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Transe
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Livre électronique703 pages8 heures

Transe

Par M.I.A

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À propos de ce livre électronique

Vous vous réveillez, le corps couvert de sang et l’esprit confus, dans un bâtiment abandonné, aux fenêtres condamnées et aux issues verrouillées.
Pourquoi vous trouvez-vous ici, quel est cet endroit et comment vous en échapper ?
Un ennemi invisible, qui semble rôder à proximité, vous laisse des messages et des indices mystérieux, en rapport avec votre passé. Pour survivre et comprendre les raisons de votre enlèvement, vous devez franchir les nombreuses zones qui vous séparent de la sortie, tout en élucidant les énigmes placées sur votre chemin.

À la frontière du roman et du jeu de rôle, « Transe » est un thriller où vos décisions influencent le déroulement de l’histoire et sa conclusion.
Parviendrez-vous à atteindre la dernière porte ?

LangueFrançais
Date de sortie28 août 2017
ISBN9782370115706
Transe
Auteur

M.I.A

Le pseudo M.I.A (« Missing In Action ») concrétise la rencontre de deux amis passionnés de littérature, de cinéma, et d'actualité politique, pour ne citer que quelques points communs évidents.La méthode de travail choisie pour l'écriture de ce roman est particulière, car près de 1500 kilomètres nous séparent : qui pourrait penser que « Rémoras » et « La Trappe » ont été intégralement pensés, construits et rédigés à distance, grâce à Internet ?

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    Aperçu du livre

    Transe - M.I.A

    cover.jpg

    TRANSE

    M.I.A

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2017 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2017. Collection Thrillers. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-570-6

    Note des auteurs

    Le livre que vous découvrez est notre dixième publication et ne ressemble pas aux neuf précédentes. Enfin, pas tout à fait…

    Si nos thèmes et ambiances de prédilection y sont bien présents, la nature même de ce thriller est particulière.

    Cette fois-ci, après notre trilogie fantasy Les Affligés, nous avons souhaité marier notre envie de suspense avec la passion d’Hélène pour le jeu de rôle et les « livres dont vous êtes le héros », tout en préservant la noirceur présente dans notre univers littéraire.

    Transe est donc un titre à la frontière du roman et du jeu, avec un récit qui n’est pas linéaire : en fonction de vos décisions, vous allez influencer le déroulement de l’histoire et sa conclusion.

    Le livre peut être relu plusieurs fois, afin de tester divers choix et accéder à chacune des douze fins possibles.

    Si vous avez déjà eu l’occasion de pratiquer les « livres dont vous êtes le héros » tels qu’ils étaient généralement écrits pour les adolescents des années 80-90, sachez que l’expérience que nous vous proposons ne requiert pas l’utilisation de dés ou la création d’une fiche de personnage. Nous vous recommandons néanmoins de garder un papier et un crayon à portée de main, car ils vous rendront service, de temps en temps.

    Dans un livre comme celui-ci, notez que la notion de « page » ou de « chapitre » est à oublier, car elle est remplacée par celle de « section » : vous allez naviguer d’une section numérotée à une autre, dans un désordre complet et volontaire ayant pour objectif de préserver l’aspect « jeu » du roman.

    Chaque fois qu’une partie se conclut par « rendez-vous en… », cliquez sur le lien correspondant.

    Enfin, nous vous invitons à jouer le jeu jusqu’au bout et à ne jamais revenir sur un choix en cours de route, afin de préserver votre plaisir de lecture.

    Bienvenue dans Transe !

    – 1 –

    Le bruit insistant de la pluie vous sort d’un cauchemar sans fin, dépourvu de sens. C’est en poussant un cri plaintif, un peu enfantin, que vous vous redressez brutalement, l’esprit envahi par une peur incontrôlable qui étouffe la moindre de vos pensées rationnelles.

    Quelque chose en vous, plus puissant que votre conscience, vous affirme que vous n’avez rien à faire là, que votre place est ailleurs. Pourtant, vos yeux sont encore fermés et vous ne savez même pas ce que « là » et « ailleurs » signifient véritablement.

    Dans l’air, une odeur étrange, nauséabonde, qui ne vous évoque rien de familier. Ou peut-être celle d’un grenier, poussiéreux et mal ventilé, qu’on aurait rempli de détritus. Sous vos mains, la dureté du sol et la piqûre de dizaines de gravillons, presque incrustés dans la chair de vos paumes. Le silence règne, à l’exception du son rythmé de l’averse toute proche, qui tombe dru et vous semble crépiter.

    Votre corps oscille, comme privé de stabilité, malgré vos efforts pour conserver l’équilibre. Vous vous faites la réflexion que rester en position assise ne devrait pas être aussi compliqué, aussi douloureux. À peine esquissée, cette pensée vous paraît stupide. Pourquoi se soucier d’un détail pareil, quand on ne sait même pas où l’on est ?

    Vous inspirez bruyamment, à la manière d’un nageur resté trop longtemps en apnée, et décidez d’ouvrir enfin les yeux. Ce simple mouvement des paupières déclenche instantanément une migraine qui vous fait gémir. Pourtant, la lumière n’est pas coupable. La pénombre vous entoure et seuls quelques rais blanchâtres marquent timidement le sol. Il vous faut plusieurs secondes pour parvenir à mieux distinguer le décor, à lui donner un sens.

    La chambre – car c’en est une, si l’on se fie à la présence du vieux lit contre le mur, juste derrière vous – mesure à peine dix mètres carrés. Une armoire bancale et un fauteuil à bascule – dont la silhouette caractéristique est facilement reconnaissable, malgré le faible éclairage – sont les seuls autres meubles de la pièce.

    Vos yeux cherchent rapidement de nouveaux points de repère. Des raisons de repousser la panique qui s’insinue en vous.

    Les planches obstruant la fenêtre bloquent presque toute la lumière du jour, elle-même obscurcie par le temps pluvieux. Les murs sont sales, couverts de taches et messages divers que vous ne pouvez que deviner, faute d’éclairage suffisant. Il vous semble reconnaître les lettres « BH » à plusieurs endroits, tracées par une main malhabile, trop étirées verticalement. Mais peut-être que vos yeux vous jouent des tours. Ou peut-être pas. Vous avez tellement mal au crâne que réfléchir vous épuise.

