Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Conspiration: Saga fantastique jeunesse
Conspiration: Saga fantastique jeunesse
Conspiration: Saga fantastique jeunesse
Livre électronique292 pages4 heures

Conspiration: Saga fantastique jeunesse

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Trois frères et soeurs face au mystère de la mort de leurs parents.

Alors que leurs parents sont morts dans des circonstances troublantes, Jeanne, Antoine et Théo décident d’élucider ce mystère. Mais leur héritage va les mener bien plus loin qu’ils ne le pensaient, au cœur d’un combat millénaire… Armés d’une pierre aux pouvoirs inconnus, ils trouveront sur leur route des alliés inattendus, réunis au sein de la Fraternité, pour lutter contre une force maléfique plus puissante que jamais.

Découvrez le premier tome d'une saga fantastique et suivez Jeanne, Antoine et Théo dans des investigations qui vont les mener au coeur d'un combat millénaire, contre une force maléfique plus puissante que jamais.

EXTRAIT

— Waouh ! lança Aurélien, admiratif, tandis que Gaétan sifflait entre ses dents.
— Pourquoi ? demanda Jeanne, étonnée de ces réactions.
— Mais tu ne te rends pas compte ! lança Clémence, d’une voix plus aiguë qu’à l’ordinaire. Thierry est le numéro deux de la Fraternité ! D’habitude, il ne se déplace jamais pour une cérémonie de ce genre !
— Il doit vraiment attacher beaucoup d’importance à vous. » souffla Camille, un air de convoitise non dissimulée sur son visage.
Jeanne, Antoine et Théo étaient abasourdis. Thierry, le numéro deux de la Fraternité ! Et dire qu’ils l’avaient côtoyé pendant plusieurs heures sans le savoir !
« Et… qui est le chef de la Fraternité ? Le numéro un ? » demanda Jeanne.
Elle crut voir le visage de Marthe se crisper ; mais sans doute était-ce une illusion, car Gaétan répondit aussitôt : « Elle s’appelle Albane, mais on ne connaît rien d’autre de sa véritable identité. Elle se cache en permanence, parce qu’elle est recherchée par la Secte qui voudrait la supprimer pour déstabiliser la Fraternité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1980, Marie Geffray a suivi des études de lettres: elle a rédigé une thèse de doctorat sur les écrits et les discours d'André Malraux et Charles de Gaulle. Agrégée de lettres modernes, elle cherche à transmettre auprès des plus jeunes sa passion pour la littérature. C'est aussi cette volonté de faire aimer les livres qui la pousse à écrire pour les adolescents.
LangueFrançais
ÉditeurJasmin
Date de sortie6 juil. 2018
ISBN9782352845416
Conspiration: Saga fantastique jeunesse

En savoir plus sur Marie Geffray

Lié à Conspiration

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

Action et aventure pour jeunes adultes pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Conspiration

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Conspiration - Marie Geffray

    Illustration de couverture : Silvimoro

    Tous droits de reproduction, de traduction

    et d’adaptation réservés pour tous pays.

    © Éditions du Jasmin, 2011

    www.editions-du-jasmin.com

    ISBN : 978-2-35284-541-6

    Avec le soutien du

    Pour Armance

    M. G.

    1

    Condoléances et doléances

    Jeanne agrippa les mains de Théo et d’Antoine. Elle tentait de résister au vertige qui l’envahissait devant ce trou béant. Surtout, elle ne devait pas tomber, mais continuer à se tenir droite, malgré la douleur, malgré l’angoisse… Des centaines de regards étaient dardés sur son dos, elle les sentait comme autant de poignards.

