Un Jour d'orage: Roman
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À propos de ce livre électronique
Vincent vit une enfance heureuse entre le village situé au bord de la rivière et le cabanon d’été, au bout d’un chemin de sable. Son meilleur ami, son idole absolue, est son grand-père. Ancien viticulteur et manadier, Jean Mazauric l’initie à la magie du cheval et du taureau, il lui fait découvrir le pays des étangs clairs et des garrigues ensoleillées, l’emmène sur les traces du sanglier Mangegloire.
Vincent croque la vie à pleines dents, orpailleur d’aventures avec ses copains et bientôt avec la belle Adeline, qui lui apparaît au détour des chemins et des saisons. Mais pendant les vendanges, alors qu’ils chevauchent un soir d’orage, la foudre frappe le vieux manadier.
Comme ses personnages, Jean-Pierre Védrines est languedocien mais aussi poète. Dans ce roman à la langue puissante et où l’enchantement est partout, il recrée le meilleur de la vie d’un enfant et partage avec nous, le temps d’une année, son amour pour sa terre natale.
EXTRAIT
Une nuit de décembre, l’hiver déboula sans crier gare et enferma le pays dans ses bras glacés. Le mistral en profita pour accrocher aux fenêtres des grelots scintillants de gelée blanche. Une lumière froide tombait des étoiles. Dans les vignes, on entendit un long murmure qui ressemblait au mugissement d’un taureau. À l’aube, la campagne était blanche. Sous les roues des charrettes, les cailloux crissaient et les chevaux n’aimaient guère quitter l’écurie.
Ce jour-là, Vincent et son grand-père partirent au galop jusqu’à la cabane du vieux manadier. Dès qu’ils furent arrivés, ils s’abritèrent derrière un massif de roseaux à quenouille. Jean Mazauric alluma un feu sur lequel, quelques instants après, il fit brasiller des côtelettes. Le vent du nord mugissait dans les salicornes. Un héron blanc vint se poser au milieu d’une touffe de saladelle.
— L’hiver, déclara Jean Mazauric en tirant une bouffée de sa pipe, il faudrait faire comme les dattes de mer : on creuserait des cavités profondes dans la terre. On dormirait tout le temps du froid et puis, au premier jour du printemps, quand la lumière éclate de toutes parts, on quitterait notre trou !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Pierre Védrines est originaire du sud de la France. Il rédige ses premiers poèmes à l’âge de douze ans. Sa poésie est remarquée très tôt par Guy Chambelland qui le publie dans sa revue Le Pont de l’Epée, puis en volumes : L’Ecuelle rouge ; Enfer Eden ; Un mort à tenir debout. Dès lors, les recueils se succèdent et les prix se suivent : Prix Froissart (1971), Grand Prix de poésie des Ecrivains Méditerranéens (1993), Prix Gaston Baissette (1998), Prix Roger du Teil (2007), Prix des Beffrois (2007), Prix de poésie de la ville de Dijon (2013).
En 2004, il commence à publier des romans. S’il emprunte les traits de ses personnages à son milieu familial, son imagination, elle, se nourrit des liens profonds qu’il entretient avec le Sud méditerranéen. Elle est sans cesse influencée par les éléments de la nature -le vent -, mais aussi l’eau étrange des étangs et les longues étendues de sable des rivages du golfe qu’il parcourait enfant alors que sa famille campait dans les dunes. « Je reste en vie, a-t-il écrit dans une note sur ses romans restée inédite, grâce à mes « histoires ». C’est pour moi une nourriture essentielle. »
Aujourd’hui, il est Président de l’association littéraire La main millénaire et dirige la revue du même nom qu’il a fondée en 2011. Il vit à Lunel, à côté de Montpellier.
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Aperçu du livre
Un Jour d'orage - Jean-Pierre Védrines
Préface
Où toute lumière prend naissance
Jean-Pierre Védrines est poète. D’abord poète. Et même si la formule aujourd’hui, dans notre pays, peut faire rire, c’est une formule à laquelle je tiens. Elle dit le vrai sans dire le reste. Elle est peu bavarde mais elle indique le chemin : chemin des crêtes, des cimes blanches. Jean-Pierre Védrines est donc poète, et il a écrit quelques recueils inoubliables parmi lesquels il faut retenir Capitale interdite (P.J. Oswald, 1968), Un mort à tenir debout (Le Pont de l’épée, 1979), un autre également, venu se poser sur le rebord de la fenêtre - un livre parmi les livres -, La liberté est ma lumière (Pleine Plume, 1989), véritable « chant sous la dictée »puisque traversé par les lumières de Nelson Mandela alors encore en captivité.