    Un chiffon blanc, posé en évidence sur le matelas défoncé, attire votre regard. Son état de propreté relative, au milieu de cette pièce grise et abandonnée, vous surprend. Lui non plus n’a rien à faire là. Sa présence n’est pas logique.

    Par réflexe, vous ramassez le bout de tissu, sans trop comprendre pourquoi. En le voyant se teinter d’une couleur plus sombre, vous le lâchez brusquement et examinez vos mains comme si vous veniez de découvrir leur existence, en écarquillant les yeux.

    Pas de doute, elles sont pleines de sang. Un sang qui sèche déjà, apparemment. Vous aimeriez croire qu’il s’agit de peinture – bien que cette explication soit, d’une certaine façon, encore moins crédible –, mais un examen plus approfondi vous indique que vos vêtements sont, eux aussi, largement tachés de rouge sombre. Sur les bras, les jambes, le ventre. Seul un enfant pourrait se salir autant. Quoi qu’il en soit, vous détestez peindre et vous n’aimez pas particulièrement cette couleur. Trop violente, trop agressive. L’hypothèse d’une blessure s’impose, bien plus logiquement que toute autre, même si votre peau a l’air intacte. D’où vient ce sang, si tant est qu’il s’agisse de cela ? Élaborer le plus petit raisonnement susceptible de répondre à cette question vous semble impossible. Trop fatigant, trop insurmontable. Votre migraine est telle que les murs crasseux vous paraissent onduler et deviennent flous.

    Vous ramassez le chiffon, frottez vos mains dessus sans trop de conviction, afin de vous sentir un peu moins sale, et décidez de vous lever. Il vous faut de l’eau, une bouffée d’air frais, n’importe quoi qui pourrait vous sortir de cette torpeur insensée.

    Car vous le savez : la réaction la plus naturelle d’une personne dans votre situation serait de courir, appeler à l’aide ou, éventuellement, céder à la panique et se mettre à pleurer. Pourtant, rien de tout cela ne se produit, ce qui est absurde. Vous avez peur, oui. Mais l’émotion ne se traduit que par un grand vide en retour. Une envie irrépressible de dormir. Un détachement anormal que rien ne justifie. Pourquoi chaque mouvement est-il si difficile ?

    Rester dans cette pièce ne vous aidera en rien, c’est une certitude. En titubant à moitié, vous vous dirigez vers la porte, grande ouverte. Vous constatez qu’elle est, en partie, sortie de ses gonds et a presque été arrachée au chambranle, malgré son épaisseur et son poids évident. Quelqu’un a manifestement passé ses nerfs dessus, ce qui vous laisse imaginer une rage incontrôlable.

    Quel est donc cet endroit ? Qu’est-ce qui explique votre présence ici ? Vos derniers souvenirs sont si… flous.

    Vous franchissez l’ouverture d’un pas flageolant.

    Rendez-vous en 41.

    – 2 –

    Vous relisez plusieurs fois les chiffres.

    « 4-3-4-9-32-? »

    On vous demande de trouver la fin de l’expression, c’est à peu près certain. Vous éliminez d’emblée les dates et numéros de téléphone. Le format ne conviendrait pas.

    Maintenant que votre état s’est un peu amélioré – vous avez toujours aussi soif, mais vos idées sont redevenues plus claires –, vous commencez à mieux comprendre la psychologie de « la voix ». Vous ne savez pas ce qu’elle vous veut, vous ne savez pas non plus comment elle vous surveille, mais vous êtes à peu près certaine qu’elle apprécie l’espèce de partie qu’elle s’imagine jouer avec vous. Pour qu’elle s’amuse, elle doit obtenir un minimum de satisfaction. Elle n’a donc aucun intérêt à vous voir échouer et préfère sans doute que vous finissiez par trouver la bonne réponse, chaque fois qu’elle vous teste. Dans le cas contraire, vous baisseriez les bras trop rapidement et elle se retrouverait sans « partenaire ».

    Ce qui signifie que ses énigmes doivent être d’un niveau de difficulté équilibré et faire appel à des connaissances générales, pas à des informations personnelles ou complexes qu’elle serait seule à détenir. Vous éliminez donc aussi d’autres hypothèses, comme les coordonnées géographiques, les plaques d’immatriculation ou les numéros de comptes bancaires. Avec des nombres, vous ne voyez finalement qu’une possibilité : il doit s’agir d’une suite logique.

    Ce genre d’exercice n’est pas votre favori, mais vous aimez assez les casse-tête pour vous laisser prendre au jeu. Celui-ci n’a pas l’air bien dur, car les valeurs sont petites. Vous devez simplement chercher la formule qui permet de passer d’un élément à un autre. En murmurant, vous vous mettez à compter.

    Après quelques tests infructueux, vous poussez un léger cri de joie. Ça y est, vous avez compris quelles opérations s’enchaînent et trouvé la solution ! Vous vous demandez ce que signifie le nombre obtenu, mais vous vous doutez que « la voix » lui a prévu une fonction ultérieure quelconque. Inutile de spéculer sur ses intentions, pour le moment.

    Vous pliez le papier pour le ranger. Votre poche vous semble soudain bien vide et vous vous inquiétez d’avoir perdu un objet important. Puis vous vous souvenez que vous avez laissé la clef de l’appartement dans la serrure de la porte. Auriez-vous dû la récupérer ? Il y a peu de chances qu’elle vous serve une seconde fois et retourner là-bas ne vous enthousiasme pas. Tant pis. Vous préférez avancer.

    Rendez-vous en 110.

    – 3 –

    Le plafond des douches est haut. Pas loin de quatre mètres, approximativement. Devoir gravir les cinq marches de cet escabeau probablement branlant pour voir la pluie de plus près ne vous enthousiasme guère, à la réflexion. De plus, la coupole au verre sale semble ne pas appartenir au reste du bâtiment. Cette anomalie architecturale amplifie votre sentiment de malaise et vous pousse à quitter la pièce au plus vite. Vous allez peut-être rater quelque chose d’intéressant, mais vous en doutez. Et tant pis. Dans votre état, il serait idiot de prendre des risques inutiles, de toute façon. Stress et manque d’équilibre ne font pas bon ménage. Mieux vaut éviter de vous casser le cou pour rien.