    Elle frissonna. Les fossoyeurs faisaient glisser les cordes, les deux cercueils descendaient ensemble, ils reposaient maintenant tout au fond, à même la glaise humide. Cette terre, si froide… Un sanglot monta en elle, qu’elle réprima à grand’peine. Elle sentit la main d’Antoine frémir entre ses doigts, et elle devina qu’il risquait lui aussi d’être submergé par le chagrin. Mais ils devaient résister, ils ne pouvaient se permettre de faillir, pas maintenant… Plus jamais. Jeanne serra la main d’Antoine, et aussi celle de Théo. Elle s’assurait de leur présence, elle était heureuse qu’ils soient ensemble, tous les trois, unis malgré tout.

    Elle savait ce qu’il fallait faire maintenant. Elle se baissa et ramassa une poignée de terre humide, qu’elle jeta dans la tombe. Lentement, Théo dégagea sa main et se pencha à son tour. La terre fit un petit bruit en tombant sur le bois des cercueils posés l’un contre l’autre, comme de la pluie. Antoine envoya une troisième motte en poussant un gémissement. Les fossoyeurs s’approchèrent et, à larges pelletées, ils ensevelirent peu à peu les cercueils que bientôt on ne vit plus.

    Il ne restait que la dalle de pierre, posée à côté de la fosse. Le marbre portait, en caractères dorés, les deux noms avec leurs dates : « Pascal Maurin, 1964-2007 ; Édith Maurin née Souran, 1965-2007 ». Pour la première fois, Jeanne remarqua qu’un symbole avait été gravé en dessous de cette inscription : un triangle enfermé à l’intérieur d’un cercle, étrangement barré. Un instant, elle se demanda ce qu’il signifiait.

    Mais Théo lui tirait la manche : « Jeanne ! Que fait-on maintenant ? » Elle revint à la réalité : ils venaient de rendre un dernier hommage à leurs parents, il fallait à présent affronter la foule. « Je crois… » Sa voix se brisa, puis se raffermit : « Je crois que nous devons nous écarter. »

    Maladroitement, ils reculèrent de quelques pas : ils percevaient toujours les regards posés sur eux, prêts à les juger. Jeanne s’éloigna, et ce fut un déchirement. Pour la première fois depuis l’annonce de leur décès accidentel, elle saisit à quel point elle aimait ses parents, à quel point elle comptait sur eux. Leur perte agissait comme une révélation : elle était seule désormais, seule dans la vie, avec ses frères.

    Ils se tombèrent dans les bras, tous les trois : ils étaient triplés, liés depuis toujours. Aujourd’hui, avec la disparition de leurs parents, ils se soutenaient dans l’épreuve. Ils étaient différents, pourtant une affection inaltérable les unissait. Antoine était déjà assez grand pour ses seize ans ; de ses larges épaules se dégageait une impression de force, que confirmaient d’ailleurs ses sourcils vite froncés. Ses cheveux bouclés, noirs, retombaient sur son front mat, sans cacher ses yeux d’un bleu profond. Pour le moment, il avait la bouche crispée par le chagrin, mais ordinairement il avait le sourire facile. À côté de lui, Théo semblait beaucoup plus jeune : cette apparence juvénile cachait cependant une extraordinaire intelligence, une sagacité hors du commun. Il était grand, bien plus grand que son frère ; il avait poussé tout en longueur. Son horreur pour le sport et pour toute activité de plein air lui avait donné un teint blafard, des membres grêles. Ses cheveux châtains, coupés courts, mettaient en valeur son large front ; ses yeux noirs étaient cachés par des lunettes épaisses. Malgré l’apparence sévère que lui donnait son menton volontaire, Théo avait un cœur d’or et se montrait prêt à tout pour aider ses amis.

    Jeanne considérait d’un œil attendri ses deux frères, sa seule famille désormais. Elle était l’unique fille des triplés : peut-être était-ce pour cette raison qu’elle était si féminine. Son corps menu paraissait plus léger encore qu’à l’ordinaire, à cause des vêtements de deuil qu’elle portait. Son visage fin émergeait de sa veste noire, pâli par sa douleur ; la brise soulevait ses cheveux blonds qui ruisselaient dans le soleil. Elle gardait les lèvres serrées pour ne pas éclater en sanglots. Ses yeux, très grands, étaient verts : un jour, sa mère lui avait expliqué qu’ainsi, elle portait un peu de chacun de ses parents, parce qu’Edith avait les yeux bruns et Pascal les yeux bleus. Jeanne tressaillit à ce souvenir.

