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Paleysin
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Livre électronique239 pages3 heures

Paleysin

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À propos de ce livre électronique

Septembre 1939. Dans la cour de la ferme Gabier, Colette fait ses adieux à son fiancé qui part à la guerre. Depuis sa fenêtre, sa tante Joséphine observe cette séparation avec émotion. En août 1914, c'est elle qui embrassait son jeune époux dans les mêmes circonstances. Mais son homme est tombé au combat, et depuis ce grand choc, Joséphine vit recluse.
Désormais à Paleysin, tout porte à croire que les deux femmes sont unies par une destinée commune. Mais le malheur s'abattra-t-il sur Colette ?
Paleysin est le roman de ces amours contrariées, de jeunesses perdues et de toute une campagne qui cicatrise ses plaies.
Dans le cadre de son métier d'écrivaine publique biographe, Franceline Burgel revient fréquemment sur les conflits du XXe siècle. C'est au coeur du monde rural qu'elle connaît bien, et pendant la Seconde Guerre qu'elle plante le décor de son premier roman.

Premier prix au salon du livre 2020 de Bugeat.
LangueFrançais
Date de sortie11 déc. 2019
ISBN9782322243884
Paleysin
Auteur

Franceline Burgel

Originaire de la région lyonnaise, Franceline Bürgel vit aujourd'hui dans l'Ain. Sensible aux lieux, aux parcours de vie, elle s'intéresse à la petite comme à la grande Histoire. Les écrivains comme Pagnol, Giono, Merle, Clavel... qui ont dépeint des territoires et leurs habitants sont ses auteurs favoris. Son goût pour les histoires de vie l'a menée à devenir biographe, puis romancière. Son premier roman Paleysin (2019, BoD) a recueilli des critiques enthousiastes et a reçu le premier prix du Salon du livre de Bugeat, en 2020. Avec L'Ombre de Mathilde, Franceline Bugel affirme son goût pour une littérature ancrée dans le réel, avec un regard sensible sur des personnages attachants. Plus de renseignements : www.francelineburgelauteur.com

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    Aperçu du livre

    Paleysin - Franceline Burgel

    Sommaire

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre I

    Lundi 11 septembre 1939

    Victorine Blanchet regarda son fils se diriger d’un pas résolu vers la voiture d’Édouard Rostaing.

    La veille, on lui avait dit que le maire du village se proposait de conduire les nouveaux mobilisés à la gare. Elle lui en était d’une extrême reconnaissance, même si elle savait que ce service ne représentait pas vraiment une contrainte pour lui, mais juste une manière de prolonger une tradition familiale : celle d’un père, qui avait été maire avant lui, celle d’une mère qui consacrait sa vie aux bonnes œuvres.

    En le regardant manœuvrer, Victorine sentit ses jambes se dérober, des larmes envahir ses joues. Elle renifla un grand coup et s’essuya le visage dans son tablier. Jean partait à la guerre, et monsieur Rostaing ne s’était pas apitoyé sur leur séparation. Elle se dit que c’était peut-être mieux ainsi.

    À Paleysin, Colette guettait le bruit de la traction tout en redoutant son arrivée. La jeune femme s’était postée dans la cour depuis quelques minutes déjà, parce qu’elle savait que Jean passerait lui faire ses adieux vers 8 heures.

    En ces heures si particulières, il n’avait pas été question pour elle de se rendre à l’usine. D’ailleurs, monsieur Berthet ne s’était pas opposé à la demande de congé de sa tisseuse. Que représentait donc une journée de travail lorsqu’on s’apprête à affronter une guerre ?

    Colette entendit la porte de la basse-cour grincer sur ses gonds. Elle savait qu’André venait jeter le grain aux poules. Caquètements et battements d’ailes s’intensifièrent, puis les gloussements familiers se réinstallèrent. Le portillon se referma, le loquet glissa dans la gâche. Colette sentit André s’immobiliser pour l’observer. Elle avait enfilé sa robe du dimanche, et les coudes calés sur un muret, guettait l’arrivée de la voiture.

    Les vibrations d’un moteur frissonnèrent au loin. Colette tressaillit et se redressa. L’auto venait du plateau, atteignait Montquin et bifurquait à gauche. Dans dix secondes, elle entrerait dans la cour.

