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Histoires orales du travail social
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Livre électronique342 pages5 heures

Histoires orales du travail social

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À propos de ce livre électronique

Ce livre met en récit les histoires orales de travailleuses et travailleurs sociaux ayant travaillé dans tous les domaines de la discipline depuis les années 1950 au Québec. Certains témoins sont des personnes très connues du grand public, d’autres sont connues de la grande famille du travail social québécois, et d’autres encore ont fait une carrière loin des feux de la rampe. Mais tous peuvent témoigner de l’évolution de la discipline depuis 70 ans.

Travailler le social, qu’est-ce que ça veut dire ? La mise en lumière de ces divers témoignages montre comment l’époque a profondément marqué la trajectoire personnelle et professionnelle de chacun. Elle révèle aussi au lecteur le mouvement d’évolution rapide de la discipline et de la profession, lui permet d’identifier les moteurs de cette importante transformation et de mesurer l’ampleur du chemin parcouru. À travers ces 19 histoires orales, c’est la grande histoire du travail social et du Québec qui est racontée d’une manière unique, car vivante. Le rapport à l’innovation, au pouvoir et au domaine de la santé sont autant de thèmes autour desquels s’articule cette évolution.

Les lecteurs du domaine social expérimentés comme ceux en formation et en début de carrière pourront mieux comprendre sur quel socle se fonde le travail social d’aujourd’hui pour se développer et prospérer.

Yves Couturier (Ph.D.) est professeur et chercheur au Département de travail social de l’Université de Sherbrooke. Il travaille sur la thématique de l’analyse du travail en travail social, sur la collaboration interprofessionnelle, les pratiques de coordination et l’organisation des services sociaux et de santé.

Louise Belzile (Ph.D) a exercé comme intervenante sociale durant de nombreuses années dans le milieu communautaire et dans le réseau de la santé et des services sociaux. Elle est aujourd’hui chargée de cours à l’Université de Sherbrooke, chercheuse indépendante et spécialiste des outils cliniques dans le domaine du vieillissement.
LangueFrançais
Date de sortie19 mai 2021
ISBN9782760554917
Histoires orales du travail social
Auteur

Yves Couturier

Yves Couturier (Ph.D.) est professeur et chercheur au Département de travail social de l’Université de Sherbrooke. Il travaille sur la thématique de l’analyse du travail en travail social, sur la collaboration interprofessionnelle, les pratiques de coordination et l’organisation des services sociaux et de santé.

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    Histoires orales du travail social - Yves Couturier

    privée.

    INTRODUCTION

    DES HISTOIRES ORALES DU TRAVAIL SOCIAL AU QUÉBEC

    Comme tout métier, le travail social a une histoire, souvent racontée d’un point de vue plutôt institutionnel. Cette histoire est naturellement imbriquée à celle des grands mouvements sociaux qui ont mené à la constitution de l’État social et de ses institutions de santé et de services sociaux que nous connaissons aujourd’hui. C’est en effet la constitution même d’un État davantage social qui appela la création de cette jeune discipline à l’échelle du monde des professions qu’est le travail social. Cette histoire n’est cependant que très peu incarnée dans des figures emblématiques constitutives de la culture populaire. Par exemple, qui connaît Irena Sendler, travailleuse sociale déclarée « Juste parmi les nations » en 1965 pour avoir sauvé 2 500 enfants du ghetto de Varsovie ? La culture populaire a plutôt retenu des archétypes de certaines fonctions, reprenant soit la figure de la voleuse d’enfants, soit celle de la placeuse de vieux, ou encore celle de l’apostolat moderne, dont on postule la bienveillance en raison de sa proximité « naturelle » avec les divers misérables et damnés de la terre. Tant dans son versant négatif que dans son versant positif, l’archétype demeure cependant en gros sans figure, anonyme, sans histoire…

    Cet anonymat relatif est renforcé par une désignation étrange de la discipline, formulée par les deux mots de sens commun que sont travail et social. La familiarité de ces termes a pour effet de rendre indicible le métier réel à autrui. Travailler le social, qu’est-ce que ça veut dire ? Le plus souvent, les principaux intéressés ont répondu ainsi à cette question : je travaille dans telle institution ou auprès de telle clientèle, sans véritablement communiquer le contenu pratique de son activité effective. Cette indicibilité relative du travail social explique une partie de son invisibilité culturelle et sociale.

