Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le loup sous la blouse
Le loup sous la blouse
Le loup sous la blouse
Livre électronique263 pages3 heures

Le loup sous la blouse

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Ce premier roman est autobiographique. L'auteur raconte son itinéraire, émaillé de heurs et de malheurs, de réussites et de renoncements, avec, toujours en toile de fond, la Bretagne et ses paysages marins colorés. Sa vocation d'enfant va se concrétiser, au travers d'une vie studieuse, simple en apparence, en somme réussie, elle deviendra médecin. Pourtant difficultés familiales et professionnelles s'imbriquent tour à tour. Lorsque la retraite approche, avec le projet d'un légitime retour aux sources, la maladie s'invite sournoisement. Elle est abordée ici sans concession, mais aussi avec pudeur. Le métier de la narratrice majore encore sa révolte. À l'automne de sa vie, la résilience sera-t-elle possible, d'autant que la maladie, parfois en veille, rôde toujours ?
LangueFrançais
Date de sortie26 nov. 2012
ISBN9782312005690
Le loup sous la blouse

Auteurs associés

Lié à Le loup sous la blouse

Livres électroniques liés

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le loup sous la blouse

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le loup sous la blouse - Chantal Delmotte

    978-2-312-00569-0

    Avant-Propos

    « L'homme n'est pas ce qu'il cache, il est ce qu'il fait ».

    André Malraux

    Introduction

    Je m’appelle Lou Alwena Laouénan.

    Très vite, tout le monde m’appela Louwe- Louve -, en ne retenant de ce second prénom, pourtant fort joli, que le son Ve du We, puis enfin ce fut tout simplement Lou …

    Je suis née au cœur de Paris à quelques encablures de l’Ecole Militaire, en une douce soirée d’été du mois d’août 1944.

    La bataille des toits faisait rage et la délivrance de Maman ne précéda que de peu la libération de la capitale.

    La liesse accompagna donc mes premiers jours de vie, d’autant que, deuxième dans la fratrie et quinze mois après l’arrivée d’un garçon, la naissance d’une petite fille était particulièrement bienvenue.

    L’appartement cossu de l’avenue de Suffren était ébranlé par le bruit de détonations incessantes qui terrorisait mon frère Allan et à qui un placard offrait un abri calfeutré, tel un accueillant et rassurant cocon.

    Sur le nouveau-né que j’étais, l’agitation extérieure n’avait pas prise.

    Le bon lait maternel palliait la pénurie en tout genre, surtout en denrées essentielles.

    Je fis mes premiers pas à douze mois au Champ de Mars. Puis, les circonstances nous permirent de quitter la capitale.

    Partie I

    Lou

    Chapitre N° 1

    Une enfance bretonne

    Oubliant les privations, les tickets de rationnement, y compris sur la laine, c’est tout de bleu vêtue que j’arrivai au pays breton.

    Sans regret toute la famille s’installa à Talduff sur mer dans les Côtes du Nord.

    Le nom de ce département de la Bretagne Nord a prêté longtemps à confusion.

    Pour les non initiés cette région était de toute évidence apparentée au plat pays.

    Pour clarifier cette situation, pour le moins équivoque, des Celtes bretonnants rebaptisèrent, fort judicieusement, ce territoire Côtes d’Armor.

    Négligeant la chronologie, j’utiliserai cette dernière appellation, beaucoup plus jolie à mon sens, et nettement plus évocatrice.

    Soixante ans plus tard, me voilà de retour en terres bretonnes : le passé est là, il me hante, il me rattrape …

    Avec mon second mari, nous choisissons de nous établir sur cette côte nord, rude, rugueuse et sauvage, où nos attaches nous agrippent, tels des oyats dans les dunes. Tal-Ar Mor, notre maison devant la mer, si belle, si changeante, notre havre de paix nous accueille, nous rassure au gré de la marée et de nos humeurs.

    Les tranches de vie se succèdent, si différentes les unes des autres, une toile se tisse, rêves et réalité s’entrelacent comme terre et mer, et le fil conducteur semble parfois inaccessible ou même invisible.

