5-7 Dancing maudit
Par Mireille Lubac
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Aperçu du livre
5-7 Dancing maudit - Mireille Lubac
5-7 Dancing maudit
Mireille Lubac
5-7 Dancing maudit
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01886-7
Préface
Le 5-7 dancing maudit, (Progrès)
D’autres vies brisées : l’horreur, il y a 41 ans, le drame du 5-7 et toujours le deuil ! L’endroit est froid, oppressant. La brume ne semble jamais quitter ces pans de Chartreuse. Là, au milieu d’une petite prairie, à l’entrée de Saint-Laurent, se dresse une stèle grise, gravés de 146 noms. Dans son ombre glaciale, un tourniquet sinistre, grignoté par la rouille. A cet endroit-là, on a fait la fête, on a ri, on s’est aimé. A cet endroit-là, 142 personnes sont mortes prises au piège de l’incendie du dancing le 5-7, la nuit du 1er novembre 1970. Quatre autres sont décédées de leurs blessures. Toutes les victimes étaient jeunes, très jeunes. Certaines n’avaient que 15 ans. Une blessure jamais réellement cicatrisée.
Chapitre I
Ce que personne n’a su à l’époque, était que Simone Rivière 20 ans, et Dante Rocha 29 ans sont venus, voulaient entrer, danser, voir l’ambiance de ce dancing à la mode en Rhône- Alpes, construit et géré par trois jeunes du village. Des bus étaient affrétés de Grenoble et Chambéry (Savoie) pour permettre à la jeunesse de fréquenter l’établissement ouvert au printemps en remplacement d’une première boîte, « La Guinguette », détruite par un incendie accidentel. Ce samedi 31 octobre 1970, quelques 200 danseurs vibrent au rythme des Storm, un groupe parisien. Dans la salle, il fait chaud. A 1h45, la fête bascule. L’incendie se propage à une vitesse inouïe aux décors en polyuréthane. En se consumant, ce matériau a dégagé un gaz asphyxiant.
Simone et Dante sont rentrés, ils se doutent de l’horreur de ce qui se passe à l’intérieur, ils entendent des cris inhumains, des plaintes, ils sont effrayés, choqués, pétrifiés. Simone et Dante se sont enfuis en courant, pris de panique, ils sont allés jusqu’à la carrière Botta. Ils sont partis chez des amis à Albertville,( tous deux avaient envie de quitter leur famille, Simone ne voulait plus de cette vie d’ agricultrice, Dante avait certaines erreurs à oublier) puis ils ont trouvé du travail en Sicile dans la ville de Taormina où ils se sont installés et ne sont pas revenus dans leur région, ils n’en parlent pas. Ils ne peuvent pas oublier cette triste nuit. Quand ils vont au cinéma ou à des concerts, ils se placent toujours près de la sortie et ne supportent plus d’être au milieu de la foule et ont besoin d’avoir la gorge dégagée. Mais la vie, elle, continue, malgré tout. Mais le destin veillait, toutes les questions, les angoisses, les colères, et le désespoir qu’ils sentaient en eux, ne pouvaient pas guérir car la mauvaise foi, l’oubli volontaire, de leur famille et de leurs connaissances sacrifiées, ne manqueraient de resurgir, de monter à l’assaut de leur esprit rendu disponible par la solitude.
« Les joyeux guérissent toujours » Rabelais… Mais les autres …
Les gens qui ont été déporté, ceux qu’on a obligé à partir à la guerre, sans explication ! Ceux qui ont assisté à des massacres immondes. Les parents à qui on a assassiné leurs enfants, la chair de leur chair. Peuvent-ils sans sortir seuls en zappant, en trichant avec leur mémoire, non impossible ! Le mal est enfoui et réapparaîtra sans prévenir, sous quelques formes que ce soit !
Chapitre 2
Quarante ans plus tard, Simone se tenait dans son jardin de fleurs que les rayons du soleil magnifiait, tout lui était revenu en bloc à cause de cette rencontre inattendue, incroyable ! Les voisins ont reçu une lointaine cousine, qui habite là bas en Chartreuse, Simone a eu le cœur gros. La misère est moins grande au soleil, pas sûr ; pas dans tous les cas ! Dante était parti à la pêche avec ses amis siciliens. On peut avoir plusieurs vies. A côté de ses amies, Simone avait l’impression d’avoir 100 ans, elle, qui avait 61 ans et Dante bientôt 70 ans, d’ailleurs il faudra penser à organiser une fête. La guerre est comme une tempête, elle arrive sans crier gare. Puis tout se trouve dévasté, sans qu’on n’y puisse rien. Elle s’incruste dans notre tête, dévore notre esprit, infeste la raison, les deuils également. On parle avec un lyrisme, qu’on ne se connaît pas, des couleurs de l’automne, de sa lumière dorée, des rires des vendanges et de la chaleur douce des foyers rallumés, bref de ces signifiances climatiques pour reculer l’échéance de l’essentiel.