    Le présent livre a donc pour intention de contribuer à rendre un peu plus visible le travail social. Il se constitue de récits de travailleurs sociaux aux origines variées ayant accepté de partager publiquement leur histoire professionnelle. Il constitue ce faisant une contribution à l’histoire de la discipline, une histoire que nous disons orale. La pratique de l’histoire orale consiste en la mise en récit de témoignages formulés par des individus dont l’expérience quotidienne de la vie de tous les jours – ici celle du travail social des années 1950 et suivantes – est utile à des fins mémorielles. À travers ces témoignages, les histoires orales ainsi constituées mettent à la disposition des générations futures une intelligence singulière, en partie commune à un groupe de personnes ayant partagé leur époque. Les informations qu’elles racontent ne peuvent être trouvées dans des sources traditionnelles d’information. Le présent ouvrage n’est pas pour autant un livre d’histoire du travail social, mais bien une mise en récit d’histoires singulières, racontées d’abord oralement par des personnes ayant étudié, puis travaillé dans l’un ou l’autre des domaines du travail social. En ce sens, si le livre n’a pas de prétention historiographique sérieuse, comme ont pu l’avoir Groulx¹ ou Perreault² pour le Québec, Jennisen et Lundy³ pour l’Amérique du Nord, ou Pascal⁴ pour la France, il a tout de même un effet de mise en récit historique. Néanmoins, lorsque le contexte indexical était insuffisant, nous avons ajouté quelques éléments d’information historique afin d’éclairer le récit pour un lectorat n’ayant pas vécu ces époques. Cette information est minimale et ne rend pas compte de la richesse de la vie de ces acteurs, des institutions ou des événements historiques que nous ne faisons qu’effleurer ici ou là. À la charge du lecteur intéressé de compléter l’information par de véritables sources historiques traditionnelles.

    La mise en récit que nous avons faite de ces 21 témoignages cherche donc à rendre davantage dicible une part de ce métier relationnel, pour qui les mots constituent les principaux outils de travail, sauf peut-être pour se dire soi-même. Certains de ces témoins ont eu des parcours remarquables, alors que d’autres ont évolué dans une pratique professionnelle discrète, d’un point de vue public. Malgré la singularité et la diversité des parcours, chacune des histoires éclaire une facette particulière d’une histoire collective de plus grande ampleur, élucidée par le croisement des faisceaux singuliers.

    Ces travailleurs sociaux ont pour nous témoigné de leur vie professionnelle en sachant que leur identité serait dévoilée, par plaisir de partager leur histoire, de la mettre en récit pour autrui. Nous avons collecté ces récits sans a priori de recherche, ni même sans intentions précises, sans guide d’entrevue, si ce n’est une question d’ouverture commune à tous : comment est venu à vous le travail social ? Par la suite, la discussion a suivi son cours en nous conduisant vers la singularité de chacun des témoins. Le livre a été relu par chacun d’entre eux, qui a pu confirmer, affirmer ou affiner la justesse du passage de l’oral à l’écrit. Les extraits, parfois longs, ont été édités pour en augmenter la lisibilité, sans jamais cependant affecter le sens du récit.

    Aux récits de nos témoins premiers s’ajoutent ceux des deux auteurs de ce livre, et ce, de deux façons. D’abord, humblement, sans positionnement privilégié, nous avons joint ici ou là nos propres histoires orales. Puis, nous avons ordonné la parole des uns et des autres, car fougueuse, parfois désordonnée, et toujours multisémantique. Cette mise en ordre produit un second récit, qui est bien celui des deux auteurs de ce livre, car nous sommes in fine véritablement les personnes imputables de l’histoire collective racontée ici. Cet effet narratif est constitué en ordonnant les témoignages, en choisissant les extraits, en structurant une trame narrative par la rédaction de textes de liaison, en articulant les divers propos selon un point de vue nous semblant utile pour révéler la part de collectif liant de proche en proche ces histoires singulières.

    Cette structuration du livre se déploie en sept thèmes généraux, dont nous introduisons ici la pertinence.

