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Max
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Livre électronique358 pages5 heures

Max

Par M.I.A

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À propos de ce livre électronique

Le mal absolu existe-t-il ?

C’est l’été.
Une chaleur étouffante enveloppe La Nouvelle-Orléans, à quelques jours du Satchmo SummerFest qui fait affluer les touristes.
Des crimes étranges et particulièrement barbares sortent brutalement la ville de son insouciance estivale.
Le vice a-t-il définitivement happé La Nouvelle-Orléans ou la source de cette violence est-elle plus profonde, plus noire, plus animale ?
Zachary, ancien flic et détective privé sur le retour, arpente chaque nuit les rues de la métropole. Parviendra-t-il à mettre fin à ce jeu macabre auquel il se retrouve involontairement mêlé ?
Mais surtout... découvrira-t-il qui est vraiment Max ?

« Max », un thriller fantastique inclassable qui ne vous laissera pas insensible.

LangueFrançais
Date de sortie5 juin 2015
ISBN9782370113245
Max
Auteur

M.I.A

Le pseudo M.I.A (« Missing In Action ») concrétise la rencontre de deux amis passionnés de littérature, de cinéma, et d'actualité politique, pour ne citer que quelques points communs évidents.La méthode de travail choisie pour l'écriture de ce roman est particulière, car près de 1500 kilomètres nous séparent : qui pourrait penser que « Rémoras » et « La Trappe » ont été intégralement pensés, construits et rédigés à distance, grâce à Internet ?

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    Aperçu du livre

    Max - M.I.A

    cover.jpg

    MAX

    M.I.A

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Thrillers. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-324-5

    À Catherine M.

    Le jeu peut commencer…

    Lundi

    – 1 –

    Le chemin retour est plus long que dans ses souvenirs. Ou peut-être cette impression est-elle due à l’heure tardive et au chagrin qui s’est abattu sur elle à minuit, lorsque le vieux Simon Potter a rendu l’âme. L’horloge du salon, aussi fatiguée que l’homme moribond, a mêlé ses douze coups aux sanglots de la famille rassemblée dans la petite maison décrépite. Gracie a pleuré avec eux, sans retenir la moindre larme, serrée entre la veuve et quelques cousins anonymes. Elle a observé le père Patrick McEnery au chevet du corps désormais inerte, fermant doucement les paupières rigides. L’onction aux malades a pu être administrée à temps et le vieillard est mort en souriant, ce qui a légèrement consolé la jeune femme au moment des adieux. Elle connaissait Simon depuis des années et il va affreusement lui manquer.

    Gracie et le prêtre jésuite sont restés encore deux heures dans la maisonnette en deuil, prodiguant quelques mots de réconfort à chacun et évoquant la vie bien remplie du trépassé : cinq enfants, treize petits-enfants et un nombre incalculable de gamins appartenant à la quatrième génération. L’homme a été entouré jusqu’au dernier instant, l’amour familial l’aidant peut-être à oublier son extrême pauvreté et les traitements médicaux qu’il n’a jamais pu se payer. Gracie l’espère, en tout cas, et elle rumine silencieusement sa tristesse tandis qu’ils se rapprochent du Saint Louis Cemetery No. 1 en descendant Basin Street.

    Elle est légèrement agacée que père Patrick n’ait pas jugé utile d’appeler un taxi pour rentrer. À vol d’oiseau, un peu plus d’un kilomètre et demi sépare l’adresse des Potter de celle du prêtre, qui habite à trois rues de Gracie, tout près de l’église Immaculate Conception. Ce n’est pas énorme, mais cette distance est particulièrement éprouvante lorsque la fatigue, la peine et l’inquiétude s’en mêlent. Car devoir déambuler dans Tremé en pleine nuit, en longeant le parc Louis Armstrong pour contourner le cimetière par le sud avant de rejoindre l’ouest du Vieux Carré, n’a rien pour rassurer la jeune femme. Elle connaît bien sa ville, sa beauté, mais aussi ses problèmes. Elle est parfaitement consciente qu’ils prennent un risque inutile en arpentant les rues presque désertes et souvent mal éclairées qui jalonnent leur parcours. Elle sait qu’ils s’exposent aux déshérités qui investissent le parc et ses abords à la nuit tombée. Junkies et miséreux en quête de quelques dollars ne sont habituellement pas loin. Les imprudents y laissent leur portefeuille, parfois beaucoup plus. Enfin, c’est ce qui se dit. Peut-être n’est-ce que propagande médiatique, essaye-t-elle de se convaincre en vain.

