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En quête des livres dont vous êtes le héros: Des origines à nos jours
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Livre électronique291 pages4 heures

En quête des livres dont vous êtes le héros: Des origines à nos jours

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À propos de ce livre électronique

Les livres-jeux sont en pleine renaissance aujourd’hui : entre les rééditions de classiques du genre (les Défis fantastiques édités par Gallimard Jeunesse), leurs adaptations en jeu vidéo, les produits dérivés de personnages connus (Batman et autres) ou les toutes nouvelles créations, ils sont partout, et tous les éditeurs jeunesse en proposent aujourd’hui. Oui, mais d’où viennent-ils ? Comment, au début des années 1980, sont-ils apparus ? Comment ont-ils alors conquis le cœur de jeunes joueurs au point que ces derniers en collectionnent les premières éditions, quarante ans plus tard ? Autant de questions auxquelles répond cet ouvrage.

LangueFrançais
Date de sortie31 mai 2023
ISBN9782377844067
En quête des livres dont vous êtes le héros: Des origines à nos jours

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    Aperçu du livre

    En quête des livres dont vous êtes le héros - Raphaël Lucas

    CouverturePage de titreImage 6Image41Image 8Image 9

    En quête des

    Livres dont vous êtes le héros

    Des origines à nos jours

    Préface

    Image 10
    1985
    Jean-François Dugas
    Directeur créatif senior — Eidos-Montréal

    « J’ai mal aux doigts à force de marquer les pages ! »

    Peter Quill aka Star-Lord, 13 ans,

    dans Les Gardiens de la Galaxie du Studio Eidos Montréal

    Au début de l’année 1985, j’ai 13 ans et j’entre de plain-pied dans l’adolescence. C’est une période où on prend naturellement plus d’autonomie au quotidien, et je m’adapte à ces changements progressivement, jour après jour. Bien que mon univers soit en pleine mutation, certains rituels mère-fils sont immuables. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, ma mère m’accompagne à la librairie du quartier presque tous les vendredis pour m’offrir un livre. Comme beaucoup de jeunes de mon âge, je passe une partie de mon enfance le nez dans les bandes dessinées, essentiellement dans les œuvres fascinantes d’Uderzo & Goscinny pour ne citer qu’eux. Ma mère respecte mes choix et envies de lecture, même si elle espère secrètement que j’élargisse mes horizons littéraires en incluant notamment des romans ou essais en tout genre.

    Ce printemps là, je termine ma première année de secondaire¹. Avant la pause estivale, ma mère m’emmène à la librairie du coin comme le veut notre tradition. En entrant dans la boutique, pour une raison qui m’échappe, mes yeux sont attirés par la section Romans jeunesse alors que je me dirige habituellement et quasi naturellement vers la section Bandes dessinées. Je vois en grosse titraille Le Labyrinthe de la mort écrit en blanc sur fond bleu sombre. L’illustration de la couverture est une créature hideuse qui vous regarde directement avec ses dizaines d’yeux maléfiques. Je m’approche, intrigué, et prends le livre en main. Sur l’en-tête, écrit en majuscules : « UN LIVRE DONT VOUS ÊTES LE HÉROS ». La curiosité initialement provoquée par l’illustration et le titre fait place à une forme d’excitation à la lecture de cette phrase. Pour en savoir plus, je lis le résumé en quatrième de couverture.

    On m’invite ici à participer à un roman interactif avec des dés, un crayon et une gomme. Je tombe immédiatement sous le charme de cette promesse qui m’est faite. Je me tourne pour chercher ma mère des yeux et la trouve facilement dans la section des romans québécois. Je m’approche d’elle pour lui indiquer que j’ai trouvé mon livre de la semaine. Surprise de cette sélection et en même temps ravie de mon intérêt soudain pour autre chose que la BD franco-belge, elle me demande ce qui a motivé ce choix. Je me justifie premièrement par le look d’enfer de la couverture, du moins pour une personne qui sort à peine de l’enfance, et deuxièmement par le caractère interactif de l’œuvre. « C’est un livre qu’on lit tout en jouant ! », lui expliquai-je avec passion. Elle acquiesça à la manière d’une mère qui ne comprend pas trop ce que son enfant lui explique, mais comme le bonheur de sa progéniture est plus important que le reste, elle prend l’ouvrage et se dirige vers la caisse pour débourser les cinq dollars canadiens qu’il coûtait à l’époque.

