Conceptions de l'intelligence et pratiques éducatives: Quelle est l'influence du constructivisme?
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Aperçu du livre
Conceptions de l'intelligence et pratiques éducatives - Caterina Fiorilli
Canada
INTRODUCTION
Avant de commencer la lecture, des questions de réflexion sont proposées afin de cerner comment chacun et chacune se représente l’intelligence.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
Qu’est-ce que l’intelligence pour vous ?
Jusqu’à quel degré croyez-vous que l’intelligence est innée ?
Comment pensez-vous que l’école peut contribuer au développement de l’intelligence ?
Au terme d’une recherche menée dans une école primaire et avant de rapporter les principaux résultats aux personnes qui avaient fait partie de cette recherche, voici un dialogue entendu par la chercheure principale de ce projet (Fiorilli, 2003). Giovanna (G) et Luisa (L), parlant des résultats d’un de leurs élèves, s’exprimaient plus ou moins en ces termes :
GJe voulais te demander […] mais Simon comment il travaille avec toi ?
LEh, ne m’en parle pas […] c’est une catastrophe.
GOuf, tant mieux, je pensais qu’il n’y avait qu’avec moi que ça n’allait pas.
LNon ! tu parles […] Dis, mais son père, tu l’as déjà vu, toi ?
GEn fait, non.
LMais ça alors […] Et puis avec la mère qu’il a, qu’est-ce que tu veux y faire […] ça ne vaut même pas la peine de la convoquer.
GBah, hier j’en ai parlé à Mirella, […] elle m’a dit que c’est la même chose avec son frère.
LAh ! Et alors […] on peut rien en faire.
En fait, quand on parle avec des personnes enseignantes dans des contextes plus ou moins formels, il semble que des expressions de ce genre soient assez courantes et qu’il existe une difficulté à intégrer les connaissances sur l’éducation et sur l’apprentissage aux convictions plus profondes qui, dans des situations professionnelles difficiles, prennent le dessus et peuvent représenter un certain réconfort pour l’interprétation de l’échec scolaire. Si l’on avait en effet demandé aux deux enseignantes, Giovanna et Luisa : « D’après vous, l’intelligence est-elle innée ? Peut-on faire quelque chose pour l’améliorer ? », elles auraient probablement répondu : « Non, l’intelligence n’est pas tout à fait innée ; oui, nous pouvons faire beaucoup pour l’améliorer chez nos élèves. » Les dialogues quotidiens ont le mérite de lever le voile sur les théories naïves des personnes qui, concentrées à exprimer leur pensée et à argumenter sur elle ou leur comportement, rendent parfois plus explicites leurs idées les plus profondes. La compréhension des événements, leur interprétation et l’attribution d’un sens se font selon diverses sources d’informations, certaines proviennent de contextes formels, comme peuvent l’être les connaissances acquises au cours de la formation, d’autres sont le fruit de la culture de notre société et de la culture partagée avec le groupe social d’appartenance, ici le groupe professionnel de l’enseignement.
En ce qui concerne l’intelligence, les enseignants et enseignantes se trouvent vite devant la nécessité d’expliquer les différences entre leurs élèves et les résultats que ces derniers obtiennent en les mettant en relation avec les méthodes pédagogiques employées. De cette façon, le développement de l’intelligence est expliqué à travers des théories scientifiques ou personnelles qui mettent l’accent sur des facteurs comme, entre autres, les gènes, l’hérédité, la famille d’origine, les caractéristiques implicites des élèves, les méthodes d’enseignement. Par ailleurs, un rapport complexe entre connaissances et croyances s’établit en donnant lieu à des théories que l’individu traitera comme un système de savoirs. Sur le thème de l’intelligence, des théories de type scientifique ont été développées, définies comme explicites et partagées à des époques historiques spécifiques et dans des contextes culturels et sociaux particuliers. Aussi, des théories plus implicites ont été élaborées relativement aux croyances qu’un individu possède au sujet de la nature de sa propre intelligence et de celle d’autrui ainsi qu’aux facteurs qui contribuent à son développement.
La distinction entre explicite et implicite fait référence à la nature de ces théories. Les premières sont la résultante des constructions que la communauté scientifique élabore dans le temps. Elles peuvent faire l’objet de recherches dont les résultats contribuent à valider ou à invalider ces théories et les faire évoluer ; elles sont par ailleurs explicites et partagées même si elles ne sont pas nécessairement uniques à une période historique donnée ou dans une société déterminée. Les secondes résident dans l’esprit des personnes ; elles ne sont pas nécessairement conscientes et appartiennent au patrimoine culturel d’un groupe social donné.
