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L' ENFANT ET LE LITIGE EN MATIERE DE GARDE: Regards psychologiques et juridiques
L' ENFANT ET LE LITIGE EN MATIERE DE GARDE: Regards psychologiques et juridiques
L' ENFANT ET LE LITIGE EN MATIERE DE GARDE: Regards psychologiques et juridiques
Livre électronique528 pages5 heures

L' ENFANT ET LE LITIGE EN MATIERE DE GARDE: Regards psychologiques et juridiques

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À propos de ce livre électronique

En cas de litige parental lors d’une séparation, experts psychosociaux et juristes collaborent afin de tenir compte du meilleur intérêt de l’enfant dans l’exercice, parfois périlleux, de la détermination de la garde et des modalités d’accès. Le partage du temps de vie de l’enfant à la suite d’une séparation parentale nécessite en effet un examen minutieux de ses besoins, des caractéristiques de ses parents et de celles de son environnement familial.

Comment la preuve psychologique est-elle élaborée par l’expert qui se penche sur les situations familiales litigieuses et quelle en est l’utilisation par les praticiens du droit de la famille ? Des auteurs des milieux de la psychologie et du droit répondent à cette question complexe dans cet ouvrage. D’une part, ils présentent les plus récentes connaissances en psychologie permettant de soutenir le meilleur intérêt de l’enfant alors que sa situation familiale, parfois hautement conflictuelle, est soumise au tribunal. D’autre part, ils exposent la jurisprudence en matière de garde d’enfants, montrant ainsi le traitement que fait le tribunal des litiges en matière de garde. L’ouvrage intéressera tant les experts et intervenants psychosociaux que les praticiens du droit qui accompagnent les familles vivant une séparation parentale.
LangueFrançais
Date de sortie22 oct. 2014
ISBN9782760540613
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    L' ENFANT ET LE LITIGE EN MATIERE DE GARDE - Karine Poitras

    1

    Penser la complexité de la garde chez le nourrisson et l’enfant d’âge préscolaire

    Francine Cyr, Ph. D.

    Professeure titulaire au Département de psychologie, Université de Montréal

    Chacun sait que les sociétés industrialisées connaissent depuis le début des années 1970 de profondes transformations, le modèle familial traditionnel disparaissant au profit de situations diversifiées généralement caractérisées par une moins grande stabilité. Au Canada, les couples se séparent de plus en plus, et ils ont souvent des enfants en bas âge. À l’âge de 10 ans, plus du tiers des enfants canadiens nés entre 1989 et 1991 avaient connu la vie au sein d’une famille monoparentale en raison de la séparation de leurs parents, et tout porte à croire que cette réalité s’est aggravée depuis (Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2005). Au Québec le phénomène est encore plus marqué et près du tiers des enfants québécois connaîtront la séparation de leurs parents avant l’âge de 8 ans (Cyr, Distefano, Lavoie et Chagnon, 2011). Il résulte de ces nouveaux comportements qu’un nombre considérable de ruptures d’union engendrent une situation de garde pour un ou des enfants d’âge préscolaire, et, dans certains cas, pour des nourrissons. Cela crée une problématique particulière, car les pratiques en matière de garde se sont, elles aussi, complexifiées.

    Dans le cadre traditionnel, la garde des enfants était l’apanage des mères, assortie de droits de visite pour le père. Comme les nouveaux modes familiaux reflètent une tendance vers une vision partagée des rôles et des responsabilités, il est normal que le modèle unidimensionnel de toujours ait fait place à une réalité plus égalitaire qui s’exprime dans l’augmentation des gardes dites partagées. Ce nouveau cadre de fonctionnement recouvre tant les responsabilités, financières et autres, que le partage du temps entre les parents et les conditions dans lesquelles celui-ci s’exerce.