    De retour chez nous, je m’attaque à mon nouveau projet. Je m’installe confortablement à la table de la cuisine et sors un crayon, une gomme et finalement une paire de dés pendant que ma mère s’affaire dans la maison. Je prends le temps de lire la préface où l’on me présente les auteurs Ian Livingstone et Steve Jackson qui me sont complètement inconnus, même si leur feuille de route est déjà plutôt bien garnie. Bien des années plus tard, j’aurai la chance de rencontrer Ian Livingstone en personne. J’y reviendrai… Pour le moment, je prends connaissance de la feuille d’aventure qui me fait rêver aux découvertes qui m’attendent. Je me concentre ensuite pour lire les règles attentivement afin de saisir toutes les nuances et subtilités qui me permettront d’être réellement le héros de mon aventure. Après les avoir lues et relues, je me lance enfin, fébrile !

    Dès les premières pages, je découvre mon terrain de jeu : lors d’un tournoi annuel, des aventuriers tentent, au péril de leur vie, de survivre à un labyrinthe construit en pleine montagne dans l’espoir de remporter une somme colossale. Il n’y a jamais eu de vainqueur, mais j’apprends que je suis celui qui est persuadé qu’il y parviendra. La table est mise, l’aventure peut commencer. Dès mes premiers pas, on m’indique qu’une boîte se trouve sur mon chemin : est-ce que je l’ouvre ? Est-ce que je continue ma route ? Selon ma décision, je dois me rendre à un certain paragraphe, à une certaine page du livre pour connaître l’impact de mon choix. Bien que le dilemme d’entrée de jeu semble insignifiant et que la conséquence de l’ouverture de la boîte se révèle positive dans l’instant, j’apprendrai très rapidement que l’impact et le poids de cette décision et des autres entraînent des conséquences bien plus significatives qu’il n’y paraît. En effet, beaucoup d’entre elles peuvent mener à une mort rapide et atroce. J’ai omis de mentionner les créatures que l’on affronte qui sont sans pitié si les dés ne tournent pas en notre faveur. Contrairement à un jeu vidéo moderne, il n’y a pas de concept de chargement de dernière partie sauvegardée. En cas de mort, la partie est finie, game over, et l’aventure doit être recommencée du début. Et un peu à la façon du jeu d’arcade Dragon’s Lair, il faut apprendre de ses erreurs précédentes pour pouvoir avancer un peu plus loin jusqu’au triomphe. Je recommence le parcours à plusieurs reprises, mais toujours déterminé à être le héros de mon aventure jusqu’au moment où je parviens enfin à triompher. La feuille d’aventure qui m’accompagne est remplie d’informations notées à la main, un sentiment de fierté et d’accomplissement monte en moi, je suis officiellement accro.

    Ma visite suivante chez le libraire, accompagné de ma mère, se traduira par l’achat de « La Forêt de la malédiction ». Au cours des semaines et des mois suivants, je découvrirai « Le Manoir de l’enfer » de Steve Jackson, les séries Loup solitaire et Sorcellerie !, à tour de rôle, pour ne nommer que ceux-ci. Mon coup de cœur durera pendant une bonne partie de mon adolescence. Bien entendu, au fil du temps, il m’arrivera de garder les doigts à travers les différentes pages d’une aventure afin de laisser une trace de mon parcours pour ne pas avoir à recommencer de zéro chaque fois que ma destinée devait s’interrompre abruptement. Petites tricheries de côté, les univers me plaisaient, je me sentais au cœur des aventures et des décisions de mes héros, et les illustrations qui accompagnaient les pages de texte capturaient mon imagination à chaque fois, peu importe la série que je lisais. L’impact fut tel qu’à 17 ans, je décidai de me faire tatouer pour la première fois de ma vie au grand « bonheur » de ma mère. J’arrêtai mon choix sur le chevalier obscur qui est à l’œuvre sur la couverture du deuxième tome de la série Loup solitaire : « La Traversée infernale » (cf. p. 201). Depuis, d’autres références à ces livres se sont ajoutées.

    Ma rencontre avec les livres dont vous êtes le héros a été le début de mon amour pour les jeux de rôle, et pour les aventures où des choix importants vont changer le cours de l’expérience. Même sans avoir lu l’un de ces livres depuis longtemps, leur impact sur moi et ma carrière est encore présent ; ils exercent une influence forte dans les jeux que j’ai pu réaliser et sur mon processus créatif.