Un Jour d’orage est à ma connaissance le premier roman de Jean-Pierre Védrines. C’est un récit qui sort du cadre étriqué de la narration. Bien entendu elle est présente,la narration, avec ses silences et ses dialogues, sa « parure » même. Mais c’est une narration qui donne à voir, qui dit l’essentiel, qui bouge dans le vent. Le monde est là, qui tient debout, un monde où Vincent semble vivre une enfance heureuse aux côtés de son grand-père qui l’initie à la magie du cheval de Camargue et du taureau. Le monde est là dans lequel se perd la langue de Jean-Pierre Védrines, justement parce que c’est la langue d’un poète à la fois belle et simple, au confluent des pensées, à la croisée des chemins. Ce livre,c’est le livre d’un rêve qui devient réalité, c’est l’apprentissage du monde et de la vie. Vincent y découvre un pays, son pays : vignes, garrigues, étang, mer.Vincent découvre les siens.
Dans l’écriture de ce livre qui nous est proposée, sous la peau des mots, derrière la poussière d’encre, entre les blancs des pages, il y a ces mots sonores où s’inscrit toute révolte, où toute lumière prend naissance. Il y a ces mots nus qu’il faut lire absolument.
Thierry Renard
« Ce qu’il faut sauver de l’enfance, c’est le don du premier étonnement. Il permet de trouver toujours le premier sourire, le premier arbre, le premier compagnon ; la première émotion devant chaque objet infiniment répété. Il refoule la force de l’habitude et permet à la vie de se réchauffer au brasier permanent. Il entraîne la clairvoyance. »
Gaston Baissette,
Le Soleil de Maguelone.
L’herbe au vent
Ce jour-là, Vincent avait bon appétit. Assis à la table familiale, face à son père, il croquait avec délice sa dernière boule de beignet au miel. Sylvestre Saint-Jour était en verve. Il parlait de son enfance à son fils.
— C’était un temps, disait-il, où la langueoccitane chantait dans nos gorges et sur nos lèvres ! Un temps d’amour !
Il leva les bras et Vincent crut voir descendre des colombes de ses mains ouvertes.
— Maintenant, c’est autre chose, marmonna le père, le pays est comme du lait tiède dans un bol ébréché. Il n’a plus guère de goût.
Tout en faisant la vaisselle, Fanny, la mère de Vincent, hochait la tête. Sylvestre était facteur. Il avait été résistant et avait participé à la libération du village. En 1946, il avait tenté de travailler les vignes avec Virgile, son beau-frère. Mais les grêles, les gelées, les maladies qui avaient ruiné les récoltes, l’avaient découragé.Il avait quitté la terre. Le matin, quand son père ne le conduisait pas à l’école, Vincent l’entendait partir, traînant les pieds et ronchonnant. Par la fenêtre, il le voyait enfourcher sa bicyclette et pédaler en direction de la poste.
Le lendemain matin, assis sur le porte-bagages arrière du vélo de son père, Vincent rejoignit l’école. Sa mère en était la directrice. Comme tous les jours, Fanny surveillait la cour de récréation. Elle s’était levée tôt, avait pris son petit-déjeuner rapidement et, lançant la deux chevaux familiale sur le chemin cahoteux qui conduisait au village, elle avait regagné l’école. L’enseignante avait toujours quelque chose à faire pour sa classe. Lorsque Vincent arriva, Fanny venait de punir un élève. C’était un garçon hirsute, dégingandé, qui, dans sa blouse noire, paraissait aussi raide qu’un piquet. Vincent reconnut Théodore Coulibas.
— Ta mère l’a puni, gloussa le gros Madrague.
— Ah ! crachota Coulibas entre ses dents, tu es le fils de la directrice… Saint-Jour !