    Tout en luttant contre un vague sentiment de lâcheté un peu agaçant, vous tournez les talons pour continuer d’explorer les lieux. Vous avez vraiment soif. Le bruit de l’averse qui tombe toujours – nettement moins fort, depuis quelques minutes – amplifie votre envie de boire et n’améliore pas votre humeur.

    Rendez-vous en 181.

    – 4 –

    Vous traversez maintenant une zone hérissée d’antennes et parcourue de câbles qui filent ensuite vers d’autres bâtiments. Ce toit servait apparemment de relais en tout genre : télévision, radio, téléphone et électricité. Vous découvrez même un énorme groupe climatiseur, installé sur une section plate, entre deux pentes. Ne sachant pas quelle mauvaise surprise Dorian a pu vous réserver, vous restez à distance prudente des boîtiers de raccordement et autres systèmes dont vous ne connaissez pas l’utilité.

    — Arrête d’être aussi stressée, Lindsay…

    Dorian semble très amusé de vous voir faire des détours.

    — Cinq cadavres ont tendance à me rendre nerveuse, j’imagine que tu peux le comprendre…

    — Ah… Mais n’oublie pas que l’un d’entre eux te doit sa triste fin…

    Le souvenir des ciseaux et des plaies de l’homme ligoté dans le couloir en travaux vous serre le cœur.

    Ne réagis pas en criant, ne le traite pas de pervers et tiens-t’en aux faits… Rien que les faits…

    — Que reprochais-tu à cet homme ? Je n’ai toujours pas compris son rôle dans cette histoire !

    — Arthur Davis ? Oh, c’est assez simple… Il a accepté l’argent de Preston et encouragé – le mot est faible – Hodgins à retirer sa plainte, pour qu’il ne reste que celle du gosse schizophrène. C’est-à-dire pas grand-chose… Davis était un flic pourri, voilà tout… S’il avait fait son travail au lieu de saboter et enterrer la procédure, le déballage de tout ce joli linge sale aurait commencé dès le mois de juillet… et pas en septembre.

    Vous essayez d’ordonner tous les éléments que vous avez découverts durant la journée. De les assembler en une chronologie logique, allant de mai 1996 à la fermeture de Rashmoor, au printemps suivant. Un ensemble encore flou prend forme, peu à peu. Mais il vous manque beaucoup trop d’informations pour en tirer une conclusion claire et complète.

    — Et Scarlett ? Pourquoi ? Et comment tu as pu lui trancher la gorge alors que je marchais vingt mètres derrière toi ?

    — Intéressant, c’est la seule que tu as appelée par son prénom… Je suppose que tu l’aimais bien et que tu te sens coupable de sa mort. « Ah, si j’avais quitté le réfectoire plus vite, j’aurais pu la sauver ! » Rassure-toi, ça n’aurait rien changé, le poison aurait agi de la même façon. Elle agonisait déjà quand nous avons traversé les cuisines… L’art du minutage est essentiel…

    — Le poison ?

    — Oui, je sais que ça t’étonne, à cause de tout ce sang qui coulait de sa gorge… Mais tu n’as jamais vu la plaie… Tout n’est que mise en scène, Lindsay… J’avoue être assez fier de la mienne !

    Vous tentez de vous remémorer les événements. Vous étiez perturbée par le regard de Scarlett. Par l’idée que « la voix » venait de l’égorger, quelques instants plus tôt, et devait donc se trouver à proximité. Et par tant d’autres choses… Votre répulsion pour la saleté et les germes, votre esprit obnubilé par l’appel téléphonique reçu dans le réfectoire, le souvenir des deux cadavres précédents, les messages et les énigmes… Sans compter la position de Dorian, penché sur le corps, une main pressée sur la gorge de votre ancienne collègue… Non, vous n’avez pas vu la plaie. Vérifier la cause de la mort était le cadet de vos soucis, à ce moment-là.

    Depuis qu’il vous a révélé son vrai visage, vous n’avez jamais pris le temps de vous demander comment Dorian s’est débrouillé pour être partout à la fois, organiser cinq meurtres, procéder à votre enlèvement, remettre en route l’électricité, vous surveiller à distance ou transformer Rashmoor en théâtre géant. Obnubilée par le « pourquoi », vous en avez oublié le « comment ». Tant de détails à comprendre restent en suspens.

    Trop d’informations, trop d’interrogations. Votre cerveau est complètement saturé et tourne en boucle entre deux nausées, ce qui vous exaspère. Vous vous raccrochez à la discussion en cours, pour ne pas vous perdre dans vos propres raisonnements.

    — Tu n’as pas répondu à ma première question. Pourquoi as-tu décidé de la tuer ?

    — Ça, je ne peux pas te l’expliquer sans te raconter le reste… Il va donc falloir que tu patientes encore un peu…

    Le grésillement du haut-parleur le plus proche s’arrête. Vous n’obtiendrez rien d’autre pour le moment.

    Le bâtiment d’entrée est presque visible. Un dernier changement de toit et vous arriverez sur un édifice qui en est peu éloigné. L’ancienne laverie de l’hôpital. À partir de là, plus de mur mitoyen. Vous devrez descendre et traverser la cour pour atteindre l’une des sorties de secours. Vous vous rappelez bien le plan de cette zone où vous avez passé le plus clair de votre temps, durant votre internat. À chaque pause, les employés qui travaillaient à l’accueil venaient fumer et boire un thé ou un café, près de cette porte.

    Tandis que vous avancez, l’envie de vomir devient plus forte. Vous avez beau essayer de lutter contre cette idée fixe, tout vous ramène à votre état nauséeux. Encore. Il vous aura obsédée pendant une grande partie de la journée, de plus en plus souvent. Sueurs froides, impression d’étouffer, jambes qui vous portent à peine, mémoire défaillante… Que vous a fait Dorian, la nuit dernière, pendant que vous dormiez ?

