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L'épée de l'albatros
L'épée de l'albatros
L'épée de l'albatros
Livre électronique441 pages5 heures

L'épée de l'albatros

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À propos de ce livre électronique

Maîtriser l’Onde, être l’invité d’un roi, affronter des créatures oubliées et croiser le feu du regard d’un dragon. Jamais Kyam n’imaginerait vivre de telles aventures tandis qu’il mène une vie de pêcheur, en Silicie.

Lorsque son pays est prit d’assaut, il en réchappe de justesse. Ses pouvoirs se révèlent et il découvre qu’il est la véritable cible de cette attaque. Forcé de fuir vers le royaume voisin, il rencontre Typaïa, une étrangère accompagnée d’un lynx, et Shao, doté des mêmes facultés que lui.

Ensemble, ils se lancent dans un voyage périlleux pour tenter d’échapper au mystérieux ennemi qui semble déterminé à les tuer.
LangueFrançais
Date de sortie21 avr. 2020
ISBN9782898030932
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    Aperçu du livre

    L'épée de l'albatros - Charlotte Wagner

    Copyright © 2019 Charlotte Wagner

    Copyright © 2019 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision éditoriale : Marie-Eve Dion

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Myriam Raymond-Tremblay, Émilie Leroux

    Conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Photo de la couverture : © Getty images

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89803-091-8

    ISBN PDF numérique 978-2-89803-092-5

    ISBN ePub 978-2-89803-093-2

    Première impression : 2019

    Dépôt légal : 2019

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone : 450 929-0296

    Télécopieur : 450 929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Wagner, Charlotte, 1991-, auteur

    L’âme de l’océan / Charlotte Wagner.

    Sommaire : tome 1. L’épée de l’albatros.

    ISBN 978-2-89803-091-8 (vol. 1)

    I. Wagner, Charlotte, 1991- . Épée de l’albatros. II. Titre.

    À mon père, qui a inspiré nombre de mes passions.

    Aux passions, grâce auxquelles nous vivons pleinement.

    Remerciements

    L’écriture d’un roman est un projet solitaire. Cependant, sans le soutien et les encouragements de mes proches, il m’aurait été très difficile de persévérer.

    Je voudrais commencer par remercier mon père, qui a commenté mon manuscrit avec intransigeance et qui croyait en moi, à sa manière un peu réservée.

    Je remercie également ma mère, qui m’a toujours poussée de l’avant. Ma sœur, Clara, pour son enthousiasme, et pour avoir lu mon premier roman en entier malgré son attrait (très) modéré pour la lecture. Jérôme, bien sûr, qui non seulement me soutient dans mes longs moments de réclusion, mais prépare même les repas, pour que je puisse écrire plus longtemps, et ne manque pas de donner son avis de grand lecteur (plus ou moins… si on compte les courriels et les rapports).

    La publication d’un livre ne s’arrête pas à la rédaction du premier jet, et j’ai eu la chance d’être aidée par de formidables personnes au cours des nombreuses étapes.

    Je remercie en premier lieu Ffofy Pony (Amandine Boniface, pour ceux qui n’ont pas encore été subjugués par ses pouvoirs de licorne), mon « alpha-lectrice », dont les critiques pleines d’humour sont toujours très pertinentes. Merci également à Marie-Eve Dion pour ses précieuses corrections, ainsi qu’à ma merveilleuse équipe de lecteurs test : Frédéric Durantet, Anaïs Bruder, Bérénice Scheppers, Jeanne Laurent et Anaïs Maly.

    Je remercie Denis Maciuk, pour m’avoir imprimé des exemplaires du manuscrit, Marianne Vargac et Virginie Urrutia, pour leur infaillible soutien et que je n’oublie pas malgré la distance, et tous ceux qui ont contribué à la publication de mon premier roman.

    Enfin, je remercie tous les lecteurs qui ont choisi de plonger dans ce livre.

    Chapitre 1

    Une sensation d’étouffement brûlante prit brusquement Kyam à la gorge, alors qu’il reprenait connaissance. Affolé, il chercha de l’air, mais l’eau encombrait ses poumons. Une toux violente secoua son corps, irradiant de douleur ses membres courbaturés. Lorsqu’au prix d’un grand effort il roula sur le côté afin d’expulser le reste de liquide salé dans sa poitrine, il sentit le contact d’une texture molle et granuleuse.

