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La Chevalière de Minuit
La Chevalière de Minuit
La Chevalière de Minuit
Livre électronique423 pages6 heures

La Chevalière de Minuit

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À propos de ce livre électronique

Une milice endormie depuis l'Antiquité;
Des Artistes aux pouvoirs exceptionnels;
Un équilibre entre l'Ombre et la Lumière;
Sur le point de se briser.

Le 24 septembre 1699, Lutecia

Sa Majesté Lumos vous convie au bal d'Automne en l'honneur de leurs Altesses Émile et Angélique, prince et princesse du Royaume. Toutes les jeunes personnes en âge de se marier et dignes d'être choisies devront y assister. Le bal se tiendra au château d'Hélènie le 1er octobre prochain.
~Sa Majesté Lumos Roy de France


Athéna, servante chez les Debeauvoir, vit comme une esclave chez sa famille adoptive.
Ce bal, c'est sa chance de prendre son avenir en main .
Son demi-frère lui énonce une seule condition : Lorsque sonnera minuit, Athéna devra rentrer chez elle.
Le bal se déroule de façon inattendue : Athéna découvre que son talent pour la danse est un pouvoir divin offert par Apollon. Cette révélation l'entraînera bien plus loin qu'elle n'aurait osé l'imaginer : Dans une guerre opposant roys, Artistes et dieux, qui ne fait que commencer.

LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2022
ISBN9782982073739
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    Aperçu du livre

    La Chevalière de Minuit - Amy Guyon de Chemilly

    PROLOGUE

    — V otre Majesté, ce n’est pas un hasard si l’oracle m’est apparu la nuit dernière. L’équilibre est plus fragile à l’équinoxe.

    Inquiet, le Roy-Lumière faisait les cent pas dans son bureau.

    — Nous savions que cela finirait par se produire, continua la Pythie. Vilénie se bâtissait au même rythme que votre château et Leilos gagnait chaque jour en puissance.

    Postée devant la grande fenêtre, elle attendait la réaction du monarque. La pluie tambourinait sur les carreaux de verre et refroidissait la pièce.

    Le roy frissonna et rajusta son manteau de velours.

    — Que proposez-vous, Sibylle ? demanda-t-il, s’arrêtant pour lui faire face.

    La réponse fusa :

    — Réveillez les Muses. Apollon les a créées à cette fin, alors faites appel à elles.

    — Et où vais-je les débusquer ? Cela fait des millénaires que la milice est endormie.

    — Vous trouverez une façon.

    Lumos s’approcha de la fenêtre et son souffle embua la vitre glacée.

    Contemplant ses jardins assaillis par le déluge, il s’accorda le temps de réfléchir.

    La Pythie n’avait pas bougé.

    — Parfait, se décida-t-il. Nous emploierons les grands moyens.

    CHAPITRE 1

    ATHÉNA

    — J ’arrive ! cria Athéna en entendant de nouveau le claquement du heurtoir retentir dans le manoir. Elle posa promptement sa marmite devant l’âtre, tâchant de ne pas renverser le potage qu’elle venait de préparer. Sur le pas de la cuisine, elle vit Timothée descendre en trombe les dernières marches du grand escalier pour ouvrir la porte d’entrée. Un messager royal se tenait sur le perron, un énorme sac en bandoulière rempli de lettres à son flanc.

    Athéna rejoignit son frère juste à temps pour apercevoir l’homme au manteau rouge déployer ses ailes fines comme le papier et s’éclipser à la hâte, des plis cachetés à la main.

    Une annonce du roy ? Que se passe-t-il ? Serait-ce un nouveau décret dépêchant les jeunes du pays pour une énième guerre ?

    Elle leva un regard gris vers celui, nerveux, de Timothée. Il devait certainement penser la même chose. Un courant d’air automnal à l’odeur vaguement fumée s’infiltra par la porte encore entrouverte et les fit frissonner. Il repoussa le lourd battant.

    Son frère brisa le sceau de cire rouge puis parcourut la lettre.

    — Lis-la donc à voix haute, s’enquit Athéna, son mètre soixante-deux ne suffisant pas pour voir par-dessus son épaule.

