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71 & autres faits d'hiver: Itinérance solitaire d'une femme en Laponie
71 & autres faits d'hiver: Itinérance solitaire d'une femme en Laponie
71 & autres faits d'hiver: Itinérance solitaire d'une femme en Laponie
Livre électronique264 pages3 heures

71 & autres faits d'hiver: Itinérance solitaire d'une femme en Laponie

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À propos de ce livre électronique

Montez à bord d'une pulka et partez pour un voyage au coeur de la Scandinavie

« Je m’appelle Nathalie. Je chausse mes skis à Ivalo, en Finlande. Je charge ma pulka et j’accueille, avec une volupté grimaçante, sur mes épaules et au creux de mes reins, ses 71 kg de chargement. Toute ma vie tient là-dedans pour les deux mois et demi à venir. J’y mets aussi, je le sais bien, mes doutes et mes espoirs. Cette aventure, c’est aussi la solitude, les angoisses et les euphories, les détails d’une nature ensevelie sous la neige, en léthargie, où le moindre sursaut s’apparente à une effervescence. J’espère démystifier l’idée que cette nature n’est qu’hostile. Je veux, sans doute aussi, montrer qu’avec une préparation méticuleuse, beaucoup de projets qui paraissent inaccessibles deviennent réalisables. Que l’anonyme que je suis peut atteindre le cap Nord, puis redescendre en partie le long de la colonne vertébrale scandinave, en autonomie, avant le printemps et la fonte. 71 kilos. 71 jours. 71° nord. Et plus de 1 200 kilomètres de glace et de neige… »

Un récit de voyage magistral, idéal pour partir à l'aventure !

A PROPOS DE L'AUTEUR

Nathalie Courtet est originaire du Jura où elle est accompagnatrice en moyenne montagne. Grande voyageuse, elle a parcouru de nombreux pays avant d’entreprendre, en 2008, un immense périple à vélo couché, relaté dans une trilogie parue aux éditions Phébus (Aux portes de l’Orient, Les routes de la démesure, De la jungle birmane à la taïga russe). Son expédition en Laponie est également relatée dans le film 71° Solitude Nord, réalisé par Damien Artero (Production Planète D).

EXTRAIT

71 n’est pas son année de naissance, ni son âge — encore. 71 n’est ni le nombre de ses amants ni le numéro correspondant au département de sa résidence, bien qu’elle y ait un quart de ses origines, pas plus que le nombre de ses paires de chaussures ou celui de ses victoires sur un vélo, et loin d’être celui de ses Amis, je veux dire les vrais… Ce n’est pour le coup ni une moyenne kilométrique journalière ni une vitesse de croisière. 71 ne correspond pas à son poids ni même à ses mensurations bien que son tour de taille n’en soit pas loin.

71 est un peu l’histoire d’une femme — ou plutôt les histoires d’une femme — qui me ressemble à s’y méprendre. Peut-être le nombre d’or d’une aventure aussi. Les histoires d’une femme qui vit une aventure.
Une aventure ? Amoureuse ? Non. Mais peut-être une histoire d’amour tout de même.
LangueFrançais
Date de sortie26 août 2015
ISBN9782915002812
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    Aperçu du livre

    71 & autres faits d'hiver - Nathalie Courtet

    « Je considère que je me suis évadé pour de bon le jour où j’ai commencé à exister en me fixant comme projets mes propres rêves.

    C’est cette évasion-là qui compte en réalité. »

    De l’esprit d’aventure, Patrice Franceschi.

    « Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr. »

    L’usage du monde, Nicolas Bouvier.

    Retrouvez les photos et cartes des voyages de Nathalie Courtet sur le site : www.nathaliecourtet.fr

    AVANT-PROPOS

    Tout au long des chapitres qui vont suivre, je parlerai comme si j’avais été seule en permanence. Ce n’est pas tout à fait vrai. Damien Artero, réalisateur de son état, m’a suivie et accompagnée en pointillés pendant 18 jours au début du périple, jusqu’au cap Nord, puis une grosse semaine à la fin, après que j’aie rejoint Kvikkjokk. Soit trois semaines et demie au total. Entre-temps, j’ai réellement été seule quarante-cinq jours. Nous avons rallié Ivalo depuis la France dans son fourgon aménagé, un Mercedes 207 D vieux de trente ans prénommé James (il est brun), qui fut son QG, et parfois mon hôtel. En redescendant du cap Nord, Damien avait pour mission de déposer, aux endroits convenus, mes cartons de ravitaillement en nourriture, cartes, papier toilette et cotons-tiges. Son travail consistait à me filmer, avec toute l’imagination nécessaire pour faire un joli « documentaire » et dans des conditions parfois très difficiles, dues principalement au froid et au vent qui sévissent dans le Grand Nord en hiver. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