    Gracie hésite à sermonner le prêtre, ami de son défunt père, qui l’a vue naître et à qui elle voue une admiration et un respect sans bornes. A-t-elle le droit de lui reprocher son sens extrême de l’économie, qui confine parfois à l’avarice ? Elle se doute que son intention est louable, mais elle ne peut s’empêcher de lui en vouloir un peu. Un taxi n’aurait pas coûté bien cher, surtout pour un trajet aussi court. En quelques minutes, ils auraient chacun retrouvé la sécurité de leur appartement et pu prendre un repos bien mérité. Au lieu de cela, ils passent d’une rue à l’autre au fil de minutes qui s’éternisent, observant nerveusement les ombres mouvantes tracées par des lampadaires trop rares au goût de la jeune fille.

    La chaleur lourde et humide ne rend pas leur trajet plus facile. Gracie donnerait n’importe quoi pour retirer la robe ample qui colle à ses cuisses et s’offrir une douche fraîche. Elle a mal aux pieds d’être restée si longtemps debout dans la chambre du mourant. Ses jolies espadrilles au talon légèrement compensé – une coquetterie, pour une femme qui rejoindra la vie monastique dans moins de deux semaines, elle en est bien consciente – ne sont pas adaptées à la situation. Si elle avait su ce matin qu’elle allait devoir enchaîner une veillée funèbre et un retour à pied chez elle en pleine nuit, elle aurait choisi une paire de chaussures plus pratiques. Des baskets, pour pouvoir courir en cas de besoin, se met-elle à penser. Elle tente de se raisonner, alignant son pas sur celui de père Patrick, dont les grandes jambes et l’énergie naturelle effacent sans peine les trente ans d’âge qui les séparent. Gracie le suit difficilement et la moiteur ambiante l’empêche de bien respirer. Elle voudrait que le ciel nuageux craque et libère enfin la pluie attendue depuis deux jours.

    — Père Patrick, pas si vite… J’ai vraiment mal aux pieds.

    Le prêtre se retourne vers elle, l’air étonné, comme émergeant soudain d’une réflexion profonde. Il lui adresse un large sourire étrange, très éloigné de son expression habituelle, bienveillante mais plutôt réservée. Le rictus disparaît rapidement de son visage.

    — Pardon, Gracie. Je ne m’étais pas rendu compte de tes difficultés. Mais s’attarder ici n’est pas recommandé.

    Elle se mord la langue pour ne pas lui faire remarquer qu’il est pleinement responsable de leur situation. La future novice du Saint Clare’s Monastery est de nouveau au bord des larmes. Elle est sur le point de lui répondre lorsqu’il la saisit par le bras, ses yeux perçant la pénombre derrière elle.

    — Je crois que nous sommes suivis. Dépêchons-nous.

    Avant qu’elle puisse l’interroger, il l’entraîne sans donner plus d’explications, lui imposant un rythme soutenu. Les semelles de corde de Gracie produisent un curieux bruit de frottement sur l’asphalte, tandis qu’elle cherche son souffle en aspirant de grandes goulées d’air étouffant. Elle n’ose pas se retourner et reste cramponnée à la main sèche du jésuite. Ce dernier se charge de surveiller leurs arrières et jette de fréquents coups d’œil sur sa gauche, en direction du parc qu’ils sont en train de dépasser en empruntant le large virage de Basin Street qui débouche sur le cimetière.

    — Plus vite, Gracie !

    Elle se hâte autant que ses espadrilles le lui permettent, songeant même à les retirer pour pouvoir courir. Mais s’arrêter pour dénouer les nœuds complexes qui lui enserrent la cheville est hors de question. Elle se fustige intérieurement pour cet achat stupide et inutile. Il lui semble entendre des pas derrière eux, qui vont en s’accélérant. Mais peut-être n’est-ce que le son de son propre cœur, affolé et bien trop bruyant dans ses tympans. Les voitures sont peu nombreuses, en ce tout début de lundi. Depuis plusieurs minutes, aucune n’a emprunté la large avenue qu’ils descendent. La jeune femme se sent oppressée par cette absence de vie. Ses pires cauchemars sont toujours ceux où elle fuit un ennemi qu’elle ne peut voir, mais qui se rapproche inéluctablement. Ceux dans lesquels personne n’entend ses cris et où elle compte sur la promesse d’un réveil imminent pour la réconforter.