    Jean s’extirpa du véhicule au premier coup de frein. En deux enjambées, il retrouva les bras amoureux. Deux secondes d’étreinte, un baiser. Les fiancés se dévisagèrent avec passion. Jean caressa les cheveux de sa future femme, amorça un pas de recul. Elle n’opposa aucune résistance. Ses mains lâchèrent celles de Jean. Lui comme elle savait bien que monsieur Rostaing ne pouvait pas attendre plus longtemps, parce que le train arriverait bientôt en gare.

    Dans l’auto, deux autres mobilisés n’avaient pas fait grand cas de ces adieux touchants. Leur regard absent trahissait l’inquiétude d’hommes s’apprêtant à affronter un inconnu terrifiant. Jean regagna sa place à leur côté, la voiture fit demi-tour et disparut.

    Le bruit du moteur palpita quelques secondes avant de s’étouffer dans le lointain. Un silence pesant s’installa dans la cour. Colette s’y attarda, suspendue à ce dernier instant. Le souffle court et les yeux clos, elle retint la fragile image du visage de Jean tel qu’il venait de lui apparaître. Bientôt, la lueur qui éclairait ses traits disparut tout à fait.

    Colette inspira profondément, laissant naître en elle une immense colère, qu’elle expira dans un cri de rage. Ses genoux fléchirent sous la violence de l’émotion. La tête entre ses poings, elle s’écroula, front à terre. Une plainte sonore, presque animale, déchira l’air, suivie d’un sanglot épais, remontant comme une vague. Jamais Colette n’avait vécu un tel chaos intérieur. Une force inconnue lacérait ses entrailles, tétanisait ses muscles. Un spasme la secoua, lui gonflant le dos, un autre souleva son buste, faisant chavirer ses yeux vers le ciel.

    Alertée par les cris, Louise accourut. Elle saisit sa fille par les épaules, la contraignant à se redresser. « Allez, viens… » Colette s’agrippa aux bras solides de sa mère et se laissa guider jusqu’à la maison.

    Dans la cuisine, Louise se mit à observer sa fille en silence : cheveux défaits, yeux rougis, le regard perdu… L’aurait-elle sortie de l’enfer ?

    Elle laissa filer les minutes, cherchant dans sa sagesse maternelle quelques mots de réconfort. Elle n’en tira que la plus banale des remarques : « Colette, Jean est parti, il reviendra. La guerre ne peut pas durer toujours ! »

    C’était dit. Louise n’avait ni le temps ni la force de s’appesantir sur le malheur. Le malheur, elle l’avait elle-même côtoyé, et sa philosophie à présent était de ne pas s’épancher, de faire silence sur les choses qui blessent pour préserver sa famille.

    Sur ces pensées nourries de bon sens, Louise s’était déjà levée pour aller chercher un verre et la gnôle, celle que les hommes mélangent à la dernière goutte de café. « Tiens, bois, ordonna-t-elle, ça te donnera le courage d’accepter. Nous, les femmes, on n’a pas le choix. Les souffrances de cœur peuvent être terribles. On en sait quelque chose, dans le pays. » D’un geste vif, elle referma la bouteille. Il n’y avait rien à ajouter.

    Colette connaissait la chanson. On lui avait souvent parlé des filles qui avaient vu partir leur fiancé au cours de la dernière guerre et de toutes ces veuves anéanties par le chagrin, à commencer par sa tante Joséphine, habitant la maison voisine. Celle-ci s’était retirée du monde, jusqu’à se faire oublier des siens.

    À vingt ans, la jeune femme refusait de prendre le même chemin. Pour l’heure, elle avait juste besoin d’air et de solitude. Elle s’échappa de chez elle sans avoir touché à la gnôle salvatrice, abandonnant là sa mère, impuissante. « Ça lui passera », se dit cette dernière, résolue à ne pas se laisser tourmenter davantage.

    Colette enfourcha sa bicyclette et emprunta le chemin des Roches en direction des vignes. Elle s’était éloignée de Paleysin et de ses habitants, de la vie qui remuait les tripes, de toutes les jacasseries des anciens qui commenteraient ses faiblesses de cœur.