    Vous demeurez immobile sur le toit et contemplez le crépuscule naissant. La porte du bâtiment d’accueil se trouve là-bas, de l’autre côté de la cour. Un rectangle de lumière se découpe nettement sur la façade et vous montre le chemin. Il ne vous reste plus qu’à descendre, si possible sans tomber.

    Rendez-vous en 205.

    – 5 –

    Vous aviez raison. La fine ligne verticale qui se découpait dans la pénombre, et qui vous guide maintenant jusqu’au bout du couloir, marquait bien l’entrebâillement d’une porte. Celle-ci ne laisse passer qu’une faible lumière. Dorian vous précède pour pousser le battant et vous constatez que l’éclairage provient d’une lucarne rectangulaire. Les briques de verre dépoli insérées dans le mur extérieur sont sales et un peu obscurcies par des dépôts noirâtres d’apparence gluante. Vous les considérez avec dégoût et détournez le regard. La petite pièce de stockage est vide et triste, elle n’a rien de notable à vous offrir. Presque rien.

    Vous vous attendiez à tout – un nouveau cadavre, une nouvelle énigme ou une nouvelle impasse –, mais pas à une trappe ouverte devant vos pieds ni à une échelle métallique plongeant dans les profondeurs du sous-sol. Vous ne saviez même pas qu’il existait un niveau souterrain à Rashmoor.

    — Ne me dites pas qu’on va devoir descendre là-dedans…

    — La seule autre solution, c’est de revenir en arrière, Lindsay. Mais si c’est pour se retrouver à l’entrée du jardin, ça vaut pas le coup…

    — Nous n’avons pas tout fouillé. Il y a peut-être des portes qu’on a ratées.

    — On n’y voit rien, vous voulez faire ça en aveugle ?

    Vous agitez la torche sous son nez, comme si la réponse était évidente. Dorian secoue la tête.

    — Vous savez très bien qu’on va faire quinze mètres avec et c’est tout. Cette lampe peut lâcher à n’importe quel moment.

    — Et vous croyez que là, ce sera mieux ? Regardez ça, on ne voit pas plus loin que les cinq premiers barreaux !

    Il se penche au-dessus de la trappe.

    — J’ai l’impression qu’il y a comme une flaque d’eau, en bas. Il doit y avoir un peu de lumière. Un genre de soupirail.

    Vous croisez les bras, en résistant à l’envie de frotter vos mains contre votre pull. Le sous-sol doit être cent fois pire que tous les couloirs arpentés jusqu’ici. Humide, crasseux, lugubre.

    — Lindsay, vous allez pas craquer maintenant ? Vous êtes claustro ou quoi ?

    — Pas particulièrement, non.

    — Ben alors, venez ! C’est pas en restant ici qu’on trouvera une sortie ou que vous y verrez plus clair. Il faut qu’on arrive à changer de bâtiment.

    — Et vous pensez que ce trou mène vraiment ailleurs ?

    — C’est courant, dans ce genre d’endroit. Il doit y avoir d’autres trappes. Une espèce de réseau de tunnels. Pour la maintenance et le stockage, ils font souvent ça. Si ça se trouve, celle-là est une entrée secondaire. Peut-être qu’on va tomber sur un vrai escalier qui remonte quelque part.

    — Quelque part… C’est motivant…

    Vous savez que votre réticence est pénible pour Dorian, mais vous imaginez le sous-sol comme une véritable souricière. Une fois que vous serez dedans, qu’est-ce qui empêche « la voix » de fermer derrière vous la seule issue et de vous laisser mourir dans l’obscurité ?

    — Allez, Lindsay ! On va quand même pas se cacher et prendre racine ici ? Si on bouge pas, ça va être pire. Vous voulez finir pareil que la femme du débarras ?

    — Comment ça ?

    — Ben oui, le premier cadavre… Terminer dans un placard, c’est un peu nul…

    Une impression de malaise vous envahit. Quelque chose cloche, mais il vous faut remonter le fil de la journée, si pleine de confusion, pour mettre le doigt dessus. Une conversation, un détail qui n’est pas à sa place.

    Dorian vous fixe avec attention. On croirait presque qu’il perçoit et analyse votre raisonnement.

    Vous parlez lentement, en énonçant la question tandis qu’elle se forme dans votre esprit. Les mots qui sortent de votre bouche vous font horreur. Ils contiennent un doute effrayant, que vous aimeriez repousser avec force, mais qui s’impose malgré tout.

    — Comment… comment savez-vous qu’il s’agissait d’une femme ?

    — Ben, c’est vous qui me l’avez dit, au tout début.

    — Non. Quand je vous ai rencontré, je vous ai résumé ce qui s’était passé au premier étage et j’ai juste parlé de « cadavre », sans entrer dans les détails.

    — C’était après, alors…

    — Non plus… J’ai mentionné quelques médecins de Rashmoor, nous avons évoqué certains noms… mais je n’ai jamais dit que le docteur Minsk était une femme. Jamais.

    Dorian ouvre la bouche pour protester, puis se ravise, comme s’il se rendait compte que nier l’évidence ne le mènera nulle part. Il vous contemple avec une drôle d’expression. Une forme de déception contredite par son regard, inhabituellement malicieux. Un peu cruel, aussi.

    — Ah, j’aurais mieux fait de me taire. Quel dommage… On s’amusait bien, pourtant ! J’espérais qu’on allait faire encore un bout de chemin ensemble. Tant pis…

    Son accent populaire a disparu, remplacé par une intonation plus neutre. Presque distinguée. Une posture légèrement différente. Des épaules qui se redressent. Des gestes plus sûrs, où toute trace de souffrance s’est volatilisée. La métamorphose s’opère devant vous, subtile et impressionnante à la fois.

    — Il te reste encore tellement de choses à comprendre, Lindsay… Et plus beaucoup de temps pour y parvenir… Si tu veux survivre à Rashmoor, attrape-moi !