    Je l’ai « exclu » des histoires qui suivent uniquement dans le but de retranscrire au mieux ce que j’ai personnellement vécu et ressenti. Nous n’avons que rarement progressé ensemble sur la neige, je le retrouvais le soir dans une cabane ou chez James quand une route croisait mon itinéraire. Pour des raisons de commodités, de confort et d’efficacité, il est aisé de comprendre que, quand ce fut possible d’y loger (sept fois), le fourgon fut fort apprécié. Et n’en déplaise aux stakhanovistes du froid et de l’effort, aux avides de records et autres puristes voire extrémistes, jamais l’idée ne m’a effleuré l’esprit de planter ma tente dans les bourrasques à côté d’un camion sec et chauffé…

    I

    71

    71 n’est pas son année de naissance, ni son âge — encore. 71 n’est ni le nombre de ses amants ni le numéro correspondant au département de sa résidence, bien qu’elle y ait un quart de ses origines, pas plus que le nombre de ses paires de chaussures ou celui de ses victoires sur un vélo, et loin d’être celui de ses Amis, je veux dire les vrais… Ce n’est pour le coup ni une moyenne kilométrique journalière ni une vitesse de croisière. 71 ne correspond pas à son poids ni même à ses mensurations bien que son tour de taille n’en soit pas loin.

    71 est un peu l’histoire d’une femme — ou plutôt les histoires d’une femme — qui me ressemble à s’y méprendre. Peut-être le nombre d’or d’une aventure aussi. Les histoires d’une femme qui vit une aventure.

    Une aventure ? Amoureuse ? Non. Mais peut-être une histoire d’amour tout de même.

    71 est le nombre de jours pendant lesquels cette femme — qui n’a rien de plus que vous et moi mais tout de même la chance d’être née sur la bonne plaque tectonique — s’est promenée à travers les latitudes les plus septentrionales d’Europe avec pour seul but de vivre un hiver là-haut, un peu en vagabonde, avec pour seul moyen de locomotion une paire de skis, et pour unique bagage une grosse luge en plastique — appelée pulka — chargée des éléments indispensables à son confort. Enfin… sa survie. Et c’est un peu de sa faute, car c’est elle qui l’a remplie, si ladite pulka a pesé jusqu’à 71 kg les jours de ravitaillement. Rien de volontaire, elle l’aurait préférée plus légère.

    Elle a marché en traînant les pieds pendant 71 jours au nord du cercle polaire arctique, a été aperçue en Finlande, en Norvège et aussi en Suède, mais toujours en pays Sâmi… en Laponie. Elle était seule la plupart du temps, à tirer sa remorque rose et bleue avec une régularité de métronome.

    71 jours de liberté dans le froid, le vent, le blanc, le silence, là où la densité de population s’avère être la plus faible d’Europe, 0,4 habitant/km² — pas de quoi s’engueuler avec le voisin — et non pas 71 cette fois-ci, et beaucoup moins si on considère qu’elle n’a pas skié là où se concentre cette population, à savoir dans quelques bourgades ébouriffées par le vent sur la bordure de l’océan. 71 jours hors du temps, peut-être même hors du monde.

    Dans sa poche — et c’est un hasard ou un heureux concours de circonstances — il y avait au départ l’équivalent de 71 euros en couronnes suédoises, résidu inutilisé lors du voyage jusqu’au point de départ.

    Enfin, 71 est aussi la latitude maximale atteinte au cours de son périple, celle du cap Nord, enfin… de ce point souvent décrit comme le plus septentrional d’Europe alors qu’en réalité il revient à la pointe Knivskjellodden (à vos souhaits !), toute proche et beaucoup moins spectaculaire. À 71 degrés, 10 minutes et 21 secondes de latitude nord, la terre s’arrête subitement pour laisser place au vide. La mer harcèle le rocher sans répit, tandis que ce dernier la toise de ces 307 mètres. Plus au nord, à part l’île des Ours et l’archipel de Svalbard, rien de très constant, juste l’eau sous toutes ses formes, souvent très froide…

    Après avoir lutté contre les éléments pendant plus de deux semaines pour atteindre ce cap, les spatules au bord de la falaise, la vitesse du vent nettement supérieure à 71 km/heure, le regard dans le vague, elle n’a pas réfléchi longtemps, elle a pensé une seconde seulement à son Jura natal, avec un brin de nostalgie, puis elle s’est élancée…

    …Plein sud.