    Il lui lança un regard mi-amusé, mi-inquiet. La jeune femme s’impatientait.

    — Alors, Tim ?

    Il éleva la missive à bout de bras et déclama d’un ton solennel.


    Le 24 septembre, Château d’Hélènie


    Sa Majesté Lumos vous convie au bal d’Automne en l’honneur de Leurs Altesses Émile et Angélique, prince et princesse du Royaume. Toutes les jeunes personnes en âge de se marier et dignes d’être choisies devront y assister. Le bal se tiendra au château d’Hélènie le 1er octobre prochain.

    Sa Majesté Lumos Roy de France


    Ils s’échangèrent un regard soulagé. Timothée n’aurait pas à partir mettre sa vie en danger pour un roy passionné par l’art de la guerre. Le relâchement de ses épaules s’accompagna d’un souffle éloquent. Il n’avait pas remarqué qu’il s’était crispé, occupé à cacher son inquiétude à sa sœur.

    Reportant son attention sur la lettre, Athéna trouva que le message, succinct, lui procurait un étrange sentiment d’urgence. Et de devoir.

    — Satisfaite ? reprit son frère de sa voix normale. Il ne semblait pas troublé par l’annonce. Pourtant, s’il était « en âge de se marier » d’après les coutumes du Royaume, soit entre dix-huit et vingt ans, Timothée avait déjà fait sa demande à la belle Evelyne au printemps.

    Athéna se détourna en riant.

    — Tu sais bien que ce n’est pas mon genre d’événement. Tu me vois, moi, aller parader au château de Lumos ? Et risquer de rencontrer le prince Émile qui se cherche une épouse ?!

    Elle grimaça.

    Timothée la prit par les épaules, protecteur.

    — C’est que… je ne pense pas que nous ayons le choix. Tu connais l’intérêt de notre famille à se rapprocher de la cour pour faire fleurir le commerce familial. Ce serait donc délicat de refuser l’invitation du roy dans notre cas. Toi et moi devrons y aller. Il se renfrogna. Même si je suis déjà promis.

    Athéna ne fit aucun commentaire sur le commerce des Debeauvoir. Il lui importait peu.

    — Rien ne t’obligera à faire la cour à la princesse Angélique. Tu pourras simplement profiter des réjouissances organisées pour l’événement. Et puis, on sait tous les deux que tu te sentiras bien à l’aise avec tout ce monde autour de toi, tu as l’habitude, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

    — Il y a effectivement de fortes chances que je dispose de l’occasion pour approcher de potentiels partenaires pour le commerce de Père et Mère. Je ferai bien attention à éviter la princesse. Ah peut-être pas finalement, si je peux m’arranger pour te faire rencontrer son frère Émile…

    — N’y pense même pas ! le coupa Athéna. Et puis, tu as oublié qu’on ne connaît même pas mon âge exact.

    — D’après mes estimations, tu serais pile-poil dans la fourchette d’âge idéal. Ajoute cinquante ans et on y est.

    Ils s’esclaffèrent. Timothée passa la main dans ses cheveux bruns et brillants taillés courts, laissant quelques mèches rebelles retomber sur ses tempes.

    Athéna lissa son tablier blanc.

    — Bon, c’est bien joli, mais le dîner ne se préparera pas tout seul, lança-t-elle en se dirigeant vers la cuisine. J’ai tenté une nouvelle saveur de potage, tu m’en diras des nouvelles.

    Une pression sur son avant-bras l’arrêta dans son élan.

    — Pense que tu pourras danser ! Je sais que tu adores ça.

    — Tu racontes n’importe quoi, maugréa-t-elle, gênée.

    — Tu imagines que je n’entends pas le grenier grincer sous tes pas ? Sacrée musique ! Très gracieux, calme, absolument magnifique à écouter pour s’endormir le soir…

    Elle choisit d’ignorer la remarque et se dégagea.

    — C’est bon, on verra. Mais sache que je ne danse pas.