    « C’est curieux, tout-de-même, ces inconnus… » Théo avait relevé la tête et il considérait la foule des gens qui s’approchaient d’eux à petits pas convenus. Jeanne suivit son regard : la première personne de la longue file qui s’était formée venait de se recueillir un instant devant la tombe, et maintenant, elle se dirigeait vers eux pour les saluer. Jeanne n’eut pas le temps de relever la remarque de Théo, parce qu’elle serrait la main de l’inconnu qui s’inclina, murmura une formule de condoléances, prit la main d’Antoine, puis s’éloigna d’un air contrit, avant d’être relayé par une autre personne, également inconnue, puis encore une autre…

    Elle aussi trouvait étrange la présence de tant de monde à l’enterrement de ses parents. Bien sûr, elle avait aperçu des connaissances, là-bas, patientant en arrière de la file : ses oncles et tantes, ses cousins, des amis de ses parents. Mais pourquoi tous ces étrangers ? Du reste, ils paraissaient profondément attristés de cette double disparition : leurs visages portaient les cernes du deuil, et aussi la marque d’une certaine anxiété.

    De l’anxiété ! Pourquoi seraient-ils angoissés ? se reprit Jeanne. C’était bien plutôt à eux, les enfants d’Édith et Pascal, d’être troublés ! Qu’allaient-ils devenir désormais ? Leur oncle Éric, leur préféré, leur avait fait comprendre qu’il ne pouvait les accueillir sous son toit. Mais alors, qui s’occuperait d’eux ? Ils pourraient peut-être vivre seuls, après tout, ils seraient majeurs dans moins de deux ans…

    Les yeux des inconnus croisaient les siens, et elle apercevait le reflet de sa propre peur dans leur regard. « Avec toutes mes condoléances… Nous sommes désolés… Vraiment, une mort si tragique… C’est terrible, terrible… » Les paroles creuses se répétaient, s’enchaînaient, elles avivaient le trouble de Jeanne, son sentiment d’abandon. Les tenues endeuillées, les foulards noirs rappelaient à chaque instant l’horreur tragique de la situation. Le cortège n’en finissait plus d’endeuiller cette cette belle journée de printemps.

    Enfin des visages connus apparurent, des amis de leurs parents, quelques collègues de leur père, des voisins, et même plusieurs camarades de lycée. Ils les embrassaient, entouraient leurs épaules, leur murmuraient quelques mots de réconfort. Mais rien ne pouvait plus atteindre les triplés Maurin, réfugiés dans leur armure d’impassibilité pour ne pas avoir à trop souffrir. Derrière chaque parole, chaque main serrée, ils percevaient le rappel douloureux de la mort qui venait de frapper.

    Puis vint la famille : leurs oncles d’abord, les frères de leur mère. Bertrand Souran était accompagné de sa femme Michelle et de sa fille Magalie. Raide et compassé même dans les situations les plus cocasses, il constituait d’ordinaire un grand sujet de moquerie pour les triplés. Pourtant, aujourd’hui, Jeanne sentit un élan d’affection pour lui. Magalie était son aînée de deux ans et elle avait toujours aimé partager ses jeux et ses discussions. Sa cousine la serra contre elle en sanglotant, lui souhaita du courage, et repartit.

    Ensuite venait Éric, le plus jeune des frères Souran. Il adorait les triplés, et la réciproque était vraie : avec lui, que de rires partagés, que de bons moments ! Il fondit sur eux et les serra dans ses bras, tous les trois en même temps, à les étouffer. Il n’avait visiblement pas réussi à quitter son habituelle veste de cuir, son jean délavé et sa chemise à carreaux ; mais c’est ainsi qu’il était apprécié, avec son air bienveillant et son sourire franc.