    Ils atteignent enfin le mur du cimetière, contre lequel Gracie s’appuie un instant, soulagée d’être maintenant si près du Vieux Carré. D’habitude, elle évite le quartier rempli de touristes ivres venus s’étourdir dans ses rues qui ne dorment jamais. Mais cette nuit, elle aimerait pouvoir franchir par la pensée les quelques centaines de mètres qui la séparent de Bourbon Street, pour rejoindre ceux qui célèbrent par anticipation le Satchmo SummerFest. Le festival ouvrira officiellement dans trois jours. Gracie sait bien que, même sans ce prétexte, l’ambiance serait tout aussi festive, mais la perspective d’un nombre accru de vacanciers la rassure encore davantage. Le prêtre la sort de ses réflexions par un chuchotement impérieux.

    — Gracie, ce n’est pas le moment de t’arrêter ! Nous sommes toujours suivis…

    Elle se laisse une nouvelle fois entraîner. Son ami et mentor n’est pas du genre à s’affoler pour rien. S’il la presse autant, c’est qu’il craint vraiment pour leur sécurité. Elle pensait qu’il allait tout de suite emprunter Saint Louis Street sur leur gauche, pour se rapprocher sans attendre des rues les plus animées du Vieux Carré, mais elle constate avec surprise qu’il reste sur Basin Street et choisit de longer le mur du cimetière.

    — Père Patrick, vous ne voulez pas traverser ici ?

    — Non, il vaut mieux se cacher. Tu ne vas pas assez vite pour distancer celui qui nous suit. Il est en train de nous rattraper.

    Gracie se sent vexée par la remarque, elle qui ne fait que subir la situation. Mais elle sait qu’il a raison. La fatigue et la panique qu’elle ressent lui ont coupé les jambes. Elle ne peut s’empêcher de scruter l’avenue derrière eux, large, vide et trop silencieuse. Elle n’est pas certaine d’y distinguer une silhouette qui s’approche, mais les buissons et les arbres qui parsèment le terre-plein central constituent de multiples cachettes.

    — Mais vous êtes sûr d’avoir vu quelqu’un ? Il me semble qu’on n’entend plus rien…

    — Fais-moi confiance, Gracie. Viens…

    — Mais le cimetière est fermé à cette heure-ci !

    — J’ai une clef. Dépêchons-nous…

    Il ouvre précipitamment le petit portail en fer forgé, laisse passer la jeune femme et repousse le battant derrière elle. Gracie est perplexe et hésite à commenter une telle décision. Le mur d’enceinte n’est pas bien haut, n’importe quelle personne assez motivée pour le faire n’aurait qu’à l’escalader pour se jeter sur eux. On les a forcément vus franchir le portillon. Son ami a-t-il perdu tout sens pratique ?

    Comme s’il lisait dans ses pensées, père Patrick lui indique une rangée de tombes d’un doigt pressant.

    — Cachons-nous là sans faire de bruit. On pourra observer l’entrée.

    Gracie obtempère, malgré ses réserves. Elle se glisse entre un mausolée de belle taille et un caveau bien plus modeste dont les pierres branlantes mériteraient une réfection qui ne viendra sans doute jamais. L’atmosphère du cimetière rempli d’ombres l’oppresse, même si elle n’est pas vraiment superstitieuse. De nuit, certains lieux ne sont simplement pas faits pour les vivants, ne peut-elle s’empêcher de penser. Blottie contre une tombe qui lui meurtrit le dos, elle tente de recouvrer son calme en inspirant longuement. Le regard tendu vers l’entrée, dans l’attente d’un bruit de pas ou d’une silhouette qui refuse de se montrer, Gracie sent une nouvelle montée de panique l’envahir. Une vague irrationnelle et irrépressible qu’elle ne parvient pas à contenir.

    — Père Patrick, il faut qu’on sorte d’ici !

