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Méfiez-vous des contrefaçons
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Livre électronique399 pages5 heures

Méfiez-vous des contrefaçons

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À propos de ce livre électronique

Gide a écrit : « Famille, je vous hais ». De son côté, Woody Allen « préfère l’incinération à l’enterrement et les deux à un week-end avec sa famille »...
La famille, on a beau la fuir, elle vous revient souvent dans la figure comme un boomerang faussement facétieux. Quand ce retour prend l’allure de jeu de massacre dans les rues de Paris, où les femmes tombent comme des mouches sous les doigts d’un tueur acharné, cela devient carrément insupportable...
En même temps, Victoire Meldec ne voit pas pourquoi elle devrait se sentir concernée, même après sa rencontre musclée avec le meurtrier, et malgré ce que chacun s’acharne à lui répéter, jusqu’au commissaire Tahar Agnelli, indécrottable individualiste, finalement pas si insensible que cela au charme de la donzelle.
Mais sommes-nous vraiment celui – ou celle – que chacun de nous prétend être ? Quels sont ces masques dont nous nous servons pour cacher nos peurs et nos désirs, enfouis au plus profond de notre inconscient, collectif ou individuel ?
Tout cela peut-il finir un jour, et les Parisiennes profiteront-elles enfin du retour du printemps sans plus craindre le pire... ?

LangueFrançais
Date de sortie17 mai 2014
ISBN9782370111388
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    Aperçu du livre

    Méfiez-vous des contrefaçons - Agnès Boucher

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    MÉFIEZ-VOUS DES CONTREFAÇONS

    Agnès Boucher

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2014 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2014. Collection Polars. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-138-8

    Prologue

    Lisa a chaud. Le soleil ne cesse de briller et de brûler depuis l’aube, et cela dure depuis des semaines sans répit. Seul un orage pourrait alléger l’atmosphère rendue irrespirable par la canicule. Dans le grand salon, quelques rares irréductibles persistent à se trémousser. Admirables ou suicidaires ? Lisa est incapable de telles prouesses, prostrée dans le grand fauteuil où elle a atterri une heure auparavant, n’en bougeant plus depuis, molle et lourde.

    C’est compter sans la sueur pernicieuse qui se faufile entre ses omoplates maigres pour glisser vers ses fesses, goutte-à-goutte avide de se muer en un flot continu. Bientôt une flaque inondera le sol, pense Lisa en pouffant nerveusement. Certains s’y laisseront prendre. Mathilde, ta nièce est incontinente, diront-ils. Le genre d’histoire à vous fusiller une réputation de jeune fille. Il faudrait qu’elle se lève et sorte dans le parc. L’ombre des grands arbres la rafraîchirait. Mais pour aller jusque-là, il faut d’abord longer la terrasse écrasée de chaleur, traverser la pelouse devenue pelade grillée, contourner le bassin où barbotent les énormes poissons rouges, objets de tous les soins de son oncle.

    La musique lui arrive plus assourdie, à présent. Les slows ont succédé aux rythmes trépidants. Lisa se redresse et cet effort démesuré la laisse pantelante. Le taffetas de sa robe couleur pêche se chiffonne contre ses cuisses, colle à son dos. Des doigts, elle éponge son front luisant, se retrouve avec une main humide qu’elle essuie discrètement sur sa robe. Abaissant les yeux, elle remarque une auréole sur sa poitrine, juste entre ses deux seins minuscules. Ce sera terrible lorsqu’elle se lèvera. Une véritable serpillière.

    Nouveau fou rire, tout aussi difficile à refréner que le précédent.

    Cela fait un bon moment que Beckie a disparu, probablement retranchée dans sa chambre. L’imaginer roulant entre les bras de son arriviste de mari lui arrache une moue d’écœurement. Quel soulagement pour leurs parents de la savoir enfin casée, même si sa dot confortable a été pour beaucoup dans la décision du promis à formuler sa demande. Sale hypocrite ! Lisa est bien obligée de se rendre à l’évidence. Sa sœur n’a rien d’une pin-up. La majeure partie de son sex-appeal se situe dans les placements faits en son nom par leur père.