    Il vous pousse violemment en arrière et vous tombez sur le dos en vous cognant la tête au battant de la porte laissée entrouverte.

    Dorian a disparu dans le trou lorsque vous vous redressez.

    En bas, déjà lointaine, sa voix résonne :

    — Lind… say !

    Rendez-vous en 222.

    – 6 –

    Les barreaux métalliques de l’échelle sont rouillés et humides. Des particules collantes adhèrent à vos doigts. En temps normal, cette sensation vous obséderait. Désormais, elle vous indiffère presque.

    Si vous deviez trouver un seul avantage à votre situation, c’est que Rashmoor paraît avoir résolu en une petite journée un problème que des années de thérapie intensive n’ont jamais réglé. Sous le poids des événements, supplantée par des angoisses supérieures, votre phobie est en train de disparaître. La simplicité du phénomène vous étonne. Aucune théorie complexe ne pourrait parfaitement expliquer les déblocages qui s’opèrent dans les méandres de votre cerveau. Vous n’avez pas envie de les comprendre, d’ailleurs. Vous trouvez juste curieux que franchir ce cap vous ait semblé si compliqué auparavant.

    Vous descendez lentement, la torche coincée entre vos dents, en vous demandant si Dorian vous attend en bas, tapi dans l’ombre. Sa voix, étouffée par la distance qui vous sépare, répond à votre question muette.

    — Par ici, Lindsay !

    Par où ? Vous avez posé le pied à une intersection de tunnels et les sons résonnent dans toutes les directions.

    Vous regardez autour de vous et notez que des puits de lumière éclairent le sol en pierre à intervalles réguliers. Ce sont de petites ouvertures grillagées – placées au pied des bâtiments en surface, dont vous apercevez les briques rouges –, qui servent certainement à drainer les eaux de pluie, ce qui expliquerait l’humidité du sous-sol. Celui-ci doit les diriger ensuite vers un réseau d’égouts situé plus bas encore. Ou peut-être pas. Les souterrains ont l’air très anciens, plus que les constructions victoriennes de Rashmoor. Leur utilité première n’a peut-être aucun rapport avec la pluie, s’ils ont été creusés à une autre époque.

    C’est Dorian qui vous fournit l’explication, en prenant le ton d’un guide touristique un peu moqueur :

    — Tu savais que l’hôpital a été créé sur les ruines d’une abbaye ? Les moines avaient transformé tout le sous-sol en zone de stockage, entre autres usages. Idéal pour conserver leur vin. Pratique, aussi, pour s’échapper en cas de révolte paysanne… Quand les premiers bâtiments de Rashmoor ont été construits, on a décidé de garder tout le réseau souterrain et de l’adapter aux besoins dits « modernes ». Ah, si ces vieux murs pouvaient parler ! Je te parie qu’il s’est passé des choses étranges et souvent honteuses, dans ces tunnels…

    Tout en l’écoutant monologuer, vous essayez d’identifier la bonne direction à prendre pour vous rapprocher de lui et choisissez l’un des quatre chemins qui s’offrent à vous. Vous marchez doucement, pour étouffer le bruit de vos pas, espérant découvrir Dorian au détour d’un virage. Vous vous sentez assez forte et déterminée pour l’attaquer. Sa maigreur vous laisse penser que vous pourriez avoir le dessus, si vous profitiez d’un effet de surprise. Malheureusement, vous avez beau avancer, le volume de sa voix ne semble pas changer. Lui aussi se déplace.

    — Ce qui est bien, avec ce sous-sol, c’est qu’on peut rapidement visiter tous les bâtiments… Je n’ai pas le temps de tout te montrer, bien sûr, mais si j’avais évité ma gaffe malencontreuse, nous aurions fait un petit détour pour voir la pièce où les moines se retiraient en pénitence. Un endroit vraiment sordide, si tu veux mon avis… Hasard ou ironie bien trouvée, elle donne accès au secteur où l’on enfermait les patients les plus dangereux. Tu dois savoir de quelle zone je parle… L’aile ouest du quartier de haute sécurité. J’ai lu quelque part que, là-dedans, on gardait certaines personnes attachées pendant des semaines, pour ne pas prendre de risques et éviter de se compliquer la vie… Il faut croire qu’en prison, ces gens auraient été mieux traités. De quoi regretter d’avoir plaidé la folie pendant leur procès, non ?

    Vous le laissez parler, encore et encore. Ne pas l’interrompre, ne pas lui donner l’occasion de comprendre votre intention. Sa remarque suivante ruine vos espoirs de le surprendre.

    — C’est bien, Lindsay, tu es sur le bon chemin… Reste près de la lumière, cherche l’escalier et retrouve-moi en haut… Si tu te dépêches, peut-être que je te récompenserai… Un peu d’eau te ferait plaisir ?

    Il parvient à surveiller votre progression dans le tunnel. Vous ne savez pas de quelle manière, mais il vous voit. Comment espérer prendre l’avantage, avec un tel handicap ?

    La colère vous gagne et vous renoncez à toute discrétion, en n’ayant plus qu’une envie : courir et vous jeter sur lui.

    Dans le clair-obscur du souterrain, les ombres se confondent. En tournant trop vite après une nouvelle intersection, vous butez dans un enchevêtrement de vieux meubles placés en plein centre du tunnel et vous chutez lourdement sur le sol pavé, en vous blessant les coudes et les genoux.

    Un ricanement lointain vous parvient. Cette réponse vous fait enrager.

    — Tu ne me fais pas peur et je finirai par te trouver !

    — Mais j’espère bien, Lindsay, j’espère bien…

    Rendez-vous en 95.

    – 7 –

    Vous mettez plus de dix minutes à escalader le tuyau. Vous étiez déjà peu douée à l’école, quand vous deviez grimper à la corde pendant vos cours d’éducation physique, et vous n’avez pas progressé depuis. Au contraire.

    Tout en maudissant Rashmoor, Dorian, vos hallucinations visuelles et les difficultés qui en découlent, vous remerciez silencieusement l’ancienne direction de ne jamais avoir remplacé le système de gouttières en acier par une installation plus moderne et moins solide. Si vous deviez escalader ainsi la façade de votre maison, vous n’êtes pas certaine que les descentes en cuivre et PVC supporteraient votre poids sans plier.

