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La faux fantôme
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Livre électronique314 pages4 heures

La faux fantôme

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À propos de ce livre électronique

Depuis 600 ans, le monde est aux prises
avec la faux fantôme, une épidémie mortelle qui frappe dès que la population du continent excède les 50 millions d’habitants. C’est pour cette raison qu’ont été créés les Marécages, une organisation d’empoisonneurs dont le rôle est de préserver l’équilibre des morts et des naissances afin de limiter les ravages de la pandémie. Chaque saison, des élections ont lieu dans toutes les villes et tous les villages afin de déterminer quels seront les malheureux élus qui devront être sacrifiés pour le bien commun. Skill Venial, âgé de 18 ans, vient tout juste de terminer ses études d’empoisonnement et s’apprête à prendre part à son dernier stage. Pendant huit années, il a appris à connaître les animaux venimeux, à extraire les toxines des plantes et à assassiner les cibles de son choix. À présent, il est prêt à être envoyé à Syrak, la
capitale d’Insectia, afin d’éliminer la famille royale, pour qui la majorité des habitants a voté lors des dernières élections. Mais le jeune homme sera-t-il vraiment capable d’infiltrer le majestueux palais d’Insectia et de provoquer la mort de parfaits étrangers? Réussira-t-il à satisfaire les attentes de son sinistre et dangereux mentor, Vysper Salaman? Enfin, parviendra-t-il à résoudre le mystère du poison secret, dont semble dépendre l’avenir du monde entier? Avec sa soeur, Élodie, Skill devra s’allier à son ennemie de toujours, Vivianne Cyanelle, afin de garantir sa survie face aux forces sombres et sournoises qu’il devra affronter.
LangueFrançais
Date de sortie24 sept. 2018
ISBN9782897867324
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    Aperçu du livre

    La faux fantôme - Francis Leblanc

    PROLOGUE

    La pleine lune, haute dans le ciel, illuminait une petite clairière. En plein centre de celle-ci trônait une cabane de bois moisi ainsi que deux silhouettes collées l’une sur l’autre. Malgré la douleur, Vincent, un contre-empoisonneur, continuait de ramper dans les ronces. Lentement, précautionneusement, il avançait vers la clairière, laissant derrière lui une mue de vêtements et de peau. En entendant les tiges craquer, il serra les dents.

    Écorché de partout, l’homme émergea dans une flaque d’eau sale et plissa les yeux pour mieux distinguer les silhouettes. L’une d’entre elles était celle de sa mère ; l’autre, derrière elle, était celle de Vysper Salaman, l’un des élites les plus efficaces dont disposaient les empoisonneurs. Ce dernier appuyait une lame contre la gorge de la femme.

    Vincent était calme, comme une araignée sur sa toile, comme un serpent sous une pierre, comme un scorpion dans le sable. Il portait une tunique olive, et son visage était recouvert d’une terre aussi boueuse que la flaque dans laquelle il trempait. En silence, il retira sa sarbacane de l’étui qu’il portait dans son dos et y inséra une fléchette imprégnée de venin de mamba. Il la porta doucement à ses lèvres et visa Vysper sur le côté de la gorge.

    Soudain, sa cible se retourna vers lui. Le contre-empoisonneur dut interrompre son tir, car le corps de sa mère bloquait désormais le chemin. Mais l’élite, lui, dardait son regard bleu glacier sur sa position. Pouvait-il le voir ? Vincent cessa de respirer.

    — Ces ronces sont une très mauvaise cachette, commenta l’élite avec froideur. À présent, dépose ta sarbacane, ou je tue cette femme.

    En écarquillant les yeux de surprise, le contre-empoisonneur obéit et se releva sans gestes brusques. Au moins, tant que Vysper gardait sa mère prisonnière, ses deux bras étaient occupés. L’élite ne pouvait donc pas lui faire de coups bas.

    — Tu nous as trahis, Vincent. Le châtiment est l’exécution.

    — Vous n’aviez pas le droit de prendre ma famille en otage.

    — Nous avons le droit de faire ce qui fonctionne. As-tu la fiole sur toi ?

    Vincent esquissa un sourire narquois et releva la tête.

    — Non. J’ai confié le poison secret au roi d’Insectia avant de venir ici. Vous ne pourrez jamais mettre la main dessus !