    Cette double réalité est à l’origine d’un vif débat sur les pratiques en matière de garde pour les enfants d’âge préscolaire en général et les enfants de moins de 3 ans en particulier. D’un côté, la théorie de l’attachement qui préconise la continuité des soins au nourisson et au jeune enfant et les résultats de recherches en neurosciences sont mises de l’avant pour réserver à la mère la responsabilité physique des premières années de vie, limitant par conséquent le temps alloué en exclusivité au père et prohibant les nuités avant 2, voire 3 ans. De l’autre côté, on s’oppose fermement à cette limitation, en insistant sur l’importance de l’engagement des deux parents auprès de l’enfant dès son plus jeune âge, la contribution du père étant vue comme importante et complémentaire pour le sain développement de l’enfant.

    Les tribunaux qui sont appelés à se prononcer sur les plans parentaux les plus appropriés en matière de garde et d’accès pour ces enfants sont donc confrontés à un dilemme. Certes, les deux points de vue s’appuient sur des recherches, mais force est de constater que le savoir scientifique disponible sur la question est mince et souvent contradictoire, et que les conclusions des études sont difficilement généralisables à l’ensemble des situations de séparation. Dans ce contexte, il n’est donc pas possible de conclure, comme le font plusieurs, qu’un type de garde particulier est à priori supérieur à un autre pour les enfants.

    Nous nous proposons ici de présenter et de discuter les différents aspects de la question de la garde partagée¹ chez les enfants en général et, plus particulièrement, chez les tout-petits. Plusieurs questions seront abordées : Comment se présente actuellement la jusrisprudence au Québec ? Quels sont les facteurs qui doivent être pris en compte lors d’une prise de décision, chacun avec leurs avantages et leurs limites ? Comment interpréter les résultats de recherche et leurs contradictions ? Nous en viendrons ainsi à souligner l’importance d’établir les meilleures pratiques possibles en matière de garde des jeunes enfants, non pas dans une vision dichotomique et manichéenne, mais plutôt en relevant la complémentarité des apports du père et de la mère au développement sain de l’enfant. Enfin, nous irons au-delà des luttes partisanes soutenues par les opposants et les défenseurs de la garde partagée en présentant les consensus qui se dégagent de l’effort de conciliation et de dialogue récent (2014) entre les protagonistes de l’attachement sécurisé et de l’implication précoce du père dans la vie du nourisson. En dernier lieu, nous avancerons l’idée de mettre en place certaines mesures psychojuridiques en vue de soutenir les parents en difficulté, particulièrement lorsque les enfants sont jeunes, en conjuguant les efforts et la complémentarité des univers juridique et pychosocial autour de la décision de garde et de son suivi.

    1. La garde partagée et la jurisprudence

    En l’absence de présomption de garde partagée dans la loi, les juges québécois sont appelés à se prononcer en fonction du « meilleur intérêt de l’enfant » en tenant compte des facteurs suivants élaborés par la Cour d’appel en 1998 pour déterminer si une garde partagée est applicable : la capacité des parents à créer un environnement stable pour l’enfant et à communiquer entre eux, l’ampleur de leurs conflits, la proximité de leurs résidences respectives et les préférences de l’enfant.

    Pourtant, Goubau (2003) a recensé une jurisprudence contradictoire sur la question. Il constate, par exemple, que la présence et l’ampleur des conflits, les valeurs éducatives communes, la capacité des parents à créer un environnement stable pour l’enfant, l’âge de l’enfant et la proximité géographique sont des facteurs dont le poids varie selon les jugements. Au Québec comme ailleurs, notamment en Australie où une présomption en faveur de la garde partagée existe, l’âge de l’enfant et le climat conflictuel entre les parents ne constituent pas des obstacles majeurs à l’octroi d’une garde partagée (Pélissier-Simard, 2014). Comme nous le rappelle Tétrault (2012) faisant état de la jurisprudence², la garde n’est ni une punition, ni une récompense et elle doit être décidée dans l’intérêt des enfants et non des parents.