    — Gracie, pas si fort, on va nous entendre.

    — Je peux retirer mes chaussures et courir. On traversera vite et…

    Une gifle précise lui coupe le souffle. Étourdie, hébétée, elle ne peut que murmurer son incompréhension.

    — Pourquoi… ?

    — Tu es non seulement bête comme tes pieds, mais tu parles aussi beaucoup trop, ma fille.

    — Mais… Père Patrick…

    Il lui adresse un nouveau sourire, plus curieux encore que le précédent, qui empêche la jeune femme de finir sa phrase. Gracie prend conscience que l’attitude du jésuite est plus que déplacée. Elle est anormale, impossible. Jamais il n’a levé la main sur elle ou ne s’est exprimé de cette façon. C’est un homme doux et mesuré. Elle sursaute presque lorsqu’il répète ses propres mots d’un ton moqueur, en la singeant.

    — Père Patrick…

    — Arrêtez, ce n’est pas drôle.

    — Pourtant, je me suis rarement autant amusé…

    Les yeux gris brillent d’une lueur fiévreuse que la clarté lunaire révèle soudain. Gracie ne cherche plus à comprendre ce qui se passe et suit son instinct. Elle se redresse et fait mine de vouloir s’enfuir. Il l’attrape par le coude et la renvoie vers la tombe la plus proche, qu’elle heurte avec violence. Elle gémit en s’entaillant le bras.

    Le prêtre est tout de suite sur elle et plaque le corps menu contre la petite crypte délabrée. Gracie perçoit le souffle brûlant dans son cou, les mains osseuses qui la maintiennent. C’est à peine si elle reconnaît le son de sa voix lorsqu’il lui siffle à l’oreille :

    — Une femelle se doit d’être obéissante.

    Étranglée par la peur, pétrifiée par l’attitude de celui qui l’a menée à la religion après l’avoir soutenue dans toutes les étapes importantes de sa jeune vie, Gracie ne trouve pas la force de lutter contre la poigne de fer. Elle essaye de hurler. Il la gifle une nouvelle fois. Elle s’affaisse contre la tombe, une main sur la joue et un cri bloqué sur les lèvres. Elle se met à avancer à genoux, espérant confusément qu’il aura pitié d’elle. Qu’il la laissera s’éloigner. La réaction de père Patrick est tout autre. Dans le pire de ses cauchemars, Gracie n’a jamais vécu pareille scène.

    Il se précipite derrière elle et la maintient d’une main tout en remontant la robe humide de sueur sur ses hanches. Elle entend sa culotte de coton craquer lorsqu’il tire brusquement sur le tissu. Gracie laisse échapper un sanglot et prend conscience que sa vessie vient de se relâcher. La panique, le chagrin et la honte s’entremêlent dans son esprit hébété. Des doigts se glissent entre ses cuisses et la voix moqueuse reprend :

    — Incroyable, tu mouilles déjà…

    Aux bruits de vêtement qu’elle distingue, elle comprend qu’il va vraiment passer à l’acte, que tout cela est bien réel. Gracie essaye encore de hurler. Mais elle ne réussit qu’à produire un son grotesque qui renforce d’abord l’hilarité de son père spirituel, avant de décupler soudainement sa colère.

    — Salope, tu vas te taire, oui ?

    En la tenant par les cheveux, il projette sa tête vers le sol avec une puissance qu’elle ne lui connaissait pas. Au contact de la dalle pierreuse, Gracie sent l’os de son nez craquer. Elle gémit de douleur. Une nouvelle attaque a raison d’une de ses dents. Lorsque son crâne rebondit pour la troisième fois, c’est son arcade sourcilière gauche qui est fendue. La jeune femme tente de protéger son visage de ses mains tremblantes et se met à pleurer. Elle avale son sang en hoquetant et manque s’étrangler. Elle voit trouble et ne sait plus ce qu’elle doit faire. Résister ? S’évanouir ?

    Il ne lui laisse pas le temps de réfléchir et s’enfonce subitement en elle, en lui arrachant un autre gémissement. Sa virginité cède avec tant de facilité, se dit-elle dans un sursaut de lucidité. Pourquoi son corps n’est-il pas mieux armé et accepte-t-il d’être envahi si aisément ? Le sexe du jésuite est dur, vorace, impatient. Il la fouille sans répit, sans la moindre pause, à une cadence qu’elle juge inhumaine. L’odeur métallique du sang emplit l’air, la submerge. Elle va vomir, c’est une certitude.