Au regard qu’il lui lança, Vincent comprit qu’il espérait avoir sa revanche. Pourtant, quelques jours après, alors que Vincent avait envoyé au même Madrague un tel coup de poing qu’il pissait le sang par le nez comme une fontaine, Fanny punit son fils si sévèrement que Coulibas en resta coi.
— Elle est juste ta mère, finit-il par concéder.
Ces mots, dans sa bouche, étaient le signe d’une grande admiration.
Tartines s’était aminci d’un coup. Il dépassait les enfants de son âge de la tête et des épaules. Ses cheveux étaient coupés en brosse. C’était un garçon à la fois solitaire, passionné et courageux. Il prenait sans cesse la défense des petits contre les plus forts, les tricheurs, les voleurs de billes. Il devait son surnom à son incorrigible fringale. On le voyait dès le matin dévorer à pleines dents deux grandes tranches de pain beurrées garnies de saucisson à l’ail. Cela faisait sourire son père, le charcutier Élie Bonaventure.
Le jour précédent, vagabondant comme tous les enfants du monde, Tartines et Vincent avaient trouvé sur le chemin qui conduisait à l’étang de l’Or un denier melgorien vieux de mille ans. Lorsqu’ils furent dans la cour de récréation, Tartines n’eut qu’une seule hâte : faire partager leur découverte. Appuyé à un pilier du préau, le jeune écolier acheva son morceau de pain et de saucisson à l’ail. Coulibas était suspendu à ses lèvres.
— Alors ?
Tartines se redressa, devint aussi raide que la justice, vérifia à gauche et à droite que personne ne l’écoutait.
— Le trésor !
Coulibas le regarda comme s’il avait pris un coup de plein soleil sur la tête.
— Le trésor ? Tu veux dire que tu as retrouvé la vieille galère avec le trésor de Bernard de Melgueil ?
— Ouais, siffla Tartines sous le nez de Coulibas interloqué, j’ai trouvé une pièce, avec Vincent, près de l’étang.
Quelques jours plus tard, Tartines arriva à l’école tout essoufflé. On était à la fin du mois d’octobre. Il faisait encore doux. La veille, les enfants avaient vu passer le dernier tombereau des vendanges que l’on conduisait à la cave. Dans les vignes, grives et étourneaux se soûlaient de raisins, cachés sous le feuillage jaunissant des souches et que le soleil avait noircis au point d’en faire des diamants de douceur. On en retrouverait à la Noël sur les sarments effeuillés, de ces petites grappes oubliées par les mains agiles des femmes. Et rien n’était meilleur dans la nuit de l’hiver que ces derniers trésors de la terre. Tartines reprit son souffle. Il tenait sa main fermée dans sa poche.
— Je n’ai qu’une seule pièce, car le cabanier Gavarel a volé tout le trésor. Demain, j’irai le dénoncer à la police.
— Quoi, fit Coulibas, tu ferais cela, toi, Tartines !
— Oui, oui, car il s’agit du trésor des seigneurs de Melgueil, oui, je le ferai !
Il sortit la main fermée qu’il avait dans sa poche et l’ouvrit. Le denier que le temps avait usé brillait dans sa paume.
— C’est ça ton trésor ? ricana Coulibas, c’est du cuivre ! Ho ! Tu n’es pas un peu fada ?
Le visage de Tartines s’alluma d’un rictus de colère.
— Imbécile ! Le denier melgorien a permis à Tunis de payer la rançon de Saint-Louis !
On avait même retrouvé l’un de ces deniers dans le désert de Gobi, avec les restes d’une caravane de chameaux mis à jour par une tempête de sable.
Souvent, avant même qu’il ne frappe à la porte, Vincent savait que son grand-père arrivait. C’était un souffle de vent, une goutte de pluie, un rayon de soleil. Un moineau pépiait, une pie faisait la cour à un cep dénudé. Il ne savait quel mystère lui annonçait l’arrivée du vieil homme. Bientôt, le cœur de l’enfant battait la chamade. Après avoir tapoté le heurtoir de la porte, son grand-père entrait. Vincent courait se jeter dans ses bras. Une lueur passait sur le visage de Jean Mazauric. Le corps légèrement tendu en avant, il s’immobilisait, embrassait son petit-fils.