    Éric leur expliqua entre deux sanglots : « Il ne faut pas m’en vouloir… Vraiment, nous aurions préféré… Mais c’est impossible… » Puis il s’enfuit, comme s’il allait céder à son propre désir d’inviter les triplés à partager désormais leur foyer.

    Sa femme, Laure, s’approcha à son tour et affirma : « C’est vrai, nous aurions aimé pouvoir vous emmener avec nous. » Elle rougit, sans doute parce que cette déclaration avait demandé beaucoup d’efforts à son extrême timidité. Elle les embrassa, chacun leur tour, tandis que ses deux enfants se pressaient contre elle, les larmes débordant des paupières. Claire n’avait que deux ans, et Mathias cinq. Jeanne pressa sa joue contre les visages humides des enfants, et elle se sentit réconfortée par leur affection.

    Enfin ils se retrouvèrent seuls. Jeanne pensait à ses grands-parents, Georgette et Paul-Emile, les parents de leur mère. Ils auraient dû être là, s’ils n’étaient pas morts deux ans auparavant dans un accident de voiture. Mais quelle fatalité subissait donc sa famille, pour qu’elle soit ainsi décimée en quelques années ? Jeanne baissa le front. Un instant, elle s’absorba dans l’observation de l’herbe à ses pieds, piétinée par tant de passages, afin d’échapper aux pensées de deuil qui l’assaillaient.

    Antoine poussa soudain un gémissement : « Oh non… » Jeanne releva la tête : bonne-maman Philippine marchait à pas lents dans leur direction, soutenue par son mari, Pierre Maurin. Quel désastre ! Elle les avait oubliés, ceux-là, tant son désarroi était complet ! Ils n’avaient pourtant pas besoin de faire des politesses à leurs grands-parents paternels, qu’ils appréciaient peu, d’autant moins que ces derniers étaient en froid avec leurs parents. Instinctivement, les triplés se serrèrent, pour faire front commun.

    Bonne-maman Philippine se planta devant eux et les dévisagea avec raideur. Puis elle commenta : « Hé bien, mes enfants ! » de sa petite voix revêche, avant de les embrasser, l’un après l’autre, d’un coup de bec pointu. Bonne-maman Philippine n’était pas vraiment méchante, loin de là ; simplement, elle conservait en toutes circonstances la dureté d’une statue de granit, et dans ce genre d’occasion particulièrement, Jeanne n’avait aucune envie de voir ses traits tendus, ses lèvres pincées, ses petites lunettes perchées à l’extrémité de son nez fin, et surtout, d’entendre ses paroles autoritaires et ses ordres péremptoires. À côté d’elle, comme d’habitude, leur grand-père se tenait coi, mais il tournait vers eux des regards compatissants. Il aurait eu l’air bonhomme, s’il n’avait éprouvé continuellement de la crainte à vivre en compagnie de sa femme, à laquelle il était pourtant indispensable, puisqu’il l’aidait à se déplacer malgré ses rhumatismes. Pierre Maurin était aussi large et petit que sa femme était longue et mince : à eux deux, ils formaient un couple assez comique.

    Mais Jeanne, Antoine et Théo n’avaient aucune envie de rire, encore moins lorsque bonne-maman Philippine annonça de sa petite voix fluette, mais qui n’attendait pas de réplique :

    « Venez, maintenant.

    — Venir ? Mais… Pour aller où ? demanda Antoine assez étourdiment.

    — Tu croyais peut-être que j’allais vous laisser tout seuls ? » interrogea bonne-maman en fronçant les sourcils.

    Puis elle secoua la tête de droite et de gauche, comme si elle était particulièrement ulcérée par la remarque de son petit-fils. Elle expliqua pourtant : « Nous sommes vos grands-parents, nous devons donc nous charger de votre éducation, après ce malheur. »

    Ce n’était pas une suggestion, mais une affirmation. Impossible de s’y soustraire.