    C’était son secret. Les mélodies la faisaient s’envoler sur les vieilles lattes de bois de l’attique du manoir converti en chambre. Elle avait plaqué le long des murs les meubles disparates afin de s’offrir un plancher de danse et une liberté de mouvement. Certains soirs, pour oublier ses journées difficiles, elle soulevait le couvercle de sa boîte à musique et tournoyait au rythme de la figurine en porcelaine. Athéna n’avait aucune idée de ce à quoi elle ressemblait lorsqu’elle valsait. Elle ne s’était jamais vue. Elle savait simplement que ce qu’elle ressentait à ce moment-là valait tout l’or du monde.

    Ce sentiment lui appartenait à elle seule. Timothée n’avait pas à le savoir. Personne n’avait à le savoir.

    La Grand-Place bourdonnait d’une effervescence inhabituelle. Au cours des derniers mois, le temps avait abîmé les récoltes et les étalages des marchands se présentaient chaque fois un peu plus dégarnis. Les prix avaient augmenté et les familles faisaient preuve de débrouillardise pour faire durer leurs maigres réserves.

    Un petit garçon passa près d’Athéna en courant et elle s’écarta vivement. Elle le vit s’arrêter au pied de la fontaine et agiter ses revues.

    — Mesdames, Messieurs, nouvelles de la semaine ! Le roy organise le plus grand événement depuis son couronnement, le bal d’Automne !

    Un jeune aristocrate lui acheta un journal puis il recommença à héler les passants.

    Il y a plus de monde que d’habitude, réalisa Athéna.

    Si ce marché au cœur de Lutecia était le rendez-vous hebdomadaire des servantes de familles bourgeoises, il s’agissait aussi du lieu privilégié des commérages des employés de maison. On s’y échangeait les informations de la semaine sur les fréquentations des fils cadets, les mariages en vue de la saison et les nouvelles importantes, inquiétantes ou croustillantes qui agitaient le royaume.

    Athéna n’était pas particulièrement friande de ragots, mais elle appréciait se tenir au courant des événements majeurs.

    L’esplanade se peupla davantage. Les marchands qui venaient de quelques villes au sud de Lutecia proposaient un peu plus de produits que les autres. Ils distribuaient des ordres à leurs apprentis, qui répartissaient sur les tables les fruits, le blé et le maïs. Un tourbillon d’arômes emplissait l’air d’odeurs étrangères. La jeune fille n’était plus très loin de l’étalage de la compagnie des Debeauvoir. Sa famille adoptive se spécialisait depuis bientôt huit ans dans l’importation d’épices et de soieries d’Orient. Si les herbes et les poudres étaient vendues aux marchés de Lutecia et des villes environnantes, les tissus précieux étaient destinés aux modistes et couturiers les plus renommés de la capitale. C’était là que les nobles faisaient concevoir leurs toilettes et leurs robes de soirée. La cour de Lumos jouissait d’une parade quotidienne, disait-on, et les courtisans rivalisaient pour susciter la fascination de tous, mais surtout l’attention du roy.

    Le brouhaha la sortit de ses pensées. Elle s’approcha de l’étalage d’une femme d’âge mûr qui disposait de quelques navets, une dizaine de poireaux, un petit panier de fèves et de pains bis de froment et de seigle. Tandis qu’elle faisait son choix, deux jeunes servantes firent halte à ses côtés. Elles étaient vêtues de la même façon qu’Athéna : d’une robe noire simple et droite, d’un tablier blanc et d’un bandeau à cheveux. Passionnées par leur discussion, elles ne lui prêtèrent guère attention.

    — Bien sûr que je suis au courant, dit la blonde, tout le monde ne parle que de ça depuis quelques jours. Je t’avoue que je suis un peu déçue… si seulement j’avais encore vingt ans !

    — Tu n’as qu’à y aller et mentir sur ton âge, répondit la deuxième, malicieuse. Comment devineraient-ils la vérité ?

    — Je préfère ne pas tenter. Je crains la conséquence si je me faisais prendre. Le roy suit des politiques assez strictes. En tout cas, je m’arrangerai pour venir t’aider à te préparer vendredi soir ! Tu es peut-être une comtesse en devenir, à défaut d’une princesse, qui sait, ajouta-t-elle en riant.

