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Quand les morts se reveillent: Les disparus de la vallée de l'Adour
Quand les morts se reveillent: Les disparus de la vallée de l'Adour
Quand les morts se reveillent: Les disparus de la vallée de l'Adour
Livre électronique419 pages6 heures

Quand les morts se reveillent: Les disparus de la vallée de l'Adour

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À propos de ce livre électronique

La succession de querelles et d'étranges incidents aboutit à la mort d'un berger non loin de Bagnères-de-Bigorre...

L’ombre de Fernand Verdoux, poilu disparu en 1921, plane sur la vallée de Vic-le-Pont, non loin de Bagnères-de-Bigorre. Deux agents immobiliers s’affrontent, dont l’un est le maire de la commune. Une maison et sa propriétaire sont au cœur de leur rivalité. D’étranges incidents se succèdent, jusqu’à la découverte du corps d’un berger. Qui est responsable de sa mort ? La malédiction de Fernand serait-elle devenue réalité ?

Quelle est l'origine de la mort de ce berger ? Quels sont ces incidents ? Découvrez un thriller haletant en plein cœur des Pyrénées.

EXTRAIT

La route était sèche. La saleuse avait fait son travail tout l’hiver, et le macadam était gris, avec çà et là des nids de poule. Jacques Lescoère conduisait d’une main, il connaissait chaque virage, chaque lacet par cœur. Son regard balayait les bas-côtés, pour y déceler un éventuel obstacle, morceau de rocher détaché par le dégel, branche cassée par le poids des dernières neiges, abondantes tardivement, cette année-là. Arrivé à l’embranchement des Trois Cèdres, il s’arrêta, et descendit pour examiner l’état du chemin. La neige avait presque complètement disparu, mais il savait que dans les courbes situées au nord, il n’en serait pas de même. Il remonta dans son véhicule, enclencha le mode quatre roues motrices, et entama la descente à petite allure. François Galineau, lui, s’amusait à faire peur à ses passagers en descendant jusqu’à sa propriété à bonne vitesse, avec sa Subaru. Jusqu’au jour où il avait rencontré un arbre, qui avait détruit la Subaru, mais avait sauvé ses trois occupants d’une chute de plusieurs centaines de mètres, à laquelle ils n’auraient, à coup sûr, pas survécu. Quelques bosses, des plaies non profondes, des hématomes en pagaille, mais la vie sauve. Tout ça pour trouver la mort quelque deux ans plus tard, d’une façon encore plus bête, songea Jacques. L’image de son ami s’imprima quelques secondes dans son cerveau, avant d’y être remplacée par celle de son épouse, la belle Anne. Du premier jour où il l’avait rencontrée, Jacques s’était épris d’elle. Avec ses cheveux roux coupés courts, ses yeux verts en amande, sa peau constellée de taches de rousseur mais néanmoins hâlée, elle ne ressemblait à aucune des filles qu’il avait connue. Et pourtant, il en défilait, des filles, à la Mongie ! Mais Anne était différente à ses yeux. D’allure sportive, mince, élancée, pas très grande, mais lui non plus n’était pas très grand, elle n’était pas sans rappeler l’actrice de cinéma Marlène Jobert. Mais avec quelque chose de plus réservé, une moue inquiète qui intriguait, une façon de dévisager les gens qui sans être impudique, fouillait son interlocuteur. 

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’origine bretonne, Pierre Bertin a exercé différents métiers, au rang desquels ceux d’agent immobilier et d’avocat, toujours dans l’ouest de la France, au nord comme au sud. Il puise dans le terreau de son vécu les matériaux pour nourrir ses romans et leur donner corps. Le polar est un genre qui lui convient bien, pour narrer des histoires de vies simples qui dérapent, celles d’hommes et de femmes que rien ne prédisposait au vertige de l’inconnu, au cauchemar devenu réalité, aux rencontres fatales.
LangueFrançais
Date de sortie7 mars 2019
ISBN9791035304423
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    Aperçu du livre

    Quand les morts se reveillent - Pierre Bertin

    QUAND LES MORTS

    SE RÉVEILLENT

    Meurtres en vallée de l’Adour

    Collection dirigée par Thierry Lucas

    Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.