    Nous avons voulu explorer la question de l’origine du travail social comme point de départ de ces parcours individuels. L’origine révèle la rencontre toujours singulière du projet intime, des valeurs individuelles et des forces sociales motrices de ces parcours sociaux. Cette rencontre de l’intime et du social contient toute l’évolution du Québec, comme le charbon chez Sartre contient tout entier le capitalisme⁵. Cette mise en récit rétrospective éclaire le destin de ces jeunes personnes de jadis et, par conséquent, leur champ des possibles, donc l’espace social qu’est le Québec, des années 1950 à nos jours. Bien entendu, cette idée de destin ne renvoie nullement à la prédestination, au sens commun du terme, mais bien à la destination, au chemin accompli tout au long de la vie professionnelle. La destination est la rencontre singulière, néanmoins radicalement sociale, des choix individuels, des contingences du champ des possibles et du hasard, dans sa forme évidemment matérialiste, c’est-à-dire de circonstances de la vie qui ont un effet direct ou indirect sur les parcours de chacun. Ce chapitre du livre montre l’importance de la recherche de cohérence entre des valeurs personnelles et une activité professionnelle, notamment sous l’angle de l’engagement comme rapport à la vie au travail, et hors du travail. D’une certaine façon, ces témoins sont des héros de leur temps, au sens spécifique de Dodier : « Le héros est celui qui arrive à être auteur de son action⁶ ». Selon cette perspective, l’action est le moyen par lequel l’individu s’accomplit. Lorsque les individus abordent leur action comme une « œuvre, ils mettent l’accent sur sa capacité à produire des artefacts qui vont peupler le monde⁷… » Ce monde n’est autre que le Québec tel qu’on le connaît aujourd’hui, peuplé de l’action de ces témoins.

    Nous avons également exploré les forces motrices de l’évolution de la discipline en nous inspirant librement des travaux réalisés par Vilbrod⁸ pour les éducateurs spécialisés en France. Nous verrons dans ces pages une discipline relativement forte, mais surtout souple et en ajustement constant. Nous verrons également que l’éternel débat identitaire en travail social masque en fait un pluralisme natif d’une discipline qui réussit néanmoins à faire corps.

    Puis, nous avons voulu explorer quelques thèmes plus spécifiques, soit les thèmes du rapport à l’innovation, du rapport au pouvoir, et celui du rapport au domaine de la santé. Ils sont selon nous d’importants analyseurs de l’évolution du travail social.

    Enfin, le récit que nous avons mis en forme n’est en rien nostalgique, bien que rétrospectif. En fait, il est aussi prospectif, car les témoins expriment avant tout une intention de transmission pour un lectorat que chacun imaginait, naturellement, plus jeune que soi. C’est pourquoi le livre se conclut sur des messages que ces travailleurs sociaux expérimentés ont voulu transmettre à ces jeunes lecteurs.

    1. Groulx, L.H. (1993). Le travail social : analyse et évolution, débats et enjeux, Laval, Agence d’Arc.

    2. Perreault, I. (2012). « L’intervention sociale en psychiatrie. Le rôle des premières assistantes sociales à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, 1920-1950 », dans M.-C. Tifault (dir.), L’incontournable caste des femmes. Histoire des services de santé au Québec et au Canada, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, p. 205-228.

    3. Jennisen, T. et C. Lundy (1991). One Hundred Years of Social Work : A History of the Profession in English Canada, 1900-2000, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press.

    4. Pascal, H. (1994). Histoire du travail social. De la fin du XIXe siècle à nos jours, Rennes, Presses de l’EHESP.

    5. Sartre, J.-P. (1985). Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard.

    6. Dodier, N. (1995). Les hommes et les machines, Paris, Métailié, p. 219.

    7. Ibid., p. 218.

    8. Vilbrod, A. (1995). Devenir éducateur, une affaire de famille, Paris, L’Harmattan.

    CHAPITRE

    1

    LES ORIGINES ET LES PARCOURS

    Les parcours conduisant les témoins vers le travail social prennent le plus souvent racine dans un terreau familial. Cependant, cette origine familiale n’est pas directe, ni le fait d’une volonté consciente d’orienter les enfants vers cette discipline. L’origine familiale des témoins varie sur le plan socioéconomique, mais la grande majorité provient de familles dans lesquelles une forme d’engagement social importait, sans que ce soit un engagement découlant d’une conscience politique toujours explicite.

