Le bois de la discorde

Il faut dire que chaque mercredi ramenait au magasin son lot de campagnards débarqués du car hebdomadaire en provenance de Remancerey et de ses environs, car ce jour-là, il desservait le moindre hameau ou village sur sa route. Ses passagers étaient reconnaissables entre tous dans les rues de la petite ville, avec leur démarche un peu lourde, leur parler haut à l’accent prononcé, émaillé de patois, leurs cabas en tissu et leur mise caractéristique.

– Vous me mettrez aussi deux liquettes et une casquette ! dit Jeanjean qui paradait dans les rayons. Après, j’irai voir les chaussures et les chapeaux !

Jeanine suivait. Elle choisit le chapeau.

– Madame a du goût, susurra la vendeuse.

– Plus de goût que de sous ! répliqua Jeanine dans un rire gras.

Elle ne reconnaissait plus son mari, qui furetait à droite à gauche, lui qu’il fallait d’habitude traîner dans ce genre d’endroits, où il bougonnait toujours, pressé d’en finir.

– Maman, faudra bientôt me tricoter de nouvelles chaussettes ! dit-il à Jeanine, rouge de honte, en enlevant ses gros godillots qui découvraient en effet ses chaussettes trouées à maints endroits.

Ce fut enfin fini. Et tandis que Jeanjean regardait, satisfait, ses emplettes s’accumuler sur le comptoir, la vendeuse demanda à Jeanine, avec son inamovible sourire, si « madame n’avait besoin de rien ». Jeanine secoua négativement la tête : on avait suffisamment grevé le mince budget familial pour aujourd’hui.

Sur le chemin du retour, Jeanjean eut d’ailleurs à subir les reproches de son épouse au sujet de ces dépenses qu’elle jugeait tout de même un peu excessives.

– Je ne vais quand même pas aller voir les électeurs fringué comme l’as de pique, répondit-il avec hauteur.

Monmon était resté à regret à la maison, chargé d’y entretenir les feux. Il les avait d’ailleurs laissé crever, occupé qu’il était à fourrager dans ce qu’il appelait « le pourrissoir », les déchets organiques qu’on entassait afin d’en faire au printemps de l’engrais pour le