    Il ouvrit les yeux. Ou plutôt, il essaya. Une clarté éblouissante agressa ses pupilles et il referma prestement les paupières. Un râle de détresse voulut s’échapper de sa bouche, mais sa gorge meurtrie lui permit seulement de tousser davantage, accentuant son supplice. Sa tête lui faisait mal, mais il reconnut le bruit incessant des vagues. Cependant, les autres sons qu’il associait habituellement à la plage manquaient : il n’entendait pas les cris des mouettes ou des goélands, ni ceux des enfants en train de chercher des coquillages, ni le clapotis de l’eau contre la coque des voiliers accompagné des conversations des pêcheurs. Rien ici ne lui évoquait les plages qu’il connaissait. Instinctivement, il referma sa main sur la pierre qu’il portait à son cou, tout en essayant de se remémorer les derniers événements.

    Kyam vivait en Silicie et venait d’atteindre l’âge de pêcher sur son propre voilier. Nyla, sa petite sœur, lui enviait énormément ce privilège. Leur père dirigeait leur petit village, Boréa, et ils habitaient une maison en bois au-dessus de l’océan, perchée sur des pilotis. Kyam et sa sœur s’étaient juré d’égaler leur mère, reconnue comme étant la meilleure pêcheuse du pays. Chacun prétendait qu’il serait meilleur que l’autre.

    Cependant, le Silicien se trouvait à présent échoué sur une plage, et les souvenirs de sa vie paisible ne lui permettaient pas de comprendre comment il était arrivé là…

    Prenant une grande inspiration, il ouvrit brusquement les yeux, sans ciller sous la lumière éclatante qui l’entourait. Il resta figé ainsi, alors que tout lui revenait.

    Chapitre 2

    — Laisse-moi venir avec toi !

    Kyam adressa à sa petite sœur un regard dédaigneux. Elle venait de l’interrompre alors qu’il avançait sur la plage ; derrière lui, le village s’éparpillait tout en pontons et en maisonnettes de bois.

    — Non, c’est que pour les grands.

    Il la repoussa alors qu’elle tentait d’agripper son bras. Elle tenait dans une main un de ces beignets à la noix de coco dont elle raffolait, concoctés par leur père. Âgé de neuf cycles, Kyam nageait beaucoup mieux qu’elle, qui n’en avait que six. Elle l’empêcherait d’aller aussi loin qu’il le voulait si elle l’accompagnait.

    — Mais papa a dit que je pouvais jouer avec toi.

    Face aux protestations de sa sœur, il croisa résolument les bras.

    — Eh ben, moi, je n’ai pas envie.

    — Je m’en fiche, je viens quand même.

    Avec une expression provocatrice sur son visage angélique à la peau noire, elle avait fait un pas. Kyam fronça les sourcils, contrarié.

    — Non.

    — Si.

    Nyla lui tira la langue. Son frère se mit alors à courir le plus vite possible, espérant la semer. Ses pieds nus s’enfonçaient dans le sable clair tandis qu’il la distançait, mais elle ne laissait pas tomber pour autant. Elle trottinait derrière lui sur la plage, sans le perdre de vue, grignotant son beignet de temps à autre. Sa petite robe bleue voletait autour d’elle, accompagnée par le mouvement de ses deux nattes de cheveux noirs.

    Les quelques cocotiers qui parsemaient le sable n’offrant aucune cachette satisfaisante, Kyam décida plutôt de foncer vers la mer pour essayer de se dissimuler parmi les nombreux petits voiliers qui mouillaient dans une eau limpide. Sans prendre le temps d’ôter son pantalon de lin blanc, il nagea jusqu’aux bateaux avant de s’accrocher à une corde, contre une coque. Sa sœur n’oserait certainement pas s’aventurer seule dans l’eau.

    Afin de s’en assurer, il se décala juste assez pour surveiller discrètement la plage. Un vieux pêcheur venait de regagner la terre dans un canot lorsque Nyla arriva à hauteur des embarcations. Elle s’avança vers lui avec un large sourire, où s’accrochaient encore quelques miettes du défunt beignet, et le salua d’une voix forte.