    Jeanne échangea avec ses frères un regard désespéré. Le cimetière était vide à présent ; le silence était rompu, les oiseaux s’étaient remis à chanter. Les feuilles toutes neuves frémissaient doucement sur les arbres, le soleil faisait briller les tombes de marbre poli. Derrière eux, les fossoyeurs terminaient le travail : ils mettaient en place la pierre tombale par-dessus la fosse comblée. Jeanne sentit une profonde détresse l’envahir : il n’y avait pas d’échappatoire. Elle croisa les yeux de son grand-père, qui lui sourit timidement.

    Bonne-maman Philippine leur avait tourné le dos. Elle se dirigeait à pas lents, précautionneux, vers la sortie du cimetière de Saint-Hammer. Elle n’avait pas jeté un regard en arrière, sur la tombe de son fils et de sa belle-fille.

    L’âme en peine, les triplés partirent en procession derrière elle.

    Dans la voiture, bonne-maman Philippine leur exposa son plan de guerre : il fallait régler la succession très rapidement, ils entreraient dans leurs biens à leur majorité, c’est-à-dire dans deux ans, d’ici là, ils resteraient chez leurs grands-parents. Ils allaient passer par leur maison, où ils feraient leurs valises ; puis ils iraient directement dans l’appartement parisien. Jeanne tenta sa chance et suggéra : « N’y aurait-il pas un moyen de garder la maison ? » Cette maison, elle l’aimait, elle y vivait depuis toujours en compagnie de ses frères et de ses parents, des moments heureux y étaient attachés, tous les souvenirs de ses parents, tout ce qui lui restait d’eux.

    Devant le visage emporté de sa grand-mère, elle s’empressa de faire quelques concessions :

    « On pourrait au moins emporter des meubles, des souvenirs…

    — Hors de question. Tout sera vendu. Vous récupérerez l’argent. »

    À son ton sec, Jeanne sentit que la discussion était close. Ils devaient se plier à la volonté de leur grand-mère. Ses yeux s’emplirent de larmes : de l’argent ! Mais peu importait l’argent, ce qu’elle voulait, c’était garder un souvenir de ses parents ! Théo lui entoura les épaules de son bras, pour la réconforter ; mais ses lèvres tremblaient.

    Ils arrivèrent en fin d’après-midi à l’appartement de leurs grands-parents. Les triplés furent soulagés d’émerger enfin de la petite Twingo : ils avaient voyagé avec des sacs sur les genoux, le coffre étant déjà plein. Bonne-maman Philippine s’était montrée intransigeante : ils ne pouvaient emporter aucun meuble, seulement le contenu de leurs bagages. Alors ils s’étaient hâtés d’empiler l’essentiel : leurs vêtements, des photos, quelques livres, et surtout, des souvenirs de famille.

    Bonne-maman Philippine était sortie de la maison et avait définitivement fermé la porte à clef. La propriété serait prochainement mise en vente par le notaire qui s’occupait de leurs affaires, ce qui leur permettrait, avait-elle expliqué, de devenir riches. « Mais nous aurions préféré garder la maison… » tenta une dernière fois Théo, en désespoir de cause. Le visage de bonne-maman Philippine s’affaissa : une lueur de pitié transparaissait dans ses yeux quand elle les regarda, et ce fut d’un ton adouci qu’elle expliqua : « Vraiment, je suis désolée. Il n’est pas possible de faire autrement. Vous devrez sortir le moins possible, et vous resterez la plupart du temps dans notre appartement. C’est mieux ainsi. »

    Elle les avait poussés dans la voiture, sur la banquette arrière. Leur grand-père les avait dévisagés d’un air inquiet, puis il avait démarré le moteur. La voiture s’était éloignée en direction de Paris. Jeanne, Antoine et Théo n’avaient pas quitté des yeux leur ancienne maison – mentalement, ils lui disaient adieu, une dernière fois, avant qu’elle ne disparaisse au bout du chemin. Ils commençaient le deuil de leurs souvenirs heureux, de leur tranquille adolescence, après avoir entamé celui de leurs parents. Désormais rien ne serait plus comme avant, et cette brusque prise de conscience les faisait frémir d’angoisse. Ils s’étaient cramponnés à leurs valises – tout ce qui leur restait de ce naufrage – et avaient senti avec soulagement la présence des deux autres. Ils étaient tous les trois embarqués pour un même destin.