    — Je vois.

    Le contre-empoisonneur attendit la suite, qui ne vint jamais. Il avait cru que son interlocuteur éclaterait de rage en apprenant qu’il ne pourrait pas récupérer l’objet. Pourtant, Vysper demeurait inexpressif. Le silence qui s’ensuivit dura une bonne minute. Vincent n’osait pas bouger tant que sa mère se trouvait derrière le couteau de son ennemi, mais ce dernier ne formula aucune demande supplémentaire.

    Quelques secondes s’écoulèrent, et l’élite demeurait toujours immobile. Vincent fronça les sourcils. Qu’attendait son ennemi pour agir ?

    Sa réponse lui fut apportée par une série d’inflammations sur toute la surface de son corps, qui lui permirent de comprendre qu’il avait été empoisonné.

    — Ces ronces étaient une très mauvaise cachette, répéta Vysper en le voyant observer les taches rouges qui naissaient autour de ses écorchures.

    Vincent tenta de respirer normalement, préférant conserver son souffle pour le moment où le poison atteindrait ses poumons. Il devait d’abord mettre Vysper hors de combat. Ensuite, il lui faudrait identifier le venin qui lui avait été inoculé, puis vérifier s’il en possédait l’antidote.

    Le contre-empoisonneur serra les dents en raison des douleurs cuisantes qui naquirent sur les éraflures de ses jambes, de ses bras et de son torse. Au bout d’une trentaine de secondes, il ressentit des frissons répétés que des gouttes de sueur coulant le long de son dos rendaient incohérents. La nausée, les crampes d’estomac, les engourdissements et la vue embrouillée s’ajoutèrent rapidement à ses symptômes. Il ne pouvait plus perdre une seconde.

    Vincent dégaina son épée en plongeant vers son adversaire, qui trancha promptement la gorge de son otage et lança le couteau ensanglanté sur le traître.

    Le contre-empoisonneur reçut la lame dans l’épaule, cria, lâcha son arme et courut vers les ronces malgré sa respiration de plus en plus étouffée. Ses bras et ses jambes fourmillaient, son pouls ralentissait, ses poumons se contractaient. Il inspirait, puis expirait, mais l’air lui semblait épais comme une mélasse s’engluant dans ses narines et dans ses bronches. Il sentit quelques piqûres de dards s’enfoncer dans son dos et avala de travers en imaginant toutes les toxines dans lesquelles Vysper avait pu les tremper.

    Les ronces déchirèrent ses jambes, mais il serra les dents et s’élança dans la forêt. Son souffle… son souffle lui manquait… il était asphyxié…

    Une racine le surprit… son visage heurta une pierre…

    Il resta ainsi étendu sur le sol, suffoquant.

    Noyé… par le venin…

    Il fut secoué de spasmes pendant de longues secondes avant de finalement pousser son dernier râle.

    PARTIE 1

    CHAPITRE 1

    LE FESTIVAL DE LA BAIE

    C’était dégoûtant. Absolument dégoûtant. Skill observait son assiette, qui contenait une omelette composée d’œufs, de fromage et de viande de tarentule. Les empoisonneurs avaient tenté de l’y habituer, à son arrivée dans les Marécages, mais il n’avait jamais accepté d’en manger chez lui et ne l’aimait pas plus dans sa nouvelle demeure.

    Le fromage était, en effet, vraiment infect. Du bout de sa fourchette, il tenta de séparer les cubes de viande croustillants de cette immondice collante et orangée et rangea les quelques rescapés sur une partie intacte de son assiette. À côté, Élodie lui jeta un regard moqueur en engloutissant une grosse bouchée. Sa petite sœur savait bien à quel point il était difficile à table.

    Elle n’avait jamais eu de problème à s’habituer aux changements. Dès son arrivée parmi les empoisonneurs, elle s’était adaptée aux repas majoritairement composés de crocodile, de serpents et d’insectes divers. Elle avait même accueilli à bras ouverts cette nouvelle culture alors que son frère, comme toutes les autres recrues d’ailleurs, avait jeûné quelques jours avant d’abdiquer sous le poids de la faim. Son dégoût avait mis quelques semaines à disparaître, puis, après quelques mois, il salivait devant la viande de reptile. Seule son horreur du fromage avait persisté.