    — Bonjour, monsieur Sinam !

    — Bonjour, Nyla.

    — Vous allez bien ?

    Le visage parcheminé du vieil homme s’éclaira, il eut même l’air moins voûté tout à coup. Nyla faisait toujours cet effet-là aux grandes personnes. Kyam ne savait pas très bien pourquoi. Sans doute était-ce parce qu’elle aimait discuter avec eux. Lui, toujours très occupé, n’avait pas le temps de s’intéresser à tout le monde. Il fallait absolument qu’il essaye de retrouver le gros crabe verdâtre qu’il avait vu la dernière fois. Ensuite, il irait chercher Miro pour construire des tours de sable.

    — Oui, très bien. Et toi, que fais-tu de beau ?

    Le pêcheur s’exprimait avec beaucoup de douceur. Le regard de Nyla dévoila toute sa déception.

    — J’étais en train de suivre Kyam, mais il s’est caché.

    — Ah oui ? C’est un vrai chenapan, dis-moi.

    Pendant que Sinam émettait un léger rire, sa petite interlocutrice posa des yeux curieux sur son grand panier tressé.

    — Vous avez attrapé beaucoup de poissons ?

    — Quelques-uns, regarde ! J’ai même pris un gros bar arlequin.

    Il tira de son réceptacle le plus beau fruit de sa pêche. L’animal blanc, ornementé de rayures horizontales bleues, vertes et jaunes, atteignait une bonne toise et demie de long.

    — Oh ! Il est très très gros !

    C’était le moment. Kyam profita de la distraction de sa sœur pour s’éloigner par des mouvements de brasse. Une fois hors de vue, il continua son trajet en marchant dans l’eau peu profonde, s’amusant à provoquer des éclaboussures. Il atteignit finalement l’endroit qu’il cherchait et s’avança à la nage jusqu’aux récifs. Flottant parmi les coraux, il observa attentivement la faune multicolore et variée qui évoluait sous lui pour tenter de repérer le fameux crabe. Il voulait le ramener à sa mère pour lui montrer.

    Il aperçut alors un énorme mérou dans une trouée entre deux hauts-fonds, qu’il fut surpris de voir si près des côtes. Le poisson ne cessait de décrire des cercles sur place. Intrigué par ce comportement anormal, Kyam s’approcha de lui. Peut-être l’animal était-il blessé. Il arborait une coloration brun clair, parsemée de taches bleues, inhabituelle pour un mérou.

    Cependant, lorsque Kyam fut trop près, le poisson prit la fuite, disparaissant entre les récifs. Une petite pierre d’un bleu soutenu trônait à l’endroit où le mérou avait exécuté son étrange manège.

    Kyam observa le splendide minéral avec fascination avant de plonger pour le saisir. Selon la lumière qui se reflétait sur la surface lissée par les vagues, sa couleur devenait plus ou moins sombre.

    Il regagna la plage et se mit à courir vers le village en serrant sa trouvaille.

    Passant à toute vitesse sur les passerelles de bois qui avançaient au-dessus de l’eau, perchées sur des pilotis, il ignora aussi bien les salutations que les remarques des habitants qu’il croisait. Sous les constructions, la mer léchait les poteaux auxquels s’accrochaient algues et coquillages. La marée variait de manière spectaculaire dans la baie, à cause des vastes hauts-fonds. Les pontons permettant l’accès à la petite ville s’élevaient ainsi à de multiples hauteurs différentes. Une fois qu’il eut atteint la maison la plus éloignée de la plage, il en franchit la porte précipitamment.

    — Papa ! Papa ! Regarde !

    Alym, son père, occupé à décortiquer des crevettes, baissa vers lui un regard réprobateur. Grand et élancé, il avait des cheveux noirs très courts qui mettaient en avant son visage bienveillant à la peau foncée, ainsi que ses yeux sombres, toujours rieurs.

    — Doucement, Kyam. Ta mère fait la sieste.

    Après la réprimande, il reprit à voix basse, brandissant son butin :

    — Regarde, papa ! J’ai trouvé ça dans la mer.