    La réalité ramène Lisa vers son propre avenir. L’eau perle derrière ses genoux avant de couler le long de ses jambes. Si elle ne bouge pas, elle va patauger dans sa propre transpiration. Il est temps de se ressaisir. Elle pose ses mains sur les accoudoirs, inspire un grand coup et s’extirpe du fauteuil. Un vertige la saisit aussitôt et elle vacille. La touffeur pèse comme une chape de plomb et qu’elle n’ait rien mangé de la journée n’arrange pas la situation. Mais pour une fois que sa mère ne la suivait pas à la trace pour l’obliger à avaler ce qu’elle irait vomir quelques minutes plus tard aux toilettes, Lisa en a profité. Aucune envie de devenir une grosse vache comme Beckie qui n’a d’enviable que son teint laiteux, sa peau fine et veloutée, sans ces poils sombres et disgracieux auxquels faire constamment la chasse et qui complexent Lisa depuis la puberté. En revanche pour rien au monde elle n’échangerait sa fine et svelte silhouette de danseuse contre les rondeurs adipeuses de sa sœur. « Une véritable dentelle », a même susurré son cousin en l’examinant plus longtemps que la bienséance ne l’autorise, avant de préciser avec un sourire plein de sous-entendus « tu me rappelles quelqu’un ». Elle a beau être son aînée de quelques mois, Lisa n’a su que répondre, se sentant rougir de confusion et de plaisir. Il faut dire à sa décharge que le jeune homme est joli comme une fille, avec ses cheveux blonds tombant en mèches souples autour de son visage délicat et ses yeux transparents couleur d’eau de roche, soyeux comme le velours. Il la fixait comme s’il ne l’avait jamais vue auparavant. Un regard d’homme, à la fois glacial et brûlant.

    En y repensant, Lisa sent une bouffée d’émotion la submerger qu’elle a tôt fait de mettre sur le compte de la fatigue. Il faudrait qu’elle boive, mais le buffet est à l’autre bout de la pièce. À pas lents, elle commence sa progression. Personne ne la remarque. La plupart des invités se sont réfugiés dans l’immense serre construite à l’ouest du château. Sur la piste, l’éternel couple d’amoureux transis qui se collent l’un à l’autre avec un air béat. Lisa esquisse une mimique de dégoût. C’est déjà difficile d’accepter son propre corps, alors devoir endurer le contact d’un homme suant sang et eau et y trouver de surcroît du plaisir, merci bien ! Elle se verse un grand verre d’eau froide, y laisse tomber plusieurs glaçons puis passe et repasse le cristal le long de son visage brûlant, en défaille presque de soulagement.

    Par la porte-fenêtre ouverte, les bois paraissent déjà plus proches. Prenant son courage à deux mains, elle s’engouffre dans la fournaise. Le résultat est immédiat. Elle suffoque tandis que sa robe s’assombrit un peu plus, collant à son corps diaphane telle une seconde peau indécente. Elle n’en a cure. Il est trop tard pour reculer à présent. Courant à demi comme dans un rêve, elle dévale les marches vers la pelouse, foule sans précaution le gazon desséché. Les lourdes branches des chênes centenaires se penchent sur elle, l’invitent à profiter au plus vite de leur fraîcheur inespérée. Elle s’enfonce dans leur obscurité bienfaisante, ralentit l’allure. Une brise légère s’insinue sous sa jupe, frôle le fin jupon de soie. Lisa n’en peut plus. Elle jette un bref regard derrière elle. Le château a quasiment disparu. Il n’y a plus que le silence à peine troublé par quelques chants d’oiseaux.