    Un troupeau de jeunes femmes aux vêtements courts et finement maquillées entra dans la cantine, sortant Skill de sa rêverie. Ces pies à la voix criarde lui donnèrent immédiatement mal à la tête. Mais ce qu’il y avait de pire chez ces femmes qui arrivaient toujours en retard au petit-déjeuner, c’était qu’elles étaient constamment accompagnées de la plus arrogante, la plus agaçante et la plus superficielle de toutes les empoisonneuses.

    Vivianne vint s’asseoir en face de Skill, un sourire narquois au visage.

    — Tu n’as pas faim ?

    Elle détailla son assiette, ce qui mit le jeune homme mal à l’aise. L’empoisonneuse avait un regard si intense qu’il semblait cibler chaque chose qu’il couvrait ; pénétrant lorsqu’elle le dévisageait, fixe quand elle regardait ailleurs. La dilatation de ses pupilles provoquée par la belladone qu’elle s’appliquait tous les matins dans les yeux ne faisait qu’accentuer le phénomène.

    — Depuis quand est-ce que tu te préoccupes de mon appétit ?

    — Tu le sais bien ; aujourd’hui, c’est le festival de la baie. Je venais juste te souhaiter bonne chance puisque, tu sais, tu vas en avoir besoin…

    Elle lui dévoila une poignée de baies de muguet, flamboyantes de couleur, mais surtout gorgées de toxines. Soudain, la voisine de droite de Skill se leva, porta sa main à sa bouche et courut hors de la cantine pour aller vomir. Vivianne sourit de plus belle et referma sa paume.

    — On dirait que certains sont plus actifs que d’autres. D’ici demain, fais bien attention à ce que tu portes à tes lèvres.

    Elle lui adressa un clin d’œil amusé. Pour ponctuer son avertissement, la jeune femme écrasa une baie sur l’anneau qu’elle portait à l’annulaire gauche et laissa le jus entrer dans l’imperceptible orifice qui y était creusé. Elle bloqua le trou avec son auriculaire et ajouta, badine :

    — Mes amies et moi, nous allons nous entraîner à la sarbacane après le petit-déjeuner. Si ça t’intéresse, tu peux toujours te joindre à nous.

    Le jeune homme haussa le sourcil. Vivianne, l’empoisonneuse froide et cruelle que certains avaient surnommée Vivisection après avoir découvert que ce mot signifiait découper un être vivant à des fins expérimentales, l’invitait à passer du temps avec elle. Il devait y avoir une attrape. Une idée traversa l’esprit de Skill, qui dégaina la sarbacane attachée à son dos. En l’observant de près, il distingua les gouttelettes rosées qui perlaient autour de l’orifice sur lequel il devait poser ses lèvres pour souffler un dard. Il essuya le jus toxique en décochant un regard noir à sa collègue, qui lui adressa un sourire faussement innocent.

    — Mais qui a bien pu faire une telle chose ? déclara-t-elle d’un ton niais.

    La jeune femme partit rejoindre ses amies en ricanant et l’empoisonneur soupira, découragé. Il détestait le festival de la baie, qui avait lieu une fois par année, trois jours après la période des examens. Il s’agissait à la fois d’une fête visant à célébrer la fondation des Marécages par Lucrèce Cyanelle et d’une compétition d’empoisonneurs. Le but du jeu était simple : à l’aide de baies vomitives, chacun devait empoisonner autant de collègues que possible tout en évitant d’être lui-même éliminé.

    Toutefois, certaines règles devaient être respectées : tout d’abord, les meurtres étaient formellement interdits et tous devaient se montrer prudents lorsqu’ils calculaient leurs doses. Seule l’ingestion était par ailleurs autorisée comme méthode d’empoisonnement, obligeant les participants à compter sur leur ruse et leur intelligence plutôt que sur leur précision au tir à la sarbacane. Les empoisonneurs qui trompaient le plus grand nombre de cibles ne récoltaient aucun prix, sinon qu’une excellente réputation, mais plusieurs faisaient des paris avant le début de la journée afin de rendre la compétition plus intéressante.