Ces souvenirs qui affluent venant du fond de notre mémoire, qui font mal, on les croyait loin, enfoui à jamais. Elle se souvient : Il y avait une poussière jaune et l’air commençait à être irrespirable. Ils se trouvent juste à l’entrée du dancing. Instinctivement, Dante saute par-dessus le bar, lui prend la main, et tous deux s’échappent par une issue, qui n’avait pas été condamnée, située juste à côté des musiciens, ces derniers ont d’ailleurs péri par les flammes. Nous avons essayé de prévenir les gens, de leur dire de nous suivre. Mais très peu nous ont entendu. Certaines personnes qui avaient pu regagner l’extérieur étaient complètement brûlées. Elles réclamaient de l’aide mais on ne pouvait rien, c’était abominable ne rien pouvoir faire, être impuissant devant un tel drame. Dante et Simone ne peuvent pas oublier cette triste nuit. Il leur faut revenir, sur les lieux, exorciser leurs angoisses qui les étouffent, les empêche de vivre. Se faire aider, contacter les associations, en parler…Revoir certaines personnes, leur parler !
Chapitre 3
Dans un état second, le couple prépare ses valises, leur maison rangée, ils partent en direction de la Chartreuse à l’entrée de Saint-Laurent-du-Pont, tout leur paraît froid, solennel, en se promenant, ils discutent avec un retraité qui a envie de parler de l’incendie, ils apprennent que les sorties de secours étaient condamnées, fermées pour faire la guerre aux resquilleurs. Nombreux ont tenté de s’échapper par l’entrée. Tous ont butés contre les tourniquets. Ils sont morts asphyxiés, brûlés, enchevêtrés contre les barres métalliques.
Neuf personnes ne pourront être identifiées. Elles reposent dans une fosse commune au cimetière de Saint-Laurent-du-Pont.
Simone et Dante sont pétrifiés, se renseignent sur leur famille et constatent qu’une tante Ida, vit dans le centre du village, avec son mari et son fils. Peuvent- ils leur faire une visite, comment vont-ils être accueillis ? Ils verront, il n’y a que le premier pas qui est dur. La tante est émotive, à elle aussi tout lui revient en mémoire. Que dire en quarante et un an tant de choses se sont passées. D’abord quel hébergement se sont-ils choisis ? Les enfants, leurs métiers ?
Dante travaillait dans un grand hôtel, peu à peu il a pris de grosses responsabilités, il vient de partir en retraite. Simone travaillait à mi-temps dans une maison de retraite à trois kms de chez eux. Elle avait besoin de se dévouer, de faire quelque chose pour les autres cela l’empêchait de trop penser ! Leur fils Jim à bientôt quarante ans, père de deux filles de seize et de dix huit ans, Ondine et Anne qui leur apportent beaucoup de bonheur, ils ont peur constamment d’un drame.
Avec leur portable ils suivent la vie de leur famille, tous les rebondissements, les petites filles ne comprennent pas toujours ce besoin de tout savoir immédiatement, c’est l’angoisse, le besoin d’être rassurés. Simone est le silence, impénétrable et lourd. Elle est le chagrin brûlant comme un feu de la Saint-Jean. Ils ont eu mal tous ces jeunes, ils ont senti leur corps brûler, ils ont hurlé à s’en déchirer la gorge. Certains silences sont plus éloquents que de grands discours. Simone veut être seule avec ce chagrin qui gonfle, encombre toute sa poitrine. Pouvoir oublier… dormir, rêver, être insouciante, enfin, sans cette chape de plomb sur ses épaules !
Un petit hôtel au prix abordable les accueille, la tante les recevait souvent, ils refirent connaissance avec les enfants et petits enfants de la tante, Le temps passa vite. Ils purent se promener dans Saint-Laurent du- pont, l’atmosphère était encore pesante, irréelle mais pour guérir il fallait en passer par là. Le village avait changé, jamais plus ils ne pourraient y vivre. Leur vie, c’était la Sicile, là bas ils avaient construit leur maison, élevé leur fils Jim, et s’étaient occupés d’Anne et Ondine, leurs petites filles. Ce pèlerinage nécessaire se terminerait bientôt. Il restait bien Henri, un copain d’enfance, qui ne se trouvait pas dans cet horrible endroit il y a quarante et un an ! Henri était propriétaire du petit casino, très sympathique et facile à rencontrer pour parler.
Pourquoi les gens se confortent-ils dans l’idée que ceux qui partent n’ont rien ressenti, qu’ils ont été emportés dans un grand apaisement ? Pour se rassurer et accepter cette vérité !
Dante et Simone ont d’autres raisons de s’inquiéter : Jim s’est mis dans de sales draps ! La société qu’il a crée il y a deux ans est en liquidation judiciaire, sa femme est partie à ce moment là, avec pas mal d’argent laissant mari et enfants forts démunis et très peinés. Comment cela va-t-il se terminer ? Jim a trop fait confiance à Myriam, son ex-femme et mère des deux filles. Quel avenir sera le leur, décidément, que de problèmes ! Comment s’en sortir !
Il faut toujours conserver une activité professionnelle. Cultiver ses amis, entretenir un réseau social. Ne pas s’enfermer dans une dépendance affective.
L’envie de me livrer sans retenue est lancinante. J’ai besoin de me libérer de tous les émois, les souvenirs et les tourments qui se bousculent en moi, tandis que le mal accomplit patiemment son œuvre. Simone soliloquait toute seule, assise dans un fauteuil de sa chambre d’hôtel au calme. La fenêtre laisse entrevoir le ciel qui se déchire. La nuit avale sa couleur guimauve. Des étoiles s’allument du côté des collines rondes et douces comme un sein de femme.
Depuis quarante et un ans, Simone avait peur du noir, terriblement, celui qui vous engloutit, qui vous absorbe, cette obscurité qu’elle associait depuis toujours à la mort. Elle avait les