    Elle mit toute son énergie dans cette fuite éperdue, appuyant comme une forcenée sur les pédales, filant droit, ignorant tout sur son passage. Où partait Jean ? Qu’allait-il devenir ? Dès la première vigne, elle jeta son vélo comme on claque une porte et se laissa tomber à terre.

    Les vagues d’émotion cognaient dans sa poitrine. Quel besoin avait-elle eu de s’apprêter comme une demoiselle, d’enfiler sa belle robe, et de se parfumer ? Jean l’aura-t-il seulement remarqué ? Trente secondes méritaient-elles ces attentions particulières ? Parti, il était parti, sorti de son monde, désormais trop loin pour espérer entendre sa voix, le toucher. Il lui semblait déjà l’avoir oublié en partie, que son absence ne tarderait pas à effacer ses traits… Ses yeux se fermèrent une fois de plus sur ce fragile visage qu’elle réussit à se représenter. Ses mains s’agitèrent, se mirent à triturer la terre, à l’empoigner au mépris de toutes salissures. Se raccrocher à ce sol vivant et solide s’avérait l’unique moyen d’affronter le néant qui s’ouvrait devant elle.

    Ce départ l’avait terrassée. Mais elle savait qu’elle devrait se relever sans tarder, parce que l’existence à la campagne ne supporte pas la faiblesse, et qu’il n’est pas d’usage de se lamenter sur son sort.

    Dans la cour de la ferme, Louise avait déjà repris le fil de ses occupations, touillant avec un long manche le linge bouillant dans une eau savonneuse.

    Elle devinait André, tout près, tapi derrière la porte entrouverte de la grange. Une fois de plus, son handicap l’empêchait de calmer une agitation intérieure trop vive, et il attendait un mot de réconfort.

    Lorsqu’elle s’était mariée avec Baptiste Gabier, Louise n’avait pas eu le choix, et avait dû tout assumer : l’exploitation agricole, la vieillesse de ses parents, et son beau-frère André, rentré de la guerre, traumatisé par l’horreur des tranchées.

    Elle avait accepté d’endosser ce fardeau sans même mesurer le courage et l’abnégation que cela exigerait. Aujourd’hui, malgré ses quarante-cinq ans, André était toujours collé aux basques de Louise, comme un boulet au bout d’une chaîne.

    « Sors de ton trou, lui lança-t-elle en extirpant une chemise de son jus savonneux. C’est fini à présent. » Elle savait qu’il faudrait quelques bonnes minutes à André pour comprendre le sens de ces paroles. Maintenant, celui-ci trépignait, malaxant son béret, hésitant à mettre le nez dehors.

    Louise avait déjà chargé sa brouette du linge ruisselant et amorçait le trajet vers le bassin. André sortit de sa tanière en traînant des pieds. Elle sentit qu’il l’avait suivie.

    « Elle est triste, Colette ? demanda-t-il enfin.

    − Oui, Dédé.

    − Pourquoi elle pleure ?

    − Parce que Jean est parti à la guerre. »

    Ils se mirent au travail sans parler davantage, laissant place aux gestes familiers. Le miroir de l’eau s’agita une heure durant, poussant ses ondes savonneuses que zébrait le ciel bleu. Tandis qu’André semblait rasséréné par l’activité physique qu’on lui imposait, Louise ne cessait de penser au départ de Jean et au malaise qui s’ensuivit.

    Voilà qu’on entrait dans une guerre, et que les pleurs de sa fille n’arrangeaient rien. Certes, elle n’était pas chanceuse, à devoir se séparer de celui qu’elle devait épouser. Mais de là à s’en rendre malade… La mère de famille se disait qu’elle n’était pas au bout de ses peines avec ses trois fils plus jeunes. Eux aussi risquaient de partir à la guerre un jour.

    Elle soupira profondément. Ses yeux croisant ceux de l’infirme, elle décida de lui sourire. Avec le temps, elle avait appris à étouffer ses états d’âme pour le préserver.

    Peu avant midi, Baptiste rentra des terres avec le pas lourd du travailleur fourbu. Il venait de mettre au grand jour une plantation de pommes de terre, et s’inquiéta de l’absence de sa fille. L’après-midi même, il lui faudrait réunir toutes les forces de la famille pour engranger la récolte.