    Le juge, conformément à ce qui est expressément prévu dans la Loi sur le divorce, doit rechercher l’arrangement favorisant le plus de contacts entre l’enfant et chacun de ses parents et il doit s’assurer que cela soit compatible avec l’intérêt de l’enfant. Ainsi, d’après Tétrault, la Cour supérieure du Québec serait de plus en plus disposée à octroyer une garde partagée, puisque cela assure le principe de la maximisation des contacts entre l’enfant et ses deux parents.

    De même, Tétrault (2012, p. 433) note « une tendance dans la jurisprudence récente à répartir la résidence des enfants en parts égales chez l’un et l’autre des parents pendant la période estivale ou encore à allonger la durée des périodes de résidence avec le parent non gardien ».

    Les contacts pendant l’année scolaire suivent la tendance à maximiser les contacts avec le parent non gardien sans pour autant être partagés moitié-moitié. Ainsi, la tendance la plus souvent observée consiste en des droits d’accès de deux fins de semaine sur trois ou de trois fins de semaine sur quatre. Il est essentiel, note Tétrault, que le parent gardien puisse bénéficier de périodes avec l’enfant hors du cadre de la routine scolaire et que l’enfant puisse obtenir du soutien du parent non gardien pour exécuter des travaux scolaires lors des contacts chez celui-ci deux fins de semaine sur trois ou trois fins de semaine sur quatre.

    Quant à la garde et aux accès eu égard à des enfants très jeunes, Tétrault observe un changement récent dans les principes d’attribution du temps de vie de l’enfant.

    Il y a environ trois ans, nous pouvions affirmer que pour les enfants de moins de deux ans, des règles particulières favorisant le lien d’attachement le plus fort avec un parent militaient pour des modalités que l’on décrivait comme favorisant une fréquence plus rapprochée des contacts mais pour des périodes moins longues. Actuellement, des ordonnances mettant en place des droits d’accès de deux fins de semaine sur trois pour un enfant de moins d’un an (entre sept et douze mois et en l’absence d’allaitement) se rencontrent de plus en plus souvent (Tétrault, 2012, p. 433).

    La garde partagée peut être ordonnée même si les deux parties ne s’entendent pas ou sont incapables de communiquer entre eux, et ce, s’il est prouvé qu’il s’agit de deux bons parents ayant quelque chose à offrir à leurs enfants. Cette tendance à octroyer une garde partagée qui va jusqu’à la présomption dans plusieurs pays du monde suscite de sérieuses inquiétudes chez les professionnels et dans la communauté scientifique. Comme le fait remarquer McIntosh (2011), ainsi que Kaspiew et al. (2009), en raison de la présomption de garde partagée en Australie, un certain nombre de familles se sont vues imposer ce type de garde sans avoir choisi cette forme de partage des responsabilités parentales et parfois dans un contexte de très haut niveau de conflits. De récentes études en Australie et aux États-Unis se sont intéressées à cette réalité et en sont venues à la conclusion que, bien que ce type d’arrangement soit une bonne chose pour certains enfants, il ne faut pas présumer qu’elle constitue la meilleure option pour tous.

    Il est intéressant de mentionner ici un élément particulier compte tenu de son importance au Québec : la généralisation de l’union libre comme cadre de vie. En effet, le type d’union des parents lors de la naissance de l’enfant influencerait tant la stabilité de l’union que le type de garde retenu pour les enfants. Les unions de conjoints de fait (union libre) sont plus fragiles que celles des couples mariés, par conséquent, les enfants issus de ces familles sont trois à quatre fois plus susceptibles de vivre la séparation de leurs parents que les enfants issus de couples mariés (Cyr et al., 2011 ; Marcil-Gratton, Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk, 2002). En outre, les données canadiennes montrent que les enfants issus de parents en union libre ont plus de chance d’être confiés à une garde partagée que ceux issus de parents mariés (Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2005). Les données de l’étude longitudinale du dévelopement des enfants québécois (ÉLDEQ) mènent au même constat : environ 63 % des enfants naissent aujourd’hui de parents qui vivent en union libre au Québec, et ce sont les enfants nés de parents en union libre qui vivent le plus haut taux de garde partagée (30 %). Et si la garde principale accordée à la mère demeure le type de garde le plus fréquent (72 %) chez la cohorte d’enfants nés en 1998³, il y a tout de même plus du quart (28 %) de ces enfants qui vivent en situation de garde partagée⁴, ⁵.