    Ils étaient plongés dans de si tristes pensées qu’ils n’avaient pas relevé la phrase inquiétante de bonne-maman Philippine. Mal leur en prit. Car ils étaient bel et bien prisonniers, comme dans un piège qui se referme sur des proies inconscientes.

    Bon-papa Pierre avait garé la voiture dans le sous-sol de l’immeuble, un beau bâtiment bourgeois situé dans un quartier tranquille, au cœur du xvie arrondissement parisien. À eux cinq, ils avaient réussi à traîner tous les bagages jusqu’à l’ascenseur ; ils s’étaient entassés à l’intérieur, puis avaient débouché sur un palier bien éclairé, au cinquième et dernier étage. Les triplés n’avaient gardé qu’une idée floue de cet appartement ; ils n’y étaient pas retournés depuis environ cinq ans, et cette dernière visite ne leur avait pas laissé un bon souvenir. Leur grand-père avait donc entrepris de leur montrer les lieux, pendant que leur grand-mère s’affairait dans la cuisine.

    À côté d’une salle à manger austère, le salon était vaste ; une partie de la pièce magnifiquement éclairée par une baie vitrée était aménagée en bibliothèque, et Théo s’extasia devant tous ces livres. Bon-papa Pierre bougonna un mot d’assentiment quand son petit-fils lui demanda la permission de regarder le contenu des rayonnages et d’emprunter quelques ouvrages. Mais Jeanne n’appréciait ni l’aménagement sévère ni les papiers peints aux teintes foncées. Cet appartement ne respirait pas normalement, il y régnait une atmosphère pesante. D’ailleurs, la vie même en était absente ; les seuls objets personnels se réduisaient à quelques images vieillies, en noir et blanc, strictement encadrées. Jeanne remarqua une photo où souriaient une jeune fille et un jeune homme, qui se tenaient par les épaules ; elle reconnut avec émotion son père. La jeune fille, qui lui était inconnue, avait un air d’étrange familiarité.

    « Qui est-ce, sur la photo ? »

    Bonne-maman Philippine n’entendit pas. Deviendrait-elle dure d’oreille ? se demanda Jeanne.

    « Bonne-maman, réessaya Jeanne en haussant d’un ton, qui est cette femme, à côté de papa ? »

    Bonne-maman Philippine fut prise d’un accès de fureur que jamais Jeanne n’aurait pu prévoir. « Qu’importent ces vieilles photos ! Que des vieilleries ! »

    Le silence retomba.

    « Nous n’avons plus d’enfant, maintenant ; nous les avons tous donnés. » murmura cette fois Philippine, comme pour elle-même.

    Jeanne crut percevoir une tristesse soudaine dans sa voix ; et les yeux de sa grand-mère s’étaient plissés, comme sous le poids d’un ancien chagrin… Jeanne se rappela alors que son père avait déjà évoqué l’existence de ses frère et sœur, plus âgés que lui. Elle ne les avait jamais vus. Son père n’aimait pas en parler. Elle ne savait pas ce qu’ils étaient devenus. D’après les propos tenus par bonne-maman Philippine, ils devaient être morts.

    Jeanne plongea son regard dans le visage souriant de son père, quand il avait une vingtaine d’années, sans doute peu de temps avant qu’il ne rencontre sa mère. Les paupières soudain lourdes de larmes, elle détourna la tête.