    En continuant son chemin, la jeune fille sait qu’elle va atteindre l’étang dans lequel il est interdit de se baigner. Son oncle, qui sait toujours tout mieux que quiconque, prétend que l’eau stagnante est mauvaise pour la santé. Aujourd’hui, rien ne saurait être plus néfaste que la chaleur. Lisa avance d’un pas résolu jusqu’à la berge. La végétation semble encore plus dense qu’à sa dernière visite. Le fond sombre, et sans nul doute marécageux, laisse passer des brassées de joncs et d’herbes noires. Que lui importe ? Il en faut plus pour la faire reculer lorsque son obsession est de flotter nue dans l’eau glacée.

    Vite, elle se déshabille et ces simples gestes lui arrachent un vibrant soupir de satisfaction. Elle imagine un éventuel spectateur l’espionnant, sans en éprouver aucune honte. Elle se sait gracieuse et féminine, plus belle nue que fagotée dans une robe maculée de sueur. Elle étire son corps souple, libéré de toute entrave, puis s’approche de l’eau, y glisse un pied prudent. Le sol est dur. Lisa préfère ne pas imaginer sur quoi elle marche et se concentre sur la fraîcheur tellement agréable. Sans résister davantage à la tentation, elle entre dans l’étang jusqu’à la taille. Un frisson la laisse haletante, qui l’oblige à suspendre sa progression. Comment l’eau peut-elle être aussi froide, d’une température quasi polaire ? Sans doute le phénomène est-il dû à l’absence permanente de soleil à cet endroit des bois.

    Dans les fourrés derrière elle, un craquement se fait entendre. Lisa se retourne aussitôt, les mains posées en coques protectrices sur sa poitrine avant de les écarter tout aussi vite. Est-elle sotte ! Sans doute n’est-ce qu’un animal apeuré de la voir envahir son territoire. Elle s’avance un peu plus. L’eau effleure ses seins qui se dressent à la surface. Une onde inhabituelle la transperce, qu’elle ne comprend pas mais trouve cependant délicieuse. Craignant de s’évanouir, elle s’asperge les bras et la nuque, sent son corps se raidir, ses muscles s’ankyloser. Il est temps d’y aller.

    Lisa plonge tête la première, s’éloigne de la rive en quelques brasses amples et lentes. Elle ne peut plus entendre les frôlements qui ont repris sur la rive, et se rapprochent.

    Dommage pour elle.

    Chapitre 1

    Dimanche 27 mars, 4 heures

    Un bref éclair de lucidité et Victoire Meldec rompt le charme, roule sur le côté, lance les jambes hors des draps et prend appui sur sa hanche avant de se redresser.

    — Tu t’en vas déjà ?

    La voix est déçue, pas encore convaincue que ce saut de carpe soit décision inéluctable. Mais Victoire aime les réveils solitaires et fuit les petits matins cotonneux dans un lit inconnu, lorsque l’autre se sent obligé de se coller à elle dans un enchevêtrement servile de bras et de jambes. Cela a une telle couleur conjugale, présage déprimant à souhait, charriant dans son sillage des petits-déjeuners moroses avalés en tête-à-tête et autres chassés-croisés furtifs minutieusement orchestrés pour ne pas se bousculer sous la douche, baisers routiniers échangés sans passion sous des porches ou à des arrêts de bus. La routine. Uniforme, inodore, incolore et sans saveur. Quelle abomination !

    Victoire a toujours fui ces images de désolation. Elle n’a pas davantage cherché à savoir si d’autres issues que l’ennui et l’aliénation étaient envisageables dans une vie de couple. Alors, une fois de plus, elle s’arrache au corps doux comme la soie qui cherche à la retenir, tâtonne dans l’obscurité d’une chambre inconnue pour retrouver les vêtements éparpillés quelques instants plus tôt dans le feu de l’étreinte.

    — Pourquoi non ? On ne va pas y passer la nuit, ronchonne-t-elle.