    « Elle est allée prendre l’air après le départ de Jean, expliqua sa femme.

    − Ah… Ça y est ?

    − Oui. Monsieur Rostaing les a descendus au train de 9 heures.

    − Bon, ben, ramasser les patates lui changera les idées.

    − Tu parles d’une distraction !

    − Ça ou autre chose !… Et puis, c’était prévu comme ça, vu qu’elle a pu obtenir sa journée.

    − Elle est restée pour dire au revoir à Jean, pas pour aller aux patates ! »

    Louise retourna à ses fourneaux en maugréant. Les hommes ne s’embarrassaient pas des tourments de la vie. Le sien n’était pourtant pas de ces rustres rigides qu’on trouvait dans le pays.

    « Eh bien, pourquoi tu me regardes comme ça, toi ? lança Baptiste à l’adresse d’André.

    − Faut pas crier. Colette, elle est triste.

    − J’ai pas dit le contraire, mon vieux, mais il y a du boulot !... Tiens ! voilà le facteur. »

    Lili approchait à grands pas, les mains tombantes sur sa sacoche en bandoulière. Les deux hommes discutèrent du temps et des travaux, s’attardant à des banalités comme pour mieux éviter d’aborder les nouvelles plus graves.

    Baptiste l’invita à entrer boire un verre. Dans la pièce principale, Louise s’activait, passant du fourneau à l’évier.

    Trois départs le matin même, le pays se vidait de bras, c’en était désolant. Les plus âgés s’apprêtaient à revivre une sale histoire et s’inquiétaient déjà des efforts à fournir.

    « Toujours les Boches ! lança Louise en s’essuyant les mains sur son tablier. La Grande ne leur a donc pas suffi ? Ceux qui nous gouvernent n’ont pas la tête sur les épaules !

    − Moi, ce que j’en dis… Je ne connais pas grand-chose à la politique. Tout ce que je sais, c’est que ça fera encore du malheur.

    − Toujours est-il que Colette est mal en point. Ça la travaille. Faudra veiller à ce qu’elle ne fasse pas comme ma sœur ! », s’inquiéta Louise en croisant le regard de Baptiste.

    Sa pauvre sœur Joséphine était devenue l’ombre d’elle-même après la mort de son mari, Charles Anthelmes. Louise l’avait vue s’éteindre, et rien n’avait pu ranimer sa flamme. La jeune veuve s’était fermée chez elle et n’ouvrait plus sa porte qu’au facteur, ainsi qu’aux domestiques de ses beaux-parents qui lui portaient régulièrement des vivres.

    Cette discussion laissa le couple pensif. Lili avait pris congé, ils l’observèrent entrant chez leur voisine. Louise rappela à son mari que Lili n’était qu’un gamin lorsqu’il avait pris cette fonction en 1914, et qu’il ne l’avait pas lâchée depuis.

    L’homme à la sacoche se souvenait des premiers courriers qu’il avait portés à la jeune Joséphine Anthelmes. Charles Anthelmes, son époux, lui écrivait tous les jours, de longues lettres, celles qui rendent l’enveloppe plus lourde.

    Un jour, il n’eut plus rien à livrer. Joséphine l’avait attendu sur le perron, comme à son habitude, dans son attitude de tous les jours, la main sur la poignée ronde de sa porte. Ce matin-là, depuis le portillon de la cour, Lili bredouilla quelques mots : « Rien, il n’y a rien aujourd’hui… » Joséphine était rentrée sans rien dire. Le jeune facteur avait tout de suite senti le malheur peser sur elle. Finalement, plus rien n’était arrivé du front, excepté la missive qui avait informé le maire du décès de Charles, le 3 octobre 1915 à Aubérive, dans la Marne.

    Combien d’autres maisons avaient-elles attendu fiévreusement son passage ? Plusieurs par hameau. Du haut de ses treize ans, Lili avait l’impression de faire la pluie et le beau temps, de détenir un pouvoir extraordinaire sur ces adultes un peu déboussolés.

    Des mains nerveuses lui arrachaient l’enveloppe à peine sortie du sac. Certains s’isolaient pour l’ouvrir, sans penser à le remercier. Le facteur reprenait la route aussitôt.

