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Berserk: A l’encre des ténèbres
Berserk: A l’encre des ténèbres
Berserk: A l’encre des ténèbres
Livre électronique398 pages8 heures

Berserk: A l’encre des ténèbres

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À propos de ce livre électronique

L'auteur plonge dans la magie de l'épopée de Guts, qui a fait frémir un grand nombre de lecteurs par sa profondeur et sa maitrise...

Publié à partir de 2004 par Glénat en France, Berserk est un manga qui brille par son univers riche, tortueux et sombre. C’est une savante alchimie entre le Seigneur des anneaux et les tableaux de Jérôme Bosch et Gustave Doré. Le nombre de ventes du manga Berserk dépasse actuellement les 35 millions de volumes écoulés dans le monde entier.
L’ouvrage Berserk. À l’encre des ténèbres revient sur tous les aspects de la vie de l’auteur du manga, Kentaro Miura, sur l’histoire de Berserk, et analyse en profondeur la symbolique de l’œuvre.

Quentin Boëton propose, dans ce réel travail de recherches, de retracer un pan de l'histoire des mangas Bersek dans ce recueil unique à visée didactique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces mangas à travers des réflexions et des analyses originales.

EXTRAIT

De tous les personnages de Berserk, Griffith est sans aucun doute l’un des plus difficiles à cerner. Cet être à l’apparence presque angélique renferme en lui des ténèbres dépassant l’imagination. Il montre ainsi des visages très différents, témoignant d’une poigne de fer dans un gant de velours. Griffith sait que pour être mystérieux et fascinant, il faut être « illisible », savoir brouiller les cartes pour cacher sa véritable personnalité. Judo lui-même a saisi la complexité de ce masque à deux visages, qui oscille entre le bon et le mauvais : « Comment dire ? Il semble touché par la sagesse et pourtant il a l’apparence d’un gamin. Un instant il te jette un regard à te glacer le sang, l’instant d’après il te sourit comme un bébé né de la dernière pluie. Je ne saurais dire s’il est mature ou irresponsable, s’il est foncièrement bon ou la pire des racailles. » Personnage trouble, Griffith s’est vu offrir par Miura une destinée, un objectif... un rêve. Il l’a doté d’une ambition si dévorante que le Faucon va illustrer de la pire façon l’adage populaire « la fin justifie les moyens », l’idée que lorsqu’on désire quelque chose, il faut être prêt à tout lui sacrifier. Là où Miura fait encore une fois preuve de finesse, c’est qu’au lieu de créer un personnage méprisable et bassement avide, il imagine un Griffith rayonnant et magnétique, qu’on est au départ prompt à admirer.

CE QU'EN DIT LA CRITIQUE

"Ce n'est pas la première lecture de cette maison d'édition que je lis et, encore une fois, c'est une perle ! Déjà, le livre est en lui-même très beau avec sa couverture rigide représentant un personnage emblématique et l'ambiance sombre du manga. Analyser Berserk n'est pas tâche facile, et pourtant l'auteur s'en sort haut la main, bravo à lui et quel bel hommage au sublime manga qu'est Berserk ! Moi qui aime analyser des oeuvres que j'adore, me voilà comblée ! Excellent travail ! " - Kae Morrigan sur Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une maîtrise de Droit abandonnée et une obscure carrière de musicien maudit, Quentin Boëton trouve la lumière cosmique et un sens à sa vie en entrant aux Beaux-Arts de Paris à vingt-cinq ans, dont il sort diplômé en 2009, après y avoir appris la vidéo et Photoshop en autodidacte. Là-bas, il peut enfin laisser libre cours à son amour presque maladif pour l’étrange, l’art et pour la création. Après trois ans comme monteur sur un obscur long-métrage appelé Sorgoï Prakov et des années de galère, c’est par un besoin irrépressible de sortir ses projets de sa tête qu’il lance, sans trop y croire, la chaîne YouTube « ALT 236 » à trente-cinq ans. Grâce à un miracle, et le soutien des abonnés, il exerce cette activité de vidéaste à plein temps. Il explore avec une passion dévorante les recoins sombres de l’imaginaire humain et tente d’y inviter tout le monde, y compris les néophytes. Passé par l’émission BiTS, il tient également une rubrique pour le magazine Canard PC.
LangueFrançais
Date de sortie31 oct. 2019
ISBN9782377842544
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    Aperçu du livre

    Berserk - Quentin Boëton

    Illustration

    INTRODUCTION

    IllustrationIllustration

    AVANT de nous lancer à corps perdu dans l’autopsie passionnée à laquelle nous invite Berserk, il est nécessaire de résumer brièvement la structure, mais aussi les événements et personnages importants du récit jusqu’au tome 40, dernier volume paru à la publication de ce livre.