    Skill avait déjà vécu sept pareils festivals et n’était jamais parvenu à tromper une seule cible. La plupart du temps, c’était lui qui se retrouvait trop tôt dans les latrines, à se tordre entre la diarrhée, les crampes abdominales et les vomissements. Il se demandait encore comment il ferait, une fois sur le terrain, pour accomplir ses missions d’empoisonnement, d’autant plus qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps pour s’améliorer, son stage final étant prévu pour le surlendemain.

    Élodie le dévisageait d’un air espiègle. Elle avait terminé son assiette, si bien qu’il n’y demeurait que les cinq baies de muguet qu’elle était parvenue à reconnaître à temps.

    — Alors ? le questionna-t-elle.

    — Alors quoi ? rétorqua Skill, agacé.

    — Ce n’était pas ce soir que tu devais déclarer ton amour à…

    L’adolescente s’interrompit pour vérifier que personne n’écoutait, puis lui murmura à l’oreille :

    — … à ta Cynthia ?

    — Écoute, Éli, ce n’est vraiment pas de tes affaires.

    — Pfff ! Une sœur n’a donc pas le droit de se préoccuper du bonheur de son frère ? En plus, j’ai 16 ans et j’ai déjà embrassé un garçon alors que toi, tu en as 18 et que…

    — D’accord, c’est bon, pas besoin d’enfoncer l’aiguille dans la veine ! Je vais le lui dire.

    Le regard rêveur, il contempla de loin la femme dont il était amoureux. Cynthia était d’une beauté hallucinante, avec sa longue crinière rousse, ses yeux vert-émeraude et ses éphélides foncées. Malheureusement pour lui, ses prétendants ne manquaient pas et, encore pire, elle était la meilleure amie de Vivianne. Or, même en écartant ce problème, il demeurait celui de la timidité maladive de l’empoisonneur.

    En fait, s’il avait choisi de déclarer sa flamme lors du festival de la baie, c’était en raison d’une idée qu’il avait eue pour éviter l’humiliation si jamais ses sentiments n’étaient pas partagés. Il dissimulerait deux baies de belladone sous sa langue avant sa déclaration et si Cynthia éclatait de rire comme il le craignait, il prétendrait qu’il s’agissait d’une ruse pour l’embrasser et lui transmettre le poison.

    Le frère et la sœur rapportèrent leur vaisselle dans les cuisines, puis passèrent une heure à jouer aux dés avec un groupe d’empoisonneurs.

    Le jeune homme se désintéressa rapidement de la compétition et jeta un regard triste à Élodie. Dans deux jours, ils se retrouveraient séparés l’un de l’autre pendant au moins deux semaines. Skill quitterait les Marécages en compagnie de son tuteur, qui se contenterait, cette fois, de l’observer et de l’évaluer. La pression était lourde sur les épaules de l’empoisonneur.

    Après tout, ce n’était pas tout le monde qui avait la chance d’avoir Vysper Salaman comme mentor.

    Pour que l’élite soit fier de lui, il devrait se surpasser.

    Il était environ 18 h et le soleil devait être sur le point de se coucher. Le brouillard était dense, si bien qu’il avait fallu que Skill et Élodie s’emparent de torches pour se rendre, avec les autres empoisonneurs, à la ville de Manel, située à la frontière des Marécages et du royaume d’Insectia. Au fur et à mesure qu’ils parcouraient l’interminable route de boue et de hautes herbes, l’humidité devenait moins pesante. Les sonnettes des crotales résonnaient à l’arrière des arbres dégarnis et des bûches pourries, mais aucun serpent n’était en vue, au contraire des veuves noires, des mygales et des recluses brunes qui zigzaguaient entre leurs pieds de temps en temps. Ils furent même assez chanceux pour remarquer un dendrobate, une grenouille d’un bleu vif, que tous les animaux sauvages évitaient comme la peste.

    La faune était tranquille, ce soir-là.

    Ce n’était pas le cas de Manel. En l’honneur du festival de la baie, la ville avait été aménagée pour plusieurs milliers de personnes, si bien que les tables et les chaises s’étendaient jusque dans les champs. Visiblement, les organisateurs en avaient manqué, car des lignes entières de bûches en remplaçaient les dernières rangées. Les feux brûlaient déjà, la nourriture abondait dans les caisses et il ne restait plus qu’aux empoisonneurs à préparer le buffet collectif, comme la tradition l’exigeait. Pour ceux qui aimaient participer à la compétition, la soirée représentait toujours le moment où les occasions d’empoisonnements étaient les plus nombreuses.

