Pour un rêve d’enfant
Son cabas vide à la main, Roselyne Dutilleul sortit de l’ascenseur, puis se dirigea à pas menus vers la rangée de boîtes aux lettres. Elle ouvrit la sienne. Un large sourire éclaira son visage strié de rides lorsqu’elle en retira une carte postale. Celle-ci provenait des États-Unis, de Seattle plus précisément, où son fils Samuel s’était installé avec sa femme et son fils quatre ans auparavant. Depuis, la septuagénaire ne les avait revus qu’à deux reprises seulement, lors des fêtes de Noël. Son regard mélancolique déchiffra l’écriture arrondie s’étirant au dos de la carte. Un soupir de déception s’échappa de la poitrine de la vieille dame. Finalement, Léo, son petit-fils, ne viendrait pas séjourner chez elle pendant les vacances, comme cela avait été convenu un mois plus tôt. À la suite d’une mauvaise chute de skate-board, il avait la jambe dans le plâtre.
Roselyne grommela en son for intérieur. Décidément, le destin s’acharnait à repousser la visite de Léo aux calendes grecques ! Déjà, la fois précédente, son voyage avait dû être annulé parce qu’il avait perdu son passeport. À ce train-là, elle aurait rejoint l’au-delà où l’avait précédée son mari avant d’avoir pu serrer son petit-fils dans ses bras. D’un haussement d’épaules désappointé, elle chassa vivement cette sombre idée de son esprit.
« Si j’écoutais mon fils, il faudrait que ce soit moi qui aille les rejoindre. Il m’a déjà proposé plus d’une fois de m’offrir mon billet, et c’est bien gentil de sa part. Mais il devrait aussi se mettre à ma place ! Monter dans un avion et m’envoler vers un pays qui fait dix-sept fois la France, sans comprendre un traître mot d’anglais, ce n’est plus de mon âge. Quelle idée aussi de s’exiler à l’autre bout du monde ! Il ne pouvait donc pas l’ouvrir chez nous, son restaurant ! »
Tout en suivant le fil de ses récriminations, Roselyne était sortie de l’immeuble et prenait à présent la direction du supermarché. En cheminant, elle s’aperçut soudain qu’elle s’était trompée de jour. On était mercredi, alors que depuis des années, elle faisait toujours ses courses le mardi.
« Ma pauvre fille ! se morigéna-t-elle, contrariée par ce contretemps, on dirait que tu perds la tête. Enfin, maintenant que je me trouve à mi-parcours, je ne vais quand même pas faire demi-tour. »