    Afin de nous éloigner momentanément des enjeux politiques et idéologiques qui teintent fortement les affirmations et décisions concernant la garde des enfants, nous proposons de recentrer notre analyse sur les besoins fondamentaux des enfants de parents séparés en rappelant d’abord les principaux facteurs de risque et de protection relevés dans la littérature scientifique.

    2. Les facteurs de risque et de protection associés à l’adaptation des enfants de parents séparés

    Dans plusieurs études, on a constaté que les enfants de parents séparés sont deux à trois fois plus vulnérables que ceux qui grandissent au sein d’une famille intacte (Amato, 2001, 2010 ; Clarke-Stewart et Brentano, 2006 ; Hetherington et Kelly, 2002 ; Kelly et Emery, 2003 ; Potter, 2010). Toutefois, ces différences demeurent faibles (taille de l’effet) lorsque les variables pré-divorce sont contrôlées. Bien que la majorité des enfants s’adaptent bien et retrouvent le cours normal de leur vie sans que leur développement soit compromis, on observe que chez 20 à 25 % des enfants et adolescents des problèmes persistent à des degrés divers jusqu’à la vie adulte (Booth et Amato, 2001 ; Chase-Landsdale, Cherlin et Kiernan, 1995). Les recherches démontrent aussi que l’adaptation de l’enfant à la séparation des parents est influencée par une grande diversité de facteurs et qu’un seul élément ou variable ne peut à lui seul prédire l’évolution et l’adaptation de l’enfant (Cyr et Carobene, 2004). Néanmoins, la présence ou non de conflit parental est unanimement reconnue comme le meilleur prédicteur de l’adaptation de l’enfant. Les effets directs et indirects des conflits élevés et persistants entre les parents ont été abondamment décrits par divers chercheurs (Cummings et Davis, 1994 ; Grych, 2005 ; Kelly, 2000). On sait, par exemple, qu’un climat de conflit persistant influence les pratiques parentales ainsi que la disponibilité affective du parent. Ainsi, la qualité des relations parent-enfant peut être indirectement affectée par ces conflits et cela aura des répercussions sur la sécurité émotive de l’enfant. Or, les compétences parentales sont également l’un des meilleurs prédicteurs de l’ajustement de l’enfant, tant dans les familles intactes que dans les familles séparées. Des recherches ont confirmé, par exemple, que les mères provenant d’un mariage hautement conflictuel comparées à des mères ayant un mariage à faible niveau de conflit sont moins chaleureuses et moins empathiques envers leurs enfants, démontrent moins d’affection, sont plus souvent rejetantes et utilisent des pratiques disciplinaires plus rudes et coercitives, incluant cris et punitions physiques (Kline, Johnston et Tschann, 1991).

    Les pères vivant un mariage très conflictuel ont tendance à se retirer comme parent de la vie de leurs enfants et leurs interactions avec leurs enfants sont plus intrusives et manquent de sensibilité (Amato et Booth, 1996 ; Cummings et Davis, 1994 ; Kline et al., 1991). Par ailleurs, une bonne relation avec au moins un parent chaleureux constitue un facteur de protection pour l’enfant dans un contexte de haut conflit conjugal et peut atténuer les effets dévastateurs des conflits interparentaux (Amato et Gilbreth, 1999 ; Vandewater et Lansford, 1998).

    Plusieurs autres facteurs de risque et de protection sont associés à la résilience chez les enfants à la suite de la séparation des parents. Les recherches démontrent clairement que la capacité des parents à diminuer ou du moins à contenir leurs conflits en présence des enfants, une bonne santé psychologique chez le parent qui assume la garde principale de l’enfant, des compétences parentales chez les deux parents et l’exercice d’une coparentalité collaborative ou parallèle, un haut niveau d’implication du parent n’ayant pas la garde, un nombre limité de transitions familiales et une stabilité sur le plan économique sont des éléments favorables pour l’enfant (voir Kelly [2012] pour une recension exhaustive de ces facteurs de risque et de protection).