Par conséquent, d’un côté, les personnes enseignantes sont formées selon les conceptions de l’intelligence les plus récentes, celles qui sont en vogue dans leur milieu culturel, de l’autre, elles développent leur conception dans le temps selon leur théorie personnelle. Comment ces deux systèmes interagissent-ils ? Quels effets peuvent-ils avoir sur la pratique éducative ? Dans la relation que chaque individu instaure avec le savoir interviennent non seulement les systèmes de connaissances préexistantes (prior knowledge) mais aussi les croyances antérieures (prior beliefs) à l’entrée en formation. Dans la formation à l’enseignement, il convient, selon nous, de prendre en considération tant les connaissances préexistantes que les croyances antérieures pour favoriser un processus de structuration et dans certains cas de déstructuration du savoir/ croyances chez les enseignants et enseignantes. Du point de vue formatif, il est très important de déterminer le système de croyances que nourrit chaque individu en mettant en évidence de quelles façons elles influencent ses actions : celui qui éduque interprète les succès et les échecs de ses élèves en fonction de ses conceptions et intervient de diverses façons sur les facteurs de développement de l’intelligence.
La formation proposée actuellement aux enseignants et enseignantes encourage vivement une conception de l’apprentissage du type auto-régulatif, l’apprentissage entre pairs, l’apprentissage intentionnel, conception basée sur la construction des connaissances : ces dimensions se fondent sur une vision dynamique de l’intelligence. En fait, cette idée du processus d’apprentissage-enseignement demande au personnel enseignant d’être très attentif aux stratégies qu’emploient les élèves dans l’apprentissage et de jouer un rôle d’aide et de guide qui soutient l’accès au savoir grâce à des activités qui en appellent au raisonnement, à la découverte, à la résolution de problèmes, à la communication des idées et à l’argumentation.
En ce qui concerne le contenu et la structure de ce livre, ils sont centrés sur la pensée enseignante relativement à l’intelligence des élèves et sur les implications que ces croyances ont dans les pratiques éducatives.
Il y a trois axes de réflexion principaux qui se traduisent en questions de réflexion.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
Pour quelles raisons les théories implicites naissent-elles ?
De quelle façon les enseignants et enseignantes se représentent-ils l’intelligence de leurs élèves ?
Comment ces représentations influencent-elles leurs pratiques éducatives ?
Le chapitre 1 de cet ouvrage présente une vision d’ensemble des principales réflexions et des définitions de la connaissance¹. Comment se forment les systèmes du savoir ? Quel est leur rapport avec les croyances individuelles et collectives ? En outre, une place particulière est réservée aux personnes enseignantes qui développent une idée de l’enseignement et de l’apprentissage grâce au mélange de plusieurs facteurs, de la mémoire autobiographique de soi en tant qu’étudiant ou étudiante à l’expérience en classe avec ses propres élèves. Finalement, la formation est proposée comme instrument essentiel pour soutenir les enseignants et enseignantes dans la connaissance consciente de leurs croyances, et pour soutenir leur recherche d’explication des échecs, les leurs ou ceux de leurs élèves, sous une forme qui limite le sentiment d’impuissance des deux.
Le chapitre 2 traite de la construction de l’« intelligence » en proposant une synthèse historique des principales théories scientifiques, nationales et internationales sur ce thème. Il existe dans la littérature diverses façons de faire référence à la construction de l’intelligence : des théories explicites et scientifiques visant à évaluer et à expliquer les différences individuelles sur le plan intellectuel ainsi que des théories implicites, populaires qui naissent dans les contextes de connaissances informelles et qui aident les individus à se situer avec succès dans leur entourage social. Le groupe, celui avec lequel les individus partagent des dimensions identitaires importantes, construit et maintient des conceptions de l’intelligence fonctionnelles à son propre rôle. C’est le cas des personnes enseignantes qui développent des idées innéistes plutôt que constructivistes de l’intelligence en raison de leur appartenance, mais aussi de leurs expériences, de leur type de formation, de leur contexte de travail, entre autres choses. Autant de thèmes qui sont traités dans le chapitre 3. Nous y exposons certaines recherches menées par le groupe de l’Université de Milan Bicocca coordonné par la professeure Ottavia Albanese, coauteure des études rapportées dans ce chapitre. Récemment, dans l’analyse des conditions qui peuvent aider le personnel enseignant au cours de ses expériences professionnelles à maintenir ses idées constructivistes initiales, des études ont été effectuées sur l’épuisement professionnel (burnout) et sur le rapport avec les attentes enseignantes relativement au développement de l’intelligence des élèves. Les principaux résultats de cette enquête préliminaire, rapportés dans le chapitre 3, indiquent que le risque d’épuisement émotionnel est plus élevé chez les personnes enseignantes ayant des conceptions constructivistes que chez leurs collègues ayant des conceptions plutôt innéistes de l’intelligence, parce que des personnes ayant des conceptions plutôt constructivistes sont plus exposées sur un plan émotionnel par rapport à leurs attentes vis-à-vis de leur profession.