    Vous vous écorchez les mains à plusieurs reprises, en essayant de trouver des points d’appui sur les colliers de fixation. Les pièces ont été façonnées assez grossièrement, avec des angles aigus et des arêtes tranchantes qui dépassent ici et là.

    Péniblement, vous atteignez le bord du toit supérieur. Vous continuez de grimper, en plaçant vos jambes plus haut sur le tuyau d’écoulement, de manière à pouvoir passer par-dessus la gouttière et ramper sur les premières tuiles, en direction du faîte. L’opération est laborieuse et sans doute un peu ridicule, d’un point de vue extérieur. Vous parvenez toutefois à agripper la base d’une petite cheminée, qui vous aide à terminer le parcours. Vos pieds franchissent le chéneau, à leur tour. Vous avez réussi.

    Essoufflée, couverte de minuscules coupures qui vous font grimacer à chaque mouvement, vous vous remettez debout, puis gravissez encore quelques mètres pour rejoindre une zone plus sûre, entre deux souches. Là, adossée aux vieilles pierres noircies, vous faites une pause, le temps que le paysage reprenne une apparence plus normale.

    — Pas mal, Lindsay, la technique de la tortue ! Ça manque un peu de style, mais c’est le résultat qui compte, après tout…

    S’il n’était pas terriblement dangereux et instable, Dorian vous ferait presque sourire. Depuis que vous avez atteint les toits, il se comporte comme si vous étiez à nouveau compagnons d’infortune. Ses commentaires moqueurs ne sont plus aussi mordants, aussi menaçants. Certes, votre objectif principal est de maintenir un lien avec lui, mais qu’il s’agisse d’une stratégie volontaire ou pas de sa part, le jeune homme vous pousse également à relâcher votre vigilance.

    N’oublie pas qu’il a tué cinq personnes et que tu es sur sa liste…

    — Alors, la suite de ton histoire ?

    — Tu es trop pressée, Lindsay… Tu bouscules tes patients comme ça, quand ils ne te déballent pas leur vie assez vite ?

    — Eux me payent ! Et je peux boire du thé, pendant que j’attends.

    Votre réponse le fait éclater de rire. Apparemment, il la juge très drôle.

    — D’accord, tu as mérité une petite récompense… Alors, parlons de… Minsk ? Elle, tu la connaissais bien.

    — Pas tant que ça, elle était toujours débordée, souvent absente !

    — Forcément… Preston lui refilait une grande partie de son propre travail. Il fallait bien qu’il trouve le temps de rendre visite à toutes ses victimes…

    L’accusation, une nouvelle fois, vous étonne. Le directeur, un violeur récidiviste ? Dubitative, vous admettez néanmoins cette théorie, afin d’inciter Dorian à se confier.

    — Minsk était au courant ?

    — Bien sûr qu’elle était au courant ! Il la faisait chanter, pour qu’elle se taise. « Je ne dirai à personne que tu as détourné l’argent de l’hôpital pour payer tes dettes personnelles, si tu ne dis à personne que je me balade dans les couloirs avec mon trousseau de clefs… »

    Les coulisses de Rashmoor vous paraissent de plus en plus étranges. Ces affirmations sont-elles vraiment fondées ? Quel rapport avec Dorian lui-même ? Et avec vous ? Vous ne comprenez toujours pas comment les bribes d’informations éparses recueillies jusqu’à maintenant sont imbriquées dans un ensemble cohérent.

    Le ciel s’assombrit visiblement, vous devez vous dépêcher d’atteindre le bâtiment d’entrée. Traverser les toits après le crépuscule est impensable. Ce serait l’épreuve de trop. Vous vous remettez en route, les jambes flageolantes.

    — Donc, Minsk protégeait le secret de Preston ?

    — Entre autres choses, oui !

    — Et Hodgins, alors ? C’était une gentille fille, pour ce que j’ai pu voir…

    — Tellement gentille qu’elle s’est rétractée après avoir porté plainte contre Preston. Si elle n’avait pas été aussi lâche, l’enquête aurait commencé deux mois plus tôt. À temps pour la sauver…

    — Sauver Hodgins ?

    Vous savez très bien qu’il parle de quelqu’un d’autre. Vous espérez simplement qu’il va vous corriger et révéler qui est cette femme anonyme si souvent évoquée. Dorian rit pour la seconde fois. Raté.

    — Pas encore, Lindsay, pas encore ! Je te donnerai son nom si tu te montres digne d’elle et que tu termines son parcours, pas avant…

    Vous regardez autour de vous. Les toits, si nombreux. Le clocher historique de Rashmoor, au centre du site, dont la grosse horloge ne fonctionnait déjà plus en 1996. L’horizon voilé par la bruine, où toutes les teintes de gris s’associent pour former un tableau désespérant, mais non dépourvu de beauté. Le vert végétal qui se mêle au rouge des façades en briques. Les grillages, les allées vides. Partout, le même silence.

    L’étendue de votre solitude vous saute de nouveau au visage, plus pesante que jamais. Parler avec Dorian en devient presque réconfortant. Vous relancez la discussion.

    — Comment fais-tu pour m’entendre ? Les caméras de Rashmoor n’avaient pas de micros, j’en suis certaine !

    — Une longue préparation technique, Lindsay… J’ai eu le temps de penser à tous les détails, tu vois… Dépêche-toi d’arriver et tu en sauras plus. Encore un bâtiment entre toi et moi…

    Vous accélérez le pas.

    Rendez-vous en 127.

    – 8 –

    Aucune autre porte n’est ouverte dans le couloir et vous commencez à désespérer, en vous demandant comment vous allez quitter ce bâtiment. Depuis des heures, vous suivez un chemin tracé pour vous, sans aucune échappatoire, et vous refusez de croire que vous avez pu rater une éventuelle bifurcation, car la simple idée de faire demi-tour pour la chercher vous décourage.