    Sa main bouscule une délicate table de nuit en merisier, remonte jusqu’à l’interrupteur. La lampe de chevet diffuse une suave clarté abricot, nettement plus pratique pour repérer le jean et le pull échoués en boule au pied du lit sur un tapis persan qui a dû connaître des jours meilleurs. L’unique inconvénient de ces fuites nocturnes est de devoir renfiler des vêtements sales. Victoire déteste ça, mais toujours moins que de trimbaler un baise-en-ville partout avec elle. Vite rhabillée de pied en cap, elle se penche en avant et, avec ses doigts en forme de peigne, démêle vigoureusement ses cheveux châtains qu’elle roule ensuite en un ravissant chignon foutoir. Puis elle rajuste le col roulé bleu azur et enfile l’indémodable blouson d’aviateur.

    Ludovique en a profité pour envahir tout l’espace dans le lit, le dos confortablement calé contre les deux oreillers, une moue de déception sur sa jolie bouche. Ses doigts engourdis s’évertuent à sortir une cigarette d’un paquet chiffonné. La dernière ou la première de la journée ? Victoire ne sait plus rien de l’heure. Son regard part à la recherche d’une improbable pendule. Le studio n’est pas très grand et meublé avec une délicieuse anarchie. Ludovique aime les antiquités bringuebalantes, les bibelots ébréchés, souvenirs découverts au fond d’un grenier familial ou au gré de brocantes dans des campagnes désuètes. Le rouge et l’orange y prédominent, déclinés en une palette riche et harmonieuse, des rideaux de velours sanglant jusqu’au saumon des draps. Le lieu est autrement plus attachant que l’immense trou à rat où se terre Victoire. Chacun ressemble à son hôtesse, ici chaleureuse et hospitalière, là-bas individualiste et libertaire.

    — Tu parles comme un mec.

    Le reproche s’abat telle la lame sur le cou du condamné à mort. Mais Badinter a vaillamment œuvré pour l’abolition de la peine capitale et Victoire est bien vivante pour se rebeller.

    — Je m’insurge contre la tradition machiste qui prétend que se tirer en pleine nuit est l’apanage des hommes.

    — Adèle avait évoqué ta totale absence de sentimentalisme. Elle a omis de préciser que ça atteignait des sommets pathologiques. Je me serais méfiée.

    — Tu regrettes ?

    Dans un nuage de fumée, Ludovique reconnaît l’évidence des faits.

    — Non.

    — Adèle cause beaucoup trop. Je n’arrête pas de lui dire, mais elle continue de n’en faire qu’à sa tête. Ça lui joue de sacrés tours, tu peux me croire.

    — Tu te poses souvent en rabat-joie ? C’est d’un gonflant.

    Touchée. Victoire sourit. Que lui importent en effet les futures gamelles de sa grande copine qui en compte déjà un bon paquet à son actif ? Aucune leçon de morale ne parviendra jamais à en endiguer le flot. C’est son problème et Victoire est trop attachée à sa propre liberté pour contester celle d’autrui.

    — Dis-moi plutôt à quoi ça sert de s’accoupler, toi qui es si maligne ?

    — À avoir une raison de vivre.

    — De vivre ? Quelle blague !

    — Cynique, en plus ? Il va falloir que je te soigne.

    — Alors, selon toi, je suis malade simplement parce que je n’ai pas envie de faire un bout de chemin sur cette foutue planète.

    Ludovique réfléchit tout en pétunant de plus belle. Victoire s’est installée en face d’elle dans un fauteuil et lace ses chaussures, un pied posé sur le montant du lit.

    — Il doit bien y avoir des jours où tu aimerais être moins seule ?

    L’argument de Ludovique est balayé d’un ample mouvement agacé du bras. Puis pour ne pas avoir à affronter les grands yeux sombres ciselés en forme d’amande, Victoire se concentre sur le second lacet.

    — Je ne vois pas ce que tu veux dire, marmonne-t-elle.

    — C’est ça, joue les dures à cuire, tu ne trompes personne.