    Ma petite enfance fut paradisiaque. Liberté, grands espaces entre prairies et mer, maison jaune, haute, très haute pour mon regard d’enfant, jardin biscornu en terrasses, planté de buissons d’hortensias bleus, d’un bleu intense.

    Tout cela reste gravé à jamais dans ma mémoire.

    La maison était glaciale l’hiver, souffletée, agressée en permanence par les vents marins, le noroît rugissant aux sifflements sinistres accompagnait mes nuits et me rassurait pourtant. J’aimais ce vent qui giflait mon visage et me soulevait du sol. Parfois, je me sentais comme un oiseau. J’ouvrais la bouche et aspirais goulûment une bouffée de cet air du large, si vivifiant que j’en suffoquais presque.

    Les montbretias élancés, aux allures si distinguées, agitaient leurs gracieuses têtes déliées et lancéolées aux couleurs jaunes, orangées ou rouges. Bien que de petite taille, ils narguaient leurs voisins, les petits phlox étoilés, roses ou rouge cramoisi, qui foisonnaient à leurs pieds et qui, tout comme eux, éclairaient avec joie la grisaille des jours sans soleil.

    Les capucines çà et là, avaient l’air de faire la causette, tout en repliant pudiquement leurs pétales de feu.

    La prairie, devant notre maison Héol-Avel-Mor ce qui signifie Soleil-Vent-Mer, était verte et immense.

    Madame Barsic y gardait ses vaches, aux nombreuses taches café au lait décorées de bouse odorante. Elles avaient l’air fort négligées et ne devaient pas faire toilette souvent !

    La vachère avec ses gros sabots de bois, avait la même odeur et piquait quand elle m’embrassait. Je me rappelle lui en avoir fait la remarque et elle n’avait pas l’air contente du tout.

    Elle faisait de la couture ou du tricot pour passer le temps, tout en surveillant ses bêtes. Elle me demanda une fois de lui enfiler son aiguille, pensant que mes yeux tout neufs, compenseraient sa vue défaillante. Je répondis que j’avais l’habitude. Las, mes petits doigts malhabiles ne purent conduire le fil à travers le chas rétif.

    Six décennies plus tard, j’en suis encore vexée. Du haut de mes quatre ans, j’abhorrais déjà l’échec…

    Je gambadais pieds nus du matin au soir et, quelquefois, agitant comme un trophée une baguette en bois de saule pour rassembler le bétail, je marchais sur de vigoureux chardons bleus. Mon frère riait aux éclats et s’amusait à faire fuir les laitières.

    En quelques enjambées nous étions sur la plage, nous courions sur le sable fin, dont le blanc éblouissant nous brûlait les yeux. Nous sautillions sur les patelles pointues, enchâssées dans les rochers aux arêtes vives. Empilées les unes sur les autres, des crépidules, aux coquilles rebondies piquetées de rouge, adoucissaient cet univers rude. Les goémons glissants, aux subtiles senteurs marines iodées, nous faisaient trébucher. Les coquilles d’ormeau en nacre mordorée scintillaient au soleil et crissaient sous mes pas. Mes petons me faisaient mal et j’enviais Allan et ses sandales, moi qui, pour corriger mes pieds plats, n’en portais pas.

    La prescription médicale émanait du pédiatre ami de la famille. Il n’était donc question d’en discuter l’ordonnance.

    Autres temps, autres mœurs…

    Plus tard ce sera la croix et la bannière pour arriver à faire porter des chaussons à mes enfants, puis à mes petits enfants. Cela m’a toujours étonnée, moi qui ne supporte plus d’être pieds nus, même pour quelques pas.

    J’étais dotée d’une mémoire éléphantesque. Pourtant, la mémoire sélective a été pour moi un atout précieux. Tel un peintre gommant de son tableau les détails perturbateurs gênants, mon imaginaire en toute candeur faisait un tri drastique, pour ne conserver que le beau et l’agréable.

    Parfois cependant certaines plaies plus profondes, ou ressenties comme telles, évolueront sous un mode torpide et ne cicatriseront jamais.