    Bon-papa Pierre conduisit les deux garçons devant une chambre tapissée d’un bleu clair assez tendre ; une chaîne hi-fi, deux lits et un bureau occupaient l’espace de la pièce, ouverte sur les toits voisins. Un grand pan de ciel emplissait la fenêtre. « C’était la chambre de votre père. » expliqua bon-papa Pierre.

    La seconde chambre, destinée à Jeanne, était toute blanche : des rideaux nacrés filtraient la lumière du dehors et la laissaient rebondir sur le mobilier immaculé, sur les étoffes pâles brodées de fines fleurs roses. Immédiatement, la pièce lui plut : malgré l’absence de tout tableau ou tout souvenir personnel, elle avait une âme.

    « Et cette chambre, à qui appartenait-elle ?

    — À personne ! » trancha bon-papa Pierre d’un ton brusque, qui ne donnait aucune envie de poursuivre la conversation. Jeanne soupira et elle se laissa aller sur le lit qui rebondit mollement sous son poids. Comme elle aurait voulu dormir, dormir des nuits et des nuits, pour oublier toute cette douleur accumulée, ces séparations, ces déchirements, ces peurs. Elle ferma les yeux…

    Tout en sentant ses membres fatigués se détendre délicieusement, elle se demanda à qui pouvait bien avoir appartenu cette chambre ; elle aurait bien aimé connaître celle qui l’avait meublée avec tant de goût – car il s’agissait d’une femme, c’était évident. Leur père, Pascal Maurin, leur avait bien parlé d’une sœur aînée, bien plus âgée que lui, avec qui il avait coupé les liens ces dernières années. Peut-être s’agissait-il d’elle ? Jeanne ne se souvenait plus de son prénom : Aude, ou Anne, quelque chose de ce genre… Elle se rappelait avoir rencontré sa tante une fois, dans sa petite enfance, mais elle ne gardait aucun souvenir de son apparence. Elle se promit d’en parler un jour à sa grand-mère, tandis qu’elle se blottissait contre l’oreiller.

    L’appel de bonne-maman Philippine la tira brusquement du repos au moment où elle s’y abandonnait enfin. « À table ! »

    Ils se retrouvèrent tous les trois dans la chambre des garçons, après un repas où ils n’avaient rien pu avaler. Un silence insupportable avait pesé sur les convives. Jeanne s’était demandé si elle était la seule à ressentir ce mur d’isolement qui s’épaississait de minute en minute. Ils avaient été soulagés de voir arriver le dessert et s’étaient empressés de répondre par l’affirmative quand bonne-maman Philippine avait suggéré qu’ils étaient peut-être fatigués.

    Maintenant, le silence régnait toujours ; mais c’était un silence partagé. Ils n’avaient pas besoin d’exprimer leur détresse : ils se connaissaient suffisamment pour savoir avec exactitude ce que chacun ressentait.

    Antoine parla enfin : « Quand même, elle exagère. Pourquoi ne pouvait-elle pas suivre notre avis, pour la maison ? »

    Théo haussa les épaules : « Il n’y a rien à dire, nous sommes mineurs. »

    Cette fois, Antoine s’emporta – mais comme toujours avec lui, Jeanne savait que sa colère ne faisait que cacher sa déception : « Alors, maintenant, il n’y a plus rien à dire ? C’est à elle de tout décider ? » Théo haussa de nouveau les épaules en signe de résignation, ce qui ne fit qu’augmenter l’exaspération d’Antoine.

    « Et puis, qu’est-ce qu’elle a à se mêler de nos affaires ? Pourquoi sommes-nous chez eux, maintenant ? »

    Jeanne exprima ce qu’Antoine n’osait pas dire, de peur de raviver sa souffrance : « Je me demande pourquoi nous ne sommes pas chez Éric, ou chez Bertrand… Nous aurions été mieux chez eux… »

    Le silence s’abattit de nouveau. C’est vrai, ils s’entendaient à merveille

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1