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Pour quelques vapeurs de femmes
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Livre électronique212 pages2 heures

Pour quelques vapeurs de femmes

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À propos de ce livre électronique

Jeune presque trentenaire, auteur sans le sou et petit historien de trois-fois-rien, Camil Tousignant écume les bars avec ses compagnons de misère. Ainsi, il s’abime de rencontres amoureuses éphémères en espoirs déçus, entre idéal romantique et désirs strictement physiques.

L’éternel choc entre l’esprit et la matière, comme diraient les Anciens. Oserez-vous vous enfoncer et patauger avec lui dans pareil égout?

A la manière d’un Houellebecq, l’auteur se livre ici à un examen cru et sans fard des relations d’une jeunesse en quête de repères amoureux à l’ère de l’hypermodernité virtuelle où tout se consomme, se consume et se jette. Même l’amour. Le jeune homme québécois livré à nu dans toute sa misère sexuelle et affective.
LangueFrançais
ÉditeurÉditions AdA
Date de sortie14 sept. 2019
ISBN9782898037849
Pour quelques vapeurs de femmes
Auteur

Gabriel Thériault

Détenteur d’une maîtrise en histoire, Gabriel Thériault est l’auteur d’une saga féodale saluée par la critique : Bourse pour la relève du CALQ 2009, Prix de la Relève professionnelle artistique du GALART, nomination au Prix Nouvelles Voix littéraires du SLTR 2012… C’est suite à deux années de recherche et de dur labeur que Thériault revient sur la scène littéraire avec Dans les ventres d’acier, un roman plongé dans l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale.

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    Aperçu du livre

    Pour quelques vapeurs de femmes - Gabriel Thériault

    LIVRE PREMIER

    PREMIÈRE PRÉFACE

    MOI, CAMIL TOUSIGNANT

    Chers lecteurs, me voici comme je suis devant vous. Camil Tousignant, presque trentenaire, mais pas encore. Je tiens à cette précision. Je ne désire pas me ruer vers l’âge adulte ; rien ne presse ; tout stagne, tout s’enlise : mes jours rampent plus qu’ils ne courent. Ayant tout, intelligence, beauté, jeunesse (encore ?), je n’ai néanmoins pas l’amour. Autant dire que je n’ai rien. L’homme n’est rien sans amour.

    De profession, si on peut dire ainsi, je suis écrivain. À l’évocation de mon état, vous avez probablement déjà quelques idées en tête. De ces idées toutes faites sur les voies amoureuses que devrait m’ouvrir ma condition. Sûr de votre triomphe, vous ne pouvez résister à la tentation de me hurler joyeusement vos vérités à la gueule :

    — Allons, avoue, vieux salaud, tu te tapes toutes les filles que tu veux ! T’as juste à dire que tu es écrivain et elles s’agenouillent devant toi !

    — S’agenouiller ? Pour ?

    — Pour t’honorer et…

    — Et ?

    — Et pour ouvrir la bouche !

    — Quel refrain salace me chantes-tu là ?

    — Fais pas l’innocent ! Les hockeyeurs, les politiciens, les rockeurs ont les leurs ! Pourquoi pas vous, les écrivains ?

    — Leurs quoi ?

    — Leurs groupies ! Voyons ! Allume ! T’es lent de la feuille ou quoi ?

    C’est là qu’habituellement, je rigole un bon coup. J’aurais envie de vous donner raison. Mais il y un truc ou deux entre votre affirmation et la vérité. Peut-être que si j’écrivais autre chose que du roman d’horreur glauque de tueries, autre chose que du roman médiéval, je pourrais vous donner raison. Mais habituellement, à l’évocation du genre que je pratique, les filles prennent un visage se passant de mots et signifiant quelque chose comme :

    — Je dois y aller. Je suis vraiment désolée, mais j’oubliais que j’ai une tarte au four.

    À bien y penser, j’aurais mieux fait d’avouer que j’étais un pédophile ou un junkie fini, à ses heures, amateur de bagarre et de sang.

    Il est assez facile de s’imaginer la discussion qu’elles ont eue en compagnie de leurs copines, les coudes serrés sur leur table, la coupe de rouge aux lèvres.

    — Les filles, vous ne savez pas quoi ?

    — Quoi ?

    — Le gars que je vois… C’est un écrivain !

    Ses quatre amies, ne pouvant plus contenir leur enthousiasme, éclatent à l’unisson :

    — Tu me niaises ?

    — Super !