Dans le chapitre 4, la question de la pratique éducative dans laquelle se reflètent les conceptions enseignantes est plus accentuée. La méthode d’analyse proposée, soit les interactions en classe, offre d’importantes occasions de réflexion sur les connaissances que les enseignants et enseignantes peuvent contribuer à construire chez leurs élèves, mais aussi sur leurs idées personnelles à propos de leurs erreurs, de la façon de les surmonter et de l’évaluation qui en découle.
Enfin, le chapitre 5 aborde les conceptions de l’intelligence du point de vue des élèves. Que pensent les élèves de l’intelligence ? Comment orienteront-ils leurs apprentissages en fonction de leurs conceptions personnelles ? Cette réflexion est accompagnée d’une série d’entrevues réalisées auprès d’enfants d’âge différent, autant d’exemples de théories en évolution qui, bien qu’encore en vigueur, manifestent déjà des signes d’innéisme ou de constructivisme.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
Comment une conception plutôt innéiste de l’intelligence peut-elle influencer les pratiques pédagogiques ?
Comment une conception plutôt constructiviste de l’intelligence peut-elle influencer les pratiques pédagogiques ?
Que pensent les élèves de l’intelligence ?
Comment leurs pensées à propos de l’intelligence peuvent-elles influencer leurs stratégies d’apprentissage ?
1 Au singulier, la connaissance fait référence au savoir systématisé. Au pluriel, les connaissances sont celles construites par les individus. La connaissance et le savoir ne sont pas nécessairement identiques aux connaissances considérant une perspective socioconstructiviste.
REPRÉSENTATIONS
DE LA CONNAISSANCE
¹
Croyances, conceptions, convictions, théories, représentations sont, notamment, autant de termes sur lesquels il convient de s’arrêter pour introduire le thème des idées, implicites ou non, que les individus élaborent au sujet de l’intelligence et de son développement. Comme nous le verrons tout au long de ce chapitre, des dimensions conceptuelles diverses correspondent parfois à une terminologie différente. Mais les éléments qui sont en jeu ne sont pas toujours clairement reconnaissables ni attribuables à une seule étymologie ; le plus souvent, les auteurs et auteures que nous citerons emploient ces termes en les mettant en interaction réciproque. Par exemple, le terme « croyances » est utilisé en termes de systèmes de représentations de la réalité, ou bien les termes « croyances » et « conceptions » sont utilisés en tant que synonymes, mais aussi le terme « conceptions » est utilisé comme théories explicites sur la connaissance.
La difficulté principale rencontrée pour définir les limites de ces termes se situe probablement dans le rapport étroit qu’ils entretiennent avec la connaissance et avec le système des savoirs en général. Comment la transmission des connaissances a-t-elle lieu ? Dans quelles sphères les individus introduisent-ils leurs dimensions les plus personnelles en créant ces formes de connaissances qui prennent par la suite le nom de croyances, de conceptions, par exemple ? On passe, en effet, de l’idée que les croyances sont des connaissances sélectionnées selon des critères subjectifs, à l’idée que les connaissances ont été, dans un premier temps, des croyances. Dewey (1933) considérait déjà que ce que nous acceptons comme vrai aujourd’hui, en lui accordant un statut de connaissance (ou de savoir), pourrait être réinterrogé demain et devenir une croyance.
S’occuper des implications terminologiques signifie non seulement essayer d’éclaircir des termes que nous emploierons mais aussi la formation des croyances et leur rapport à la connaissance. Même s’il s’agit d’un point qui a suscité un intérêt croissant ces vingt dernières années, une définition largement partagée de ce paradigme ne lui a pas fait écho. La compréhension des croyances et de leur nature est passée à travers la définition de ce qu’est la connaissance et en particulier des sources qui donnent naissance à une croyance.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
Nommer deux savoirs liés à l’apprentissage des élèves.
Nommer deux connaissances que vous avez liées à l’apprentissage des élèves.
Nommer deux croyances que vous avez liées à l’apprentissage des élèves.
Quelles différences y a-t-il entre croyances et connaissances ?
RAPPORT ENTRE CROYANCES ET CONNAISSANCES
Comme le relèvent Doudin, Pons, Martin et Lafortune (2003), les croyances représentent un concept difficilement opérationnalisable, polysémique et qui ne peut se réduire à une définition unique et reconnue. Comme nous le verrons dans ce qui suit, les différentes définitions sont parfois en contradiction et difficilement comparables. Pour donner une mesure de la variété des définitions de ce concept, nous pouvons commencer par comparer celle de Goodenough (1963), plus restrictive, qui se limite aux phrases considérées comme vraies avec – à l’extrême opposé – celle de Rokeach (1968) qui a proposé une définition très large du concept de « croyances » en faisant référence à toutes les phrases qui commencent par « je crois que ». Dans le premier cas, on souligne la nature individuelle