    Lorsque les spasmes la secouent, la fureur de père Patrick s’amplifie.

    — Salope, tu gâches tout !

    Il la cogne encore, sans cesser d’aller et venir dans son intimité meurtrie. Gracie se recroqueville, tentant de ne pas s’effondrer dans ses propres vomissures. Le geste fait involontairement remonter sa croupe. La voix colérique, qui ne ressemble plus que très vaguement à celle de son ami, prend une intonation salace.

    — D’accord, je vois ce que tu veux. Je vais te satisfaire.

    Elle se met à trembler au contact du doigt qui force son anus et prie pour une perte de connaissance rapide lorsqu’elle le sent se retirer de son vagin et presser son sexe contre l’orifice contracté. Gracie ne sombre pas assez vite dans l’inconscience et a le temps de subir une nouvelle vague de douleur avant d’être engloutie par les ténèbres.

    Elle s’évanouit en se posant une ultime fois la question qui la taraude en boucle depuis qu’elle a reçu la première gifle. Pourquoi ?

    – 2 –

    Il est tout juste 7 h 05 lorsque je m’affale sur une des chaises du Fleur-de-lis, dans une salle encore déserte. La plupart des touristes ne débarqueront pas avant un moment et ça me convient parfaitement. J’ai envie de silence.

    Nelly, qui bosse là depuis des années, sait que j’aime boire mon café peinard. Elle ne peut pourtant pas résister à l’idée de m’enquiquiner, histoire de tuer le temps en attendant son premier vrai client. Moi, je fais un peu partie des meubles et je ne compte pas réellement.

    — Alors, Zach, encore une sale nuit ?

    — Non, juste envie de venir te tenir compagnie dès l’ouverture, ma belle.

    Nelly n’est pas vraiment belle, mais elle a un charme fou. Elle aime bien que je lui donne des petits noms doux. C’est comme ça depuis toujours. Ma vanne foireuse ne la freine pas dans sa rengaine habituelle, celle où elle se prend pour mon toubib inquiet.

    — Pas besoin de faire ton grincheux. Tu sais qu’il existe des trucs pour aider à dormir ? Tu devrais en demander à ton médecin, t’as vraiment une sale tête.

    Ça fait au moins cent fois que je lui explique que les somnifères ne peuvent rien pour moi, car l’insomnie n’est pas mon problème. Enfin, pas tout à fait. Mais elle persiste à l’oublier. Il n’y aura pas de cent unième fois aujourd’hui. J’ai trop mal au crâne, mon corps est lessivé jusqu’aux doigts de pied et mes douleurs ne sont pas imaginaires. Je me sens aussi frais que ma chemise, que je n’ai pas changée depuis trois jours. Nelly, à qui rien n’échappe, ne me loupe pas non plus sur ce point.

    — T’étais pas déjà habillé comme ça avant-hier ?

    — C’est possible, ouais…

    Elle hoche la tête d’un air réprobateur et s’éloigne vers la cuisine sans ajouter de commentaire. Elle revient deux minutes plus tard avec une cafetière fumante et une assiette pleine de mes pancakes favoris. Le cuistot n’a pas lésiné sur les noix de pécan, car Nelly sait que j’adore ça. Je la remercie d’un sourire qui résume mon état. Crevé. Elle s’assoit en face de moi, remplit ma tasse et me laisse la vider à moitié avant de repartir à l’attaque.

    — Ta sœur, elle pense quoi de ta situation ?

    Je lève les yeux au ciel. Qu’est-ce que je peux bien répondre pour qu’elle me fiche un peu la paix ?

    — Faith pense aussi que j’ai une sale tête. Tu le sais parfaitement, puisqu’elle passe son temps à te raconter ma vie. Inutile de me poser la question.

    — Elle s’inquiète pour toi.

    — Elle devrait pas.