    À la mi-vingtaine, par hasard, je rejoins l’industrie des jeux vidéo qui en est à ses balbutiements à Montréal. Soudainement, je me retrouve de l’autre côté de la clôture, passant de celui qui incarne un héros qui veut vivre Son Aventure dans un livre à celui qui a la possibilité d’en créer pour d’autres passionnés. Le médium est différent, mais l’idée de mettre la liberté du joueur au cœur d’un scénario est similaire à la promesse faite par les livres dont vous êtes le héros. Je peux ainsi m’atteler avec une équipe à poser les bases de mondes dans lesquels les joueurs vont devenir acteurs à part entière de l’histoire, vont prendre leurs décisions et vont vivre avec les conséquences de celles-ci. En 2007, je rejoins Eidos pour travailler sur Deus Ex : Human Revolution. La promesse du titre est « Jouez à votre façon et assumez les conséquences », c’est-à-dire que l’histoire et le design doivent toujours répondre à cette promesse. En conceptualisant ce jeu, j’ai dû apprendre à créer une multitude de scénarios, à définir leurs ramifications et à considérer toutes les options de jeu afin de donner un maximum de liberté aux joueurs. D’une certaine façon, l’expérience lecteur-joueur que m’ont donnée les livres dont vous êtes le héros pendant mon adolescence a contribué à mon aisance à travailler avec ces concepts complexes.

    Pendant le développement de Deus Ex : Human Revolution, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Ian Livingstone en personne puisqu’il travaillait au sein de la société. En tentant tant bien que mal de contenir mon excitation, j’ai pu lui dire de vive voix à quel point ses livres avaient marqué ma jeunesse. Nous avons échangé pendant un moment, moi en mode écoute principalement, puisque je voulais en apprendre davantage sur son parcours. Bref, ce fut un moment magique à mes yeux.

    Dans le dernier projet que j’ai dirigé, Les Gardiens de la Galaxie, qui est un jeu d’action assez linéaire, je n’ai pu m’empêcher de créer une aventure où le personnage principal est appelé à faire des choix qui modifient l’histoire en créant des embranchements dans le scénario. Mon ultime hommage aux livres dont vous êtes le héros culmine dès les premières minutes de jeu : le joueur explore la chambre d’un jeune adolescent de 13 ans nommé Peter Quill. Sur une des étagères où ce dernier range ses livres, on peut trouver « Le Labyrinthe de la mort » de Ian Livingstone…

    Cet ouvrage que vous tenez entre vos mains est une célébration de ces œuvres qui ont marqué une génération de lecteurs. Si vous en faites partie, de nombreux souvenirs remonteront à la surface. Si vous découvrez cette série culte à travers ce livre, vous risquez bien d’en tomber très amoureux.

    Bonne lecture !


    1. Équivalent de la cinquième au collège dans le système scolaire français.

    Image 11

    « Ts’ui Pên a dû dire un jour : Je me retire pour écrire un livre. Et un autre : Je me retire pour construire un labyrinthe. Tout le monde imagina qu’il y avait deux ouvrages. Personne ne pensa que le livre et le labyrinthe étaient un seul objet. »

    Jorge Luis Borges, Le Jardin aux sentiers qui bifurquent

    En quête des

    Livres dont vous êtes le héros

    Des origines à nos jours

    Avant-propos

    Image 12

    « À vrai dire, nous nous attendions à ce que la plupart des lecteurs trichent, en plaçant leurs doigts entre les pages, sur les paragraphes précédents. Nous avions l’habitude de dire que c’est pour cela que Dieu nous a donné dix doigts

    — pour que nous puissions tricher à nos Défis fantastiques ! »

    Steve Jackson, le 19 juillet 2013

    Un.

    Deux.

    Trois.

    Quatre.

    Cinq.

    Cinq, et… pas un de plus.

    Cinq, et… pas une de plus.

    Un. Deux. Trois. Quatre, et cinq. (répétez, répétez, ad nauseam)

    Tout lecteur prompt et impatient de livres-jeux, tout danseur de la fin des temps chevronné le sait, l’a gravé dans sa mémoire et sa chair, glissant habilement auriculaire, annulaire, majeur, index et pouce dans ces intervalles vides et voraces, dans ces interstices-néants qui n’attendent que quatorze phalanges pour les occuper. La saisie est étrange, inhabituelle et, pourtant, nécessaire.

    Cinq, et pas une plus, c’est le nombre de ces fugaces et éphémères « sauvegardes » physiques, digitales, que tout lecteur de livres-jeux s’autorise, le fil du papier caressant, frottant cet espace de peau saillant entre chaque doigt inséré. Tout alors est effleurement, comme une danse constante en pas de phalanges, chorégraphie adroite, ou gauche, sur le couperet de la feuille ; lettres, texture et grain de chaque page, là, sous la pulpe de chaque doigt, leur encre neuve et odorante cheminant dans chaque narine.