    La structure temporelle de Berserk est peu commune : les trois premiers tomes montrent Guts, adulte, en plein milieu d’une histoire de vengeance dont il nous manque tous les éléments. À partir de la fin du tome 3, Miura entame un radical retour en arrière, puisque nous reprenons l’histoire depuis la naissance de Guts jusqu’au point où nous en étions au début du tome 1, puis il déroule les événements de façon chronologique jusqu’aux derniers épisodes parus. Le manga est divisé en parties appelées « arcs », qui elles-mêmes comprennent plusieurs chapitres. Ces arcs sont de taille inégale : celui appelé « Le guerrier noir » fait huit chapitres, suivi du fameux arc de « L’âge d’or » qui en fait quatre-vingt-six. Vient ensuite « L’ère des châtiments », fort de quatre-vingt-deux chapitres, puis « Le faucon millénaire », le plus conséquent jusqu’à présent avec cent trente et un épisodes. L’arc en cours, appelé « Fantasia », en est à son quarantième chapitre à ce jour.

    Résumer plus de 9 000 pages de manga de façon complète est impossible sans faire un second livre, mais, afin de vous donner les clés de compréhension nécessaires - et raviver les souvenirs -, il nous faut retracer brièvement les points capitaux de chaque arc narratif.

    LE GUERRIER NOIR

    Cet arc assez énigmatique révèle pourtant beaucoup d’éléments mythologiques capitaux dont nous comprendrons l’origine et le sens plus tard dans l’histoire. On suit un mystérieux guerrier solitaire appelé Guts, suivi malgré lui par un petit elfe sympathique nommé Puck. Guts semble en quête de vengeance puisqu’on le voit traquer deux notables qui paraissent cacher une nature monstrueuse. Il tue d’abord un baron serpent, puis part à la poursuite d’un comte sanguinaire. Ce faisant, il découvre un étrange objet, celui-là même qui aurait changé le Comte en « apôtre », une sorte de chimère monstrueuse au service d’entités maléfiques. Ces entités sont justement l’objet de la vengeance de Guts : on les appelle les archanges de la Main de Dieu, ou God Hand. L’objet qui permet de les invoquer est en forme d’œuf et est appelé béhérit. Le Comte retrouve son œuf et invoque les God Hand en présence de Guts. Quand le guerrier noir voit l’un d’eux, qu’il nomme « Griffith », on comprend que c’est contre lui qu’il dirige toute sa haine... Les God Hand demandent au Comte le sacrifice de sa propre fille en échange de la mort de Guts, mais comme il refuse, ce dernier est aspiré en enfer et les God Hand disparaissent.

    L’ÂGE D’OR

    C’est à partir de ce point qu’on reprend l’histoire de zéro. On découvre la naissance de Guts, son enfance particulièrement dure et sa fuite du groupe de mercenaires qui l’a recueilli, après qu’il a tué son père adoptif, Gambino. C’est ensuite que Guts va faire la rencontre de la Troupe du Faucon, une bande de mercenaires menée par l’intrigant et fascinant Griffith, qui porte d’ailleurs une béhérit en pendentif. C’est là qu’il fait également la connaissance de Casca, pour qui il éprouvera d’abord des sentiments conflictuels, puis intimes. Tout cet arc voit la montée en puissance de la troupe, qui remporte victoire sur victoire et met fin à la guerre de Cent Ans, qui rongeait le Midland. Griffith courtise même la fille du roi, mais à cause d’une forte jalousie à tendance possessive, Guts et Griffith voient leurs rapports se compliquer. Le guerrier noir décide alors de quitter la troupe pour trouver sa propre voie et, par dépit, Griffith couche avec la fille du roi du Midland. Fou de rage, ce dernier met le Faucon aux fers et le torture jusqu’à briser l’âme de l’ancien chevalier. Quand la troupe le récupère, il n’est plus que l’ombre de lui-même et va, dans un élan de désespoir, activer sa béhérit, entraînant l’apparition des archanges. C’est alors que se déroule la cérémonie de l’Occultation, aussi appelée Éclipse. Griffith sacrifie tous ses amis aux archanges afin de devenir l’un d’eux, renaissant sous le nom de Femto et devenant le cinquième membre de la Main de Dieu. Ivre de violence, il viole Casca et rend Guts fou de douleur, en lui arrachant un bras et un œil. Mais les deux amoureux s’en sortent in extremis grâce au secours providentiel d’un mystérieux Cavalier à tête de mort. Juste après l’Éclipsé, Casca, qui portait l’enfant de Guts, accouche d’un fœtus monstrueux qui disparaît alors que le jour se lève, bien qu’on le revoie plus tard, à des instants clés. C’est à ce moment que Guts se fait poser son bras canon par Godo le forgeron et qu’il obtient son épée légendaire, la Tueuse de Dragons. Au lieu de rester auprès d’une Casca prostrée et meurtrie par le drame qu’elle a vécu, Guts la laisse auprès du forgeron et de Rickert, un des rares membres de la Troupe du Faucon à avoir échappé à l’Éclipse.