    L’intéressé se pencha pour saisir la petite pierre bleue avant de l’inspecter avec attention.

    — C’est une très belle pierre, polie par la mer. Je n’en ai jamais vu de cette sorte, elle doit être particulièrement rare. Elle ressemble un peu à de la cyanite, en plus transparent. Elle provoque un magnifique jeu de reflets.

    Le père de Kyam semblait impressionné. Il lui rendit la gemme et tandis qu’il la dévorait des yeux, Alym lui adressa un regard bienveillant.

    — Tu devrais la garder précieusement, elle te portera chance.

    — Comment le sais-tu ?

    Il avait levé des yeux méfiants.

    — Parce que tu as eu beaucoup de chance de la trouver.

    Kyam se sentit gagné par l’enthousiasme.

    — Alors, elle va porter chance à toute la famille ! Et aussi à nos amis ! C’est la pierre spéciale de Boréa.

    Il fut gratifié par son père d’un sourire éclatant de fierté.

    Chapitre 3

    Tout en s’étirant, Kyam poussa un long soupir avant de repousser sa couverture. Il porta sa main à la pierre bleue attachée autour de son cou par un lacet de cuir. Cela faisait maintenant plus de dix cycles qu’il l’avait trouvée. En s’asseyant sur son lit, il réalisa brusquement que le soleil brillait presque à son zénith. Le couchage voisin, celui de sa sœur, était vide.

    Il bondit de son lit en pestant pour rejoindre la pièce adjacente. Son père s’y trouvait, assis à la grande table en bois, encombrée de tout un tas de papiers. Il leva les yeux vers son fils avec un sourire moqueur.

    — Déjà debout ! Je suis impressionné.

    — Où est Nyla ?

    — Elle est partie sur le bateau avec ta mère, à l’heure du merle. Ça n’a pas été facile, mais je l’ai convaincue de te laisser une part de tarte et un peu de noix de coco.

    — Je lui avais dit de me réveiller. Je suis sûr qu’elle l’a fait exprès.

    Face au mécontentement de son fils, Alym esquissa un grand sourire.

    — Si tu arrivais à te lever seul, tu n’aurais pas ce problème. Et puis, tu n’as qu’à les rejoindre avec ton propre voilier.

    La fierté contenue dans la voix de son père améliora grandement l’humeur de Kyam. Il engloutit la part de tarte avant de se précipiter dehors. Tandis qu’il parcourait les rues montées sur pilotis, il salua brièvement les quelques villageois qui croisèrent sa route. Il descendit un escalier en bois pour rejoindre l’un des pontons, sauta ensuite sur son bateau, largua les amarres et navigua jusqu’au voilier de sa mère. Elle et sa sœur remontaient les casiers à homard non loin de là. Toute l’heure du bourdon avait ensuite été remplie de pêche, de rires, de baignades…

    Alors qu’ils profitaient d’un temps de repos sur un îlot entouré d’eau turquoise, Nyla, qui venait de finir de manger son morceau de noix de coco, l’empêcha de durer.

    — Si vous faisiez la course ?

    Indri, leur mère, répliqua d’un ton espiègle.

    — J’ai une petite idée de qui va gagner.

    Le jeune Silicien réagit vivement.

    — Tu ne peux pas en être si sûre. Tu as dit toi-même que j’ai beaucoup progressé.

    — C’est vrai, mais il y a progresser et il y a exceller.

    La belle femme de carrure athlétique adoptait un sourire malicieux. Une coiffe en tissu à carreaux colorés agrémentait ses cheveux d’ébène noués en chignon, assortie au tablier qui couvrait sa robe blanche.

    — Je relève le défi ! Faisons la course jusqu’à l’archipel des Mouettes.

    Kyam venait de se lever, enorgueilli. Sa mère l’imita, tandis que sa sœur s’occupait déjà de détacher les amarres. Chacun monta dans son embarcation pour se préparer. Lorsque Nyla donna le signal du départ depuis le bateau d’Indri, les voiliers s’élancèrent, alors que le soleil commençait à s’enfoncer dans l’océan.