    © 2019 – – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    Pierre BERTIN

    QUAND LES MORTS

    SE RÉVEILLENT

    Meurtres en vallée de l’Adour

    Le 3 août 1918, Fernand avait décidé de faire la chasse aux « totos » dans ses vêtements. Il avait retiré sa vareuse et sa chemise kaki. Torse nu, assis sur un rondin, il épouillait consciencieusement ses frusques, pour ne plus être dévoré. Le répit accordé par les Boches durait depuis plusieurs jours déjà. Une aubaine, du temps libre pour faire la chasse aux rats en brûlant des appoints de poudre pour les faire sortir de leur terrier, et les assommer avec des gourdins ; du temps libre pour se débarrasser de la vermine qui proliférait, envahissant leurs caleçons longs, leurs chemises, tout leur barda. Un peu plus loin, en relevant la tête, Fernand aperçut le sous-lieutenant Forget, son casque sur la tête, occupé à la même tâche que lui. Eh, c’était que tous les hommes étaient égaux, face aux totos et aux rats ! Enfin, pas tous. Ceux qui se trouvaient à l’état-major, à quinze kilomètres en arrière du front, ils mangeaient chaud, ils avaient un service de blanchisserie, de bons lits avec de vrais draps, une vie presque normale, en quelque sorte. Mais Fernand ne se révoltait pas. Il croyait en l’autorité. Lui-même, aussi jeune qu’il fût, ne commandait-il pas aux ouvriers de sa ferme de Vic ? Il était en train d’enfiler sa chemise quand les tirs de 77 commencèrent. Au début, les obus éclatèrent court, et sur sa gauche, et Fernand, tout en boutonnant hâtivement sa chemise, ne perdit pas sa sérénité. Mais le déluge s’intensifia rapidement, le feu se dirigea nettement vers lui et le lieutenant, qui avait passé précipitamment sa vareuse, et lançait d’une voix forte ses premiers ordres, le doigt pointé dans la direction des lignes ennemies. Les pièces d’une première batterie de 155 court Schneider entamèrent une réponse. Fernand accéléra le rythme, enfila la manche de sa vareuse ; il vit les artilleurs, ses compagnons, sortir des boyaux en courant, certains le casque encore à la main ; il n’eut pas le temps d’enfiler la deuxième manche. Les Boches arrosaient à présent avec des 105 fusants débouchés à 15 mètres et remplis de schrapnels. Des saloperies qui fauchaient tout dans un rayon de 30 mètres. Fernand fut soulevé de terre par l’impact, avec le sentiment d’avoir la tête arrachée. Il s’effondra sur le côté, dans la boue. Les 155 tiraient à présent jusqu’à six coups par minute, au risque d’éclater. La douleur arriva aussi brusquement que l’éclat de schrapnel qui lui avait emporté une partie du visage. Une douleur si forte que l’artilleur Fernand s’évanouit.

    Il faisait nuit. Fernand ouvrit un œil, le seul qui lui restait. Il voulut hurler, tellement sa souffrance physique était insupportable, mais aucun son ne sortit de la béance qui se trouvait à la place de la bouche qui aimait tant embrasser les filles. Il porta une main tremblante à son visage, ses doigts ne rencontrèrent qu’une purée de chairs sanguinolentes. Il entendit des voix, un peu plus loin, sur sa droite. Des brancardiers, peut-être, mais peut-être aussi des Boches ! Tant pis, il fallait appeler, mieux valait la mort qu’endurer cette souffrance plus longtemps. Mais ce qui aurait dû être un cri se perdit dans un infâme gargouillis. L’effort consenti lui fit sortir un flot de sang de la gorge. Fernand s’évanouit pour la seconde fois.

    L’homme qui se dressa sur ses deux jambes, au crépuscule, avait passé plus de trente-six heures couché dans la boue, inconscient.

    Chapitre 1

    Jacques Lescoère étouffa un bâillement. Il gara son Nissan Patrol devant la mairie, à la place qui lui était réservée, même si elle n’était pas signalée par un panneau ou une inscription quelconque. À Vic le Pont, tout le monde était au courant. Une seule personne avait osé l’occuper, il y avait maintenant trois mois de cela, et cette personne était devenue son principal souci. Il claqua la portière de son véhicule, inutile de le fermer à clé, et monta rapidement les quelques marches qui conduisaient à l’entrée de la mairie.

    — Élise, tu es là ?

    Un grognement lui répondit. Il poussa la première porte sur sa droite dans le couloir. Élise Bichonnat, sa compagne, était assise devant un bureau de bois clair, des lunettes rondes perchées sur le bout de son nez. Elle leva les yeux sur Jacques, enregistra aussitôt l’air renfrogné de celui-ci – une constante, ces derniers temps – et se remit à la lecture du document posé devant elle.

    — Personne n’est venu, pour l’ouverture de la chasse ?

    Élise fit non de la tête, sans prendre la peine de relever celle-ci. Jacques Lescoère la contempla quelques instants sans aménité, un pli amer à la bouche.