    Victoire se lève d’un bond. Les mains sur les hanches, elle contemple avec un sourire gourmand sa dernière conquête. Ludovique Vernon est un bien joli piège, du genre à envoyer paître toutes ses certitudes. Mais il n’est écrit nulle part qu’elle n’y réfléchirait pas à deux fois avant de franchir le Rubicon et perdre sa sacro-sainte indépendance.

    — La solitude est le propre de tout être vivant. Je pousse le vice jusqu’à l’aimer. C’est interdit par la loi ?

    — Tu as surtout réponse à tout ! Moi je trouve plutôt dommage de ne pas remettre ça une dernière fois…

    Le regard polisson à souhait, Ludovique cherche à rendre ses propos plus convaincants par le biais de quelques contorsions diaboliques. Le drap glisse sur son torse mince et découvre une longue et séduisante vague brune aux seins tendus par le désir, trop attirante pour qu’y succomber séance tenante ne soit pas hyper dangereux, pense Victoire. N’ayant jamais prétendu être de marbre, elle recule à regret.

    — Il y aura d’autres occasions.

    Imaginer que cette nuit ne serait pas suivie de clones tout aussi enivrants équivaudrait à un vaste gâchis.

    — Je te laisse décider.

    — Dégonflée !

    — Qui sait combien de temps va se prolonger ton désir de méditation intense dans le désert de ton ego misanthrope ?

    Victoire ne répond pas. Difficile d’accepter ses faiblesses lorsque l’on se prétend indifférente à tout. Ludovique a marqué un sacré point en même pas une nuit. Méfiance ! D’autant qu’elle se dresse à présent en une attitude de suppliante, tentatrice en diable, la rondeur de ses hanches mettant délicieusement en valeur sa taille fine.

    — OK, je rends les armes, j’ai trop envie de te revoir et j’avoue mon impatience à partager stupre et luxure avec toi ! Si on brunchait ensemble tout à l’heure ?

    Victoire secoue la tête.

    — Impossible, ma belle, j’ai déjà rencard…

    Dépitée, Ludovique se rejette en arrière. Ses tentatives pour retenir sa nouvelle amante seraient-elles donc toutes vouées à l’échec ?

    — D’amour ?

    — Pas exactement…, répond Victoire avec un mince sourire.

    — Je te préviens, je détesterais devoir te partager.

    Comment songer butiner ailleurs, lorsque Victoire Meldec dispose d’une si jolie fleur ? En se concentrant très fort, elle doit pouvoir résister à l’envie de la renverser illico dans les draps tièdes.

    — En revanche, on peut se faire une toile plus tard.

    Ludovique scelle leur pacte d’une moue lascive.

    — D’accord. En attendant, tu peux appeler un taxi, si tu veux.

    Mais Victoire a déjà la main sur la poignée de la porte, pressée de s’éclipser.

    — J’aime marcher. Ça me change de l’ordinaire.

    Ludovique n’en croit pas ses oreilles. Cette fille n’est vraiment pas nette.

    — À cette heure ? Mais tu risques ta peau dans ce quartier !

    Trop tard. La porte claque. Victoire Meldec s’enfuit sans demander son reste.

    Dans la rue, elle respire mieux. À longues lampées, le nez au vent, elle avale l’air pollué de la capitale et retrouve ses marques de noctambule invétérée. La nuit est sienne depuis toujours. Longtemps elle a fait le mur du manoir familial, cavalant jusqu’à la plage pour écouter l’écho des vagues dans l’obscurité. Le matin la surprenait endormie dans une crique, blottie à l’abri d’un rocher, frissonnante sous la caresse des embruns. Jamais ces escapades ne furent découvertes. Le retour se faisait de la même façon, à travers les dunes et les champs, avant une escalade en règle de la vigne vierge tapissant les pierres de granit jusqu’à la fenêtre de sa chambre. Aujourd’hui, les pavés parisiens ont recouvert le sable, mais le plaisir reste intact, avec cette délicieuse sensation d’être seule au monde à vivre lorsque les autres dorment du sommeil du juste, très loin d’elle.