    Le vent venant face à eux, ils durent louvoyer. Kyam s’efforça de tirer les bords les plus courts possible, mais sa mère effectuait ces changements de cap avec une efficacité redoutable. De plus, elle s’adaptait aux variations d’intensité ou de direction du vent, faisant jouer sa grande expérience. Le jeune navigateur commençait à se faire distancer.

    Profitant d’une adonnante, Kyam tira un bord plus long, qui lui permit de regagner un peu de terrain.

    — Regardez ! Regardez vers le village !

    Alerté par le cri chargé d’inquiétude de Nyla, le grand frère aperçut une fumée noire qui s’élevait au-dessus de Boréa. Une maison s’était embrasée.

    Leur mère freina son bateau.

    — Allons les aider !

    Elle modifia immédiatement son cap et borda toutes les voiles. Kyam allait faire de même, quand il réalisa que quelque chose n’allait pas. Il s’adressa à Indri en élevant sa voix au-dessus du souffle du vent.

    — Attends, maman ! Ce feu n’a pas pu se déclencher tout seul, c’est bien trop rapide et…

    Il s’interrompit alors qu’une deuxième colonne de fumée s’élevait d’une autre bâtisse, éloignée de la première. Sa mère fit ralentir son embarcation. Elle observa la scène quelques secondes, puis son attitude changea complètement. Le sentiment d’urgence qui semblait l’animer disparut derrière un visage dur, hermétique.

    — Kyam, emmène ta sœur avec toi. Éloignez-vous d’ici le plus vite possible. Cachez-vous quelque part et si je ne viens pas vous chercher, ne revenez pas.

    — Mais…

    — Fais ce que je te dis, ne discute pas !

    Alors qu’il la fixait, les yeux écarquillés, sa mère approcha son voilier, saisit Nyla, la fit passer dans l’embarcation de Kyam. Indri fixa ensuite ses enfants avec intensité.

    — Je vous aime.

    Elle s’esquiva, le regard résolu, vers le village qui s’embrasait, maison après maison. Des cris commencèrent à leur parvenir, des silhouettes courraient pour s’éloigner des flammes. Le Silicien resta figé un instant jusqu’à ce que sa sœur, paniquée, se mette à le secouer.

    — Kyam ! Réagis ! Il faut faire quelque chose ! On ne va pas la laisser partir seule !

    Un individu, trop large pour être humain, entra dans son champ de vision ; il talonnait un villageois sur un ponton. L’horreur bloqua son souffle lorsqu’il vit ce dernier se faire transpercer par l’épée qu’avait dégainée son poursuivant. Les cris, d’abord liés à la panique provoquée par le feu, se transformaient en hurlements de terreur et de souffrance.

    Malgré la confusion et la distance à laquelle il se trouvait, Kyam comprit qu’une armée entière attaquait le village. Elle était constituée de créatures humanoïdes à la peau grise, de taille semblable à celle d’un homme, mais plus large d’épaules, avec une musculature plus développée. Au-dessus de leurs oreilles allongées, deux cornes torsadées dépassaient de leur chevelure. Ces dernières dessinaient un angle vers l’extérieur avant de revenir à la verticale, comme chez certaines antilopes. Des armures épaisses couvraient leurs épaules et leur torse, tandis que des plaques protégeaient leurs bras et leurs jambes.

    Des ohms. Armés jusqu’aux dents.

    Dans la panique, de nombreux villageois se jetaient à l’eau pour échapper au massacre. Kyam saisit le gouvernail pour s’empresser d’éloigner leur bateau.

    — Désolé, Nyla. Je dois te mettre à l’abri.

    — Arrête ! Retourne chercher maman ! Papa aussi, il est encore dans le village ! Il faut les emmener !

    Ils virent un homme s’avancer entre les flammes et descendre jusqu’au ponton le plus long. Le capuchon de son long manteau de fourrure masquait son visage. Lorsque l’inconnu tendit sa main, une agrégation de matière sombre en jaillit, fusant vers une habitante qui tentait de s’échapper à la nage. Quand la boule de noirceur la percuta dans une gerbe d’éclaboussures, la femme poussa un cri très bref. L’instant d’après, il ne restait d’elle que la moitié inférieure de son corps. Des lambeaux de chair s’en détachèrent lorsqu’elle sombra tandis que les eaux claires s’imprégnaient de rouge.

