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Rien ne sert de mourir
Rien ne sert de mourir
Rien ne sert de mourir
Livre électronique460 pages6 heures

Rien ne sert de mourir

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À propos de ce livre électronique

Un jour de décembre, juste un peu avant Noël, Cécile est partie. Sans prévenir quiconque, elle a abandonné son mari et ses enfants : ses violons adorés pour unique bagage, elle a pris un train et a fui l’existence dorée qu’elle s’était laissé convaincre de vivre sans jamais l’accepter réellement. Elle a choisi de poursuivre seule son chemin, sans états d’âme, et a détruit les rares amarres qui l’unissaient à quelques personnes.
Près de quarante ans ont passé ; ses deux fils sont toujours orphelins et continuent de s’interroger sur sa désertion ; leur père, même s’il a refait sa vie, demeure blessé d’un divorce imposé.

De son côté, Victoire Meldec a revisité ses ambitions professionnelles et décidé de se consacrer à l’enseignement de la musique. Elle se prépare donc d’arrache-pied, avec madame Lancrenon, pour inculquer le violoncelle à ses futurs élèves. Jusqu’à ce que sa professeure, victime d’une agression crapuleuse, se retrouve à l’hôpital, plongée dans le coma.

Alerté, le commissaire Agnelli fait rapidement le lien avec des attaques similaires, dont s’occupe la capitaine Hugo. Une ancienne élève de madame Lancrenon, Gabrielle Willems, intriguée par un généreux cadeau que lui a offert son enseignante, leur apporte son aide. Mais aucun ne peut imaginer le dénouement stupéfiant qui découlera de cette enquête.
Car c’est alors que Cécile réapparaît...

LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2021
ISBN9782370117106
Rien ne sert de mourir

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    Rien ne sert de mourir - Agnès Boucher

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    RIEN NE SERT DE MOURIR

    Agnès Boucher

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2021 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2021. Collection Polars. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-710-6

    « Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaître. »

    Jean Baudrillard

    « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. »

    Simone de Beauvoir – Pour une morale de l’ambiguïté

    « On peut se perdre ou disparaître dans une grande ville.

    On peut même changer d’identité et vivre une nouvelle vie. »

    Patrick Modiano – Discours de réception de son prix Nobel de littérature

    Prologue

    La nuit est à présent totalement tombée. L’obscurité est suave et tiède, porteuse de senteurs marines, comme l’Aquitaine en connaît fréquemment au mois d’août. Le soleil a sombré à l’horizon près d’une heure auparavant, nimbant les vagues d’un pourpre flamboyant. Un silence presque parfait a envahi la terrasse, plongée dans la pénombre après avoir été, durant de longues heures, inondée d’une brûlante touffeur. Les oiseaux se sont tus, repus. Même les grillons ont cessé leur stridente rengaine. La journée a été radieuse, l’été joue les coquets depuis son entrée en scène, alternant périodes maussades et grand beau temps ; ce soir, le vent léger qui souffle depuis l’Atlantique fait frémir les voilages tout autour des hautes portes-fenêtres.

    Cela fait près d’une heure qu’elle est à demi étendue dans un transat, à croire que tout le monde l’a oubliée. Elle s’en réjouirait si elle ne savait l’hypothèse totalement chimérique. Elle demeure dans une parfaite immobilité, ne voulant surtout pas rompre le charme. Seule sa main s’autorise un va-et-vient paresseux vers ses lèvres, auxquelles elle porte négligemment une cigarette. Sans en avoir vraiment conscience, elle contemple les étoiles dont le scintillement délicat s’est accru, à mesure que le ciel s’assombrissait. En bruit de fond, depuis l’intérieur de la villa, lui parviennent des voix à peine intelligibles ; elles la bercent comme une mélopée un peu agaçante, parce que sans cesse recommencée.

    À son habitude, sitôt le dîner achevé, toute sa belle-famille s’est lovée dans les vastes divans écrus qui meublent l’immense salon. Son mari et sa belle-mère se sont assis, quasiment enlacés, dans une attitude curieusement fusionnelle, dont elle ne s’est jamais montrée jalouse. Ils ont laissé les autres à leur lecture ou leur discussion sans fin. La vieille dame, en dépit de la température clémente, s’est sans doute drapée dans ses inévitables châles. Cette femme a toujours froid malgré son physique saisissant, comparable à celui d’une statue antique. Avec son fils aîné, elle affectionne ces rares moments d’intimité ; ils en profitent pour cancaner à bâtons rompus sur des sujets insipides, ce genre de platitudes que ne peuvent s’empêcher de proférer ceux qui considèrent la parole, fut-elle la plus insignifiante, préférable à l’insupportable béance du silence. S’imaginent-ils ainsi combler véritablement un quelconque néant ? Une fois de plus, ils doivent deviser de stratégies adoptées lors de leurs dernières parties de cartes, ou bien de conseils de jardinage, de commérages sur le voisinage ou leur cercle de connaissances.

    À moins qu’ils ne revisitent tous ensemble le match de tennis disputé le matin même, arbitré par le pater familias en personne ; ce petit homme, malingre et bagarreur, adore se percher tel un vautour sur la chaise-arbitre, son polo flottant autour de son squelette efflanqué. Ce sont ses parents qui ont fait construire le court au début du siècle, un peu plus bas dans le parc, juste avant le sentier qui mène à la plage. Depuis lors, l’endroit accueille des générations entières sur sa terre battue, témoin muet d’exploits familiaux anodins. Une nouvelle fois, toute la sainte horde était réunie, enflammée à aiguillonner les joueurs dans leurs échanges, avec cette espèce de passion épuisante, inhérente aux extravertis. Comme toujours, elle s’est sentie de trop, en décalage complet avec leur enthousiasme de façade et cette horripilante manie qu’ils ont de hurler leurs surnoms respectifs pour se motiver les uns les autres.