    Tous ces 71 peuvent sembler invraisemblables, mais le fait est. Et c’est le premier d’une série qui a été vécue là-bas, enfin… là-haut, proprement consignée dans un cahier à spirales en papier recyclé, dont les pages moins blanches que la neige, quadrillées 5 × 5 mm ont été remplies à ras bord d’une écriture fine et légèrement penchée comme ça, à cause du vent dominant qui venait du sud-ouest, lors des longues soirées solitaires de cet hiver-là. Les mots y sont serrés les uns contre les autres, presque collés, pour se protéger du froid.

    « Le voyageur, écrit Nicolas Bouvier, est une source continuelle de perplexités. Sa place est partout et nulle part. Il vit d’instants volés, de reflets, de menus présents, d’aubaines et de miettes. Voici ces miettes… »

    II

    SIGNES AVANT-COUREURS

    L’appartement ou le Nord

    Le seul avantage d’habiter dans un lieu ni convivial, ni chaleureux, trop étriqué, trop sombre, trop bruyant, est que ce lieu même, à défaut de vous retenir, vous jette dehors, vous expulse, vous met à la rue et vous empêche de sombrer dans une semi-léthargie destructrice, vous poussant à être actif, mobile, et finalement vivant.

    Lors de mes périodes sédentaires, je vis dans un appartement lumineux et spacieux, chaud et confortable. La maison dans laquelle il trouve sa place est ancienne, dite « de village ». Les murs en sont lézardés et l’enduit épais laisse par endroits apparaître le calcaire des pierres sous-jacentes, mais elle a du caractère. J’aime ces bâtisses dont l’extérieur ne paie pas de mine mais qui offrent un intérieur d’autant plus surprenant. Comme j’aime les gens qui ont une âme, une spécificité, un truc qui les différencie et qu’il faut aller chercher sous les premières apparences. Comme certains logements citadins aussi, qu’on atteint après avoir traversé la seconde arrière-cour, pas toujours très propre, par un escalier en colimaçon qui gémit sa vieillesse, où la peinture rongée par l’humidité s’écaille, mais dont la balustrade est peut-être classée aux Monuments de France. Qu’il faut longer ensuite un balcon en bois grinçant et fendu à travers lequel on voit les étages inférieurs, pour se cogner enfin le nez contre une vieille porte aussi accueillante que celle d’une prison, que l’on pousse et alors… Alors découvrir un univers feutré, calme et lumineux, une oasis au milieu de la grande ville, un bijou dans la quincaillerie.

    L’appartement que j’occupe est à la campagne.

    Par la fenêtre située à l’est, je vois la vallée s’étirer par-dessus les toits voisins jusqu’à la Dent de Vaulion, qui me nargue. Je vois l’Orbe aussi, rivière paresseuse qui s’écoule, noire et silencieuse, à travers les marais en apaisant les sentiments de tout être qui y pose le regard ou en écoute le murmure. Elle disparaît parfois au pied de jolis bouquets de bouleaux ou se dérobe le temps d’une boucle à proximité des tourbières. Je vois aussi le soleil se lever et ses rayons obliques éclaboussent ma couette.

    Par la fenêtre de toit, côté sud, j’ai un coteau raide et boisé de résineux, noirs, qu’égaye le vert plus lumineux des feuillus. La crête est hérissée d’épicéas sur lesquels les saisons ne semblent avoir aucune emprise, toujours égaux à eux-mêmes, impassibles, immuables, toujours dignes et gaillards, constants face aux aléas. Sur le côté droit, qui dépasse à peine, j’aperçois le sommet du Creux du Croue. Au-delà de cet horizon boisé, je ne vois que du ciel.

    Et les nuages défiler.

    J’en vois passer sous toutes les formes, de toutes les couleurs, dans toutes les directions et à toutes les allures. Un spectacle en soi. Les jours de grand bleu sont aussi ennuyeux que les dimanches et les jours fériés. Le ciel sur son 31…

    Je n’ai pas d’ouverture côté soleil couchant, l’appartement que j’occupe est mitoyen, les maisons collées les unes aux autres. Dommage, j’y verrais encore l’Orbe, encore des tourbières et des marais, de la verdure l’été et de la neige l’hiver. Je verrais loin.