    — Tu n’es pas causante, ce matin…

    — Je dois préparer le prochain conseil municipal, et le moins qu’on puisse dire, c’est que tu ne m’aides guère !

    Jacques ricana.

    — Pas le temps ! Il faut que je mette les bouchées doubles, avec l’agence.

    — Quand même, c’est toi le maire, non ?

    — Ouais, et alors ? Tous ces péquenauds voteront exactement ce que je leur demanderai de voter. Pas la peine d’y passer des plombes !

    Les deux yeux bleus d’Élise se levèrent à nouveau sur lui. Il se sentit analysé, ce qui augmenta sa mauvaise humeur.

    — Je vais faire un tour dans le village, si on me cherche…

    Il referma la porte derrière lui. Élise poussa un long soupir, son regard se perdit du côté de la fenêtre. Elle ne savait plus bien où elle en était. Avant, la vie avec Jacques n’était pas si déplaisante. Pas le grand amour, non, celui-ci était parti dans un accident de moto, il y avait quinze ans de cela. Mais une relative entente. Il paraissait sincèrement amoureux d’elle. Il l’avait aidée à se reconstruire, après la disparition de Théo, et elle lui en avait été reconnaissante. Bien sûr, l’idéal aurait consisté à quitter la vallée, après l’accident, pour oublier l’absent. Mais tous ses souvenirs heureux étaient là, à Vic le Pont, et elle n’avait pas eu le courage de s’éloigner de son village natal.

    Élise quitta sa chaise, se posta devant la grande fenêtre, d’où était visible tout le centre du petit village. Vic le Pont ! Son unique commerce, sa petite église et le pont de pierre datant du xviiie siècle qui reliait les deux berges de l’Adour. 170 âmes hors saison, un chiffre qui pouvait quadrupler en saison haute. La proximité de la Mongie, station pyrénéenne de sports d’hiver reconnue, et prisée des Espagnols, avait amené sur Vic quantité de touristes souhaitant investir dans une résidence secondaire à la fois proche des pistes, et loin de la station bruyante. Beaucoup de bordelais, retraités pour la plupart, avaient également concouru à cet essor. Ces derniers recherchaient le calme, et retapaient les bergeries laissées à l’abandon depuis quelquefois deux générations. Jacques, enfant du pays, avait monté une agence immobilière à la Mongie, qu’il avait eu l’idée de découpler avec une antenne secondaire à Vic. Il avait chargé Élise de s’en occuper, c’était au début de leur relation, après lui avoir appris les rudiments du métier. Elle avait tout de suite aimé ce travail, riche en rencontres de toutes sortes, qui l’avait sortie de son isolement. L’annexe de Vic ne coûtait pas grand-chose. Une vitrine d’un ancien commerce désaffecté sur la place principale, face à l’Adour, avec des photos de biens à vendre, et une petite pancarte indiquant de s’adresser à la mairie. C’était en effet à la mairie qu’Élise officiait. Pas très régulier, tout ça, mais le vicquois qui oserait s’en offusquer n’était pas encore né. Cependant d’autres pourraient trouver à y redire, un certain autre, du moins… Élise laissa flotter son regard au-delà du clocher de l’église, sur les pentes herbeuses qui montaient à l’assaut des Pyrénées. Une brume de chaleur s’effilochait, laissant apparaître quelques vaches à la robe ocre en train de brouter une herbe encore ployée par la récente neige de printemps. Çà et là, des plaques de cette neige immaculée ponctuaient le paysage de taches scintillantes dans le soleil montant. La jeune femme soupira. Elle venait d’avoir 40 ans, et Jacques avait oublié de lui fêter son anniversaire, pour la première fois en douze ans. Elle s’était préparée, comme les autres années, pour aller dîner à la Mongie. Robe décolletée, talons hauts, et dessous affriolants, pour l’après-dîner. Il était rentré à 22 heures, il avait bu, et sentait la bière et le tabac. En la trouvant prostrée au fond du canapé, il avait marqué une pause, avant de s’exclamer : « Bon sang, je savais bien que j’avais oublié quelque chose, aujourd’hui ! »

    Quelque chose… Même pas quelque chose d’important ! Elle s’était levée, avait gagné leur chambre, et s’était jetée sur le lit. Les larmes étaient venues ensuite. Longtemps après, quand elle avait compris qu’il ne la rejoindrait pas, qu’il la laisserait seule avec son chagrin.

    Le lendemain matin, il était parti sans l’attendre. Un petit mot griffonné à la hâte se trouvait sur la nappe de toile cirée recouvrant la table de la cuisine. « Je suis à la Mongie toute la journée. Inutile de m’attendre pour les repas. Jacques ».