    Un. Deux. Trois. Quatre, et cinq. (répétez, répétez, ad nauseam)

    Cinq, et pas un de plus, c’est le nombre de retours en arrière possibles pour celui qui, inconscient, ne s’est pas muni d’une feuille pour y noter les étapes numéraires de son voyage, de sa progression, paragraphe après paragraphe ; pour celui qui ne s’essaie pas à esquisser un semblant de plan de cette main droite autrement affairée à tenir crayon ou dés, à chercher le prochain rebond/port d’attache d’un de ces doigts acrobates.

    Tout comme les marches de ces escaliers italiens ou français anciens, vestiges romains, disent par l’usure le passage quotidien de milliers d’individus, tout comme les ancêtres du jeu vidéo, ces dinosaures de l’arcade, se racontent aujourd’hui par ce pan gauche d’une borne à la peinture plus passée et écaillée qu’ailleurs, témoin d’attitudes, de positions de corps et de cette main apposée, l’histoire du livre-jeu peut se narrer par cette manière de lire, par ces doigts danseurs qui s’immiscent, transpirent, marquent la page d’une encre baveuse, traces du passage d’un lecteur-voyageur immobile. Ce passage, il se lit aussi sur ces inscriptions, chiffres et lettres maintes fois effacés — mais toujours visibles, traces d’un soi, ou d’un Autre, passé là —, sur cette feuille d’aventure, de personnage qui débute chacun de ces ouvrages, outil du joueur pour tenir à jour la progression de ce Vous qui est forcément un autre.

    Sous ces doigts, sous ces phalanges, c’est à un déploiement de monde, d’aventure, à un dévoilement progressif qu’invit(ai)ent les livres-jeux, déroulé non linéaire d’une histoire, d’un fragment, forcément lacunaire, de récit ; sortie de soi, sortilège nous/vous invoquant ailleurs, dans une autre chair, de mots et de chiffres, ainsi que le rappelle, avec humour, et à chaque volume le Merlin de La Quête du Graal de J. H. Brennan : « Tiens-toi tranquille et prête-moi toute ton attention. Sinon ce livre risquerait de mettre ton existence en danger. Et sans doute à plusieurs reprises. Car c’est un livre magique. En vérité, ce livre est un long sortilège. Un exercice prolongé de sorcellerie. Une sorte de chronique de la magie. Une magie particulière : la mienne. Je m’appelle Merlin. (…) Maintenant je vais lancer un sortilège. Un sortilège conçu tout particulièrement à ton intention. Ne t’affole pas ! C’est un sortilège bénéfique. Il te permettra de venir visiter mon temps. Tu y es très célèbre, dans mon temps. Eh oui ! On t’y appelait, on t’y appelle Pip et tu y es un véritable héros. Tu as pour surnoms le Pourfendeur de Sorciers, l’Exterminateur de Dragons²… »

    Case après case, épreuve après épreuve, un déplacement après l’autre, les mots esquissent alors dans ce brouillard qu’est l’esprit aventureux un univers de plus en plus riche et dense, de plus en plus présent et précis et prégnant pour qui se laisse bercer par leur rythme et leur sonorité, par ce vouvoiement qui se fait oublier une fois quelques pages tournées.

    « Vous êtes le héros. » (susurre et ment d’abord le livre)

    « VOUS. ÊTES. LE. HÉROS. »

    Doigts en attente impatiente au-dessus d’eux, ces mots qui défilent, tissés les uns aux autres par la syntaxe et la grammaire, s’emmêlent, créent du sens et de la narration, se font labyrinthes, dédales à défaire, pleins de chaussetrappes et de voies sans issue, de one-true-path, de sentiers qui bifurquent jusqu’à un grand final, un succès, une révélation ou un décès par trop imprévisible ou brutal : embuscade de l’auteur au lecteur. Et ces chiffres qui renvoient à chaque paragraphe font rebondir l’aventurier d’un lieu à l’autre, d’un moment à l’autre, s’agglomèrent comme autant de nœuds dans une toile d’araignée à dérouler délicatement, un choix à la fois… avec le trépas souvent en fin de course. Rendez-vous en 14.

    Et tout est sensation(s) ici.

    Actuelles ou passées, convoquées à ce moment même.