    Côté nord, c’est moins joli, je n’en parlerai pas. J’y ai trois fenêtres de toit encore (je loge dans une mansarde) et c’est un adret assez abrupt parsemé de constructions dont un centre de vacances très laid, dominé par la sombre et emblématique forêt du Risoux.

    Qu’y a-il à attendre de positif du Nord ?

    Je n’ai jamais vu, aux latitudes sous lesquelles je vis, une petite annonce vanter l’orientation nord d’un logement à vendre ou à louer. Et rien qu’à l’évocation de la bise glacée du nord qui lamine parfois la vallée, les muscles du cou se contractent, il y a ce léger tremblement de la tête accompagnant le rictus inévitable de la bouche dont les extrémités tombent pendant que le propriétaire aspire entre ses dents. Serrées, les dents… Et les épaules qui remontent jusqu’à toucher les oreilles.

    Le Nord ?

    Le Nord, c’est le froid mordant, le vent pétrifiant, l’ombre, les effrois de la glace et des ténèbres… Rien de bon.

    Mais alors pourquoi quitter mon lieu de vie, si accueillant, pour me jeter à chaque fois dans l’inconfort de l’inconnu, de l’imprévisible ? Je crois que j’ai peur de la routine, de l’ennui, de ne pouvoir rattacher des événements pour ponctuer le temps qui me file entre les doigts. La routine est absolument effrayante et la perspective de la routine plus encore. Et partir, qui plus est cette fois-ci dans le froid et les milieux hostiles, là où même les arbres capitulent. Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer ? Faut-il que je sois mentalement atteinte pour préférer aller au Nord, dans la neige, la nuit et la solitude alors que tout être normalement constitué privilégiera la douceur du sable et la chaleur des rivages du Sud ? Faut-il que je sois à ce point déprimée pour préférer m’engoncer sous d’épaisses couches de vêtements alors qu’il est si plaisant de vivre à poil sous des latitudes plus clémentes ?

    Et pourtant, c’est bien cette direction qu’indique l’aiguille, la flèche de la boussole. Et à un âge où les prémices d’Alzheimer me guettent, c’est bien lui, le Nord, que pour rien au monde je ne voudrais perdre. Serait-ce le lieu des origines ? Le monde se serait-il déployé à partir de cet unique point ? J’imagine un geyser minuscule jaillir du septentrion et le liquide se répandre uniformément sur le globe terrestre, faire surgir les continents, éclore les fleurs, et apparaître enfin l’Humanité, enfin… le Grand Nord, espace originel, terre virginale. Le Nord, l’étoile polaire, un peu la référence, le point de repère dans la nuit, le phare en mer, la lumière au bout du tunnel.

    Le Nord.

    Ça fait un moment qu’il me fait les yeux doux.

    Il y a trop longtemps que tracer ma route vers lui me hante.

    Je veux partir là-haut un peu comme j’irais rendre visite à un ami, pour le voir et passer un bon moment avec lui.

    Saisons

    C’est encore une chose à laquelle j’ai pensé avant de partir, mais dans l’effervescence précédent mon départ, je n’avais pas pris le temps de la noter. Ici, les soirées sont longues, j’ai le luxe d’avoir des minutes élastiques.

    Quand, depuis la fenêtre de cet appartement jurassien, je laissais mon regard se poser sur les tourbières et les marais qu’il m’était donné de voir, j’imaginais déjà (mais mal…) ce qu’allait être mon quotidien au début de ce prochain périple. Sur l’épaisse couche de neige qui, je l’espérais, aurait tout recouvert, alors que je viendrais de traverser l’immensité du lac Inari sur la glace, je sillonnerais un terrain inaccessible l’été, trop spongieux, parsemé d’innombrables fondrières et de gouilles menaçantes, sauvage et se protégeant, de par sa composition même, de la présence des grands prédateurs dont l’espèce humaine fait partie.

    Impénétrable.

    Comme des sables mouvants, traîtres, attirants et meurtriers.

    De l’eau couleur de rouille à fleur de terre au milieu des touffes de carex, des variétés de mousses à faire pâlir le plus grand buveur de bière et des arbres morts et gris, rongés par l’acidité.

    Fascinant.

