derrière une oreille.

    Elle s’arrêta. Elle ne pouvait plus faire marche arrière.

    Elle avait l’impression d’être au sommet du plongeoir, sur le point de s’élancer dans l’eau. Un pas de plus, et elle ne pourrait pas faire autrement que de tomber. Ce serait complexe et prendrait le peu de temps qui lui restait. Mais au plus profond d’elle, elle savait que sa décision était prise. Åsa devait estimer qu’elle, Michelle, serait capable de faire quelque chose. C’est un fait, les enquêtes finissent parfois dans une impasse, elle en savait quelque chose, et il fallait alors avoir les idées claires. « À l’international », avait insisté Åsa, voilà qui était intéressant. Chaque heure comptait dans cette chasse à l’assassin. Elle savait très bien ce que ça signifiait : s’ils ne mettaient pas la main sur le coupable rapidement, d’autres victimes seraient à prévoir. C’est ce qu’avait sous-entendu Åsa.

    Déterminée, elle saisit le classeur le plus proche. Tout en haut, écrit à la main à l’encre noire, on pouvait lire un nom : Jessica Elisabeth Sofia Andeby. Grâce à la date de naissance, Michelle calcula rapidement que Jessica était âgée de vingt-deux ans au moment de son assassinat. Plus bas, il y avait le nom d’un village : Hyssna.

    Elle tourna les pages. Des images de l’autopsie. Elle aurait préféré ne pas les voir, mais il était trop tard. Après avoir réglé la lampe de bureau, elle se pencha en avant.

    Dans la salle d’autopsie, Jessica Andeby était allongée sur le dos, nue, sur une table en acier inoxydable. Ses cheveux blonds mi-longs dessinaient mollement une croix sur son visage. Yeux clos, lèvres fines et blanchâtres. Elle avait l’air tout sauf décédée. On aurait dit qu’elle se reposait, qu’elle aurait pu ouvrir les yeux à n’importe quel moment. Une incision avait été pratiquée depuis la poitrine jusqu’à l’abdomen, une autre incision courait au niveau de son crâne, là où l’on avait utilisé une scie à amputation pour extraire la cervelle. La photo suivante devait avoir été prise avant que le médecin légiste ne pratique les incisions. Sur cette photo, on voyait que Jessica était recouverte de petites et de grandes lésions sur tout le corps, de la tête jusqu’aux pieds. De partout, des contusions, des égratignures et des croûtes. Même aux genoux. Étrangement, les pieds et les mains, même avec des plaies, avaient été nettoyés par l’assassin. Les ongles, parfois cassés, étaient propres et coupés.

    Le vagin de Jessica avait été nettoyé à l’essence. Une seule explication possible pour Michelle : il s’agissait de détruire toute trace d’ADN. Autour du cou de Jessica, on pouvait voir les marques typiques d’une strangulation. Michelle savait bien que les organes au niveau du cou, en cas de suspicion de strangulation, étaient examinés en dernier lieu par l’équipe du médecin légiste. Chaque muscle, chaque veine, chaque nerf était disséqué à la pince et au scalpel. Le cartilage supérieur droit du larynx était brisé, avait indiqué le médecin légiste dans son rapport. Tout semblait indiquer que l’assassin avait exercé une forte pression avec ses deux pouces au niveau de la gorge, jusqu’à ce que sa victime succombe. Cela impliquait un assassin particulièrement déterminé et physiquement imposant. Michelle eut de la peine pour Jessica. Qu’était-il arrivé à cette pauvre fille ?

    Les photos suivantes étaient principalement des photos en gros plan des oreilles. Les plaies y avaient une forme particulière que l’on retrouvait des deux côtés du visage. Dans le rapport, le médecin légiste avait écrit : Bride. Avec, à côté, un immense point d’interrogation entouré. Michelle se mordit la lèvre, perdue dans sa réflexion. Bride ? N’était-ce pas un outil qu’on utilisait avec les chevaux ? Qu’avait-il voulu dire ?

    Il y avait plusieurs photos, elle les mit de côté. Pas maintenant.

    Tout cela relevait des apparences ; ce qu’elle voulait, c’était entrer dans la tête de Jessica.

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