    Nelly est une gentille fille. Je la connais depuis plus de vingt ans, comme on peut connaître la meilleure amie de sa sœur cadette. Elles ont toutes les deux dix années de moins que moi et je les ai vues passer d’une adolescence pénible à un âge adulte où elles sont restées tout aussi chiantes. Adorables, mais chiantes. À 30 ans, elles débordent d’énergie et ne savent pas me foutre la paix. Elles ont bien compris que moi, je suis sur la pente descendante et qu’il est facile de m’avoir à l’usure. J’ai deux points de vie qui se battent en duel dans ma carcasse. Trois le matin, s’il ne fait pas trop chaud.

    — T’es son frère, c’est normal qu’elle s’inquiète.

    — Si elle m’oubliait cinq minutes, je serais peut-être moins crevé.

    — T’es injuste, Zach. Elle t’aime, c’est tout. À sa place, je ferais pareil.

    Je ne peux pas refuser la perche involontaire qu’elle me tend.

    — Même sans être à sa place, il me semble que tu te prives pas de m’emmerder.

    Nelly me donne un coup de torchon sur le bras et se met à rire. Elle ne doit pas comprendre que, dans le fond, je suis sérieux. Je voudrais qu’on me laisse tranquille. Entre autres choses. Je voudrais aussi un boulot mieux payé, quelqu’un qui s’occupe de laver mes fringues, un nouveau panama pour remplacer celui que j’ai actuellement sur la tête et dont j’ai oublié la couleur d’origine, un chien sympa qui supporterait la vie en appartement sans pisser partout et des perspectives d’avenir.

    Mais en fait, ce que je voudrais surtout, c’est dormir. Roupiller trois jours d’affilée. Une semaine, peut-être. Je crois que j’ai six mois cumulés de retard de sommeil, il faudrait que je calcule ça précisément. Mais j’ai peur du résultat, alors je préfère m’abstenir. Je voudrais dormir en oubliant tout le reste. Sans interruption, sans arrière-pensées, sans angoisses. Pas une pauvre sieste ou un vague moment de somnolence. Une bonne et longue tranche de sommeil. Comme lorsque j’étais gosse. C’est tellement loin que je ne sais plus ce qu’on ressent quand on dort vraiment et qu’on est heureux de se réveiller.

    Je lâche un soupir qui doit s’entendre jusqu’à Jackson Square. Nelly se jette sur l’occasion.

    — Quoi ?

    — Quoi, « quoi » ?

    — T’as l’air encore plus éteint que d’habitude. C’est le boulot qui marche mal ?

    — J’ai pas vraiment envie d’en parler, là. Si ça peut te faire plaisir d’être au courant, j’ai rendez-vous chez le médecin demain. Mais j’ai pas envie d’en parler non plus.

    — Si tu te confiais plus, ça t’aiderait.

    Je suis partagé entre le ricanement débile et la crise de larmes instantanée. Les deux options me semblent pareillement épuisantes. Je me contente donc d’un rictus pouvant passer pour un sourire. Nelly replace une mèche de cheveux trop rouges pour être honnêtes derrière son oreille et prend une attitude de conspiratrice, en rapprochant sa chaise de la mienne. Ou peut-être que c’est son imitation de psy à l’écoute faisant du social. La meilleure amie de ma sœur est une comédienne refoulée qui regarde trop de séries télé.

    J’en suis au point où je serais capable de payer un petit déjeuner complet au premier type de passage qui franchirait la porte et détournerait l’attention de Nelly. Mais les touristes sont encore tous en train de pioncer, eux. Une soirée à cramer le budget vacances dans Bourbon Street, ça fatigue. Sans parler de cette foutue chaleur de fin juillet qui les envoie se coucher en pleine nuit. En plus, il pleut depuis l’aube. Si quelqu’un se pointe avant 8 heures, ce sera un miracle. Je serai sans doute mort d’épuisement avant.

    Devant tant de détresse, on serait en droit de se demander pourquoi je persiste à venir presque chaque matin au Fleur-de-lis, plutôt que de prendre mon café n’importe où ailleurs en ville. Eh bien, il y a plusieurs raisons à cela.

    La première, c’est qu’ici je ne paye pas. Un arrangement entre ma sœur et le patron de Nelly, qui la laisse régler ma note chaque semaine. Vu mes finances et mon appétit, c’est un avantage que je consens à accepter et qui rassure Faith. De cette façon, elle sait que je me nourris au moins une fois par jour et elle a droit à un résumé presque quotidien de mon état. Comme je suis constant dans ma fatigue, le rapport en question doit être sacrément bref. Mais ça a l’air de lui faire plaisir de s’occuper de son grand frère, alors je joue le jeu.