    3. Les défis et les limites des recherches sur le partage du temps de vie de l’enfant entre ses deux parents

    La diversité des facteurs en cause rend a priori complexe toute étude de la question. Devant cette complexité, il est très difficile d’élaborer des devis de recherche rigoureux qui tiennent compte de l’ensemble de ces variables confondantes au moment d’essayer de prédire quel type de garde est le meilleur pour l’enfant ou l’adolescent. À notre connaissance, il n’existe pas à ce jour de recherche empirique longitudinale qui inclut et contrôle toutes les variables contextuelles susceptibles d’influencer l’adaptation de l’enfant dans les diverses modalités de garde, en vue de déterminer si l’une est supérieure à l’autre. Il est connu qu’un seul facteur pris isolément ne peut prédire l’issue pour l’enfant. De plus, les études n’utilisent pas la même définition de la garde partagée. Par exemple, la shared custody définie dans des régimes basés sur le droit coutumier (common law) correspond à la notion d’autorité parentale conjointe consacrée dans la Loi sur le divorce dans le régime civil. Quant à la garde physique partagée, elle représente des pourcentages variables d’une étude à l’autre (entre 25 et 50 %) et ces études emploient des méthodes et des échantillons différents, sans groupes témoins pour la plupart, ce qui limite la généralisation des résultats. Il y a peu de recherches empiriques disponibles et la plupart utilisent des petits échantillons de convenance et non représentatifs des différents modèles de garde après la séparation. En outre, l’absence de sources de données diversifiées pour évaluer le bien-être des enfants biaisent les résultats rapportés. En effet, le point de vue de l’enfant n’est que très rarement recueilli et les données reposent la plupart du temps sur des entretiens avec un seul parent – la mère habituellement –, et sont donc teintées par son propre bien-être⁶. Les familles en garde partagée sont traitées comme un groupe homogène sans égard au contexte de la décision. S’agit-il d’une décision consensuelle ou ordonnée ? A-t-elle été prise dans un climat de collaboration interparentale ou de conflits élevés ?

    On ne s’étonne donc pas que les recherches obtiennent des résultats contradictoires et que les conclusions retenues et utilisées sont souvent partisanes, dépassant ce qu’il est permis d’affirmer à partir des données des études. L’augmentation continue de la garde partagée en raison de facteurs sociologiques (femmes sur le marché du travail, pères plus impliqués auprès de leurs enfants, conciliation travail-famille dans la société moderne) et politiques (présomption de la garde partagée dans plusieurs juridictions) s’observe néanmoins sans un corpus solide et cohérent de recherches pour l’appuyer.

    Toutefois, un constat clair qui se dégage de la recherche est que ce n’est pas le type de garde comme tel qui importe pour l’adaptation de l’enfant, mais plutôt la façon dont les parents vont pouvoir gérer adéquatement ces diverses modalités de partage du temps de vie de leur enfant sur le plan pratique et relationnel, surtout lorsqu’elles sont imposées par la Cour. Des études récentes mettent en évidence l’importance de tenir compte du contexte familial de chacun des enfants dans l’établissement du type de garde. Ainsi, le niveau de conflit entre les parents, la volonté de la mère de faciliter les contacts avec le père, celle-ci obtenant le plus souvent la garde principale, les compétences parentales, la sensibilité parentale aux besoins de l’enfant et sa disponibilité émotive, la stabilité et la prévisibilité des arrangements de garde, mais aussi la souplesse et la communication entre les parents autour des besoins de l’enfant sont tous des éléments importants à considérer. En général, il a été démontré que c’est la qualité de l’alliance parentale, la chaleur parentale, la sensibilité et le style de discipline qui feront la différence entre un enfant ayant un bon niveau d’ajustement et un enfant dont le développement sera perturbé (Cashmore et al., 2010 ; Kaspiew et al., 2009 ; Whiteside et Becker, 2000).