    Son amie gloussa.

    — Imagine ! Mon destin changerait à tout jamais. De servante à noble, ma famille serait fière !

    — N’est-ce pas le rêve de toute roturière ?

    Elles payèrent leurs aliments et se détournèrent. Un peu perplexe face à l’excitation ambiante, Athéna les entendit poursuivre leur conversation sur leurs aspirations. Ce bal avait créé de hautes attentes de la part du peuple.

    Serait-il aussi sensationnel qu’on le racontait ?

    Elle salua la marchande et reprit sa route.

    Quelques éventaires plus loin, elle aperçut un jeune homme aux cheveux roux coincés sous un chapeau de toile. Il portait une salopette qui avait dû voir des jours meilleurs, des bottes de cuir et une chemise de lin élimée.

    — Hé Han ! cria Athéna pour attirer son attention.

    Il se retourna et lui fit signe. Évitant un chariot de marchandises, il la rejoignit de son étrange démarche. Elle entraîna son ami sur un petit banc qui bordait la place, à l’ombre d’un peuplier sauvage. Celui-ci s’assit et se trémoussa. Il porta la main à la hauteur de son aisselle et tira sur le tissu.

    — Toujours aussi inconfortable ? demanda Athéna.

    — Ce truc me serre, tu n’as pas idée. Ça fonctionne, c’est l’essentiel. Qui pourrait deviner que je suis une femme, si ma poitrine est aplatie ? On dirait les pectoraux musclés d’un apprenti charpentier.

    — Je ne pense pas que la poitrine fasse la femme. C’est là-dedans que ça se passe, expliqua la jeune servante en tapotant sa tempe du bout de son index.

    Son amie lui répondit avec une grimace.

    — N’empêche que si mes collègues découvrent que j’ai le corps d’une femme, ma carrière de machiniste au théâtre est terminée. Et tu sais que j’ai besoin de ce travail. Mes parents comptent sur moi maintenant que ma sœur est partie.

    Elle changea de sujet.

    — Je suis contente de te revoir ! poursuivit-elle les yeux brillants. Alors, tu y vas à ce fameux bal d’Automne ?

    C’est reparti pour un tour.

    — Anne…

    — Appelle-moi Han en public, s’il te plaît. Si quelqu’un nous entendait…

    — Excuse-moi, souffla Athéna en balayant les alentours pour vérifier que personne ne leur prêtait attention. Han —elle appuya sur le « H »— je ne pense pas que cet événement soit fait pour moi. De toute façon, ni toi ni moi ne savons si j’ai réellement dix-huit ans.

    — Quand tu as été déposée bébé chez les Debeauvoir, tu avais presque la même taille que leur fils, c’est toi qui me l’as dit. Vous aviez certainement le même âge.

    — C’est vrai, concéda-t-elle.

    — Et puis, j’ai entendu mes parents en discuter, il parait que le roy a entamé un recensement de toutes les têtes en France. Nos parents respectifs ont dû se charger de confier nos informations aux ministres. Anne s’accorda une pause, pensive. Ne t’inquiète pas pour ça. C’est une opportunité, ce bal, je suis certaine que tu rencontreras un prétendant à ta hauteur.

    Athéna laissa échapper un rire cristallin.

    — Tu veux vraiment que je me trouve un mari là-bas, je ne m’attendais pas à cela de ta part.

    — Ce n’est pas parce que je ne m’en cherche pas un que je ne me préoccupe pas de ton avenir ! Il faudra bien qu’un jour tu quittes cette famille qui te traite comme une esclave et que tu fondes la tienne.

    — Tim ne me prend pas pour son esclave. Il a toujours été là pour moi.

    — Tim, c’est différent, d’accord. Je parlais plutôt des parents. Ils n’ont pas honte ?

    — De toute façon, je n’ai nulle part où aller. Je n’ai ni argent, ni possession, ni famille éloignée.

    — Mais tu as un nom. Athéna Debeauvoir, cela sonne noble, même si ta famille n’est « que » de la bourgeoisie. Tu pourrais tenter de partir et recommencer à zéro ?