    Pour mes parents, c’était « Faites ce que vous souhaitez faire. » Jamais ils ne m’ont dit : « Fais ton droit. » C’est votre vie, c’est votre choix. Évidemment ils n’avaient pas nécessairement une idée très claire de ce que ça pouvait être, le travail social. Ils connaissaient la question des enfants adoptés, les foyers nourriciers. C’est le monde qu’ils connaissaient. Il faut penser qu’on est dans le temps des agences diocésaines de service social. (J. Lindsay)

    Le parcours vers le travail social prend donc surtout racine dans un rapport au projet éducatif.

    Le travail social est arrivé tout naturellement dans ma vie. Je viens d’un milieu modeste. J’ai eu une enfance exceptionnelle parce que j’avais des parents qui croyaient beaucoup à l’éducation et qui avaient décidé que l’héritage qu’ils nous donneraient, ce serait de nous permettre d’étudier le plus longtemps possible… Pour eux, le chemin était tracé, de la petite école à l’université. (P. Marois)

    La valeur de l’éducation a joué un rôle particulièrement important dans le parcours des témoins aux origines sociales les plus modestes.

    Mes parents n’étaient pas riches, mais c’était clair que s’il y avait une chose qu’il fallait donner à leurs enfants, c’était l’éducation. J’avais dit que je ne voulais pas aller au collège classique. Le rapport Parent¹ n’avait pas encore passé, vers 64, mais c’était dans les discussions. Ma mère avait fait venir sa sœur, qui était religieuse, et qui a toujours défendu l’éducation des filles. Elle l’avait fait venir pour me faire comprendre que c’était un privilège d’aller au collège classique. Je n’ai pas été difficile à convaincre. Après le cégep, c’est clair que j’allais à l’université. (G. Lalande)

    Cette valorisation de l’éducation pouvait cependant être à géométrie variable dans la fratrie, en fonction du genre de l’enfant, du projet éducatif de chacun des parents et d’une évolution rapide des mentalités pendant les années 1960 à ce propos.

    Mes parents ont eu comme deux familles, trois/trois enfants, avec une différence entre les deux. Les trois plus jeunes sont allés à l’université. Chez nous, c’était ma mère qui décidait, c’était matriarcal. Mon père voulait que les gars aillent à l’université, les deux plus vieux, ça ne les intéressait pas, mais moi ça m’intéressait. Mais pour les filles, il ne trouvait pas ça important. Ma mère s’est mise là-dedans, et moi aussi… les trois autres sont allés à l’université. (R. Lapointe)

    Le fait d’avoir des parents engagés, d’abord dans leur famille, puis dans la communauté, a un important effet sur le travail social comme choix de carrière.

    Mes parents étaient catholiques, comme presque tous les Québécois francophones l’étaient à l’époque. Le plus important c’était qu’ils étaient engagés. Papa faisait de la sollicitation pour la « Plume rouge », l’ancêtre de Centraide², qui ramassait des fonds pour venir en aide aux plus démunis. Il participait à la gestion de la Caisse populaire et il était marguillier de la paroisse. De son côté, ma mère aidait beaucoup sa famille. Il était naturel pour elle d’accueillir ses nièces qui vivaient trop loin de l’école secondaire pour poursuivre leurs études. Quand un de ses parents était malade, il allait de soi qu’elle prenne charge des enfants le temps qu’il se rétablisse. J’ai vécu dans un climat d’entraide très important. Papa, un bon mécanicien, était toujours prêt à réparer les autos, les camions ou les tracteurs des amis cultivateurs. Chez moi, dans ma famille, l’entraide a toujours été une valeur très importante. C’est sans doute la raison première de mon attirance pour le service social. (P. Marois)

    Bien que le milieu familial apparaisse en général positif, l’accès à l’université était aussi un moyen de s’en émanciper.