    Ma prairie, cette grande prairie verte, fut un jour recouverte par la mer. Le paysage dévasté par des vagues en furie, dont les assauts répétés menaçaient les premières habitations, semblait irréel et chaotique.

    Le raz de marée de cette année-là fut tout à fait exceptionnel et pendant longtemps, conversations et chroniques locales relatèrent le phénomène. Le tsunami laissa des traces. Il marqua fortement les esprits. La digue n’avait pas résisté et d’énormes galets projetés sur les hauteurs s’y fracassaient sans relâche, écrasant tout sur leur passage et étouffant la végétation naissante.

    Notre maison perchée à flanc de falaise, conforme à l’architecture balnéaire de la fin du XIXe siècle, comportait plusieurs niveaux avec vue mer. Avec ses nombreux balcons aux balustrades jaune paille et ses multiples décrochements asymétriques, elle nous semblait invincible, presque féerique. Les cachettes insoupçonnées des adultes, au détour de petits escaliers en pierre de taille, nous enchantaient.

    La maison d’en face, aux volets bordeaux, nous paraissait minuscule car située en contre- bas. Nos petites voisines partageaient nos jeux lutins.

    Un jour, surpris par la marée montante, nous fûmes secourus de notre îlot menacé par les vagues par le Papa des petites. Nous avions eu très peur. Nos parents nous sermonnèrent copieusement.

    En même temps nous étions très fiers de connaître, enfin, le propriétaire de la 4 CV Renault qui nous faisait tant rêver. Cette jolie voiture verte, aux chromes étincelants, était la seule du quartier. Tous les jours nous l’admirions, fascinés par ses formes rondes, son intérieur accueillant et son superbe volant.

    Un peu plus bas, dans une longère délabrée, habitait François le pêcheur.

    Il était vieux et tout courbé, il portait une vareuse en drap élimé et une casquette de marin.

    Il nous apportait régulièrement du bois coupé et allumait pour nous le feu dans la cheminée. La chaleur de l’âtre réchauffait mes petites mains si froides, si froides, tout comme celles de Grand-mère. La maison était très humide, même l’été, les cordes et le couvercle du piano maternel étaient rongés par l’air salin et grignotés par les souris. A la nuit tombée, les petits rongeurs dansaient avec frénésie, sur les touches du vénérable instrument désaccordé, qui, tristement laissait échapper des sons plaintifs disharmonieux.

    Madame Duguet était chargée de nous apprendre des rudiments de lecture et d’écriture. Elle nous initiait aussi à la musique. Nous allions chez elle, main dans la main, deux fois par semaine.

    Allan était doué pour le piano, mais moi je n’avais vraiment pas l’oreille musicale. Je m’appliquais beaucoup pourtant, et réussissais même à jouer Ah vous dirais-je Maman, que j’affectionnais tout particulièrement.

    A l’origine, la superbe mélodie de cette comptine fut attribuée à tort à Mozart qui l’avait, en fait, transcrite pour piano en 1778. La version anglaise de ce poème, un peu plus tardive, Twinkle, twinkle, little star est tout aussi charmante.

    Après le cours de solfège, nous empruntions le chemin des douaniers, ce sentier côtier au tracé parfois vertigineux. Celui-ci recelait encore les excavations géantes laissées par les bombes. Ces trous béants et les blockhaus, stigmates de la guerre toute proche, peuplèrent pendant longtemps mes nuits de cauchemars. Maman et Grand-mère tricotaient.

    Grand-mère cousait aussi, c’était son métier. Elle l’avait appris chez le grand couturier parisien Paquin rue de la Paix et nous habillait de pied en cap.

    Papa travaillait à Paris et ne rejoignait la Bretagne qu’en fin de mois, aussi notre entourage était-il exclusivement féminin.

    Je n’avais que trois ans, quand ma petite sœur Monika vint troubler notre bienheureuse quiétude.

    Nous avions été tenus soigneusement à l’écart de cet événement tabou et mystérieux.