    Anne lui offrit un sourire chaleureux. Un rayon de soleil traversa les branches et un point de lumière apparut sur son tablier blanc.

    Et si le Bal pouvait changer mon destin ?

    Athéna s’apprêtait à emprunter l’escalier de service, lorsque Timothée surgit de sa chambre. Il lui arracha la corbeille des mains et s’appuya au cadre de porte.

    — Qu’est-ce que tu fabriques ? s’indigna-t-elle en posant ses poings sur ses hanches.

    — Je t’aide. Qu’est-ce que toi tu fais ? On est vendredi premier !

    — Et alors ?

    — C’est le jour du bal, tête de linotte.

    — Tant mieux pour toi.

    — Et pour toi ! Tu viens, j’espère ?

    — Hmm.

    — Oui ?

    — Eh bien, je n’y voyais pas vraiment d’intérêt, mais j’en ai discuté avec mon amie Anne mardi au marché, et nous avons réfléchi à quelques raisons pertinentes qui me donneraient potentiellement l’envie d’y aller.

    — Ça m’a l’air bien compliqué tout ça.

    — J’en oublierai toutes ses manières hautaines dont je serai témoin à Hélènie. Je suis certaine que tu vas adorer ces mondanités en tout cas. Bref, j’y pense.

    La jeune femme commençait à descendre lorsqu’il la dépassa et lui barra le chemin. Pourquoi était-elle aussi têtue ?

    — Je vais faire ça simple. C’est peut-être ton unique chance d’aller à Hélènie. Tu sais combien de personnes rêveraient de s’approcher des grilles, Tina ? Toi, tu danseras dans ses couloirs de marbre, tu admireras ses jardins et tu goûteras aux mets les plus fins de France. Pourquoi fais-tu ta difficile ?

    C’était bien le seul à l’appeler Tina. Ce n’était pas son surnom préféré, mais elle le laissait dire. Après tout, il avait toujours été là pour elle.

    Elle décida de ne pas relever la mention de la danse, mais elle dut reconnaître que l’argument de son frère vendait du rêve.

    Mais tous ces gens ? Elle réprima un frisson. Toute cette lumière ? Ces nobles et leur attitude m’as-tu-vu ? Cela promet d’être… particulier.

    Timothée, pensant qu’elle hésitait encore, joua le tout pour le tout et abattit sa dernière carte.

    — Parfait, j’ai un ultime argument pour toi.

    Petite pause pour le sensationnalisme.

    Il continua :

    — Tu échapperas, le temps d’une soirée, à Père et Mère. Terminées les corvées, les volets à fermer et le souper à cuisiner. Ce soir, tu es libre.

    — Tu es drôle, toi. Dans l’éventualité où je décidais d’aller à Hélènie, il ne serait pas sage que je m’y attarde, avec tout le ménage qu’il me restera ici en plus du petit-déjeuner à cuisiner. Le pire, c’est qu’on sait tous les deux que tu prendras goût à tes discussions mondaines et que tu me feras poireauter pendant des heures à la voiture avant de me rejoindre pour rentrer…

    — Et moi je pense que tu prendras tellement de plaisir à danser sous les étoiles que tu ne voudras plus partir, la coupa-t-il.

    — … Tu me ferais signer une nuit blanche, avant une autre journée de travail, en plus de la réception avec les Dupont à préparer. Sans parler des remontrances demain par les parents.

    — Faisons un marché. Je te propose que nous allions ensemble au bal, avec une condition : nous rentrerons à minuit. Nous nous y mettrons à deux pour finir les tâches ménagères et tu pourras ainsi voler quelques heures de sommeil. Je dirai que c’est moi qui ai insisté pour que tu viennes, ainsi Père et Mère seront moins enclins à s’énerver contre toi.

    — C’est pas mal comme proposition, grand frère !

    Il lut dans les yeux de sa sœur qu’il avait su être convaincant. Un petit sourire malicieux étira ses lèvres. Il l’embrassa sur le front.

    — Parfait, nous partons dans une heure.

    Elle le repoussa.