    Vous refaites votre trajet en pensée : chambres, douches, pièce commune et zone du personnel, dans le premier bâtiment ; puis cuisines, réfectoire, jardin, secteur médical, sous-sol et quartier de haute sécurité… Dorian a organisé pour vous une véritable visite guidée, en sélectionnant des lieux précis et en mettant soigneusement en scène chaque étape de votre parcours. Vous n’imaginez pas qu’il vous a menée jusqu’ici sans avoir un plan pour la suite. L’une des pièces doit donner accès à un escalier, à un autre passage. Si ce n’est pas le cas, qu’êtes-vous censée faire ?

    Alors que vous recommencez à actionner la poignée de chaque porte, pour en avoir le cœur net, vous remarquez un renfoncement au bout du corridor. Une espèce d’alcôve étroite qui demeure invisible tant qu’on ne dépasse pas les dernières pièces verrouillées, en raison de l’éclairage inégal du couloir. Elle est encombrée de vieilles armoires qui bloquent la lumière provenant de son unique fenêtre. Une grande fenêtre ouverte… et sans barreaux.

    Fébrile, vous vous glissez entre les meubles. Qui a eu l’idée de les placer ici, dans cette niche exiguë transformée en débarras de fortune ? L’architecte de ce bâtiment ne devait pas avoir toute sa tête, quand il a dessiné le plan de l’étage. Le renfoncement ressemble à une erreur de conception, à une surface inexploitée qu’on aurait ensuite équipée d’une ouverture pour lui donner une vague utilité.

    À l’origine, cette fenêtre comportait évidemment des barreaux, comme l’exigent les normes de sécurité. Dorian – qui d’autre ? – les a sciés pour dégager le passage et vous pouvez encore voir des bouts de métal scellés dans la maçonnerie. Certains dépassent du cadre, comme autant de dents inégales et coupantes.

    En plaçant vos mains avec précaution, vous enjambez le rebord et restez ainsi, en équilibre précaire, le temps de décider comment vous allez vous y prendre ensuite. Vous vous trouvez au deuxième étage, mais l’édifice le plus proche, construit sur un seul niveau, est collé au bâtiment de haute sécurité. Tous deux partagent quelques mètres de mur. Vous pouvez atteindre son toit, en vous laissant tomber. Votre chute sera un peu brutale, mais pas dangereuse. C’est en tout cas ce que vous espérez. Car vous savez très bien que votre état ne se prête pas vraiment à ce genre d’acrobatie : la déshydratation engourdit vos muscles, rend vos gestes moins précis.

    Pas d’autre choix, de toute façon…

    Vous finissez de franchir l’ouverture en vous retournant, agrippez le rebord des deux mains pour descendre le plus bas possible, le long de la façade, puis lâchez prise.

    Rendez-vous en 233.

    – 9 –

    Vous choisissez de ne pas vous attarder dans cette pièce. Ses couleurs vous changent du gris permanent et son ambiance est évidemment plus agréable que tout ce que vous avez vu depuis votre réveil – à l’exception du jardin, peut-être. Néanmoins, elle ne doit pas vous détourner de l’essentiel : trouver Dorian avec le crépuscule.

    D’un pas trébuchant, vous continuez d’avancer dans le couloir.

    Rendez-vous en 165.

    – 10 –

    Vous allumez la torche, essayez de diriger le maigre faisceau de lumière tremblotante vers le verrou et composez le code à toute vitesse.

    Les molettes bougent difficilement, le mécanisme aurait besoin d’être huilé. Vos mains, elles, sont fébriles et manquent de précision. Votre vue est toujours un peu brouillée. Les secondes vous paraissent beaucoup trop longues.

    Au moment où vous alignez le dernier « 6 » avec les autres chiffres, la lampe se met à clignoter. Une fois, deux fois. Elle s’éteint.

    — Lindsay, il te reste trente secondes !

    Le cadenas produit un petit déclic, ce code était bien le bon.

    Vous poussez un cri de victoire, jetez la torche devenue inutile et soulevez le couvercle de la caisse, sans réfléchir. Si un piège est placé à l’intérieur, tant pis. Vous n’avez plus le temps de mesurer les risques.

    Dedans, vos doigts trouvent une simple feuille de papier posée à la verticale, bien en évidence. Vous la récupérez d’un geste précipité, puis partez en courant vers l’escalier.

    Dans la pénombre, vous butez contre plusieurs obstacles, heurtez les étagères et manquez tomber à trois reprises. L’ombre envahit la salle, de plus en plus vite. Vous accélérez.

    Tandis que vous grimpez, vous posez inconsciemment les yeux sur le message. Trois mots seulement, tracés en lettres si grandes et épaisses que vous parvenez à les lire sans difficulté.

    « L’ISOLEMENT TUE ».

    S’agit-il d’une plaisanterie ? Toute cette épreuve pour obtenir une espèce de maxime en échange ? Vous lâchez le papier, déçue et énervée.

    En haut des marches, les rais de lumières rétrécissent. Vous voyez la porte se refermer lentement. Quelque chose vous dit que vous ne pourrez jamais la rouvrir si vous n’arrivez pas à temps.

    Rendez-vous en 194.

    – 11 –

    Aucune autre porte n’est ouverte dans le couloir et vous commencez à désespérer, en vous demandant comment vous allez quitter ce bâtiment. Depuis des heures, vous suivez un chemin tracé pour vous, sans aucune échappatoire, et vous refusez de croire que vous avez pu rater une éventuelle bifurcation, car la simple idée de faire demi-tour pour la chercher vous décourage.

    Vous refaites votre trajet en pensée : chambres, douches, pièce commune et zone du personnel, dans le premier bâtiment ; puis cuisines, réfectoire, jardin, secteur médical, sous-sol et quartier de haute sécurité… Dorian a organisé pour vous une véritable visite guidée, en sélectionnant des lieux précis et en mettant soigneusement en scène chaque étape de votre parcours. Vous n’imaginez pas qu’il vous a menée jusqu’ici sans avoir un plan pour la suite. L’une des pièces doit donner accès à un escalier, à un autre passage. Si ce n’est pas le cas, qu’êtes-vous censée faire ?