    4. Le cas particulier de la garde des jeunes enfants

    Les recherches les plus récentes se sont intéressées à la question de la garde partagée chez les enfants d’âge préscolaire, mettant l’accent sur les risques et bénéfices de ce partage de temps pour les très jeunes enfants. Rappelons que le sujet est controversé et passionnément débattu entre les défenseurs des droits de la mère ou du père, dans un contexte où la recherche disponible n’offre pas le soutien empirique nécessaire pour conclure (Cyr, 2006, 2008). Pourtant plusieurs affirment que l’alternance entre les deux foyers serait préjudiciable pour les jeunes enfants (moins de 3 ans) qui n’auraient pas la maturité cognitive et affective pour tolérer des séparations fréquentes et trop longues d’avec leur mère, première figure d’attachement. Au cours de la quatrième année de vie, ces défis développementaux étant généralement maitrisés, les jeunes enfants auraient la capacité de « naviguer » sans trop de heurts entre les deux maisons. Cette vision est nuancée et contestée par les chercheurs spécialisés dans le développement de l’enfant, qui soutiennent que l’enfant peut gérer adéquatement des séparations progressives de leur mère dès l’âge de 2 ans et mettent de l’avant la contribution essentielle du père tôt dans le développement du jeune enfant.

    La question de la garde partagée chez les enfants de moins de 3 ans est généralement examinée et discutée à partir des études sur de jeunes enfants qui passent la nuit chez leur père. Peu nombreuses, elles comportent des limites méthodologiques importantes, restreignant l’usage et la généralisation de certaines données, qui sont néanmoins souvent utilisées de façon partisane pour faire valoir la thèse et les croyances des auteurs.

    Cashmore et Parkinson (2011) ont relevé trois modèles théoriques et des hypothèses qui soutiennent l’analyse et l’interprétation des résultats observés dans les recherches et permettent de voir plus clair dans ce débat.

    Le premier soutient que le très jeune enfant a besoin d’un attachement sécurisé et stable avec sa figure première d’attachement, la mère, et le temps passé loin d’elle est vu comme un déficit ou un risque pour la relation d’attachement. Ce modèle s’inscrit dans la tradition psychanalytique classique préconisant la primauté de la mère dans les « années tendres », l’attachement du jeune enfant se construisant dans le berceau de la relation dyadique que le tiers séparateur, habituellement le père, viendra complexifier et transformer à la période œdipienne autour de l’âge de 3 ans. Signalons que la plupart des études dans ce domaine reposent sur des données provenant de la mère.

    Le deuxième modèle s’appuie sur les diverses recherches empiriques portant sur le développement de l’enfant qui décrivent l’apport unique et indispensable du père dans l’établissement d’un équilibre chez l’enfant. Les tenants de ces deux modèles s’affrontent généralement dans le débat sur la garde partagée des enfants en bas âge en opposant leurs arguments respectifs en faveur du père ou de la mère. La plupart des recherches se réfèrent à ces deux premiers modèles, comme le soulignent Cashmore et Parkinson (2011).

    Le troisième modèle adopte une approche systémique et met l’accent sur les comportements et la relation de l’enfant avec son père, sa mère et les autres personnes qui s’occupent de lui ; les données proviennent généralement tant des pères que des mères. Cette perspective permet de pousser le débat au-delà de la polémique invoquant qu’un genre (le père ou la mère) serait un meilleur parent pour sécuriser le développement du très jeune enfant. En promouvant une approche contextuelle qui tient compte des conditions dans lesquelles s’exerce le partage du temps de vie de l’enfant entre ses deux parents, cette approche ajoute des nuances et de la complexité aux réponses simplistes, partisanes et polémiques trop souvent proposées dans les deux premiers modèles.