    Si je devais trouver un équivalent dans l’ordre animal, ce serait sans aucune hésitation le tigre : puissant, souple, silencieux, inabordable, magnifique, dangereux… La tourbière jurassienne puissance dix. Peut-être même cent.

    Je ne verrais rien de tout ça, le manteau immaculé me laisserait avancer à ma guise, effaçant les pièges, nivelant et adoucissant le terrain. Enveloppée seulement par le froid et le néant, je n’aurais qu’à marcher soleil dans le dos. Jusqu’à ce que la terre s’arrête devant mes spatules, que l’océan Glacial Arctique s’étale à mes pieds. Alors faire demi-tour, et skier longtemps encore avant que la débâcle ne me déloge.

    Derrière ma fenêtre, les premiers flocons enveloppaient mon village et ma vallée d’un feutre ouaté. Dans la pièce, The Low Frequency en stéréo jouait Die Electro Voice. J’avais poussé un peu dans les décibels, ajouté un degré de basse, fermé les yeux, j’étais ici…

    Chaque fois que mes pas m’ont mené jusque dans ces milieux atypiques et souvent détestés, lieux privilégiés des légendes les plus obscures, dans lesquelles enfants et bétail se font digérer sans laisser d’autre indice à la surface qu’un bout de haillon ou un sabot déchiré, mon regard s’est laissé envoûter par les troncs blancs des bouleaux se reflétant sur la surface mystérieuse et insondable des tourbières et des marais. Mes yeux ont cherché ce qu’ils ne peuvent voir : la richesse et la vie exubérante, mais cachée, qui se démène, court, vole, nage, mange et copule, se faufile derrière les épaisses mottes de carex, dans l’inextricable réseau de canaux minuscules qu’abritent les roselières.

    Tout un monde.

    Beaucoup moins silencieux que visible.

    Caquètements par-ci, piaillements par-là, vol métallique et saccadé de la libellule, battements d’ailes et bruissements de végétation. Légers bruits d’eau, éclaboussures, clapotis et vols ténus.

    L’été.

    Personne.

    L’été il n’y a personne.

    Et l’hiver encore moins.

    Des déserts humains que ces zones humides où venir, que ce soit à pied ou en bateau, n’est tout simplement pas possible. Trop d’eau, trop peu d’eau, pas de fond, trop de fond.

    L’hiver ?

    Trop froid.

    Pour quoi faire ?

    Rien à voir.

    L’été, passe encore, ça grouille de bestioles ; mais l’hiver ! Rien d’autre que de la neige, du froid, du vent, des branches rabougries, chétives et dénudées, prisonnières par le pied et dont seules les extrémités jaillissent, telles des doigts crochus et torturés, de la gangue, trop blanche pour s’en méfier, cherchant à agripper, après le monde des ténèbres enfin disparu, le rayon trop flou et diffus du soleil, sa lumière malade, sa chaleur malingre.

    L’hiver.

    Rien.

    Plus haut ?

    La toundra.

    L’été là-haut ? Permafrost. Végétation naine, zone de combat, la lumière est là, mais pas le temps de se rendre compte du peu de chaleur que l’hiver revient déjà, que le soleil a tourné le coin de la Terre d’un pas déterminé, sans se retourner, ne laissant derrière lui que froid et obscurité. Sans remords. Les arbres, même nains, n’ont pas eu le temps de grandir. Du gel dans la terre à longueur d’année. De la glace et de la neige en surface tout l’hiver.

    L’automne alors ?

    Les couleurs.

    Ah oui, les couleurs. Une explosion même. Air limpide, ciel bleu, moustiques disparus, ruisseaux rouille ou noirs, méandres au milieu des tourbières en feu. Les feuilles vertes, foncées et brillantes des myrtilles et airelles qui tapissent le pourtour des tourbières virent au rouge. Les herbes longues, qui ondulent à peine sous la brise d’automne, sont couleur paille et vont bientôt se coucher sous les premiers flocons.

    Pour s’endormir.

    Les feuillages des bouleaux, aux troncs blancs et lumineux en toutes circonstances, sont encore verts, bientôt rouges, puis se débarrassent de leur parure, se déshabillent, s’étiolent, se rabougrissent, bien conscients de ne pouvoir nourrir toute cette frondaison, se réduisent au minimum, même pas certains d’assurer leur subsistance.

    Je sais, reste le printemps, l’herbe grise qui ne parvient que difficilement à se redresser, les pieds dans l’eau, les tâches de neige qui agonisent, les

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