    Le vent souffle. Cette année, mars est glacial et humide. Le printemps se fait attendre. Victoire remonte la fermeture éclair de son blouson, en ajuste le col et enfile ses gants de cuir. Le ciel est vierge de tout nuage, étoilé de belle façon. Elle s’accorde quelques secondes pour le contempler, y cherche par habitude les deux ourses sans les trouver. Elle venait d’avoir cinq ans lorsque le Vieux lui a appris à les reconnaître. Ils étaient allongés au bord du rivage, bercés par le clapotis du ressac. Au loin à bâbord, le phare d’Eckmühl leur faisait des clins d’œil réguliers. Poursuivre ce rite est devenu un hommage à la mémoire d’Auguste Meldec, le seul qu’elle puisse lui rendre. Ils étaient si différents malgré leurs caractères de cochon respectifs. Cette nuit, l’étroitesse de l’horizon l’empêche de jouer les astronomes amateurs et son temps est tellement précieux qu’elle ne tient pas à le gâcher. L’aube est encore loin et jamais heure n’a semblé plus propice au défoulement.

    La rue d’Aboukir baigne dans une tranquillité qui n’a que peu à voir avec son rythme diurne. Les rideaux de fer sont baissés sur les devantures des magasins. Dans un coin, sous l’abri éphémère d’une devanture de Franprix, un SDF ronfle comme un sonneur, emmitouflé dans un sac de couchage maculé, inconscient en puissance. Ludovique a raison. Les rues de la capitale ne sont pas si sûres qu’il n’y risque une agression. Qui s’en préoccupe ? Sûrement pas ses contemporains. Il a tout oublié de leurs soucis, eux avides de protéger leurs biens, soucieux de leur paraître et de leur respectabilité stupide et vaine. Il n’a plus rien à défendre qu’un sac polochon transformé en oreiller pour l’occasion. Et sa vie.

    C’est justement cette menace sous-jacente qui excite Victoire. L’image lascive de Ludovique s’efface en un pâle souvenir. Ne s’étend plus devant elle que le dédale des rues enchevêtrées comme autant de coupe-gorge pernicieux, et la jouissance de marcher à l’aventure, le nez au vent, le pied léger, rasant les murs, se fondant dans la nuit. Rue Réaumur, elle oblique par la rue du Sentier jusqu’à Bonne-Nouvelle. Tout est paisible. Leurs volets tirés, les immeubles semblent autant de remparts équivoques dont les meurtrières auraient été effacées. La vie a disparu sans que la mort la remplace, juste le silence, improbable rémission en suspension dans l’air comme un équilibriste sur un fil invisible. Au loin, quelques conducteurs attardés font ronfler leur moteur, appuyant sur le champignon pour rentrer plus vite. Victoire serre les dents. Il y a des contrôles d’alcoolémie qui se perdent.

    Après le boulevard Poissonnière, le labyrinthe se fait plus étroit, véritable terrain de chasse et objet de tant d’attentions. Embusquée sous un porche et sans jamais perdre de vue les alentours, elle sort de son sac à dos un long poignard – presque un poinçon tant la lame est fine et brillante sous le réverbère –, rare souvenir du Vieux, dont il se servait pour trancher les pages des manuscrits qu’il choyait plus que n’importe qui, excepté elle. Du bout des doigts, dans un geste teinté de respect et de délectation, elle le caresse, en apprécie le tranchant. Ludovique a tort de la croire irresponsable. Que peut-elle craindre, ainsi armée ? Elle n’a jamais eu à s’en servir pour se défendre, mais son intime conviction est qu’elle n’hésiterait pas si cela s’avérait nécessaire.