    Je me souviens seulement d’une dame bizarre qui faisait bouillir des linges dans des boîtes métalliques vides de lait Guigoz. C’était la sage-femme, Madame Bertou. Je me demandais bien pourquoi sage, mais je n’osais poser la question.

    Mon frère aîné, quant à lui, n’appréciait guère la plaisanterie : deux sœurs lui semblaient par trop encombrantes. Après m’avoir déjà administré dans la bouche, (dans un passé très récent), le contenu d’une boîte de punaises, il fit au nouveau-né le coup de l’oreiller !

    Heureusement, Grand–mère, aux réflexes salvateurs, rapides et énergiques, veillait !

    Allan, décidemment, était un joyeux polisson : n’avait-il pas, encore bébé, transpercé d’un couteau de cuisine jeté du deuxième étage, le chapeau très fleuri d’une élégante parisienne ! Et, encore, inconscient des restrictions draconiennes, n’avait-il pas jeté une Sainte Vierge en plomb dans les flageolets du repas dominical, au risque de provoquer chez les convives, de redoutables coliques de plomb !

    Il avait même arrosé d’un jet décidé le précieux tabac de Papa.

    Un peu plus tard, ce furent mes jolies boucles blondes qui succombèrent sous ses ciseaux...

    C’était donc bien difficile, pour deux femmes seules, de venir à bout de trois sauvageons épris de liberté.

    L’usage était alors répandu de menacer du loup-garou les enfants turbulents.

    Il sévissait surtout la nuit dans les lieux isolés et effrayait les plus crédules. Chez nous, et, c’était plus plausible, pour nos esprits impavides et déjà contestataires, c’était le bonhomme qui se chargeait de faire rentrer les vilains garnements dans le rang.

    Donc, heureusement le bonhomme était là et veillait de jour comme de nuit.

    J’entends encore sa grosse voix résonner sous l’escalier en bois, car il logeait dans le placard sombre taillé en biais sous les marches. Je faisais la fanfaronne et ne croyais pas aux croquemitaines, jusqu’au jour où le bonhomme me saisit le bras alors que je descendais l’escalier à califourchon sur la rampe.

    Terrorisée, je détalai à toute vitesse.

    Je fus tentée plusieurs fois de pousser la targette du placard pour enfermer le bonhomme. Je trouvai cependant plus prudent de m’abstenir car Noël approchait et le petit Jésus devait apporter des jouets aux enfants sages.

    Nous affectionnions particulièrement le grenier aux innombrables coins et recoins. Et c’est ainsi que nous découvrîmes, justement l’avant-veille du grand jour, nos joujoux commandés, pas encore emballés. Les yeux écarquillés de surprise, je regardais avec envie la jolie poussette rose destinée à ma petite sœur.

    Nous décidâmes, de concert, qu’il était préférable de garder le secret sur la resserre à cadeaux.

    Selon l’usage de l’époque, nous étions peu gâtés. Nous retrouvions dans nos chaussons, au pied de la cheminée, une belle orange et un jouet.

    Une année, quelle joie, nous reçûmes chacun une boîte de couleur différente contenant du dentifrice. La mienne était bleue, ma couleur préférée. Je l’ai longtemps gardée en souvenir.

    J’étais sous bien des aspects une petite fille très raisonnable. Je suis née, je crois bien, avec une pendule dans la tête, ce qui semble relever, au regard du corps médical, d’un Trouble Obsessionnel Compulsif. J’étais donc atteinte du toc du tic tac !

    Je ne savais pas lire l’heure, mais plusieurs fois par jour, je disais à mon aîné, qui lui, n’aura jamais la notion du temps :

    - Allan, il est l’heure de rentrer,

    - Allan, c’est l’heure de goûter,

    - Allan, c’est l’heure d’aller chez Madame Duguet.

    Quand il ne venait pas, je partais seule, sans me retourner.

    Un peu plus tard, Allan fit sa rentrée au Quinquis chez les frères, pour apprendre à lire, écrire et compter. Le nom Quinquis indiquait une ancienne demeure, entourée d’un entrelacs défensif de branches, en guise de haie. Ce mot me fascinait. Il me semblait mystérieux.