    Alors que vous recommencez à actionner la poignée de chaque porte, pour en avoir le cœur net, vous remarquez un renfoncement au bout du corridor. Une espèce d’alcôve étroite qui demeure invisible tant qu’on ne dépasse pas les dernières pièces verrouillées, en raison de l’éclairage inégal du couloir. Elle est encombrée de vieilles armoires qui bloquent la lumière provenant de son unique fenêtre. Une grande fenêtre ouverte… et sans barreaux.

    Fébrile, vous vous glissez entre les meubles. Qui a eu l’idée de les placer ici, dans cette niche exiguë transformée en débarras de fortune ? L’architecte de ce bâtiment ne devait pas avoir toute sa tête, quand il a dessiné le plan de l’étage. Le renfoncement ressemble à une erreur de conception, à une surface inexploitée qu’on aurait ensuite équipée d’une ouverture pour lui donner une vague utilité.

    À l’origine, cette fenêtre comportait évidemment des barreaux, comme l’exigent les normes de sécurité. Dorian – qui d’autre ? – les a sciés pour dégager le passage et vous pouvez encore voir des bouts de métal scellés dans la maçonnerie. Certains dépassent du cadre, comme autant de dents inégales et coupantes.

    En plaçant vos mains avec précaution, vous enjambez le rebord et restez ainsi, en équilibre précaire, le temps de décider comment vous allez vous y prendre ensuite. Vous vous trouvez au deuxième étage, mais l’édifice le plus proche, construit sur un seul niveau, est collé au bâtiment de haute sécurité. Tous deux partagent quelques mètres de mur. Vous pouvez atteindre son toit, en vous laissant tomber. Votre chute sera un peu brutale, mais pas dangereuse. C’est en tout cas ce que vous espérez. Car vous savez très bien que votre état ne se prête pas vraiment à ce genre d’acrobatie : la nausée vous donne des vertiges et vous fait vaciller.

    Pas d’autre choix, de toute façon…

    Vous finissez de franchir l’ouverture en vous retournant, agrippez le rebord des deux mains pour descendre le plus bas possible, le long de la façade, puis lâchez prise.

    Rendez-vous en 135.

    – 12 –

    Vous vous rangez à l’avis de Dorian : la lampe vous sauvera peut-être la vie, dans le bâtiment suivant. Autant économiser les quelques secondes de lumière qu’elle contient encore.

    Toutefois, vous ne voulez pas quitter la remise sans essayer de décrypter au moins une partie du message laissé sur la porte. Vous repoussez celle-ci aux trois quarts, assez pour que son angle d’ouverture permette d’en observer presque toute la largeur, mais pas trop non plus, afin de conserver un peu d’éclairage extérieur.

    Comme prévu, le rai de lumière terne qui entre dans la remise ne suffit malheureusement pas pour distinguer ce qui est écrit sur le bois. Vous ne voyez qu’une suite de traces incompréhensibles. Marron sale et rouge sombre, sur le battant à contre-jour, se confondent. Sans l’aide de la torche, c’est peine perdue.

    En replaçant la porte dans sa position d’origine, vous soupirez. Tant pis, vous devez avancer.

    Au téléphone, « La voix » a dit « Trouve les trois coupables qui manquent encore et je t’offrirai la vérité. Mais fais vite, tout finira avant ce soir… » Vous ne savez pas quelle heure il est, car vous avez perdu toute notion du temps. Une chose est néanmoins certaine, si vous regardez dehors : les ombres des arbres se sont nettement allongées, depuis que vous avez franchi le portillon du jardin.

    Rendez-vous en 123.

    – 13 –

    Vous refermez doucement le portillon derrière vous, comme si de votre discrétion dépendait la suite des événements. Ce qui n’est sans doute pas le cas.

    Dorian place un doigt sur ses lèvres et vous fait signe de rester derrière lui. Son initiative vous touche. Il ne connaît pas le secteur, est blessé alors que vous avez été épargnée, mais décide quand même de marcher devant. Est-ce sa manière de vous montrer qu’il désire vous protéger ? Son intention vous paraît un peu vaine, dans ce contexte étrange, mais vous lui souriez pour indiquer que vous appréciez le geste.

    Il emprunte le seul chemin gravillonné encore vaguement reconnaissable. L’invasion des mauvaises herbes, au fil des années, a transformé toute l’apparence du jardin. De ce côté, on trouvait surtout des massifs de fleurs. Un coin plutôt réservé aux femmes, d’après vos souvenirs. Les hommes préféraient s’occuper du potager, un peu plus loin, après la resserre à outils. Mais cette distinction n’a plus grande importance, car tout est désormais recouvert par une végétation anonyme qui rampe et grimpe partout où elle en a la possibilité.

    — Je continue par là ?

    Dorian chuchote inutilement, selon vous. Qu’elle vous entende ou pas, « la voix » sait très bien que vous vous trouvez dans les parages, puisqu’elle a fait en sorte de vous mener jusqu’ici. Et si elle s’est cachée pour vous surprendre – ce qui n’aurait aucun sens, compte tenu de ses objectifs et de sa façon de procéder –, elle n’a pu choisir qu’un endroit : la remise. Car même si les herbes sont hautes, la pluie les a presque couchées. Personne ne pourrait s’y dissimuler.

    Vous répondez d’une voix normale :

    — Si elle est ouverte, la seule autre sortie se trouve en face, là-bas. On entrera dans un bâtiment qui était une zone de traitement médical.

    — Dedans, il y a quoi ?

    — Je ne sais pas exactement, je n’ai vu que les plans et je n’y ai jamais mis les pieds. On y pratiquait certains actes chirurgicaux. Les prélèvements sanguins, les vaccins, les soins courants, ce genre de choses, aussi…

    — Je déteste les seringues…

    Il poursuit son chemin en direction de la resserre à outils, sans rien ajouter. De votre côté, vous n’avez pas envie de parler. Votre migraine a atteint une telle intensité que chaque pas en devient douloureux. Le décor, lui, s’est remis à onduler légèrement et semble changer de couleur quand vous tournez trop vite le regard.

    Quelle est la

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