    — Tu as oublié un détail, je n’ai même pas de tenue appropriée. Attends, je pourrais porter celle du dimanche ?

    — Je me suis occupé de tout. Suis-moi.

    Dans le hall patientait une belle jeune femme aux cheveux blonds retenus par un ruban émeraude assorti au vert d’eau de sa robe. Une immense boîte en carton était posée à ses pieds chaussés de bottillons.

    — Ma tendre Eveline, je suis ravi de te voir. Merci d’être venue aider Tina.

    Il embrassa sa promise sur la joue. Tout sourire, Eveline prit Athéna par la main et l’entraîna vers le grenier. Elles couraient comme des enfants. Timothée les suivit d’un pas nonchalant, emportant l’énorme paquet avec lui.

    Athéna ouvrit la fenêtre du toit et poussa les volets de la plus grande, bordée d’un parapet en fer forgé.

    — Hmm rien de mieux que l’air frais ! s’exclama Eveline. Elle avisa son fiancé. Merci, Tim, tu peux la poser ici.

    Elle lui désigna la table basse qui jouxtait l’entrée.

    — Je vous laisse mesdemoiselles, à tout à l’heure. Il exécuta une courbette et disparut.

    Eveline tira un escabeau.

    — Monte là-dessus, lui ordonna-t-elle.

    Sa modiste improvisée ouvrit la boîte. Lovée dans le carton, se trouvait une magnifique robe de satin noir. La jeune fille écarquilla les yeux lorsqu’Eveline la déplia avec précaution. La partie supérieure du vêtement dessinait une courbe ample légèrement concave d’une épaule à l’autre. Cousue de l’intérieur, une fine dentelle dépassait du pourtour et s’échouait à la limite des manches, bouffantes jusqu’à mi-bras, avant de laisser place à de délicats gants couleur nuit. Un courant d’air fit murmurer la cascade de tissus soyeux. Comme une promesse.

    Émerveillée, Athéna tendit la main pour caresser l’étoffe.

    — Jolie, n’est-ce pas ? dit Eveline. Tim m’avait dit que tu aimais le noir et la simplicité. J’ai trouvé celle-ci dans ma garde-robe.

    — Merci, Ivy, sourit la jeune fille.

    — Aucun souci. Tu as un corset, je crois ? On ne mettra pas les paniers et les jupes secondaires, cela te permettra de te sentir plus légère. Ah ! La robe s’appelle Reviens, ajouta-t-elle en riant.

    Les deux femmes descendirent dans la chambre de Tim. Il était bientôt l’heure.

    Fébrile, Athéna entra et s’approcha du miroir à quatre carreaux.

    Elle fut bouche bée.

    — Tu as presque réussi à me rendre belle, murmura-t-elle, un peu gênée. Elle ne pouvait détourner les yeux. Elle ne s’était jamais vue dans une si jolie toilette.

    On dirait une jeune noble à s’y méprendre, sourit-elle intérieurement.

    La robe lui allait comme un gant. Eveline lui avait attaché les cheveux en deux nattes qui se croisaient horizontalement au-dessus de sa nuque, libérant son cou des mèches rebelles. Une paire de boucles d’oreilles simple habillait ses lobes et son pendentif favori en forme de chouette aux ailes déployées reposait sur sa clavicule.

    Des petits coups retentirent à la porte puis son frère se glissa dans l’encadrement.

    — Pas mal, sœurette. Tu vas faire tourner les têtes ce soir ! lui lança-t-il avec un clin d’œil.

    Soudain, une voix appela le prénom d’Athéna.

    Madame Debeauvoir était rentrée.

    — Elle veut sûrement me parler du dîner, de la réception de demain ou des rideaux à laver, énuméra la jeune servante, inquiète.

    Si elle n’avait pas souhaité ce bal à la réception de la lettre, elle ne s’imaginait plus rester au manoir alors que l’événement d’une vie allait se dérouler à quelques kilomètres de là.

    — Je m’occupe de la distraire. Toi, passe par la cuisine, traverse le jardin tu sais où et rejoins-moi à l’angle de la rue Paradis.