    À ce jour, trois études portant sur la question de la garde partagée d’enfants en bas âge sont disponibles : deux d’entre elles s’intéressent aux enfants d’âge préscolaire et la troisième, aux couchers d’enfants très jeunes chez leur père. Afin de bien saisir l’argumentaire entre ces divers modèles de recherche, nous exposeront succinctement les éléments clés de ces études et les contre-arguments qui peuvent approfondir la réflexion, à la lumière des écrits de Cashmore et Parkinson (2011).

    5. Les points saillants des études les plus connues et les plus utilisées à la Cour

    5.1. L’étude la plus citée : Solomon et George (1999)

    Cette étude évaluait l’attachement de 145 enfants âgés entre 12 et 20 mois. Trois groupes de jeunes enfants étaient comparés à un an et à deux ans et demi : le premier groupe était composé de 52 enfants dont les parents étaient toujours mariés, le deuxième de 49 enfants qui visitaient leur père régulièrement le jour seulement sans dormir chez lui et le troisième, de 44 enfants qui passaient certaines nuits chez leur père (au moins une fois par mois). Cette étude est fréquemment citée dans une argumentation hostile à la garde partagée (Cyr, 2006, 2008). Les auteurs déplorent eux-mêmes que leur étude soit utilisée pour étayer des points de vue que leurs données ne soutiennent pas (George, Solomon et McIntosh, 2011).

    Leur étude démontre que les enfants qui allaient régulièrement dormir chez le parent non gardien présentaient, à deux ans et demi, davantage un style d’attachement désorganisé que les enfants qui ne dormaient pas chez leur père ou que les enfants de familles intactes. Ils avaient des comportements plus anxieux et colériques, notamment des crises lors de la réunion avec le donneur de soin principal après une séparation. Toutefois, le contexte psychologique et relationnel dans lequel se déroulent ces alternances est important à considérer. En effet, le haut niveau de conflit parental, l’anxiété et l’incapacité des parents à communiquer entre eux à propos du bébé, la sensibilité de la mère à la détresse de l’enfant lors de la séparation et de la réunion avec elle, la capacité d’adapter l’horaire aux besoins de l’enfant ont été clairement identifiés comme des modérateurs importants de l’état de l’enfant (Solomon et George, 1999 ; George et al., 2011). C’est donc dire que ce n’est pas seulement l’alternance d’une résidence à l’autre qui affecte l’enfant, mais aussi le climat dans lequel ces séparations et réunions avec ses parents se déroulent qui influence ses réactions et son type d’attachement. Solomon et George (1999) observent également que le degré auquel la mère communique avec le père au sujet de l’enfant est étroitement associé à un attachement sécurisé de l’enfant avec son père dans les trois groupes d’enfants, indiquant que l’établissement d’une relation entre le père et son enfant en bas âge dépendrait de l’approbation de la mère et de son niveau de communication avec le père. Dans une entrevue avec McIntosh (George et al., 2011), Solomon conclut que la prévalence de relations d’attachement désorganisées chez les bébés qui dormaient chez leur père fait plutôt ressortir l’incapacité des mères à répondre adéquatement aux besoins de leur enfant en raison de leur propre sentiment d’impuissance face à la situation et à leur perception des comportements du père. McIntosh souligne toutefois les liens entre la désorganisation de l’attachement chez l’enfant et la présence de traumas dans l’histoire relationnelle de la mère. Ainsi, Solomon constate que les mères des enfants montrant un attachement désorganisé étaient incapables d’apaiser leur enfant lors de la réunion après une visite chez le père, parce que leur propre histoire relationnelle avec le père était trop présente dans leur esprit. La mère est alors perturbée en présence du père de l’enfant et moins capable de gérer l’état de son enfant lors de ces transitions.