    Élise soupira profondément. Une semaine avait passé. Il n’avait rien fait pour rattraper son oubli. Elle pouvait comprendre qu’il soit préoccupé depuis l’installation d’un concurrent à Vic, ç’avait été tellement inattendu ! Mais de là à la délaisser à ce point, elle pouvait difficilement l’admettre, d’autant plus qu’elle avait essayé de le rassurer : après tout, ce type n’était pas de la région, il y avait peu de chances pour qu’il réussisse face à l’enfant du pays, qui connaissait tout le monde, et que tout le monde connaissait. Il s’était contenté de la regarder avec son air des mauvais jours, sans rien répondre. Elle entendit son pas lourd dans le couloir. Il entra sans frapper, ouvrant la porte avec brusquerie.

    — Anne Galineau n’est pas venue te voir ?

    — Anne Galineau ? Non, pourquoi, elle est ici ?

    — Oui, le père Thuillier m’a dit l’avoir aperçue dans le village.

    — Dans le village ?

    Les yeux bleus d’Élise plongèrent dans l’eau trouble de ceux de Jacques Lescoère. Il détourna rapidement la tête, avec une grimace de contrariété. Elle remarqua la sueur qui perlait sur son front dégarni, et sur sa lèvre supérieure. À peine plus grand qu’elle, âgé de 45 ans, il avait pris beaucoup de poids, ces dernières années. Sa calvitie s’était accentuée, ne lui laissant plus qu’une couronne de cheveux rares d’un blond sale que n’aurait pas reniée un moine de l’ancien temps. Elle aussi avait changé, ses vêtements avaient pris deux tailles, la faute à la bonne chère, au manque d’exercice. Finies, les randonnées en montagne avec lui ; il n’avait plus le temps, plus le goût, aussi, des levers tôt, des départs à la fraîche, avant le lever du soleil, plus le goût de l’effort. La montagne ne semblait plus intéresser Jacques Lescoère que sous son aspect marchand. Il s’était lancé dans la promotion immobilière, oubliant ses discours enflammés sur la nécessité de préserver la montagne qu’il chérissait, harangues qui l’avaient séduite, à l’époque. Il redonnait du sens à ce qui n’en avait plus guère pour elle, depuis la disparition de Théo. Et maintenant ?

    — Si elle est à Vic, elle ne peut pas ne pas venir me voir, quand même !

    Il avait presque crié. Une colère où perçait le dépit.

    — Elle est peut-être allée directement à sa maison ?

    Il ouvrit la bouche, mais se retint.

    — La route est dégagée, à présent, non ?

    — Oui, oui… tu as peut-être raison. Va me chercher la clef !