    Elle hocha la tête et il se précipita pour accueillir sa mère. Il l’invita à le suivre à l’extérieur afin de lui faire admirer sa tenue de bal et lui dire au revoir. La porte refermée, Athéna serra une dernière fois Eveline dans ses bras et la remercia.

    — Je te souhaite un merveilleux bal d’Automne, ma chère !

    Athéna dévala l’escalier, traversa la cuisine et souleva ses jupes pour courir dans le jardin. Au fond, elle déplaça le lourd pan de lierre et se glissa tant bien que mal dans l’interstice, sa robe plein les bras. C’était leur passage secret depuis toujours avec Tim. À l’époque, ils s’étaient aperçus que l’un des barreaux sortait de ses gonds et en avaient profité pour en faire leur accès officiel lorsqu’ils voulaient s’éclipser du manoir. La jeune fille courut sur l’étroit chemin pavé, priant pour que sa coiffure ne se défasse pas. Là, haletante, elle attendit la voiture des Debeauvoir. La porte s’ouvrit et Timothée l’aida à monter.

    — C’est bon Jacques, vous pouvez y aller.

    Le cocher fit claquer ses rênes et les bêtes partirent au pas.

    Lorsque les battements de son cœur eurent repris un rythme régulier, elle s’autorisa un regard en arrière. Lutecia s’éloignait doucement. À présent, Hélènie les attendait.

    CHAPITRE 2

    Trois larges voies partaient de la route principale du village d’Hélènie et menaient droit au château. Dessinées comme des rayons de soleil, elles convergeaient toutes vers la Place d’Armes. La voiture s’engagea sur l’axe central. De chaque côté de l’allée, d’imposantes rangées d’arbres taillées jaillissaient du sol de gravier fin.

    Athéna passa la tête par la fenêtre et laissa l’air frais caresser son visage.

    Le château d’Hélènie.

    Majestueux, il attirait le regard, l’englobait et le retenait prisonnier de sa splendeur. Il était plus grand qu’on le lui avait raconté. Un pavillon central de forme carrée, dont l’une des faces était close par une somptueuse grille dorée, tenait lieu de cœur du domaine d’où s’élançaient deux gigantesques ailes au nord et au sud. La disposition des fenêtres témoignait d’au moins trois étages à hauts plafonds en plus de l’attique. De multiples bâtiments de tailles plus modestes, mais ouvragés à l’identique avaient été construits aux alentours. Le marbre et les colonnades écrasantes flirtaient avec les détails sculptés des façades et le charme italien que le roy avait choisi d’insuffler à son château. L’or des liserés des toits bleus scintillait comme des milliers de petites étoiles tombées du ciel. Le soleil n’était en aucun point responsable : l’astre s’éteignait déjà derrière le palais. Si les reflets se mouvaient sur les dorures, c’était grâce aux immenses globes lumineux et chaleureux dispersés sur le site, à même le sol de pierres polies.

    La jeune femme pressa la main de son frère et croisa son regard. Ils étaient arrivés.

    Un serviteur vint l’aider à descendre de la voiture. Elle le remercia de son plus beau sourire.

    La fête battait déjà son plein. Derrière la grande grille forgée s’élevait une gigantesque tribune, où un orchestre jouait des airs entrainants. Les convives dansaient sur la place tandis que d’autres discutaient entre eux et riaient. Perpendiculaires à la haie dorée, deux tables de la longueur des bâtiments qui les jouxtaient étaient richement dressées de blanc et d’or et recouvertes de bouchées. Des valets circulaient habilement entre les invités en proposant des rafraîchissements.

    Athéna se tourna vers son frère, les yeux brillants.

    — Alors, répondit-il à sa remarque silencieuse, je te l’avais dit.

    Elle acquiesça.

    Derrière eux, de nouvelles voitures déposaient leurs passagers avant d’aller se garer dans les cours en demi-lune des écuries du château. De temps à autre, des piétons arrivaient des allées latérales, épuisés par leur longue marche, mais revigorés à la vue du paysage festif qui les attendait.