    L’ÈRE DES CHÂTIMENTS

    Cet arc est principalement centré sur Mozguz, le grand inquisiteur, et sur ses sbires. Ce dernier fait régner l’Inquisition et traque les cultes sataniques et les sorcières qui, selon lui, rongent le Midland. On découvre aussi Farnese et Serpico, qui sont à la solde de l’ordre religieux du Saint Siège et cherchent des traces d’une prophétie qui annonce le retour d’une entité légendaire. En parallèle, on suit les aventures solitaires de Guts qui, porteur d’une marque maudite qui lui a été gravée sur la peau lors de l’Éclipse, attire tous les monstres et les apôtres alentour. Le guerrier noir se retrouve captif de la troupe de Farnese, mais parvient à s’échapper en prenant la jeune femme en otage, qui sera ainsi confrontée à des monstres pour la première fois de sa vie. Attirée par Guts et retournée par les abominations qu’elle a vues, Farnese commence à évoluer... au point qu’elle finira par se joindre à Guts. Le Midland subit dans le même temps une invasion de l’Empire kushan, menée par le terrifiant Ganishka, qui met le pays à feu et à sang. Pendant ce temps, Casca, qui s’est enfuie de son refuge, est d’abord capturée par un culte satanique, pour ensuite se retrouver entre les griffes de Mozguz, qui veut la brûler pour hérésie à cause de la marque du sacrifice qu’elle porte elle aussi, attirant de ce fait les monstres, ce qui lui vaut une réputation de sorcière. Ayant fait un rêve qui lui annonce la mort de son aimée, Guts part alors à sa recherche. Lors d’une bataille apocalyptique complexe où tous les adversaires se retrouvent dans le même lieu, les archanges en profitent pour réapparaître lors d’une nouvelle cérémonie, une deuxième Éclipse : celle-ci va permettre à Femto de se réincarner en humain sous sa forme originelle, celle de Griffith. Alors que l’armée kushan arrive sur le champ de bataille et complique encore la situation, Zodd, un démon ailé à la solde de Griffith, emmène son maître hors du danger. Mozguz et ses sbires, transformés en sortes d’anges maléfiques, sont finalement terrassés et Guts et ses amis s’enfuient.

    LE FAUCON MILLÉNAIRE

    L’armée kushan continue à s’emparer du pays par la force et le peuple opprimé du Midland espère beaucoup d’une prophétie, que tous ont eue en rêve, promettant l’avènement d’un faucon de lumière. De fait, le Griffith fraîchement ressuscité est en train de se reconstituer une nouvelle troupe, cette fois-ci composée de chevaliers démons qui, du fait de son combat contre les envahisseurs kushans, est vue comme une force de résistance et non comme une menace. Guts, accompagné d’Isidro, un jeune adolescent qui aimerait devenir son disciple, d’une Casca amnésique, ainsi que de Farnese et son serviteur Serpico, se retrouve chez une amie du Cavalier à tête de mort, Flora la sorcière. Assistée de la jeune Schierke, elle va révéler de nombreux éléments de compréhension sur l’univers complexe de Berserk. Elle offre des armes et des pouvoirs à toute la troupe et, surtout, fait don de l’armure du Berserker à Guts, avant que tous ne partent secourir des villageois attaqués par d’horribles trolls sanguinaires. Cet arc se termine sur une gigantesque bataille opposant Ganishka à Griffith. La défaite de Ganishka - qui est un apôtre - va causer sa transformation en un gigantesque arbre lumineux qui changera la nature du monde. La réalité et les légendes se mêlent, et le monde se voit envahi par des monstres et des créatures fantastiques. Au même moment, une cité gigantesque nommée Falconia apparaît comme par magie. Griffith est donc vu comme le faucon de lumière de la prophétie et il trône en maître sur cette nouvelle ville, où tous les humains du Midland se réfugient.