    Là, touchez ces pages, humez puis feuilletez cet ouvrage poussiéreux, autrefois neuf, couverture brillante sans pliure, longtemps oublié dans un carton, dans une bibliothèque d’enfant, dans un grenier trop sec ou une cave trop humide, puis, oh, oh, révélé, retrouvé, dépoussiérez-le, écoutez sa colle de 1983-1985, vieillissante, qui craque après une ouverture trop franche et brutale… et souvenez-vous comme sous vos doigts défilent les chiffres, les nombres et les illustrations, appel à l’imaginaire de chacun, appel à l’imagination. Souvenez-vous de ce son, de cette voix — la vôtre, la mienne, interne —, ou celle d’un Autre, frère/sœur, père/mère, lisant à un(e) enfant encore trop jeune ces passages, ces paragraphes…

    Août 1982. Huit ans après la sortie en catimini d’un Donjons & Dragons depuis devenu phénomène monstre, Le Sorcier de la montagne de feu pervertit la jeunesse anglaise, l’initie à ces escapades en terres étrangères, pleines de créatures, de voleurs, de gnomes, de trolls, pleines de gladiateurs à affronter, pleines de guerriers et de magiciens ou plus rarement de combattants de la route, d’explorateurs ou de pauvres hères tombés en panne devant une demeure forcément infernale à incarner. Défis fantastiques, Sorcellerie !, Loup*Ardent, Loup solitaire, La Saga du Prêtre Jean, La Quête du Graal, Sherlock Holmes, Dragon d’or, Astre d’or, Super Pouvoirs, Double Jeu, des séries dont le titre même ravive les souvenirs, arrache des moments au passé de chacun.

    Et, comme dans tout bon récit, comme dans toute quête d’un Graal trop lointain, quasi inatteignable, comme dans toute histoire à déterrer, nettoyer et décrypter depuis des vestiges anciens et enfouis, tout, tout est à (re)construire et à révéler, un mot, une phrase, un paragraphe à la fois. Et tout, tout commence par un début, par cet auriculaire glissé entre ces pages, oui, tout commence par un 1.

    Et donc…

    L’auteur

    Raphaël Lucas est journaliste spécialisé dans le jeu vidéo depuis plus de vingt ans. Il a travaillé à Playmag, Gameplay RPG, Joypad, Joystick, PlayStation Magazine, et est devenu rédacteur en chef de Jeux Vidéo Magazine. Il est aussi auteur d’une dizaine d’ouvrages sur le jeu vidéo.


    2. J.H. Brennan, Quête du Graal 3 : « Les Portes de l’au-delà », Gallimard, 1984.

    Image 13

    1 « À mesure que je pénètre dans le labyrinthe, caressant le mur de mes doigts, son extérieur devient la soie qui entoure mon corps — je deviens le cœur palpitant du labyrinthe comme il devient le tissu qui m’enveloppe pour ce voyage vers son centre. Je descends dans l’obscurité de mon être. Je me retire du monde dans les profondeurs caverneuses des souvenirs qui se sont mêlés à mes viscères. Dans l’obscurité, mon esprit s’attarde sur la créature qui réside en moi — le moi monstrueux et l’ombre qu’il projette. »

    Christina Tudor-Sideri, Under the Sign of the Labyrinth

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    1, c’est un commencement, un premier pas, une mise en contexte. Tous les 1, tous les premiers chapitres font cela, surgissent du néant — la vie ordinaire, quotidienne et banale, ces gestes anodins qui se répètent, cycliques, presque inchangés —, sautent au visage, s’emparent du lecteur par leurs mains-mots et doigts-phrases, par cette invitation-situation première, exposée in medias res. Bien des auteurs et romanciers interrogés vous en parleraient de ce premier paragraphe, de cette première phrase qui se doit d’agripper le regard, d’attiser l’envie de les lire, de les dévorer, ces mots.

    1, c’est un moment capturé, un instant nouveau, un saut vers cet inconnu que sont le livre, son histoire, sa narration, sa voix, son rythme, ses personnages. 1, c’est ce doigt le plus éloigné, quel qu’il soit dans cette chorégraphie continuelle de phalanges, cinq-pattes dont la danse n’a de cohérence que pour le lecteur-joueur et son esprit équilibriste — là et ailleurs — partagé entre plusieurs moments consécutifs de la narration.

    Longtemps avant que Steve Jackson et Ian Livingstone envisagent l’écriture d’un ouvrage d’initiation à Donjons & Dragons, bien avant qu’ils en rédigent ce tout premier paragraphe, ce 1 par lequel tout commence — du moins le croit-on ! —, une longue lignée d’essais, de livres à embranchements et de pièces de théâtre interactives prépare le terrain à ces livres-jeux, qu’ils soient Défis fantastiques ou Histoires à jouer. C’est ce terreau, profond, riche d’expérimentations et de tentatives, florissant de ces premiers pas qui coûtent et façonnent le genre et ses conventions, qu’il s’agit d’abord de déterrer et de fouiller d’un doigt — l’auriculaire ? — curieux, une date/un paragraphe/une innovation à la fois.

    1578, Angleterre. Commanditée par Robert Dudley, duc de Leicester, une

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