    L’arme collée contre sa cuisse, elle avance le long des voitures puis, sans aucune logique, frappe sur son chemin berline rutilante ou tas de boue ; nul n’est épargné. Partout où ces immondes salopards bouffent l’espace, sa mission est de détruire la souillure insupportable qu’est leur ferraille despotique alignée dans une belle anarchie. Victoire Meldec prend son pied, avec calme et détermination. Il n’est pas dit qu’une femme doit nécessairement être hystérique quand elle se déchaîne. Sa technique est simple et définitive, où le doigté est important, avec l’indispensable vitesse d’exécution. Un coup suffit, donné avec suffisamment de force pour entamer la gomme en profondeur, puis d’une légère torsion du poignet, la déchirer sur plusieurs centimètres. Le principe n’est pas de crever un seul pneu mais bel et bien de les massacrer tous. Avant d’imaginer la mine incrédule du conducteur atterré, découvrant au matin le résultat d’une vendetta désespérée et calculant par avance le coût du méfait. Ce n’est pas donné, un train de boudins. Alors deux à la fois ! La moisson s’annonce excellente, parmi les meilleures. Finalement, Victoire a eu raison de ne pas s’octroyer de grasse matinée chez Ludovique. Au bout d’une heure, elle a déjanté plus de cinquante voitures, record qui ne sera jamais reconnu par le Guinness.

    Ce n’est qu’en entendant un bruit de moteur résonner plus près qu’elle lève le nez et sort de son rêve. Le soleil à peine rougeoyant au-dessus de Montmartre lui indique qu’il est temps de mettre un terme à ses opérations. Inutile de prendre des risques. Tapie contre la carrosserie d’une Alfa Romeo, elle laisse passer l’importun, profite de l’occasion pour saccager scrupuleusement la portière arrière en un joli dessin surréaliste. Encore un qui comprendra son erreur de ne pas louer de parking et n’osera plus se risquer à se garer à cheval sur le trottoir.

    La voiture s’est arrêtée quelques mètres plus loin. Il restait une place sur un passage piéton. Trop tentante. Des claquements retentissent dans le silence. Victoire se relève à demi, jette un coup d’œil par la vitre. Une femme remonte vers Pigalle, un sac jeté sur son épaule. Le couinement de ses Nike va decrescendo à mesure qu’elle s’éloigne. Il n’y a pas de temps à perdre. La Renault rangée sur les clous n’a plus beaucoup de temps à vivre. En moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, les quatre roues sont à plat, le rétroviseur démembré, la peinture dévastée de zébrures. Lorsque Victoire se redresse, satisfaite de son travail, le silence est revenu. Elle l’écoute, le savoure tels les applaudissements sincères d’un témoin muet, avant de décider de clore sa nuitée destructrice sur cet éphémère chef-d’œuvre. La règle est de ne jamais tenter le diable. Certains la croiront folle. Qu’importe ! La réalité reste qu’elle ne l’est pas. Sans réfléchir, elle met ses pas dans ceux de la conductrice, avance vite pour ne pas se laisser gagner par le froid, rêve d’un thé brûlant. Lorsqu’elle rencontre l’obstacle, il est trop tard pour faire demi-tour.

    Car à cent mètres de là, un couple se dispute. D’abord, Victoire ébauche un sourire dédaigneux. Voici entre autres choses à quoi elle échappe en refusant depuis toujours de subir la loi tyrannique des mâles. Le conflit s’envenime lorsque le bipède se fait plus pressant, voire exigeant. Victoire met sur le compte de la frivolité le refus que sa compagne semble lui offrir. Par curiosité, elle s’approche, retrouve son allure de chat, marchant d’instinct sur la pointe des pieds. Mais les plaintes n’ont rien de chichis frivoles. La femme se débat. Désespérément. Inutilement. Son séducteur est plus fort qu’elle. Victoire s’avance encore, surprend la main qui bâillonne, et surtout la seconde qui s’évertue frénétiquement à remonter le pull sur le ventre lisse.