    FANTASIA

    Ce dernier arc commence au moment où le monde réel et le monde imaginaire fusionnent. Guts et sa bande vont entreprendre de se rendre sur l’île d’Elf Helm, terre d’origine de Puck. On raconte que là-bas se trouve un moyen de soigner Casca et de lui rendre sa force et sa mémoire. S’ensuit alors une longue et périlleuse traversée des océans qui voit se succéder pirates belliqueux, monstres marins et îles mystérieuses. Après tant d’embûches, la bande parvient à rejoindre Elf Helm et à rencontrer la reine des elfes. Elle leur révèle que le seul moyen de soigner Casca est de pénétrer dans son esprit et de retrouver les morceaux de sa psyché, éclatée par son traumatisme. C’est Farnese et Schierke qui vont tenter leur chance et se frayer un chemin dans les pensées atroces dont Casca est prisonnière. Au tome 40, la jeune femme retrouve la mémoire... Que va-t-il maintenant se passer ? Comment Casca va-t-elle se reconstruire ? Guts réussira-t-il à se venger d’un Griffith surpuissant ?

    Bien que nous ayons survolé mille personnages et aventures passionnants, vous avez désormais les clés principales de ce récit fantastique...

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    Le livre dont vous êtes l’antihéros

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    À LA CROISÉE DES GENRES

    L’intrigue de Berserk forme une fresque épique et chorale, qui met en scène les destins de nombreux protagonistes au sein d’une histoire vaste et riche, où chacun aura un rôle particulier à jouer. La trame du manga, qui a été résumée de manière assez simple dans l’introduction, suit donc essentiellement les aventures de Guts, le guerrier noir, Griffith, le Faucon, et Casca. Leurs destinées entremêlées mèneront le monde à sa perte et à sa renaissance, ils sont poussés par une force divine qui dépasse leurs singularités et contre laquelle Guts, en particulier, tentera de s’élever, pavant sa route sanglante d’une multitude de monstres et de malheurs.

    Bien sûr, ce résumé ne fait que survoler une richesse narrative immense, et met pour l’instant de côté des indices qui nous dévoilent la nature mythologique du récit. Malgré tout, on tient ici la sève de l’intrigue : Berserk est un conte d’amour, d’ambition et de vengeance. Les ingrédients du récit d’aventure tragique répondent à l’appel : une bande d’amis, un héros, une trahison, des monstres par centaines, une menace maléfique qui plane sur le monde, une histoire d’amour à trois inconnues pour tenir en haleine... On retrouve chez Miura les éléments qui font que certains récits nous attrapent pour ne plus jamais lâcher notre âme.

    Ce que cet abrégé ne livre pas, c’est l’écrin macabre et dantesque dans lequel Miura place ses ressorts narratifs apparemment classiques. Le mangaka nous plonge la tête la première dans un récit sombre et violent, volontairement immoral et sans pitié. Mais Berserk n’est pas que ténèbres, c’est une œuvre sensible, poétique, et souvent drôle, qui prend tant de visages différents qu’on en vient à se poser la question qui fâche : à quel « genre » appartient le manga ?

    Répondre à cette interrogation est plus complexe qu’il n’y paraît. Quand Miura évoque son style, il parle de dark fantasy. Ce riche « sous-genre » de la fantasy propose en règle générale un univers ténébreux sur lequel couve le plus souvent une menace apocalyptique. On y croise des protagonistes abîmés et pessimistes, parfois monstrueux, qui peinent souvent à distinguer le bien du mal. Ce genre donne naissance à des œuvres violentes et désespérées, psychologiquement oppressantes, dans lesquelles on fait la part belle aux combats pour insuffler un certain degré de violence, le genre flirtant fréquemment avec l’horreur et le gore. Ce sont de surcroît des créations mettant en scène des intrigues politiques et des luttes de pouvoir, explorant métaphoriquement les pires travers dominateurs et guerriers de l’âme humaine. Tant de « mots-clés » rappelant Berserk se trouvent dans la définition même de la dark fantasy.