    Ça m’a amenée à penser que j’allais poursuivre jusqu’à la fin du baccalauréat, on appelait ça comme ça dans le temps ; c’était cégep II. J’ai pris mon temps pour réfléchir à ce que je voulais faire. Et comme j’étais la première des filles qui allait faire des études à l’université, j’avais besoin de bien amener la question auprès de mes parents. J’ai pensé choisir une formation qui n’était pas très longue. Alors je suis allée en 1952 à l’Université de Montréal faire l’entrevue, et j’ai été admise. On avait le choix entre trois ans ou deux ans, alors je l’ai fait en deux ans. Ça me convenait parce que je sortais du milieu où j’habitais et que ça m’amenait à des horizons nouveaux. (G. Martin)

    Le travail social avait-il un genre ? Si la discipline est sans conteste largement féminisée depuis son origine, ce constat se module beaucoup selon le contexte. Parmi ce contexte se trouve notamment le fait que le travail social était une voie de reconnaissance de jeunes femmes en quête de jouer pleinement un rôle social par l’entremise de l’accès à une profession reconnue.

    Intervieweur : Quand votre mère vous oriente vers le travail social, est-ce que c’était un choix genré pour elle ?

    Témoin : À l’époque, tout était genré. Ma mère ne m’aurait jamais proposé de devenir pompier. On est deux travailleuses sociales, et une autre de mes sœurs est psychologue. J’ai aussi un frère et une sœur dans le monde des communications. Et le plus jeune est en sciences politiques. L’accès aux études supérieures, pour mes parents, était accepté pour les filles et pour les gars. On était tous encouragés à étudier. Bon, mon père m’avait dit quand même qu’il faudrait que je sois un jour une bonne maîtresse de maison, en même temps qu’une femme de carrière… Disons que j’ai un petit peu moins bien réussi maîtresse de maison ! C’est sûr que ma maman ou mon papa ne pouvait pas imaginer que je devienne cheffe d’entreprise. J’aurais pu aller en sciences, mais j’étais nulle. Donc oui, genré, mais en autant qu’on s’en allait vers un métier valorisé socialement. (F. David)

    En fait, le choix de métiers pour les femmes était, à la fin des années 1960, particulièrement limité.

    En 69, on n’avait pas beaucoup de choix de carrière, on était destinée à être secrétaire ou infirmière. Au cégep de Trois-Rivières, j’ai appris qu’il y avait le travail social. Le travail d’infirmière m’intéressait moins. Je n’ai jamais regretté, ça a été vraiment ma profession… (M. Pépin)

    Le besoin de s’affirmer en tant que femme a aussi été moteur d’une orientation vers le travail social.

    Quand j’étais à l’université, même si je ne me décrivais pas comme féministe, il allait de soi que, comme femme, j’allais prendre ma place et avoir une vie professionnelle. Il a toujours été clair dans mon esprit que j’allais être une femme autonome. (P. Marois)

    L’engagement dans le parcours du travail social se fonde sur une recherche d’un métier porteur de sens pour tous les témoins, mais il est aussi productif et révélateur d’un rapport au monde ancré dans des valeurs féministes.

    J’ai toujours été soucieuse de respecter trois éthiques : l’éthique des travailleurs sociaux, qu’on accepte quand on est professionnelle, active ou non dans la corporation des travailleurs sociaux, ensuite l’éthique féministe, après avoir travaillé si longtemps dans le mouvement social et avoir été là quand se sont installés des organismes comme la Fédération des femmes, le Conseil du statut de la femme et, ensuite, l’éthique, que j’ai toujours appelée de la conciliation travail-famille, de sorte qu’il y a une éthique de la maisonnée, quand on a des tout-petits. Je pense à la petite de trois ans qui me dit un jour en me regardant dans les yeux : « Tu veux aller travailler, moi j’ai la liste des dames de la rue qui ne travaillent pas et qui s’occupent de leurs enfants toute la journée… » Elle me les a nommées sans en manquer une seule… Ha ! Je l’ai regardée aussi dans les yeux, et j’ai dit : « Je vais te donner les raisons pour lesquelles je fais ça… » Alors elle a compris, et elle s’en rappelle aujourd’hui. C’est incroyable, elle est revenue sur le même sujet quand elle a été une des premières à avoir la clé dans le cou. Je voyais les autres mamans venir chercher les autres enfants pour dîner. Mais elle dit : « Par contre, j’aimais ça, j’étais bien avec la gardienne… » C’étaient des compromis, on n’a jamais sacrifié sur la qualité des personnes qui me remplaçaient… Oui, c’est ce que j’appelle une éthique. Avant l’entrevue, j’ai pensé à tout ça, en me disant que si c’est peut-être un parcours qui peut avoir été ou qui semble incohérent par moments, c’est le parcours de beaucoup de femmes dans mon milieu, qui avons cru que c’était possible de le faire, à notre rythme, mais combien ça a pu être intéressant d’avoir pu le faire… (G. Martin)