    Un haut-le-cœur souleva l’estomac de Kyam, tandis que le visage de sa sœur devenait d’une lividité alarmante. Elle hoqueta, visiblement incapable de parler ou de crier, et des larmes se mirent à rouler sur ses joues.

    L’inconnu élimina méthodiquement tous ceux qui avaient sauté dans la mer, soit pour essayer de fuir, soit pour se cacher sous le village. Des maisons et des passerelles s’effondraient avec fracas lorsque ses attaques détruisaient les pilotis. Il s’avança ensuite jusqu’au bout du ponton et projeta un amas noir vers le bateau le plus proche. L’embarcation fut perforée d’un large trou et se mit à sombrer.

    La peur au ventre, Kyam fila le plus vite possible, en direction oblique à celle du vent. Il ne se retourna pas lorsqu’en appelant leur mère par un hurlement déchirant, sa sœur lui apprit que le voilier d’Indri avait été touché.

    La petite fille s’effondra en puissants sanglots.

    Il comprit qu’il devait trouver une échappatoire ou ils subiraient le même sort. Il lâcha les commandes du bateau avant de se précipiter pour attraper Nyla. Bien que leur embarcation soit la plus éloignée du village, une boule de ténèbres fonçait déjà vers eux. Kyam eut tout juste le temps de tirer sa sœur vers le bord et, une fraction de seconde avant l’impact, il se jeta à l’eau en l’entraînant avec lui.

    Des débris de voilier s’éparpillèrent dans l’eau. Le petit bateau s’était cassé en deux et son naufrage fit naître des remous. Les doigts de Nyla glissèrent d’entre les siens sans qu’il ne puisse les retenir.

    Après s’être débattu quelques secondes, il refit surface. Mais pas Nyla. Il se mit à la chercher frénétiquement. Il plongea, scruta la surface, l’appela désespérément.

    Il hurla le nom de sa sœur, affolé, tandis que son cœur battait à tout rompre.

    Alors qu’il s’accrochait à une planche brisée, un morceau d’un autre navire heurta son crâne et il perdit connaissance.

    • • •

    Kyam, maintenant allongé sur une plage inconnue, sentit les larmes déborder de ses yeux. Une douleur suffocante enserrait sa poitrine, comme s’il se retrouvait écrasé par le poids de l’univers tout entier.

    Chapitre 4

    Kyam se tenait debout. Il aurait été incapable de dire combien de temps il avait passé allongé, immobile, ni comment il en était arrivé à se lever.

    En état de choc, il avança sans que l’étau qui comprimait sa poitrine se relâche. Il fixa le sable d’un blanc immaculé sans véritablement le voir. Sur sa droite s’étendait une mer à l’eau parfaitement transparente. De petits poissons rouge vif nageaient entre les anémones et les étoiles de mer. Sur sa gauche, le sable s’affinait, rencontrait quelques touffes d’herbes, avant de rejoindre une grande prairie. Des fleurs aux couleurs pastel parsemaient cette étendue verte qui s’interrompait à la lisière d’une forêt. Plus loin, au-delà des arbres, s’élevait un unique sommet. Une brume lumineuse enveloppait ce paysage d’une clarté irréelle.

    L’arrière de son crâne le tenaillait et il sentit une bosse volumineuse lorsqu’il y passa sa main. Le Silicien s’appliqua à ne pas penser aux derniers événements. À ne pas penser tout court. Il crut repérer un cours d’eau qui rejoignait la mer et s’en approcha. Il découvrit cependant qu’il s’agissait d’un lit asséché. Si la déception avait pu se frayer un chemin au milieu de son profond désespoir, peut-être l’aurait-il ressentie. Décidant néanmoins de remonter le tracé de la rivière, il le longea vers l’intérieur des terres. Lorsqu’il atteignit le pré, il remarqua, confus, qu’une myriade de points dorés flottaient au-dessus des herbacées. Trop accablé pour s’en préoccuper, il haussa les épaules et continua d’avancer.