    « J’ai travaillé sur le concept de mon propre monde de fantasy lorsque j’étais au secondaire et au collège. Comme je l’ai mentionné, j’ai pris des idées de Cuin Saga et de films comme Excalibur et Conan le Barbare. Je suis venu au concept de dark fantasy depuis ces films¹. »

    Conan. Né sous la plume de Robert E. Howard en 1932, c’est sous les traits d’Arnold Schwarzenegger que le Cimmérien rencontrera le succès planétaire qu’on connaît grâce au film de John Milius (1982). Si ce dernier n’est pas initialement classé comme appartenant à la dark fantasy, il partage beaucoup de thématiques et de similarités avec Berserk. À l’instar de Guts, Conan est animé par la vengeance, manie l’épée comme personne et n’écoute que sa colère et sa fougue, car, comme le guerrier noir, on a tué ceux qu’il aime. On trouve pléthore d’éléments dans le film qui ont dû, on l’imagine, bien marquer Miura : les combats violents de Conan qui décapite des tribus entières de cannibales, le duel contre Dagoth ou encore contre le sorcier Toth-Amon... qui ont des petits airs d’apôtres. Bien sûr, les époques convoquées dans les deux œuvres diffèrent et Berserk est bien plus sombre, mais on y retrouve ce même amour pour les quêtes et les accoutrements, les personnages forts, et pour cet ingrédient mystère qui rend épique une histoire qu’on nous conte, comme si un souffle brutal et bestial parcourait le récit. Quand Miura donne pour influence Excalibur, film de John Boorman (1981), l’hommage est plus apparent : assauts épiques d’armées sur des châteaux assiégés, fascination pour les armures et le décorum médiéval, pour la chevalerie, ses codes et ses valeurs. Sauf que lorsqu’on est dessinateur, on n’est pas limité en nombre de figurants ni en argent. Miura ne se prive donc pas d’emmener ces visions médiévales à un degré que le film n’atteint pas. Si le manga jouit aujourd’hui d’une renommée certaine et méritée, le choix d’une esthétique dark fantasy était-il évident au Japon, à l’époque où Miura le commence ? Pas si sûr.

    « Au départ, je laissais plutôt les choses suivre leur cours. Toutefois, quand j’ai gagné un prix et que c’est un magazine shônen qui devait me publier, j’ai consciemment décidé de faire un shônen manga avec un héros sombre, dans un univers de fantasy. Il faut dire qu’à l’époque, il y avait peu de héros de ce genre dans les shônen², et encore moins dans cet univers-là. L’un des rares qui existait était Bastard ! !, et quelques autres du même genre. Je me suis donc dit que j’allais en explorer le côté sombre... Mais pour le reste, je ne savais pas du tout où j’allais³. »

    « En explorer le côté sombre... » Voici donc cette intention qui va faire basculer Berserk dans de la « dark » fantasy. Et c’est cela qui caractérise l’œuvre de Miura : une exploration fascinante de la grammaire artistique des ténèbres. Le degré de violence physique, sexuelle et morale de Berserk fut rarement atteint dans un ouvrage se réclamant de ce genre. Pour exemple, certains internautes se sont même amusés à compter précisément le nombre de personnes ou créatures tuées par « le héros » au cours du manga. Au tome 37, le comptage des corps donnait environ 1 190 victimes... C’est dire à quel point le spectacle de la mort traverse Berserk, constamment, lors de batailles et de duels, mais aussi lors de scènes de torture ou d’exécutions en place publique. Les autres mangas japonais partageant cette classification dark fantasy comme Bastard ! ! (Kazushi Hagiwara), Übel Blatt (Etorôji Shiono) ou Claymore (Norihiro Yagi) ne poussent pas aussi loin la démence visuelle et le réalisme morbide. Il ne suffit donc pas de mettre des chevaliers et des monstres pour décrocher le titre de chef-d’œuvre de fantasy « noire », il faut se démarquer par un style très « crédible » et documenté même lorsqu’il s’agit de créer des monstres improbables, et prêter une attention presque maladive à l’esthétique du malheur et de la violence. Il est d’ailleurs passionnant de noter que les œuvres de dark fantasy parmi les plus ambitieuses de ce début de XXIe siècle sont Dark Souls et Bloodborne, deux titres de jeux vidéo issus du studio japonais From Software. La tête pensante du studio, Hidetaka Miyazaki, ne cache pas son amour inconditionnel de l’épopée de Miura, allant jusqu’à cacher des (easter eggs » du manga dans ses jeux. Ce succès critique, couplé à celui du jeu The Witcher III, autre univers dark fantasy inspiré des romans d’Andrzej Sapkowski, ou encore de Game of Thrones de George R.R. Martin, montre bien que le public est friand de ce genre de récits, sanglants et romantiques, dotés d’un souffle épique et « historique ». Si Miura a pu se sentir au départ un peu seul dans ce style sombre et médiéval au moment de lancer Berserk, on peut dire que le public est aujourd’hui plus familier avec ce style d’histoire. Et le manga n’y est sans doute pas étranger. Mais il faut bien constater que Berserk évolue avec le temps et que son mangaka ne s’est pas privé d’explorer d’autres genres. D’ailleurs, plus le manga avance, plus Miura élargit son univers vers une fantasy plus « classique », tutoyant presque le merveilleux. Au fil de l’histoire, l’auteur explore aussi bien des concepts de high fantasy que d’heroic fantasy ou de médiéval fantastique, Berserk se retrouvant classé dans toutes ces catégories. C’est d’ailleurs l’un des coups de génie du mangaka : cette capacité à mélanger tant de styles tout en restant étrangement cohérent. Miura pioche dans les contes de fées, les récits chevaleresques et de piraterie, les fables folkloriques et religieuses, dans la mythologie, dans les films et les œuvres littéraires. Ses inspirations proviennent d’ouvrages parfaitement distincts allant de la science-fiction à la Bible, de la peinture à la littérature. Enfin, les libertés qu’il a prises avec les époques historiques rendent encore plus compliquée la définition du « genre » de Berserk.