    Élise se leva. Le sang s’était retiré de son visage. En passant devant lui, elle faillit s’arrêter, et laisser libre cours à l’envie de le gifler. Mais elle renonça. Plus tard, en repensant à cette scène, elle comprendrait qu’elle avait renoncé, non par peur de la commission d’un tel geste, mais parce qu’elle était en train de se détacher de lui, et que c’était inexorable. Elle alla jusqu’à l’armoire métallique, à côté de la porte, et y pêcha la clef qui donnait accès à une petite pièce au fond du couloir, dont seuls elle et Jacques avaient la disposition. Elle tourna le commutateur, une lumière blafarde éclaira les murs aveugles. L’un d’eux était occupé par des classeurs à tiroirs métalliques, un autre par un tableau de bois, où étaient suspendues toutes sortes de trousseaux de clefs, ou des clefs orphelines, de toutes formes et de tous alliages. Ils étaient rangés en suivant l’ordre alphabétique. Sa main hésita un court instant au-dessus de la lettre G, se posa sur un trousseau dont elle vérifia le porte-clefs. « Galineau », lut-elle. Elle le décrocha, glissant son index dans l’anneau principal. Le trousseau comportait une grosse clef grise de facture ancienne, et trois clefs plates modernes, dont une nickelée, les deux autres cuivrées. Elle ne bougea pas tout de suite pour ressortir de la petite pièce. Galineau, l’ami d’enfance de Jacques, mort environ trois ans plus tôt… Un type hâbleur, content de lui, qui l’avait déshabillée du regard la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, tout en maintenant sa main enfermée dans la sienne, qu’il avait moite, recouverte de nombreux poils bruns courts qui couraient jusque sur ses secondes phalanges. Elle avait lu l’inquiétude dans les yeux de Jacques. Il est vrai que son ami avait tous les atouts du tombeur qu’il prétendait être. Grand, bien découplé, très brun, des yeux noisette qu’on eût pu croire ourlés de khôl, brillant d’un singulier éclat. Un éclat dérangeant, intrusif, agressif, qui avait provoqué une réaction de rejet chez la jeune femme. Galineau avait fait fortune dans l’immobilier à Paris, où il résidait. Quand François revenait au pays, où il s’était fait construire une grande bâtisse moderne sur les terrains hérités de ses parents, Jacques n’était plus le même. Il enviait son ami, il cherchait à combler le fossé qui les séparait à ses yeux. François Galineau organisait de grandes fêtes chez lui, avec des amis parisiens, et quelques rares congénères de l’université de Tarbes, qui avaient avec lui usé leurs fonds de pantalon sur les bancs de la faculté de droit. Jacques Lescoère était de ceux-là, mais il n’avait jamais voulu y amener Élise, en dépit des invitations réitérées de François Galineau, à chaque fois qu’il la voyait. Et elle en avait su gré à Jacques. Anne Le Goff était l’épouse de Galineau. Jacques avait appris le mariage le jour de l’enterrement. La jeune femme était venue plusieurs fois en séjour à Vic, avec ou sans celui qui allait devenir son mari. Élise l’aimait bien. Elle était simple d’abord, et ne faisait pas un affichage sauvage de sa beauté, qui était naturelle. La seule fois où Élise avait failli accepter une invitation de François Galineau, c’était un été, il y avait trois ans, peut-être quatre. Anne était venue. Mais Jacques s’y était farouchement opposé, et elle n’avait pas insisté. Élise ne savait pas ce qui se passait pendant ces fêtes, qui duraient généralement le temps d’un week-end, mais vu l’état second de Jacques quand il en revenait, elle préférait ne pas poser de questions. L’alcool, mais sans doute aussi d’autres substances y jouaient un rôle majeur. Or, Jacques ne buvait pas d’ordinaire. Il mettait plusieurs jours à récupérer de ce qu’elle pensait être des beuveries entre vieux potes, rien de plus. Depuis la mort de François Galineau en revanche, il n’était pas rare que Jacques se saoule consciencieusement, et cela n’était pas pour rien dans la dégradation de leurs relations, ces dernières années.

    — Alors, qu’est-ce que tu fous ? ! Tu les trouves, ces clefs, ou merde ?

    Elle se ressaisit. À quoi bon ressasser ce passé. Elle avait suffisamment à faire avec le présent.

    — J’arrive ! Elles n’avaient pas été remises à leur place, mentit-elle.

    Il l’attendait dans le couloir. Il lui arracha presque le trousseau des mains.

    — Ne m’attends pas pour midi !

    Était-il besoin de le préciser ? Ces derniers jours, depuis son anniversaire manqué, il ne rentrait presque jamais déjeuner. Elle fit un signe qui pouvait aussi bien signifier « je m’en fiche » que « fais ce qui te plaît », ou les deux. Il tourna les talons. Quelques secondes plus tard, elle entendit le puissant 4×4 démarrer. « Bon débarras ! » lança-t-elle à voix haute, sur un ton de défi à elle-même.