    Dès qu’il posa un pied dans l’herbe, toutes les particules d’or s’immobilisèrent. Intrigué par l’insolite phénomène, Kyam se pencha. Ses yeux s’arrondirent de surprise lorsqu’il réalisa qu’il s’agissait de minuscules créatures ailées. La fourrure mordorée de ces petits êtres humanoïdes dégageait un léger scintillement tandis que deux oreilles pointues se dressaient sur leurs têtes. Il n’avait jamais rien vu de tel.

    Alors qu’il commençait à s’émerveiller, Kyam remarqua que les créatures fixaient sur lui leurs yeux ronds aux grandes pupilles noires.

    Toutes les créatures.

    Une sensation dérangeante s’empara de lui quand brusquement, les minuscules bêtes se jetèrent droit sur le Silicien dans un ensemble parfait. Pris au dépourvu, il se mit à courir tandis que les petits êtres griffaient, mordaient chaque parcelle de peau découverte. Il finit par trébucher et s’effondra sur le sol. Ne trouvant ni l’envie ni la force de se défendre, il se protégea le visage et demeura immobile.

    Les attaques décrurent rapidement avant de cesser quelques secondes plus tard. Étonné, Kyam se redressa lentement. Il ne ressentait que faiblement la piqûre de ses innombrables petites blessures. Le chagrin, comme enveloppé autour de lui, éloignait toute sensation. Les petites créatures voletaient maintenant de fleur en fleur sans plus se soucier de lui. Il observa le chemin de fleurs aplaties qu’il avait tracé en avançant dans le champ. Peut-être venait-il de comprendre le problème.

    Kyam leva un pied. En prenant soin d’éviter toutes les fleurs, il fit un pas.

    Aucune réaction.

    Il répéta l’expérience. Rien. L’explorateur poursuivit ainsi sa route précautionneusement afin de ne pas abîmer la source de nourriture des êtres dorés et de ne plus les provoquer. Sa progression lente lui permit alors de repérer un mouvement vif dans le lit de la rivière. Il s’approcha pour y regarder de plus près.

    Un éclair d’écailles passa sous ses yeux. Il cligna des paupières, incrédule. Un poisson ? Le petit animal argenté apparut une nouvelle fois, dissipant son doute. Le Silicien avança sa main… et toucha la surface de l’eau, qui ondula à son contact. L’incroyable transparence du liquide le rendait invisible. Il joignit ses mains en coupe pour en boire une rasade, mais réalisa qu’étrangement, il n’éprouvait pas de soif. Pourtant, une bonne quantité d’eau salée remplissait encore ses poumons quelque temps auparavant. Rassuré malgré tout d’avoir trouvé une source d’eau douce, il se leva pour continuer sa route vers la forêt.

    Une sensation dérangeante commençait à s’immiscer en lui lorsqu’il atteignit la lisière, quelque chose semblait manquer dans le paysage, dans l’atmosphère elle-même, sans qu’il puisse dire quoi exactement. Ne pas voir le soleil et ne pas pouvoir évaluer le temps qui passe se révélait être particulièrement troublant. Aucune variation de lumière indiquant l’arrivée des heures du soir ne se faisait sentir. Il s’enfonça entre les arbres tout en restant à proximité de la rivière. Comme il n’avait ni faim ni sommeil, il s’assit au bord de l’eau. L’ombre procurée par le couvert végétal changeait son aspect, elle reflétait maintenant l’image de Kyam presque aussi nettement qu’un miroir.

    Il observa sa peau noire, sa crête de cheveux courts ainsi que, chose peu commune pour un Silicien, ses yeux bleus. Un bleu soutenu, mais lumineux. Voyant qu’il ne restait de sa chemise que quelques lambeaux, il décida de la retirer. Des muscles développés se dessinaient sous sa peau. Il portait un pantalon ample de tissu beige et un large bracelet de métal enserrait son bras.

    Contre sa poitrine brillait une petite pierre bleue.

    Il l’avait presque oubliée. Il la saisit et fit tourner dans sa main la gemme triangulaire qui présentait des angles très arrondis. Sa couleur s’accordait parfaitement à celle des yeux de Kyam. Le lacet de cuir qui la retenait à son cou s’enroulait autour de la pierre plusieurs fois pour bien la maintenir. La manière dont la lumière entrait dans le minéral sous forme de rayons le fascinait. Les faisceaux bougeaient selon l’orientation de la pierre et semblaient plonger à l’intérieur, exactement comme les rais de soleil sous l’océan.