    LES PILIERS DU FANTASTIQUE

    Miura ne s’est pas contenté de mettre quelques combats, une paire de trolls et un dragon pour épouser les codes d’un style préexistant. Le mangaka est un créateur qui semble obsédé par l’art et par la force culturelle de l’imaginaire dans nos sociétés. Il ne faut jamais perdre à l’esprit que Kentaro Miura est un auteur japonais qui utilise un imaginaire qui lui est à l’origine... étranger. La culture japonaise possède ses propres codes, son histoire et son bestiaire. En s’attaquant à une culture traitant de chevaliers mercenaires et de noblesse de cour dans une Europe qu’il fantasme, il se met dans une posture a priori inconfortable qui tient du défi : parvenir à s’approprier un imaginaire qui lui est si lointain... Ce qu’il fait d’ailleurs semblant de ne pas prendre en compte.

    « Donc, je pense que dans une perspective d’Européen, les gens doivent se dire :  Mais qu’est-ce que c’est que ça ? ! , d’une manière équivalente à celle dont nous, les Japonais, nous ressentons parfois l’image que les étrangers peuvent avoir du Japon, du genre :  Ooh ! Ninja !  Toutefois, je dessine avant tout cette œuvre afin qu’elle plaise à un public japonais, alors tant pis. Je ne travaille pas avec en tête une stratégie de succès international⁴ ! »

    On peut certes croire Miura sur parole, mais je le soupçonne de ne pas prendre ce sujet à la légère. À la lecture du manga, on est absolument ébloui par le niveau de recherche, tout autant que par le degré de détail apporté à chaque élément de « reconstitution ». Même si l’artiste crée ses propres armures, on repère un grand nombre de pièces qui ont réellement existé. Représenter des milliers de soldats en armes lors des batailles très détaillées laisse entrevoir un dessinateur méticuleux et érudit, qui maîtrise parfaitement son sujet. On sent les heures de conception et de recherches d’inspirations vestimentaires médiévales qu’il lui a fallu pour atteindre ce niveau de détail et de crédibilité. Le travail sur l’architecture est lui aussi époustouflant : des ruelles pavées embrumées et gothiques de Wyndham aux rues fourmillantes de la gigantesque Falconia, Miura montre une parfaite connaissance de l’Europe médiévale, de son urbanisme et de son artisanat. Il en va de même pour la fidélité avec laquelle il tente de représenter les environnements médiévaux, que ce soient les paysages, les lieux de vie, les us et coutumes ou même encore les visages. Il est parfois renversant de voir à quel point un artiste étranger, d’une culture si éloignée et singulière, peut saisir avec autant de maestria la somme visuelle et artistique d’une époque que nous-mêmes, Européens, nous nous figurons parfois mal. Et l’auteur de confesser qu’il serait curieux de voir comment les Occidentaux apprécient sa vision libertaire de « notre » histoire.