    L’expérience directe ou indirecte de la pauvreté a également été motrice de plusieurs parcours.

    J’ai commencé à travailler jeune, à 17 ans. Je restais en campagne. À partir de la 10e année, on s’en allait en ville, et il fallait payer un appartement, en tout cas une pension. Mes parents n’avaient pas de moyens, alors j’ai commencé à travailler jeune, et à 18 ans, toute la famille a déménagé à Lévis. À 23 ans, après bien des cours du soir, tout en travaillant, j’ai fait un retour aux études en sciences humaines au cégep.

    Intervieweur : D’où vient votre engagement militant ?

    Témoin : Ça vient d’avant le service social. Quand j’ai travaillé dans les chantiers étudiants, je me suis impliquée comme bénévole, je voyais la situation des gens dans le quartier Saint-Laurent à Lévis. (G. Beaulieu)

    Pour certains, améliorer son sort et celui des autres était intimement imbriqué, à l’image d’un Québec qui se modernisait rapidement grâce à des projets individuels qui s’affirmaient de plus en plus.

    Je cherchais vraiment à être utile, à rendre service, à faire le bien, à améliorer la situation de la population, parce que je viens d’un milieu très pauvre, dans lequel l’instruction, l’éducation, n’étaient pas très valorisées. Mais j’entendais parler qu’une bonne vie, que c’était possible avec l’instruction. Donc c’est sûr que je voulais étudier. J’allais travailler fort dans cette optique-là, pour aider mes semblables, sortir de la misère. Ça aussi ça m’a beaucoup motivée, sortir de la pauvreté.

    Mes parents étaient pauvres, on avait une petite terre, une petite ferme avec 15 vaches. J’avais un sentiment de fierté, parce que je partais d’un petit village, et là j’étais rendue à l’Université Laval à Québec. J’avais été blessée par des commentaires d’un professeur qui disait : « Vous n’avez pas beaucoup de vocabulaire vous. » Oui, c’est vrai que je ne lisais pas beaucoup. Je me suis dit alors : « Ils ne diront pas ça tout le temps. » Alors, j’ai travaillé très fort. J’ai fait trois maîtrises. (M. Pépin)

    Plus particulièrement, l’intérêt pour l’intervention familiale naît pour certains dans l’enfance.

    Je suis partie au pensionnat à 11 ans, au Collège Jésus-Marie à Québec, pour faire mon cours classique. Pendant cinq ans, j’ai été beaucoup coupée de ma famille. On n’avait pas le droit de sortir dans sa famille plus qu’une fois par mois. Imaginez pour les enfants d’aujourd’hui, ça ne se peut pas. Je m’ennuyais, c’était épouvantable. Je recevais une lettre par semaine. (L. Boulanger)

    Chose rare, Louise Boulanger raconte que l’intérêt pour le travail social est né d’une rencontre culturelle pendant son enfance :

    Je lisais tout le temps, parce qu’on n’avait pas le droit de parler en faisant ceci, en faisant cela, j’avais toujours un livre. J’avais des bonnes notes à l’école, donc les sœurs me donnaient la permission de lire plus qu’un livre par semaine. Une de mes héroïnes était travailleuse sociale. C’était une série de romans, Le Roman d’Élisabeth³. Lorsque ma mère a déménagé, elle m’a redonné une boîte de livres qu’elle avait gardée. C’est en fouillant dans cette boîte de livres que je me suis souvenue que c’est en m’identifiant à Élisabeth que j’ai découvert ma motivation pour le service social. Le roman se passait en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. Élisabeth était une travailleuse sociale, une héroïne de guerre, qui faisait partie de la Résistance. À cette époque-là, mais on n’est plus à ces mots là aujourd’hui, il y avait un élément de vocation. J’ai commencé à m’intéresser au service social comme ça, tranquillement, au collège classique. En philo 1, puis en philo 2, c’était clair pour moi, je m’en allais en service social. Je voulais aider les gens, c’était dans ma jeunesse, aider les familles, particulièrement les enfants, c’était mon champ d’intérêt dès le départ… C’est comme ça que j’ai commencé mes études à l’Université Laval. À cette époque, on faisait une maîtrise, en trois ans, après la philo 2. (L. Boulanger)