    Le reflet de Kyam se brouilla tout à coup tandis qu’une masse grise perçait la surface. Il se jeta en arrière de stupeur. L’être aquatique qui venait d’apparaître arborait un corps élancé pourvu de membres allongés adaptés à la nage. Sa tête, qui comportait un museau aux babines piquées de fines moustaches noires, accueillait de grands yeux orangés dont l’éclat contrastait avec sa peau gris clair.

    Il n’avait jamais vu pareille créature. Impressionné par sa taille et craignant qu’elle ne soit agressive, il voulut reculer, mais il sentit une présence impérieuse assaillir son esprit.

    — Je ne te veux aucun mal, Kyam.

    La voix mélodieuse venait de résonner dans sa tête sans que les babines de l’être aquatique fassent le moindre mouvement. D’abord figé par la surprise, il réagit instinctivement.

    — Qui êtes-vous ? Comment savez-vous mon nom ?

    Sa réponse s’était formulée de la même manière, en pensée. Il lui avait insufflé une sorte d’intention, comme s’il visait la créature avec, s’étonnant lui-même de trouver comment s’y prendre dans cet exercice pourtant nouveau. L’étonnement se peignit sur le faciès de l’être aquatique. À l’exception de son regard éveillé, aucun signe extérieur n’indiquait son intelligence.

    D’autres paroles infiltrèrent sa conscience.

    — Je suis Lios, chef des Lamantias. Ton nom, je l’ai lu dans ton esprit.

    Kyam n’aimait pas du tout l’idée que quelqu’un puisse lire dans sa tête. Le ton exagérément mielleux employé par la créature ne lui inspirait pas confiance non plus. Il fronça les sourcils.

    — Qu’est-ce que vous voulez ?

    Le sourire triste qui voulut se dessiner sur le faciès du Lamantia évoquait plutôt une grimace.

    — Mon peuple a besoin de ton aide.

    — Mon aide ?

    Le Silicien se sentait lentement gagné par la tristesse contenue dans les paroles de son interlocuteur. L’être aquatique riva ses yeux d’ambre dans les siens.

    — Nous sommes retenus prisonniers ici sur Krono, l’île hors du temps. Le roi de Saulavia nous a condamnés à un enfermement éternel.

    — Le roi Djil ? Pourquoi ferait-il cela ?

    Son père avait souvent vanté le dévouement du roi saulavien pour son peuple et s’en inspirait pour diriger leur village. Kyam ne comprenait pas bien, mais il parvenait à ressentir la profonde peine qu’éprouvait le Lamantia.

    — C’était il y a bien longtemps, à cette époque, l’arrière-grand-père du roi Djil régnait sur le pays. Nous étions parvenus à faire fleurir un commerce efficace par la voie maritime, et apportions la prospérité au royaume. Mais l’un des conseillers du roi, jaloux de notre richesse, nous a accusés de tuer des humains. Il voulait prendre le contrôle de notre route commerciale pour s’enrichir davantage. Le souverain l’a cru, car il avait entièrement confiance en lui, et il a puni notre peuple. Approche !

    Le désespoir porté par la voix de la créature s’insinuait en lui. Kyam sentait une profonde compassion l’atteindre devant cette situation injuste. Il fit un pas en avant.

    — Comment pourrais-je vous aider ?

    — Eh bien, ce collier que tu portes, tu l’ignores, mais il permet de communiquer à distance ! Grâce à lui, je pourrais établir une connexion avec le roi actuel de Saulavia pour lui exposer ma version des faits ! Peut-être mettra-t-il fin à notre sentence. Si tu me le prêtais un court instant, tu pourrais rendre justice à mon peuple. Approche encore !

    Kyam défit le nœud qui retenait la pierre bleue autour de son cou et la prit dans sa main avant de faire un autre pas vers son interlocuteur.

    Kyam se figea alors qu’il réalisait quelque chose. Lios avait mentionné une île

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