    « Que pensent les Occidentaux de ce monde de fantasy créé par un Oriental ? Beaucoup d’entre nous, Orientaux, ont l’impression que le monde de la fantasy se crée à Hollywood... ou que c’est celui créé par les Occidentaux qui est le plus authentique. Et je pense que Berserk a été fortement influencé par la culture occidentale. J’ai cherché à créer quelque chose de ce que j’ai appris de l’Ouest. Alors, je suis curieux de savoir ce que les gens de l’Occident pensent de Berserk. »

    Il y a fort à parier que le choix de ce Moyen Âge anachronique ne soit pas fortuit (Miura mélange des périodes allant du haut Moyen Âge jusqu’à la Renaissance). En effet, cette période possède un grand nombre d’atouts pour tout auteur qui souhaite inscrire son récit dans l’imaginaire fantastique. C’est à cette période que vont se passer des événements marquants de l’histoire humaine, autant dans la barbarie que dans la beauté. Comme nous le verrons tout au long de ce texte, Miura explore notre inconscient collectif au travers des pages de son manga. Il cherche à puiser à la source des monstres et des merveilles, au moment où est né l’imaginaire. Et la période choisie est la plus indiquée, car c’est à cette époque que se créent les premiers récits fantastiques « modernes », post-mythologiques. C’est là par exemple qu’on voit fleurir les légendes arthuriennes ; et il ne serait d’ailleurs pas si choquant d’imaginer dans Berserk débarquer des chevaliers de la Table ronde, en quête du Graal ou de l’épée légendaire Excalibur qui, comme la Tueuse de Dragon, occupait une place mythique dans ces épopées légendaires. À l’image de Berserk, le cycle arthurien est centré sur des thématiques chrétiennes, comme le mal, le péché, mais aussi la quête de l’absolu, symbolisé par le Saint Graal, relique suprême ayant contenu le sang du Christ. Les relations amoureuses, comme celle de Tristan et Iseut qui inspira probablement celle de Lancelot et Guenièvre, signeront les prémices de l’amour courtois, dont Miura livre en quelque sorte un miroir démoniaque.

    C’est aussi une période de guerres et de conquêtes, d’intrigues de cour et de complots. Ce temps vit se répandre pestes et famines, mais aussi le joug de seigneurs machiavéliques, tenant dans la misère des peuples moribonds. Cet âge connut aussi l’Inquisition et les superstitions. C’est sans doute là le point le plus important qui justifie que Miura a placé son odyssée dans cet écrin médiéval. Au Moyen Âge, on croyait encore dans l’existence d’un enfer et de démons, on remplissait des livres entiers de bestiaires fantastiques qu’on prenait pour vrais. On y pratiquait même encore certains cultes païens alors que se développait en parallèle la sorcellerie. Quelle parfaite palette pour un mangaka qui souhaite peindre un récit aux proportions bibliques, qui cherche à faire vivre à ses personnages des dilemmes atroces dans une période sans pitié... D’autant que vue depuis le Japon, cette période doit offrir un grand nombre de fantasmes scénaristiques et visuels. Miura a su parfaitement choisir une tranche de l’Histoire qui allait surprendre son lectorat japonais et livrer au public occidental une vision étonnante de son imaginaire. En somme, si le mangaka avait placé son récit à l’ère viking, par exemple, il aurait dû cantonner ses références aux seules mythologies nordiques. En se situant dans ce Moyen Âge fantasmé, Miura se place au carrefour de tous les possibles. Et il ne va pas se priver, car Berserk contient presque tous les genres de fictions : c’est un récit d’aventures, un conte de fées, une épopée chevaleresque, une odyssée mythologique, un hommage lovecraftien, une parabole biblique, un « rape and revenge » et tant d’autres choses encore, le tout sans que cela n’empiète sur l’originalité ou la cohérence de son histoire. Et plus Berserk s’écrit, plus le manga apparaît comme une synthèse parfaite, une sorte de quintessence du récit fantastique.