    Skill était bien décidé à ne rien avaler du tout, quitte à passer pour un lâche. De toute façon, la perspective de devoir révéler ses sentiments à Cynthia lui avait coupé tout semblant d’appétit.

    Le jeune homme et sa sœur aidèrent à la préparation du buffet, puis assistèrent à des spectacles de chant, de harpe, de marionnettes et de danse. Ils s’étaient assis aux côtés de Cynthia malgré les timides protestations de Skill. Le brouillard s’était dissipé et les étoiles étaient parfaites pour une déclaration d’amour, mais le jeune homme était trop embarrassé pour prononcer un seul mot. Un sourire de la part de la femme fut suffisant pour le faire rougir, mais cette dernière ne sembla pas le remarquer.

    — Ah, Skill ! La semaine d’examens n’a pas été trop difficile ?

    Son cœur se mit à battre la chamade. C’était le moment ou jamais de faire bonne impression ! De toutes ses forces, il pria pour ne pas bégayer.

    — Non, je… je m’en suis sorti.

    Sa petite sœur lui frappa discrètement la jambe pour le rappeler à l’ordre.

    — Tu dois être en dernière année ; ton stage commence après-demain ?

    — Ou-oui.

    Élodie mit plus d’énergie dans son coup de pied.

    — Alors ? Tu as hâte ? poursuivit Cynthia.

    Elle me parle ! s’extasia le jeune homme. C’est à moi qu’elle parle ! Ne gâche pas cette occasion !

    — Mon mentor sera Vysper. Bien sûr que j’ai hâte, affirma-t-il.

    La rouquine lui adressa un sourire chaleureux et le fixa dans les yeux avec un regard si pétillant qu’il sentit des papillons virevolter dans son estomac. Elle déplaça l’une de ses mèches derrière son oreille, puis haussa le sourcil en portant son attention sur l’adolescente.

    — Tu es l’élève de Vivianne, n’est-ce pas ? Elle n’a pas été trop sévère avec toi pendant ton stage d’observation ?

    — Non. Je suis honorée qu’elle m’ait choisie parmi tous les étudiants de dernière année.

    Skill ravala un commentaire désobligeant. La frustration s’éteignit dans son cœur dès que Cynthia reporta sur lui un regard doux, où brillait une étincelle qu’il ne pouvait reconnaître. Gênée, la rouquine détourna les yeux et se concentra plutôt sur la conversation de ses voisines de gauche. Le silence se réinstalla entre eux, et il serait demeuré si ce n’avait été de l’intervention d’Élodie.

    — Oh, c’est vrai ! Je crois que mon frère voulait te dire quelque chose, tout à l’heure, annonça-t-elle.

    Skill la darda d’un regard meurtrier. Cynthia haussa les épaules et l’interrogea, l’air innocent.

    — Quoi donc ?

    — Euh… eh bien… je-je vais t’en parler plus tard…

    — Je crois qu’il voulait te montrer quelque chose près de l’étang, dans la forêt.

    Merci bien pour ta subtilité, Éli, pensa l’empoisonneur, ironique.

    Malgré cette explication quelque peu suspecte, Cynthia haussa les épaules et murmura, un sourire aux lèvres :

    — Pourquoi pas ?

    Le repas terminé, ils quittèrent la chaleur du feu pour se diriger dans la forêt, laissant Élodie discuter avec Vivianne de sa prochaine mission. En cachette, le jeune homme sortit ses baies de belladone de sa bourse et les dissimula sous sa langue, préparant son excuse. Un silence embarrassé s’était installé entre les deux empoisonneurs, mais chacun ne cessait de surprendre le regard de l’autre et d’y répondre en souriant. La lueur de la lune contre la surface de l’étang était d’une beauté à couper le souffle. L’air était frais, les criquets stridulaient, et les jeunes se contemplaient.

    L’empoisonneur ne savait par où commencer. Heureusement, son amie prit l’initiative.

    — Tu voulais me montrer quelque chose ?