    Diverses critiques ont été formulées à l’endroit de cette étude. Il est entre autres reproché à ses auteurs de ne pas avoir démontré que les enfants de l’étude avaient établi un attachement à leur père avant que les couchers chez lui ne soient instaurés. Certains enfants de l’échantillon avaient connu des expériences répétées et parfois prolongées de séparation d’avec leur père, et plusieurs enfants des familles séparées n’avaient jamais vécu avec leurs deux parents et n’avaient donc pu développer un lien d’attachement avec leur père, celui-ci étant en réalité un étranger pour ces jeunes enfants (Lamb et Kelly, 2001). De plus, cette recherche est de type corrélationnelle, ce qui signifie qu’il est possible d’observer des liens entre les couchers chez le père et les types d’attachement sans pour autant pouvoir conclure à l’existence d’une relation de cause à effet entre ces deux variables, puisque plusieurs autres facteurs pouvant être en cause dans ces résultats n’ont pu être contrôlés ou mesurés (Pruett, Ebling et Insabella, 2004). Enfin, une autre limite importante de cette étude sur le plan méthodologique est que toutes les informations recueillies le sont auprès de la mère et donc nécessairement colorées par sa propre réalité. Bien que George dans une entrevue avec McIntosh (George et al., 2011) se prononce clairement contre les couchers chez le père dans la première année et demie de vie de l’enfant et recommande une garde unique à la mère dans un contexte où les parents ne sont pas coopératifs, Solomon dans une entrevue avec McIntosh (George et al., 2011) ne croit pas que toute séparation soit nécessairement mauvaise pour l’enfant et que les couchers chez le parent non gardien devraient être évités à tout prix. Elle conclut que c’est vers l’âge de 3 ans que l’enfant est prêt à aller dormir chez l’autre parent mais reconnaît qu’en raison de l’hétérogénéité dans le développement de l’enfant, chaque cas est particulier.

    5.2. L’étude de Pruett, Ebling et Insabella (2004)

    Cette étude porte sur 161 familles dont les parents sont séparés et compare l’adaptation des enfants de 0 à 6 ans selon qu’ils ont eu ou non des nuitées chez leur autre parent au cours des 18 mois de l’étude. Des mesures de comportement et d’adaptation de l’enfant ont été effectuées par les deux parents au temps 1 de l’étude, puis 12 à 18 mois plus tard. Cette étude est importante parce qu’elle s’appuie sur les rapports des pères et des mères et pas uniquement sur les observations de la mère ou sur des mesures d’attachement. En outre, plusieurs aspects des plans parentaux ont été examinés dont les couchers chez le père, l’âge où ils ont eu lieu, la stabilité de l’horaire, le nombre de personnes prenant soin de l’enfant (incluant les grands-parents et les gardiennes ou éducatrices de garderie). Les résultats montrent que selon le rapport des deux parents, les enfants de 4 à 6 ans qui dormaient chez leur père avec un horaire stable avaient un meilleur fonctionnement général que ceux qui ne pouvaient pas le faire. Aucune différence significative dans le fonctionnement général n’est observée chez les enfants de moins de 3 ans, qu’ils aient dormi ou non chez leur père. Les fillettes semblent bénéficier davantage des couchers chez leur père que les garçonnets, qui auraient plus de difficulté avec des horaires inconstants. Enfin, Pruett et ses collègues (2004) ont trouvé que le meilleur prédicteur de l’adaptation de l’enfant est la qualité de la relation parent-enfant rapportée par les mères et par les pères. Les conflits entre les parents sont également importants, mais une fois ces deux variables prises en compte, c’est la stabilité de l’horaire et le nombre de personnes impliquées dans les soins de l’enfant qui font une différence significative, particulièrement pour les plus jeunes. Bref, Pruett et ses collaborateurs font ressortir que ce ne sont pas en soi les nuits passées chez le père qui importent, mais bien le contexte qui entoure les plans parentaux et la stabilité de l’horaire qui influencent l’expérience de l’enfant.

    5.3. L’étude de McIntosh, Smyth et Kelaher (2010)

    À l’aide d’une base de données provenant d’une étude longitudinale (Longitudinal Study of Australian Children) comptant 10 000 enfants, ces auteurs ont exploré la

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