    DYNAMIQUES DE GROUPE

    Miura livre avec Berserk une œuvre mosaïque, qui lie un grand nombre de destins dans des rapports de tous types. L’auteur y explore les relations horizontales : les rapports que les humains ont entre eux, mais aussi verticales : le rapport entre Dieu, ses serviteurs et les hommes. De plus, dans le manga, personne n’évolue seul. Chacun possède une bande, des acolytes, un groupe quelconque avec qui il partage une communauté d’intérêts, ne serait-ce que pour un temps donné. Même Guts, Casca et Griffith (les trois entités qui semblent avoir un destin assez individuel) sont absolument inséparables des personnages secondaires qui les accompagnent. Leurs décisions seront capitales, car elles influeront directement sur le sort de leurs proches et de l’humanité. Avant même de défricher la nature de ces rapports entre personnages, il faut louer la capacité qu’a Miura à créer des « gangs » cohérents et forts, immédiatement iconiques. L’utilisation de ce terme n’est d’ailleurs pas si absurde, car chaque bande suscite une forme de crainte et de fascination, possède son style de combat, des personnalités fortes, un « look » cohérent et reconnaissable entre mille. Même en mettant de côté les innombrables armées et groupements militaires, on voit se démarquer des groupes inoubliables : les sept inquisiteurs constitués par Mozguz et ses tortionnaires, les cinq Bakiraka, les quatre rois du monde, Silat et ses quatre gardes du corps et surtout les cinq archanges de la Main de Dieu. Les groupes sont à la fois disparates et cohérents : chacun des membres d’une même bande est le plus souvent très différent de ses comparses, mais l’ensemble forme pourtant un tout homogène. D’ailleurs, en règle générale, quand ces cliques font leur première apparition, Miura ne manque pas de leur réserver une page entière. On y découvre leurs vêtements, leurs armes, leur visage et leur morphologie. Le groupe y prend une pose iconique, pour accentuer l’aura qu’ils ne manquent pas de dégager. Mais il en est un qui va compter plus que les autres dans un premier temps, c’est la Troupe du Faucon, celle de l’Âge d’or. Elle emmène tout le début du récit et constitue le groupe héroïque à l’ascension parfaite, depuis les bas-fonds du mercenariat anonyme jusqu’à l’adoubement en armée officielle du Midland. Pourtant, rien ne prédestinait cette équipe assez disparate à connaître un tel destin. Une analyse sociologique de l’ensemble des membres constituant la Troupe du Faucon fait plus état d’exclus de la société que de preux chevaliers : « Des fugitifs, des fugueurs, tout, du fils de forgeron au descendant ruiné de la noblesse. » En choisissant des personnages fragiles ou en marge pour incarner ses protagonistes, l’auteur fait le choix de figures auxquelles on peut s’identifier, car leurs failles provoquent chez nous un sentiment d’empathie. On aimerait savoir ce qui fait que Pippin ferme tout le temps les yeux et semble si mutique ; on cherche à comprendre pourquoi Casca est une combattante si secrète ; ce qui fait que Griffith paraît si difficile d’approche... Toute la Troupe du Faucon, malgré ses faits d’armes, est en proie à des dynamiques internes complexes qui vont trouver leur apogée lors de l’Éclipse.

    Cette équipe est une dissection du concept d’amitié et des processus qui peuvent la transformer en haine. Au début du récit, c’est cette bande qui va servir de famille d’adoption à Guts, et faire de lui une personne plus humaine. Auprès de la troupe, il trouvera tout ce que l’amitié peut apporter : de la chaleur humaine, des instants difficiles surmontés à plusieurs, des moments de victoire partagés, des rires, des disputes, des souvenirs, de l’affection et parfois plus... Mais comme dans tout groupe d’amis, on trouve aussi de la jalousie, de l’ambition et de l’égoïsme. Ces failles mèneront à ce qui peut arriver de pire à une amitié : la trahison. Si le groupe semble au départ soudé, il va vite s’avérer dysfonctionnel, car tous ses membres sont effectivement dépendants d’un leader charismatique qui les hypnotise totalement et les mènera à leur perte. Comme le dit lucidement Guts à Griffith : « Nous nous agitons tous dans la paume de ta main », comme pour annoncer cette Main de Dieu qui les broiera jusqu’au dernier. Bien qu’il soit admiré, Griffith brille tellement par sa superbe qu’il va complexer tous ses camarades, à l’instar de Carcus, chez qui ce sentiment est le plus fort, et il ne se prive pas de le dire : « Sans Griffith, la Troupe du Faucon n’est finalement qu’un ramassis de pigeons. » Et c’est comme par hasard l’arrivée de Guts qui, perturbant cette relation d’adoration entre Griffith et sa troupe, va faire apparaître

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