    La jeune femme s’approcha alors doucement de lui et prit ses mains dans les siennes. Sa peau était délicate et l’empoisonneur dut faire un énorme effort de volonté pour ne pas frémir.

    — Je… ne suis pas aveugle, l’informa-t-elle.

    L’empoisonneur voulut répondre, mais la rouquine, amusée, posa doucement un doigt sur sa bouche.

    — Je peux voir la façon dont tu me regardes, Skill. La façon dont tu m’écoutes. La façon dont ton cœur bat la chamade. Je suis capable de lire les signes.

    Les émeraudes qu’étaient ses yeux devinrent fixes et se plantèrent dans ceux du jeune homme. Ce dernier était tétanisé. Respirer. Il devait respirer. Arrêter de retenir son souffle comme si c’était lui et non elle qui s’était jeté à l’eau. Il lui sembla perdre contact avec tout semblant de réalité, flotter dans une dimension où le temps n’existait plus. La chaleur l’envahissait. La fébrilité l’embrasait. L’espoir l’enflammait.

    — Est-ce… est-ce que tu vas me laisser le deviner toute seule ? souffla la jeune femme avec intensité. Ou tu veux me le dire avant ?

    — J-je…

    Ses lèvres tremblaient, mais il ne pouvait se permettre d’hésiter dans ses mots. Il tenta de rassembler son courage.

    — J-je suis…

    Sa gorge bloqua. Il avait l’impression d’avoir avalé du cyanure. Il voulut poursuivre, mais en fut incapable. Cynthia attendit, patiente, et se rapprocha pour l’encourager. Ils se retrouvaient presque enlacés et les étoiles étaient leurs seuls témoins, mais il ne parvenait pas à prononcer un seul son. La rouquine lui caressa la joue pour lui montrer qu’il n’avait rien à craindre.

    — J’ai compris, déclara-t-elle enfin, une lueur de déception dans la voix.

    Elle ajouta avec tendresse :

    — Je suis amoureuse de toi, Skill.

    Alors, elle l’embrassa.

    C’était la première fois que l’empoisonneur posait ses lèvres contre celles d’une femme. Il n’aurait jamais cru qu’une sensation puisse être aussi électrisante. Le cœur de Skill était gorgé de lave en fusion, de magma en éruption qui répandait ses braises partout dans sa poitrine. La langue de la jeune femme vint taquiner la sienne, lui faisant fermer les yeux d’extase. Il n’arrivait toujours pas à croire que la rouquine partageait ses sentiments…

    Il ne s’était jamais adressé à elle avant cette soirée…

    Ce fut à ce moment qu’elle croqua.

    Le jus amer coula dans la gorge de Skill, qui grimaça, puis avala les baies tout entières. Une vérification de la langue lui permit de le confirmer : ses baies de belladone étaient pourtant toujours sous cette dernière.

    Cynthia s’éloigna brusquement et croisa les bras, l’air coupable. Le jeune homme resta pantois, digérant la surprise comme son estomac digérait le poison.

    — Je suis désolée, s’excusa la rouquine d’un ton sincère. Je ne voulais pas jouer avec tes sentiments, mais… c’est Vivianne qui…

    Elle s’étrangla : Vivianne émergea de l’arrière d’un arbre, le sourire triomphant. Skill avait envie de pleurer, mais la vue de cette jeune femme aux cheveux prune foncé et au regard mesquin remplaça son humiliation par de la rage.

    — Je t’avais dit de faire attention à ce que tu porterais à tes lèvres, imbécile, lui cracha l’empoisonneuse d’un ton railleur. Joyeux festival de la baie !

    CHAPITRE 2

    LA SÉLECTION ARTIFICIELLE

    Les origines des Marécages étaient directement liées à l’apparition de l’épidémie de faux fantôme, 600 ans auparavant.

    La maladie avait fait son apparition dans un petit village du royaume de Terria et s’était rapidement propagée dans les villes, puis dans les deux royaumes voisins, Marine et Insectia. Ensuite, en raison du commerce naval, le royaume de Serpiente avait été touché à son tour. Finalement, l’empire arachnéen, renommé aujourd’hui royaume d’Arachnide, était devenu le dernier foyer d’infection.

    Les docteurs de tous les royaumes avaient tenté de trouver un remède tandis que les corps s’empilaient dans les rues, recouverts de furoncles

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