    L’expérience de l’entraide dans l’espace familial fut aussi importante dans la motivation de s’orienter vers le travail social.

    J’étais dans les guides⁴, après dans le mouvement Saint-Vincent de Paul⁵. J’ai fait beaucoup de visites à domicile avec la Saint-Vincent de Paul, pour aller porter des denrées. J’avais un peu d’expérience avant de commencer à rentrer chez les gens. (L. Boulanger)

    Dans un contexte sans système de soutien financier aux études largement accessibles, l’accès à des bourses particulières a été déterminant pour plusieurs, souvent des témoins qui ont d’ailleurs connu une forte mobilité sociale ascendante.

    Mon premier stage, je l’ai fait en Ontario, près de Hamilton, dans une école pour jeunes… On dirait un centre jeunesse aujourd’hui. Celle qui encadrait le stage, c’était une grande travailleuse sociale, très, très bonne. Le deuxième stage était à Valleyfield, au Centre psychosocial. C’était très renommé comme endroit de stage. Je me demande si le stage n’était pas rémunéré aussi un peu, ce qui était révolutionnaire dans le temps. Mais moi, j’étais un riche, car j’avais une bourse d’études. Ce n’était pas gros, mais c’était assez. (L. Boucher)

    L’accès aux études par l’octroi de bourses a été déterminant pour plusieurs, même si la source de ce financement a changé au fil du temps.

    À la fin des années 70, c’est le système des prêts et bourses du ministère de l’Éducation qui m’a permis d’envisager poursuivre mon projet d’accéder à une formation postsecondaire, car je viens d’un milieu très modeste qui n’aurait pas pu soutenir financièrement tout ce que ce projet comportait : quitter ma ville natale pour m’inscrire au cégep de Rimouski en technique en assistance sociale, prendre un appartement et subvenir à mes besoins et peut-être, plus tard, poursuivre à l’université.

    Intervieweur : Pourquoi la technique à ce moment-là, et pourquoi attendre 20 ans pour faire maîtrise et doctorat ?

    Témoin : Dans la région d’où je viens, le Bas-Saint-Laurent, le travail des travailleurs sociaux et des techniciens était à l’époque indistinct. Il y avait d’ailleurs très peu de bachelières car cette formation était disponible, au plus près, qu’à l’Université Laval, à Québec alors que la technique était offerte dans les cégeps de la région. Cela montre l’importance des bourses, surtout pour les personnes vivant dans un contexte éloigné des grands centres et donc des universités. (L. Belzile)

    La prise de conscience des inégalités sociales est au cœur de l’orientation vers le travail social de plusieurs des témoins.

    Idéaliste, l’injustice me répugnait et je me disais qu’il fallait essayer de changer le monde, de construire une société où il y aurait moins de pauvreté, plus d’égalité des chances. Quand je me suis retrouvée dans un collège classique fréquenté par des filles appartenant à un milieu bourgeois, j’ai eu la révélation de ma vie : j’ai découvert les classes sociales, une réalité que je ne connaissais pas. J’ai eu un vrai choc. La confrontation avec cette réalité m’a amenée à dire : qu’est-ce que je peux faire pour que cette société-là soit plus égalitaire… ? C’est à l’origine d’un engagement qui s’est poursuivi durant toute ma vie professionnelle. (P. Marois)

    Cette conscience des inégalités sociales n’a, pour aucun de nos témoins, une origine clairement politique ou idéologique. Par exemple, le père de Claude Larivière était certes un syndicaliste et un citoyen engagé contre le duplessisme,

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