    Chapitre 2

    La route était sèche. La saleuse avait fait son travail tout l’hiver, et le macadam était gris, avec çà et là des nids de poule. Jacques Lescoère conduisait d’une main, il connaissait chaque virage, chaque lacet par cœur. Son regard balayait les bas-côtés, pour y déceler un éventuel obstacle, morceau de rocher détaché par le dégel, branche cassée par le poids des dernières neiges, abondantes tardivement, cette année-là. Arrivé à l’embranchement des Trois Cèdres, il s’arrêta, et descendit pour examiner l’état du chemin. La neige avait presque complètement disparu, mais il savait que dans les courbes situées au nord, il n’en serait pas de même. Il remonta dans son véhicule, enclencha le mode quatre roues motrices, et entama la descente à petite allure. François Galineau, lui, s’amusait à faire peur à ses passagers en descendant jusqu’à sa propriété à bonne vitesse, avec sa Subaru. Jusqu’au jour où il avait rencontré un arbre, qui avait détruit la Subaru, mais avait sauvé ses trois occupants d’une chute de plusieurs centaines de mètres, à laquelle ils n’auraient, à coup sûr, pas survécu. Quelques bosses, des plaies non profondes, des hématomes en pagaille, mais la vie sauve. Tout ça pour trouver la mort quelque deux ans plus tard, d’une façon encore plus bête, songea Jacques. L’image de son ami s’imprima quelques secondes dans son cerveau, avant d’y être remplacée par celle de son épouse, la belle Anne. Du premier jour où il l’avait rencontrée, Jacques s’était épris d’elle. Avec ses cheveux roux coupés courts, ses yeux verts en amande, sa peau constellée de taches de rousseur mais néanmoins hâlée, elle ne ressemblait à aucune des filles qu’il avait connue. Et pourtant, il en défilait, des filles, à la Mongie ! Mais Anne était différente à ses yeux. D’allure sportive, mince, élancée, pas très grande, mais lui non plus n’était pas très grand, elle n’était pas sans rappeler l’actrice de cinéma Marlène Jobert. Mais avec quelque chose de plus réservé, une moue inquiète qui intriguait, une façon de dévisager les gens qui sans être impudique, fouillait son interlocuteur. Du moins était-ce ainsi qu’il la voyait, ce qu’il ressentait chaque fois qu’il s’était trouvé en face d’elle. La dernière fois, c’était à l’enterrement de François, en janvier 2014. Au cimetière Montmartre, à Paris. Il n’avait eu d’yeux que pour elle. Elle semblait absente. Pas de larmes, pas de mouchoir, ses yeux verts semblaient flotter au-dessus de ceux qui venaient lui présenter leurs condoléances, après la messe. Il l’avait abordée à la fin de la cérémonie. Avait-elle l’intention de venir prendre du repos à Vic ? La neige était abondante, et le soleil au rendez-vous. Elle n’avait rien répondu, seulement secoué négativement la tête. Il l’avait relancée un peu plus tard, au sortir du cimetière. Avait-elle l’intention de conserver la maison de François à Vic, ou au contraire de la vendre ? Auquel cas, il pourrait bien sûr s’en occuper… Anne s’était arrêtée. Les gravillons avaient crissé sous ses talons.

    — Je ne sais pas encore, c’est trop tôt.

    Elle avait semblé hésiter, avant d’ajouter :

    — Les affaires de François sont, comment dire… un peu embrouillées. J’y verrai sans doute un peu plus clair dans quelque temps.

    Elle n’avait pas donné signe de vie pendant plusieurs mois. La presse s’était fait l’écho des difficultés rencontrées par les SCPI montées par son ami. Manque de transparence, trésorerie inexistante, avantages fiscaux surévalués… la liste était longue. Un mandataire judiciaire avait été nommé. Jacques s’était décidé à appeler Anne un matin. Il avait peur qu’elle ne mette la maison de son mari à Vic en vente dans une agence parisienne. Mais non, elle l’avait rassuré. Pour l’instant, rien n’était décidé. Il lui avait demandé de le prévenir si elle en prenait la décision. Il l’avait invitée à venir sur place. Il pourrait l’héberger à La Mongie, au besoin, si elle ne souhaitait pas séjourner seule dans cette grande bâtisse. Elle avait remercié, mais pas donné suite. En janvier de l’année suivante, il s’était rendu de nouveau à Paris. À Élise, il avait prétexté une formation pour se mettre à niveau. Les notaires lui avaient fait sentir que les dossiers qu’il montait n’étaient pas exactement ce qu’ils attendaient de lui. Et sans les notaires, un agent immobilier a du mal à exister. Élise aurait voulu l’accompagner, mais il s’était emporté. Il avait besoin de prendre quelques jours, des jours bien à lui, loin du travail et du train-train quotidien. Élise avait apprécié de se trouver incluse dans le « train-train » en question. Mais elle avait cédé, il était devenu irritable depuis la mort de François Galineau.

    Jacques négocia le dernier lacet en seconde, au frein moteur. La maison apparut au fond de la clairière, à 50 mètres en aval. Il dirigea le 4×4 jusqu’à un auvent en sapin couvert d’ardoises, sorte de préau ouvert qui servait de bûcher et d’aire de stationnement pour les véhicules. Aucune voiture n’y était stationnée, et les restes de neige qui bordaient le préau ne présentaient aucune trace de pneu. Personne n’était venu récemment. Une fois le moteur calé, et le frein à main serré, il se laissa aller contre le siège, en fermant les yeux. Il avait rendu visite à Anne Galineau, à Paris. Elle l’avait assez mal reçu, lui faisant bien comprendre qu’elle était libre et maîtresse de ses décisions. Il avait essayé de la séduire, mais n’avait pu, au cours du déjeuner auquel il l’avait invitée dans une brasserie de la Place des Ternes, réussir à faire fondre la glace. Elle avait à peine touché aux plats, affichant cet air absent qu’elle avait le jour de l’enterrement de son mari. Elle s’était levée sans prévenir, sitôt son café avalé, et lui avait serré la main sans attendre qu’il se lève. Une vraie Bérésina, dont le souvenir lui mettait encore aujourd’hui le feu aux joues.