    Une voix attira leur attention. Un homme en uniforme venait de monter sur une petite estrade au milieu de la place d’Armes. Le héraut s’exclama :

    — Demoiselles, damoiseaux, le roy Lumos vous remercie de votre présence ce soir sur son domaine. Vous êtes priés de décliner votre identité à l’un des bureaux devant la grille avant d’entrer dans la cour du château pour profiter du bal d’Automne.

    Les Debeauvoir échangèrent un regard.

    — Le roy va garder un registre des invités, réalisa Timothée.

    — Et des potentiels candidats pour ses enfants. Si tu souhaitais passer inaperçu auprès de la princesse Angélique, c’est raté.

    Elle se retenait de rire.

    — Peut-être n’était-ce qu’une formalité, il n’y a pas raison de s’inquiéter, se rassura-t-il.

    Athéna leva les yeux au ciel, les lèvres pincées.

    Deux hommes s’étaient installés derrière les bureaux comme des juges prêts à donner leur sentence. De petites fées-lucioles s’étaient assises sur les tables pour offrir leur lumière.

    Rangé parmi les convives, Timothée se retourna vers sa sœur et observa son port de tête altier.

    — Cette prestance ! lui souffla-t-il admiratif. Ce doit être la danse.

    Probablement.

    Mais elle n’allait pas le lui dire.

    Timothée passa en premier et se présenta.

    — Merci, Monsieur Debeauvoir. Votre date de naissance, je vous prie ?

    Ah. Ils vérifient bel et bien que les invités sont en âge de se marier. Ils n’ont pas cette liste de recensement dont Anne m’a parlé. Mais que vais-je leur annoncer ? Il vaut mieux ne pas mentir à la cour du roy.

    — Le 3 novembre 1681.

    — Tendez-moi votre poignet.

    Timothée s’exécuta et l’homme lui noua un ruban bleu. Athéna l’observa, inquiète.

    — Monsieur Debeauvoir, je suis ravi de vous ouvrir l’accès à la cour royale et aux jardins, où festivités et distractions sont offertes à volonté. Bonne soirée à vous !

    Il lui indiqua la direction à suivre de son bras levé.

    Timothée s’arrêta devant la grille aux barreaux couronnés de fleurs de lys.

    Je t’attends, lut la jeune fille sur ses lèvres.

    Athéna se présenta à son tour, nerveuse.

    — Votre nom, Mademoiselle ?

    — Athéna Debeauvoir.

    — Votre date de naissance ?

    — …

    — Je vous prie ?

    Panique.

    — Je… je ne sais pas.

    Mon aventure au château d’Hélènie se terminera-t-elle ici ? Sans même avoir réellement commencé ? Pour une histoire de date de naissance ?

    — Vous ne savez pas ?

    — J’ai été adoptée.

    — En quelle année ?

    —1681.

    — Le jour ?

    — Je ne sais pas. La famille qui m’a recueillie m’a dit que je n’avais que quelques jours lorsqu’on m’a déposée devant chez elle. C’était vers la fin décembre 1681.

    L’homme la scruta, cherchant à décrypter si elle disait vrai. La jeune femme vit à la main qui traçait des cercles invisibles sur la table que celui-ci hésitait.

    Mal à l’aise, Athéna se tortillait dans sa robe de satin.

    Je vais devoir partir, c’est certain. Il va me demander de quitter le domaine. Au moins, j’aurais tenté. De me tailler une nouvelle vie.

    Mais parfois une porte s’ouvre et le destin bifurque.

    — Tendez-moi votre poignet, je vous prie.

    Un peu surprise, elle présenta sa main droite et il y noua un ruban rouge.

    Un serviteur apparu à ses côtés.

    Il était vêtu comme les autres, à l’exception de ses épaulettes bleues et non dorées.

    Il s’inclina en une légère courbette.

    — Suivez-moi, je vous prie.

    — Euh oui bien sûr.

    Où m’emmène-t-il ?

    Athéna tenta d’adopter une expression qui ne trahirait pas sa nervosité et salua de loin son frère qui la regardait sans comprendre. Elle lui fit signe d’entrer dans la cour. Timothée sortit

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