    — Jalousie !

    — Je suis trop jalouse, moi aussi !

    — Pas de farce ! que répond la chanceuse. Je vous le jure ! Oui, c’est un vrai de vrai !

    — Il écrit quoi ?

    — On le connaît ?

    — Des romans médiévaux ! Mais je ne pense pas que vous le connaissez. Il commence. Pis de toute façon, je sais que pas une d’entre vous ne lit !

    — Ouache ! C’est sans intérêt si personne ne le connaît !

    — En plus, c’est clairement un geek ! Le Moyen Âge, c’est vraiment une époque de marde. J’ai vu ça dernièrement dans un film avec le beau Orlando. Oublie ça ! C’est pas un écrivain. C’est juste un crisse de nerd.

    — T’as ben raison dans le fond… Qu’est-ce que je fais ? On est supposé aller boire une bière.

    — Dis que t’es malade !

    — Ou que t’as pas le temps !

    — Mieux ! Réponds pas à son message !

    — Merci les filles. Vous êtes toujours de bon conseil ! Vous êtes toujours là pour moi !

    Vous me suivez ? Ce qu’elles veulent dire, c’est : « je vois un écrivain, j’ai embrassé un écrivain, je me suis prise une bite d’écrivain, etc. », bref se complaire dans l’image, mais se foutre de la personne, ne pas vouloir approfondir, ou plutôt vouloir se faire approfondir l’entrejambe, mais jamais rencontrer et connaître la personne derrière l’écrivain que je suis.

    Êtres superficiels, oiseaux attirés par tout ce qui brille, trop de jeunes filles, surtout du moment qu’elles sont belles, ne vont qu’en surface. Avec elles, l’image prime sur le fond et sur l’être. Quand leurs vingt ans s’effeuillent, elles ne veulent peut-être plus du petit truand comme au secondaire, mais elles tombent néanmoins pour le beau gars qui voyage, bouge sans arrêt, fait du parachute, se fait tatouer. En somme, du Guillaume Lemay-Thivierge, ou autres saveurs viriles de la semaine dont raffolent ces dames. Ce qui, au final, trahit une même attirance pour le vide. Les gars réservés, timides, posés, n’ont jamais été le genre de gars qui les attire. À moins d’être riche. Ou puissant. Ou célèbre. Idéalement les trois à la fois. Remarquez bien, chères lectrices, les hommes ne sont guère mieux. Ils sont obsédés par la beauté, les seins, les culs, le corps et la chair. À chacun ses vices !

    Je vous entends d’ici. Vous vous écriez : « Camil, tu m’énerves, câlisse ! Cesse de généraliser ! Les femmes ne sont pas toutes comme ça ! ». Mais j’affirme sans vergogne, au risque de vous faire hurler. Le relativisme m’a toujours pété les couilles. La lutte à la généralisation est devenue une des obsessions de notre époque. Nous ne pouvons plus classer et comprendre la réalité par l’outil intellectuel que constitue la généralisation. Si hier, l’exception confirmait la règle, aujourd’hui, l’exception fait la règle.

    Déjà, sur le point de jeter mon œuvre aux flammes ? Ou, pour les plus raffinées d’entre vous, de vous en servir comme d’un torche-cul ? Mesdames, êtes-vous encore là ? Me haïssez-vous déjà ? Rassurez-vous. Je n’en ai pas contre vous, mais plutôt contre le système nous ayant façonnés. Je ne crois pas que vous soyez plus heureuses que nous dans ce merdier, ce foutoir total où les corps pataugent et s’étreignent jusqu’à en crever de plaisir, la gueule ouverte.

    J’aimerais néanmoins vous demander par respect pour vous, non pas pour moi (je suis un être perdu, irrémédiablement perdu, aussi bien m’oublier) de laisser votre bien-pensance de côté avant d’entamer votre lecture. Soyez vraie pour une fois. Soyez sincère. Personne ne vous voit. Personne ne vous entend. Je vous prie de ne pas vous mentir. Avouez avec moi : toute notre société est fondée sur l’adoration du corps, de la beauté et de la jeunesse. En Occident, l’humain est tout maintenant que Dieu est mort. Que l’immigrationisme lui permette de tenter un retour ou non, il est mort depuis quelque temps déjà, pour tout vous dire. J’espère que je ne vous l’apprends pas. En vrai, il est plus que mort. Son cadavre putride, bouffé de vers, pue la charogne depuis longtemps.