    Comment ne verrait-elle pas rouge ? D’instinct, elle se rue dans la mêlée et assène une violente bourrade sur le dos de l’agresseur. Il se tasse, mais ne succombe pas, avant de se retourner et de se retrouver nez à nez avec une espèce de rat des villes qui le frappe à coups redoublés, jouant des poings avec une dextérité infernale. La rue est tellement sombre qu’ils ne voient rien l’un de l’autre. Mais peu leur importe, surtout à Victoire, tous ces enfoirés ont la même sale gueule dès qu’on leur met des bâtons dans les roues.

    — Lâche-la, salopard !

    Elle s’est écartée de quelques pas, le temps de reprendre son souffle, le dégoût chevillé aux tripes. Incrédule, l’homme la regarde, l’œil tout tendu par la haine. Cette hystérique vient au plus mauvais moment tuer son plaisir dans l’œuf.

    — Tire-toi de là ou je m’occupe de toi après elle.

    — C’est ça, enflure, cause-moi du pays, tu me feras plaisir.

    À quoi bon discuter ? Elle se jette de nouveau sur lui avec toute la force dont elle est capable, tout aussi téméraire qu’inconsciente. Ses années de judo remontent aux calendes grecques, mais il ne sera pas dit qu’elles ne lui auront servi à rien. Le danger est qu’elle n’a pas évalué l’envergure de son adversaire à sa juste mesure, prise au dépourvu par l’ampleur de sa rage. Si l’effet de surprise l’a tout d’abord empêché de riposter, il sait à présent à qui il a affaire.

    Comme un enfant capricieux le ferait d’un jouet cassé devenu inutile, il repousse violemment sa victime qui va s’écrouler sur le pavé, avant de bander tous ses muscles et de se camper solidement sur ses jambes. Un coup de poing brutal cueille l’empêcheuse de violer peinard en pleine figure et l’envoie valser contre le rebord d’une fenêtre, à demi assommée. Il profite du répit pour revenir à ses moutons. Se croyant tirée d’affaire, sa proie tentait de fuir en rampant. Elle doit se faire une raison. Ce n’est pas encore cette fois qu’elle s’en sortira. Se ruant à califourchon sur elle, il la ramène à la dure réalité, saisit ses cheveux à pleines poignées et commence à frapper son crâne sur le bitume. Les cris jaillissent, rauques, insupportables. Elle va réveiller tout le quartier si elle continue à beugler comme une furie. Alors les doigts se font crochets métalliques pour agripper le cou et serrer, serrer, jusqu’à écraser les vertèbres avec une fureur sadique, avides de détruire.

    Derrière lui, Victoire recouvre peu à peu ses esprits. Son visage la brûle. Ses yeux ont du mal à percer le brouillard, car elle a perdu ses lentilles de contact dans la bagarre. Myope comme une taupe, elle cherche à se redresser. Difficile quand sa tête se prend pour un carillon et tinte à toute volée. Peu à peu, ses idées se font plus claires et elle se souvient du stylet rangé dans le sac à dos. Au moment même où sa main se referme sur la poignée de métal, l’homme donne une dernière secousse, brisant net la nuque de la femme dans un craquement de sinistre augure.

    Mais Victoire n’a pas compris. Elle regarde les deux corps étendus l’un sur l’autre. Elle imagine ce qu’elle croit être le pire, d’autant que son agresseur cherche à faire glisser le jean le long des cuisses. Elle lui hurle de se tirer de là. Furieux d’être à nouveau dérangé, il se redresse. L’emmerdeuse est agenouillée au pied du porche. Finalement, elle n’a pas tort, il vaut mieux baiser une vivante que de s’envoyer un cadavre, si girond soit-il. Il se relève et avec une assurance insupportable s’avance vers Victoire. Tant pis pour elle.

    Tant pis pour lui, pense Victoire au même instant. Aveuglée par le sang qui coule sur son œil, elle le laisse s’approcher dans un flou artistique, trop fatiguée pour envisager l’étendue du danger, ne voyant que la main qui entrouvre la braguette. Qu’a-t-elle à perdre ? La vie. La belle affaire ! Ne la tenait-elle pas pour quantité négligeable quelques instants plus tôt ? Même si elle n’en est plus

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