    Jacques ouvrit la portière, et descendit de sa voiture. L’odeur du bois pourri attira son regard sur la pile de bûches effondrée. Des champignons avaient fait leur lit sur de nombreuses bûches. Il remarqua aussi que deux ardoises manquaient, et qu’un des piliers prenait gîte. Sans entretien, une maison comme celle-là et ses dépendances se dégradaient vite. À son retour de Paris, il avait écrit à Anne une lettre lui précisant qu’il souhaitait acquérir la propriété de François Galineau pour en faire sa résidence principale, en insistant sur l’aspect souvenirs qu’elle représentait pour lui. Anne n’avait pas daigné répondre. Il avait pris sur lui de contacter toutes les agences et réseaux parisiens susceptibles de se voir approchés pour une vente d’un bien de cet ordre. Il ne se faisait guère d’illusions sur la réussite d’une telle démarche, mais il l’avait malgré tout tentée. Et il faisait une veille régulière sur internet, pour vérifier que la bâtisse aux six chambres et trois salles de bain n’était pas proposée à la vente. Tous les notaires du coin, de Tarbes à Bagnères de Bigorre, avaient été prévenus de l’intérêt qu’il portait à cette maison. Rien, pas une seule alerte, jusqu’à aujourd’hui, lundi 20 mars, avec l’affirmation du vieux Thuillier qu’il avait vu Anne au village…

    Jacques Lescoère sortit de sous l’auvent, et prit le chemin pavé de dalles d’ardoise qui menait à l’entrée principale de la maison. Elle avait belle allure, avec son toit de chaume épais, et ses murs blanchis à la chaux, même si par endroits, des coulures noirâtres salissaient les encadrements de fenêtre. Il s’arrêta au milieu de l’allée. Une boule d’anxiété grossissait dans son ventre. Il avait toujours la même appréhension à revenir sur ces lieux. D’ailleurs, ses visites à la résidence secondaire de François Galineau s’étaient espacées de plus en plus, depuis sa mort. Il se frotta les yeux, comme pour chasser les images qui le sollicitaient. Reprenant sa marche, il sortit le trousseau de clefs de sa poche, et isola entre pouce et index la grosse clé grise. Le pêne joua en grinçant. Il introduisit ensuite la clé plate nickelée dans la serrure de sécurité placée au tiers haut de la porte en chêne massif. La porte céda à la première poussée. En frissonnant, Jacques mit le pied à l’intérieur, et ouvrit le placard en bois qui se trouvait presque face à l’entrée. Il contenait le différentiel, dont il actionna l’interrupteur. L’électricité n’avait pas été coupée, non plus que le téléphone, après la mort de François. La lumière jaillit, éclairant l’entrée, les trois marches qui descendaient jusqu’à la salle principale, au fond de laquelle trônait l’immense cheminée en pierre, érigée avec les morceaux de granit pillés sur les bergeries en ruine des alentours. Jacques resta quelques secondes à contempler la salle, dont aucun meuble n’avait bougé depuis sa dernière visite. La pièce sentait le renfermé, avec des relents de moisi. Il alla ouvrir fenêtres et porte-fenêtre l’une après l’autre, en rabattant les lourds vantaux de bois. Puis il revint au centre de la pièce, et s’assit dans un des fauteuils près de la cheminée, face à la porte d’entrée. Si Thuillier avait dit vrai, Anne Le Goff Galineau ne devrait pas tarder à arriver.

    Chapitre 3

    Il s’était assoupi. Le bruit d’un moteur le réveilla. En un bond, il fut sur ses deux jambes, l’oreille aux aguets. Le bruit cessa. Il entendit une portière claquer. Bon, cela signifiait qu’elle ne rebroussait pas chemin. Il passa la main sur son pantalon, pour le défroisser, et se dirigea vers la porte d’entrée. Celle-ci s’ouvrit, avant qu’il ait eu le temps de l’atteindre. Anne, car c’était bien elle, s’arrêta sur le seuil. Ses yeux verts le fixèrent avec dureté.

    — Qu’est-ce que tu fais ici ?

    — Je t’attendais. Un berger, le vieux Gaston Thuillier, t’as vue dans le village, alors, je me suis dit que tu monterais sûrement jusqu’aux Trois Cèdres.

    Il avait parlé vite, intimidé par les yeux verts qui ne lâchaient pas prise.

    — Tu as encore des clefs ?

    — Oui, bien sûr, le trousseau que François m’avait confié. Bien utile pour venir de temps en temps voir si tout est OK.

    Anne Galineau avança de deux pas. Du haut des marches, elle le dominait.

    — Il faudra me le rendre, ça m’évitera de faire des doubles.