    Conscients de notre mort sans but, disloquant nos âmes, les renvoyant au néant originel, nous valorisons, pour ne pas dire que nous exaltons, la vie, le corps, la jeunesse, la jouissance, le cul, qui est la négation de la mort et de l’absurdité de nos existences. Le corps se marchande et se transige comme le reste. L’offre et la demande s’appliquent dans nos rapports amoureux. Les belles femmes savent trop que l’offre est faible, mais la demande, grande. D’où leur rareté, d’où leur prix.

    Ajoutons l’œuvre de la porno, son travail souterrain de sape. Tous y sacrifient de trop longues heures, seul, en cachette, honteux pour la plupart. Par sa perfide influence, elle achève de jeter à terre l’Amour pur, l’amour nu, pour réduire les relations entre hommes et femmes en une banale consommation des corps. Quel homme, à la vue d’une poitrine grotesque dérobée sous un soutien-gorge en mousse trompeur, n’a-t-il pas voulu zapper un corps, comme il en a l’habitude sur la Toile, pour un autre mieux sculpté ? Quelle femme n’a-t-elle pas fantasmé, espéré le bel étalon noir à la queue immense, quand, déculottant son galant, elle a dû chercher ce qui chez lui faisait office d’appendice voué au plaisir (et accessoirement à pisser) ?

    Je vous vois, penché sur votre cellulaire, le cul sur votre chaise de métro, pas sûr de savoir si vous aimez ce que vous lisez entre deux lignes de mon roman et le statut que Sylvie a publié sur son Facebook. Vous pensez : pour qui se prend-il ? Il a encore la couche aux fesses que déjà il nous pond son autobiographie ! C’est qui ce jeune insolent de Camil Tousignant ? Qui est-il pour se mettre en scène, pour nous parler d’amour du haut de ses trente ans comme s’il était un vieux sage à la barbe blanche et fleurie ?

    Que je ne sois rien ni personne ne change rien à l’importance de mon propos ! Depuis le XIIe siècle, la civilisation occidentale n’a-t-elle rien produit d’autre que des œuvres traversées par la passion amoureuse et son souffle balayant tout ? Tout tourne autour d’elle. C’est la plus antique tyrante. Elle règne sur nos vies depuis des siècles ; elle nous fait mentir, souffrir, crever un peu plus jour après jour, mais nous l’adorons pourtant de plus en plus violemment, avec abandon même. Aujourd’hui, c’est pire encore. Toute la musique, tous les romans, tous les films la mettent en scène, comme si l’expérience humaine se résumait à l’amour. Voudrais-je passer à côté de l’expérience humaine ?

    Vous n’en pouvez plus déjà. Vous êtes sur le point de vous écrier, n’en jetez plus ! La cour est pleine ! Pourtant, vous lisez encore, avec une sorte de curiosité morbide pour ce qui vous répugne.

    Mais j’ai trop parlé. Maintenant je me tais. Je laisse parler mon œuvre. Penchez-vous. Admirez. Voyez les égouts de ma pensée. Suivez la puanteur, elle vous indiquera la voie.

    LE DESTIN, BELLE SALOPERIE !

    Moi et elle. Nous deux. Nous essayons de survivre au fracas. Dans un quelconque bar de chansonniers, nos tympans sont en sang ou presque, vibrants, saturés de musique nulle, de succès mille fois chantés à s’érailler la voix et se fêler la gorge.

    — C’est quoi ton nom ?

    Voilà ce qu’elle me crie, tout au fond de l’abîme de son qui nous engloutit vivant, et des profondeurs duquel nos cris peinent à poindre aux surfaces de l’audible.

    — Camil, que je lui réponds.

    — Comme moi.

    Ses yeux s’allument. Elle fond. Le destin, oui, le destin, cette belle connerie à laquelle toutes les femmes croient, sinon communient, vient de nous jeter l’un sur l’autre. Nous avons le même prénom. Nous nous plaisons. Nous finirons ensemble. C’est une certitude. Ne reste plus qu’à savoir comment, et surtout quand.

    Elle s’éloigne un peu, mais nos regards nous lient l’un à l’autre, par un fil tenu, si mince, si délicat, qu’il peut se rompre à tout instant, à la moindre secousse que causerait l’arrivée impromptue d’un nouveau fêtard, plus jeune, plus fou, plus cool que moi. Une sourde inquiétude, un sentiment d’urgence me nouent le ventre. Pourtant, j’ai su dès les premiers instants, par une sorte de chimie, d’expérience de celui ayant traqué et chassé, par une certaine lueur dans son regard, par la façon qu’elle a eue de me toucher l’épaule, de faire jouer son haleine tiède et parfumée sur mon oreille, qu’elle est déjà mienne.