    La deuxième, c’est que l’établissement est à quelques minutes à pied de mon appartement dans Conti Street. Si d’aventure l’envie subite d’essayer de dormir me prenait après avoir mangé – ou plutôt, si l’envie de m’écrouler comme une bouse me saisissait –, je pourrais donc rapatrier ma petite personne en urgence jusqu’à mon lit. Évidemment, ça n’arrive jamais, puisque mon corps est incapable de me foutre la paix. Mais la prévoyance n’a jamais tué personne.

    La troisième, peut-être la plus importante pour moi, c’est qu’ici je peux réclamer un café noir tout simple sans être pris pour un individu suspect ou qui tente de faire de l’humour. À La Nouvelle-Orléans, le café est généralement mélangé à de la chicorée et se boit avec du sucre et du lait. Point barre. Les touristes se font gentiment engueuler quand ils essayent de contourner la règle. Moi, j’ai passé l’âge de devoir expliquer comment un natif peut se permettre un tel outrage. Je suis allergique aux produits laitiers et je trouve que le sucre donne un goût dégueulasse au café. Dire ça à un serveur dans cette ville revient à se suicider publiquement. Enfin, j’exagère un peu. Mais sur ce point au moins, Nelly a compris qu’il ne fallait pas me chatouiller. Elle a même transmis la consigne à ses collègues, pour les jours où elle est de repos.

    Il doit y en avoir plein d’autres, des raisons. L’habitude, la routine, le réconfort du lieu familier dont on connaît parfaitement les chiottes, le personnel et l’emplacement de la meilleure table, juste sous la climatisation. Mais en fait, j’aime tout simplement cet endroit. Il me tape sur les nerfs, parce que je me sens obligé de venir y finir ma nuit – ou commencer ma journée, tout dépend de la perspective choisie –, mais je l’aime vraiment. Il est accueillant, bien plus que mon appartement. Les jours de fermeture, quand je dois me trouver un second point de chute, je déprime sérieusement.

    Je suis encore en train de chercher un sujet de conversation banal, pour que Nelly oublie mon cas cinq minutes et se dégote un autre os à ronger, quand son collègue en cuisine monte le son de la petite télé installée tout au fond pour les employés. Il a l’air sacrément excité.

    — Nelly, viens voir ça !

    Je bénis le mec, la chaîne d’actualité qu’il mate chaque fois qu’il ne doit pas bosser et la journaliste matinale qui fait son résumé monocorde. J’entends plus ou moins parler d’un crime affreux, d’une femme à moitié dans le coma et d’un gardien de cimetière traumatisé. Il y a quelques années, j’aurais couru vers le poste, par réflexe professionnel. Mais là, je perds le fil, les yeux dans le vague et la mâchoire décrochée par une série de bâillements. Je dois déjà en être à mon trentième. Et pourtant, il n’est pas encore 8 heures. La journée va être sacrément longue. Chaude, lente et longue. La semaine va durer une éternité, surtout en l’absence de contrat sérieux. Il faut vraiment que je trouve de quoi m’occuper ces prochains jours.

    Le festival à venir ne me botte pas des masses, puisque je n’aime pas particulièrement le jazz. Souvent, mes amis me disent que je ferais mieux de changer de ville, voire d’État. Ne pas adorer le jazz, ici, c’est souffrir en silence à longueur de journée. Même problème que pour le café-chicorée sucré au lait. Mais je suis né là et j’y mourrai, c’est certain. Je connais chaque rue, chaque recoin de la ville. Je ressens ses humeurs, ses caprices, ce qu’elle veut bien donner et ce qu’elle reprend parfois. Même si j’aimerais de temps en temps respirer l’air d’ailleurs, histoire de pouvoir raconter un jour que j’ai voyagé dans ma vie, je sais très bien que je ne supporterais pas de la quitter. Ici, alors que mon existence ne fait que ralentir année après année, je me sens encore en rythme avec le monde. Ailleurs, je perdrais vite la boule.

    Barry, mon ancien équipier, a pour habitude de dire : « T’es un vrai enfant de NOLA{1}

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