    Je voulais y aller aussi, mais je n’avais pas l’âge et l’établissement était réservé exclusivement aux garçons. Allan pleurait tous les jours car il aurait préféré jouer.

    En revanche, moi je l’enviais, car j’avais soif de savoir et d’apprendre.

    Le village de Talduff était fait de creux et de bosses et les côtes qui menaient au bourg me semblaient interminables. Maman me donnait des carottes crues que je dégustais tout au long du chemin. Si d’aventure un chat se présentait sur ma route, je le prenais dans mes bras, espérant ardemment le ramener à la maison. Et, malgré les traces de griffures, je récidivais. Mais en vain, Maman restait intraitable.

    L’épicier vendait de tout et même des bonbons. Je n’ai jamais aimé particulièrement les friandises, mais j’étais subjuguée par les gigantesques bocaux en verre remplis de joyaux de toutes les couleurs. Je revois encore les coquelicots roses, de forme rectangulaire, les violettes étoilées d’un mauve raffiné et surtout les berlingots multicolores aux tons fluos et aux arômes anisés. J’ai retrouvé d’ailleurs plus tard, avec beaucoup d’émotion, ces mêmes bocaux dans une vitrine d’une épicerie fine de la rue des Petits Champs, dans le deuxième arrondissement parisien.

    Une fois donc, je commis l’irréparable, en osant réclamer le bonbon tentateur.

    J’avais bravé l’interdit...

    Je n'avais pas quatre ans, mais quelle humiliation d’entendre Maman et Grand-mère me dire devant tout le monde :

    - On ne demande jamais !

    Mes enfants et mes petits enfants se souviennent-ils eux aussi, de ces petites vexations bien méritées, subies dans leur petite enfance ? Je devrais peut-être le leur demander…

    Pourquoi ces égratignures, pourtant bénignes, laissent elles chez certains des traces indélébiles ? Est-ce le signe d’une sensibilité exacerbée ou alors le symptôme d’une grande émotivité ?

    Tous les trois, nous adorions les fameux craquelins bretons, tartinés de beurre fermier ou de gelée de mûre maison, qui faisaient les délices de nos quatre heures.

    Aux repas, nous buvions de la frênette de fabrication maison également. Il s’agissait d’une recette ancestrale à base de feuilles de frêne et d’eau sucrée. Pierrick le charbonnier gardait pour Grand-mère, les plus beaux spécimens des feuilles de son frêne.

    Entreposée à la cave, la préparation fermentait, durant plusieurs mois, dans un énorme fait-tout. Grand-mère procédait, elle-même, à la mise en bouteilles et gardait, jalousement, le secret de sa recette.

    Avec de savoureuses crêpes croustillantes, une bolée de ce breuvage était un vrai régal pour le goûter. Nous invitions nos petits voisins à partager cette potion magique convoitée aussi par leurs mamans.

    A la fin de l’été, nous participions à la traditionnelle cueillette des mûres dont les sentiers broussailleux étaient généreusement ornés. Munis chacun d’une casserole en métal, nous ramassions les baies odorantes. Nous choisissions les plus noires et les plus grosses. Nous avions un petit bâton pour effrayer les reptiles importuns. Les ronces aux épines vigoureuses griffaient membres et visages. Tout en cheminant, nous goûtions au passage les fruits les plus appétissants. Nos mains violettes comme l’encre des écoliers et nos figures amochées déclenchaient le courroux de Grand-mère. Nous devions faire très attention à nos vêtements, car les taches de mûres sont particulièrement tenaces, voire indélébiles. Aussi étions-nous très souvent rappelés à l’ordre.

    Nos récipients remplis, témoins d’une bonne récolte, nous rentrions, tout fiers, à la maison.

    Le cérémonial pouvait alors commencer.

    Grand-mère mettait les fruits, lavés et sucrés, dans une grande bassine, posée sur le fourneau. Elle remuait régulièrement avec une cuillère

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1