    Elle revient à moi. Déjà le décor, le bar dans lequel nous sommes, la musique trop forte, mes amis n’existent plus. Ce n’est pas un sentiment amoureux, c’est la concentration, l’attention tendue, l’effort vers l’autre, le désir de conquête. Nous échangeons encore des conneries braillées à travers la musique qui nous abrutit, rend inutiles toutes discussions, mais génère le prétexte parfait pour s’approcher, s’effleurer, se toucher, avec une retenue contre laquelle l’animal en nous lutte ; le désir et la chair déjà nous jettent en pensée l’un contre l’autre. Puis, je lui offre un conseil, un conseil de vie bidon, une niaiserie, des mots sans sens que j’oublierai le lendemain, en échange d’un chaste baiser sur ma joue que je lui tends. Mais son baiser n’a rien de chaste. Elle l’a déposé lentement, suavement, comme une esquisse de ce qui ne saurait tarder.

    Un verre avalé. Un autre. Un de trop. Je bois du feu. Le brandy me brûle le ventre et l’âme. Assez tardé, je me jette sur elle, mes bras la plaquent contre moi. Bouche sur bouche, son corps se moule au mien, sous les regards médusés de mes amis déjà délaissés. Seulement vingt minutes ont passé depuis notre arrivée dans le bar que déjà la fille la plus magnifique de l’endroit m’appartient, s’offre à moi. Elle est mienne.

    Illusion de mâle, je crois la posséder, alors que c’est elle qui me possède déjà. De toute façon, je connais peu d’hommes qui ont possédé une femme. Les mots gardent parfois le souvenir de pratiques révolues, de temps anciens où il en allait autrement de nos gestes. Aujourd’hui, ce sont les femmes qui nous possèdent. Ce sont nous les pantins, les esclaves de leurs envies. Pourtant, notre culture nous renvoie encore l’idée de femmes abusées, délaissées, après la jouissance des corps. Quelle farce ! Si l’image n’était pas aussi convenue que banale, je dirais que moi, misérable mouche, je me suis englué dans la toile d’une grande chasseresse. Veuve noire, elle me dévorera après l’accouplement, comme toutes les filles rencontrées au hasard des jours, dans l’abrutissement des beuveries.

    À quoi bon rester au bar quand nos chambres, dans leur moiteur des étreintes, ont beaucoup plus à nous offrir ? Je salue mes amis. Ils me rendent mon sourire, sourires complices aux lèvres, tapes gaillardes sur le dos, conseils paillards à la bouche. Leurs yeux luisent, comme si, dans une amitié étroite, notre fraternité de loups en meute, nous pouvions échanger nos plaisirs, partager ceux de nos compagnons, dévorer la même chair qu’eux.

    Nous quittons le bar. Elle et moi. Seulement nous deux, l’un auprès de l’autre. Qu’elle est grande alors la joie et la fierté, sentiment dans lequel la part animale en nous refait surface, nous accroche au visage un sourire béat ! Nous délaissons le bar, son seuil depuis lequel s’exhalent des éclats de musique, de voix, de rire ; c’est un bâtiment quelconque, mais grand entremetteur, pont entre l’homme et la femme ne se rejoignant plus, les inconnus ne se parlant plus que sous l’effet de l’alcool.

    Nous marchons dans les rues, nues, désertes. Je découvre un peu ma Camille. Hors la pénombre des bars, dans la lumière glauque des lampadaires sous lesquels nous défilons, découpant la belle, son visage, ses yeux, son nez, sa bouche, je la vois mieux. J’entends sa voix, nue, extraite du tombeau sonore dans laquelle elle gisait, morte, noyée, indifférenciée dans la masse. Quelque chose dans sa voix, dans ses expressions me donne à penser qu’elle est jeune. Je lui donnerais presque dix ans de moins que moi. Ma chair brûle. Qu’il est long le trajet jusqu’à chez moi !

    Au détour des rues, après s’être échangé cent banalités, après avoir appris quelques détails sur elle, pour la découvrir elle, l’âme derrière le corps, l’immeuble où j’habite se dresse enfin devant nous. Sa façade, ses briques rouges, ses fenêtres, sa porte, pourtant si familières, si banales, m’apparaissent

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