    Au fil des mois qui avaient suivi la mort de Charles Anthelmes, certains voulurent croire que le jeune facteur était tombé amoureux de Joséphine. Mais, en 1915, il n’était qu’un gamin, fils de paysan, si éloigné du monde de celui qu’elle avait épousé.

    C’est l’arrivée des garçons qui sortit le couple de ses réflexions. La faim au ventre, Claude, Henri et Jean-Michel avaient surgi en fanfare dans la cuisine.

    Ils rentraient à l’instant de chez Guste, un bon ami de Baptiste chez qui un poulain était né le matin même. « Guste s’inquiète, car la mère est couchée et ne bouge plus, précisa Claude. Elle est où, Coco ? »

    Les parents ne répondirent pas à la question. Soucieux des difficultés quotidiennes qu’endurait Guste, ils échangèrent un regard préoccupé.

    Gustave Flachet était le véritable nom de celui que tout le monde appelait Guste. On le reconnaissait parce qu’il avait perdu une jambe en 1915 et qu’on la lui avait remplacée par une prothèse qui le faisait boiter. Au moment de l’assaut sur la ligne de front, Édouard Rostaing était lieutenant dans la compagnie de Guste et poussait les hommes au feu. Un devoir abominable pour le futur maire, plus éduqué à la compassion qu’à la guerre. Néanmoins, ces circonstances furent l’occasion pour lui d’un sauvetage héroïque, puisqu’il tira du champ de bataille le soldat Flachet, laissé pour mort à proximité d’un trou d’obus. « Plutôt mourir que de rentrer seul au pays », s’était-il répété comme une litanie en rampant jusqu’à Guste.

    Il y a tout juste trois mois, on avait trouvé Paul, le fils de Guste, inanimé sur un talus. C’était un copain des enfants, un gosse vif comme le diable.

    Toujours prêt à rendre service, Édouard Rostaing, encore lui, l’avait descendu à l’hôpital avec sa voiture, mais on n’avait rien pu faire.

    Baptiste avait bien vu que Paul avait déjà rejoint les anges lorsqu’on l’avait emmené. Au village, on n’avait pas compris cette mort. Chacun y était allé de son hypothèse. Le jour des obsèques, des messes basses couraient dans le dos de Gustave qui gémissait de douleur.

    Aujourd’hui, une jument malade signifiait un fardeau supplémentaire pour la famille du pauvre homme…

    Colette parut sur le seuil, sans bruit, comme une ombre. « Tiens, te voilà, toi ! s’exclama Baptiste. T’as senti l’odeur de la soupe ? »

    Sa fille disparut dans sa chambre sans dire un mot. Il poursuivit plus fort à son adresse : « Cet après-midi, pas d’entourloupe ! On a besoin de toi pour les patates ! »

    Bâti sur un squelette robuste, Baptiste était une force de la nature. Il avait grandi dans une ferme, comme sa femme, au rythme des travaux, enchaînant depuis la plus tendre enfance, les tâches quotidiennes, comme nourrir les poules et les cochons, ramasser les œufs et garder les vaches. Lui et son frère André avaient grandi heureux, toujours sur les talons de leur père.

    Mais ce père tant aimé mourut des suites d’un accident en 1916. Leur mère ne s’en releva pas, pas plus qu’elle ne supporta l’angoisse de savoir ses fils dans l’horreur des tranchées. Elle ne tarda pas à rejoindre son mari au cimetière.

    Aujourd’hui, Louise admirait Baptiste, parce qu’au-delà de sa puissance physique, les événements qu’il avait traversés l’avaient transformé en un mari attentif, intelligent et serviable, et qu’elle pouvait s’appuyer sur lui.

    Colette était née en premier. Ça avait été une déception pour le jeune père, qui attendait un garçon pour le seconder au plus vite. Après sa fille, ça avait été la traversée du désert. Claude n’était arrivé que sept ans après sa sœur, une éternité !

    Louise s’était souvent dit qu’elle n’était pas un mauvais parti pour lui. Car elle s’attaquait aux tâches sans se plaindre ni faiblir. Elle savait que Baptiste l’admirait, elle, son bout de femme, garçon manqué sur les bords. Trois grossesses en six ans… elle s’était bien rattrapée après l’aînée. Mais,

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