    — Des doubles ? Pourquoi, tu veux t’installer à Vic ?

    La question la fit rire brièvement.

    — Oh non, alors, pas question ! Je n’ai aucune envie de m’enterrer ici !

    Jacques eut un haut le corps.

    — Non, reprit la jeune femme, un sourire ambigu aux lèvres, je suis venue pour mettre la maison en vente.

    — Bon, mais alors, pas besoin de doubles, je t’ai dit que j’étais intéressé, mon offre tient toujours.

    — Si tu veux l’acheter, je n’y vois aucun inconvénient, mais il faudra que tu passes par l’agence Gensac, je la lui ai confiée.

    — Hein ! Tu, tu as donné un mandat à Gensac ?

    — Pas encore, mais je suis passée le voir pas plus tard que ce matin. D’ailleurs, tu ferais mieux de partir, il ne devrait pas tarder, je lui ai donné rendez-vous ici.

    — Mais, mais, pourquoi ? Puisque je t’ai dit que je me portais acquéreur !

    Anne Galineau descendit la première marche, s’arrêta.

    — Parce que je veux que la vente se fasse au juste prix, voilà pourquoi !

    — Mais ce type n’y connaît rien, il n’est pas du coin, il va te dire qu’elle vaut une fortune pour avoir l’exclusivité, et après il te demandera de baisser le prix pour trouver un acquéreur !

    Le regard d’Anne flotta au-dessus de lui. Son sourire narquois s’accentua.

    — Parce que toi, tu l’achèterais au juste prix ? Quel prix ? Dis-moi, quel prix proposes-tu ?

    Jacques Lescoère plissa les yeux, ses traits se durcirent.

    — Pas question, pour que tu le dises à mon concurrent, et qu’il te fasse une surenchère !... On peut demander à un expert immobilier de Tarbes, si tu veux, un expert indépendant…

    — Non, Jacques, tu connais tous les experts du coin, tous les notaires… Non, je n’ai pas confiance, désolée de te le dire comme ça, mais c’est la vérité. Quand j’ai pris la décision de vendre, j’ai surfé sur internet, pour essayer de me faire une idée sur les prix. C’est comme ça que j’ai découvert qu’il y avait une nouvelle agence immobilière qui avait ouvert à Vic le Pont. Ça m’a étonné que tu ais laissé faire ça, mais j’ai décidé de la contacter. Figure-toi que François était au bord de la faillite. Le passif successoral était important. L’appartement parisien a été vendu pour régler une partie de ses dettes. Il ne me reste plus guère que cette bâtisse. Or, pour ton information, sache que j’avais injecté toutes mes économies dans les affaires de François… Cette maison est désormais mon seul bien, et il est hors de question pour moi de la brader !

    — Elle a été évaluée, pour la succession, je peux te l’acheter à cette valeur…

    — Tu plaisantes ! Tu sais mieux que moi que majoritairement les immeubles sont sous-évalués pour liquider les droits !

    — Mais tu es exonérée de droits, en tant qu’épouse. Vous étiez mariés, que je sache !

    L’objection sembla glisser sur la jeune femme.

    — L’évaluation a été faite par un notaire parisien. Elle a été faite avec prudence, comme il me l’a expliqué. On ne savait pas encore à combien s’évaluerait le passif. Une évaluation basse pouvait permettre d’éviter une vente forcée !

    Jacques était sur le point de répondre, mais un nouveau bruit de moteur le stoppa net.

    — Bon ! Je m’en vais, je n’ai pas envie de me retrouver nez à nez avec Gensac ! Tu commets une grave erreur. Réfléchis bien ! Je suis toujours acquéreur !

    — Eh bien ! tu pourras passer par lui, si tu veux encore acheter quand il aura fixé le prix !

    L’ironie était patente. Le maire de Vic eut l’impression de recevoir une gifle. L’air buté, il remonta les marches, passant devant Anne qui s’effaça devant lui en souriant.

    — Tu peux me joindre quand tu veux, lança-t-il sur un ton où colère et dépit se mêlaient. Il faillit buter sur Frédéric Gensac qui s’apprêtait à entrer, voyant la porte ouverte.

    — Vous ne l’emporterez pas au paradis ! vociféra Jacques Lescoère en le foudroyant du regard. Gensac haussa les épaules, il préférait ne pas envenimer les choses.

    Jacques rejoignit son 4×4 à grandes enjambées. Il ne décolérait pas. À ce sentiment de colère s’ajoutait la détresse d’avoir été reçu et congédié comme un malpropre. Et ce salopard de Gensac qui profitait de l’aubaine ! S’il ne s’était pas installé à son

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