Depuis la mort de Marie, il n’était plus le même. Ses cheveux neigeaient en longues mèches sur ses épaules. Dès son plus jeune temps, il avait porté une belle moustache à la gauloise. À la mort de son épouse, une sorte de froideur avait saisi sa bouche rieuse. Maintenant, la petite flamme qui brillait dans son regard semblait vouloir s’éteindre. Une profonde tristesse l’étreignait de sa main de glace. La nuit, il dormait mal. Fanny, lorsqu’il venait manger à la maison, lui préparait ses plats préférés. Mais rien n’y faisait : il était ailleurs. On ne savait où. Vincent imaginait qu’il chevauchait par la pensée au paradis dans les enganes, ces prairies de salicornes, à la recherche de Marie. Vigneron et manadier toute sa vie, Jean Mazauric avait vendu sestaureauxet donné ses vignes à son fils,Virgile. Un jour où il était venu leur apporter des figues, Vincent lui avait dit :
— Papé, je voudrais que tu m’apprennes à monter à cheval.
L’enfant avait visé juste. Jean n’attendait qu’une occasion pour faire partager à son petit-fils la fé di biòu et son amour du cheval. Quoiqu’il s’en défendît, Jean était encore passionné par les courses camarguaises.
— C’est un pauvre métier, lui dit-il ce jour-là, que d’élever des taureaux ! On n’y fait guère fortune, mais la vie avec les bêtes donne le goût de la liberté. C’est ça notre bien, à nous les hommes de Camargue, la liberté !
Il avait gardé, de la vente de sa manade, une jument, Escapade,et sa pouliche, Cigale, qu’il destinait à Vincent.
En ce début d’automne, dans la cour au sol en terre battue, l’apprentissage de Vincent commença. Son grand-père semblait avoir retrouvé sa joie de vivre.
— L’essentiel, c’est de sentir le cheval, petit ! C’est de monter juste ! Un gardian doit savoir avec ses jambes ce qui se passe dans la tête de la monture !
Cigale devint bientôt l’amie de Vincent. La pouliche était de petite taille avec une tête carrée au front large. Sa robe grise était légèrement truitée. La rapidité de ses réflexes, sa souplesse émerveillèrent l’enfant. Lorsqu’il la conduisait à l’écurie, Cigale hennissait. Quelquefois, il l’étrillait et lui donnait du picotin. Son grand-père le regardait faire en souriant. On eût dit une grosse planche de frêne qui se serait décharnée en vieillissant. Sur ses joues, s’allumait la flamme bleue de sa barbe.
Un matin, tandis que Vincent virevoltait dans la lumière, son grand-père lui annonça qu’il était devenu un véritable cavalier. Il pouvait, s’il le désirait, aller galoper dans les environs du village. Vincent était fou de joie. Il fit faire à Cigale une volte. Elle hennit et se cabra. C’était un signe. Au trot, la jument prit la route des garrigues.
Le soleil rayonnait dans le feuillage des platanes. Le jeune cavalier longea le Vidourle durant quelques kilomètres, puis il poussa sa monture sur une sente qui filait au milieu des pins. L’herbe craquait sous les pas de la jument. De la terre montait une odeur de thym et de poussière ocre. Tout cela sentait le bonheur. De grandes vagues d’oiseaux glissaient dans la lumière. Au sommet de la colline, le vent léchait les pierres grises d’un village en ruines.
À un moment, Vincent crut apercevoir la hure d’un sanglier de toison noire. Le vent grésillait à ses tempes. L’émotion l’étreignit. Puis la sente s’élargit. L’enfant découvrit deux ornières qui serpentaient dans les pavés romains de l’antique voie. Bientôt sa monture le conduisit dans une sorte de ravin boisé au fond duquel coulait une eau claire où se reflétait la tête pourpre des arbres. Il leva les yeux : la ligne de crête se dessinait, fauve et brûlante, appuyée contre le ciel.
Il incita Cigale à remonter. La pente était douce. Sous les sabots de la jument, la terre tressauta ; des cailloux, bruyamment, roulèrent sur la pente. Au sommet de la colline, il découvrit la plaine avec ses hameaux éclairés par le