    Celui qu’ils ont attribué à son époux, depuis son plus jeune âge, est d’un genre assez ordinaire qu’elle ne supporte pas, à son avis à peine digne d’être celui d’un moniteur de ski. La concernant, à une seule reprise, un de ses innombrables beaux-frères a cru bon de l’affubler d’un de ces sobriquets censés être spirituels ou affectueux. C’était tout au début de son mariage. Elle l’a fusillé d’un regard meurtrier pour le dissuader de persévérer dans cette voie. Bizarrement, car l’individu ne possède pas un sens psychologique très aigu, elle n’a pas eu à lui expliquer en détail que réitérer ce genre de familiarités avec elle serait une grossière erreur.

    Bien lui en a pris.

    Les voyant frapper dans la balle comme des forcenés, elle a refusé d’endurer plus longtemps cette écœurante frénésie tribale ; elle a préféré s’échapper en catimini et plonger une tête dans l’océan, avide de paix et de solitude. Durant une dizaine de minutes, elle a crawlé lentement vers le large, dépassant sans difficulté la muraille de rouleaux. Puis elle s’est laissé porter par les vagues, rêvant de disparaître. Peine perdue. Ils n’ont pas tardé à la rejoindre. Même au milieu des flots, ils continuaient de pépier ainsi que de médiocres volailles dans leur basse-cour. En regagnant la plage, elle a eu droit, comme à l’accoutumée, à la leçon de morale de toute la maisonnée, la suppliant de ne pas s’aventurer aussi loin lorsqu’elle nage seule.

    Tout cela est tellement pesant et ennuyeux. Vous voulez dire, rassurant, lui rétorquerait sa belle-mère, en bonne bourgeoise provinciale, épouse de notable respectable, fière de la santé et de la réussite matérielle de sa descendance. C’est ma famille, arguerait son mari, magnanime, je sais combien elle te paraît envahissante, mais je l’aime et n’en changerai pour rien au monde.

    Comme tous les soirs, il va finir par s’inquiéter de la croire délaissée et se lèvera pour la rejoindre. Ce n’est pas qu’il ne puisse demeurer longtemps loin d’elle. Simplement, il n’a jamais compris le besoin qu’elle éprouve en permanence à se retrancher dans son monde intérieur. Cette capacité à s’extraire de tout le choque ; il reste à la porte de son univers mental et rêve de pouvoir pénétrer cet ultime refuge, interdit à la vie parfaitement orchestrée qu’il lui a concoctée. Qu’elle s’isole physiquement ou intellectuellement, pour lui, c’est du pareil au même. Elle ne lui appartient déjà pas beaucoup. Là, il ne la maîtrise carrément plus.

    Il la devine également préoccupée depuis le décès soudain de son père. Lui est échue une fortune qu’elle n’imaginait pas aussi considérable ; et surtout, elle en a découvert les origines plus que sulfureuses, qui la remplissent de dégoût et de honte vis-à-vis d’un homme qu’elle idolâtrait jusque-là. Son mari ne sait rien de ces malversations écœurantes et humiliantes. Il lui a proposé plusieurs fois son aide pour gérer ses biens, mais elle lui a toujours opposé une farouche fin de non-recevoir, sitôt qu’il prétendait mettre le nez dans ses affaires. Elle conserve ce pré carré comme sa liberté suprême. Il ignore tellement de choses qu’elle n’a elle-même apprises que très récemment. S’il s’est vexé de son obstination, jamais il ne le lui a formellement signifié, célébrant au contraire la confiance mutuelle dans leur couple, valorisant son désir d’indépendance.

    À son habitude, donc, son mari va s’approcher de son pas vif et athlétique, incapable de demeurer longtemps en place ; il lui demandera si tout va bien, si elle l’aime toujours, avec ce charmant sourire en coin qui fait craquer les femmes de tous âges autour de lui, sans qu’il cherche nécessairement à les séduire. La sienne lui suffit, qui ne peut même pas lui reprocher une quelconque forme de détachement et encore moins une trahison conjugale. À force de l’en supplier, il l’obligera à se lever et la prendra dans ses bras, la bercera en la serrant tout contre lui, comme pour l’empêcher de fuir. Il lui signifiera ainsi qu’il la protège contre le monde entier, alors qu’il est incapable de le faire contre elle-même.

    Il a mis en place cet horripilant petit cérémonial dès le lendemain de leurs fiançailles ; il le joue à présent de façon presque automatique, pensant sans doute que l’interrompre risquerait de briser le fragile lien qui semble encore subsister entre eux. Elle a cédé devant le piège des habitudes et elle ne possède pas, à l’heure actuelle, la force intérieure de les dynamiter. Cela occasionnerait trop de dégâts.

    Alors, comme chaque soir, elle lui répondra que, oui, décidément, elle va bien et elle l’aime. Une nouvelle fois, elle lui mentira plus qu’à demi, ce qu’il perçoit avec cette intuition singulièrement développée chez un homme d’apparence aussi virile. Elle ne trouvera pas le courage de rompre le charme ; elle l’enfouira simplement un peu plus au fond d’elle-même, de la même manière qu’on bâtit un château de sable, toujours détruit par la marée haute et pourtant inexorablement tangible, prêt à être reconstruit.

    À l’étage, leurs fils dorment avec leurs cousins, épuisés par les jeux, le sport, la vie au grand air. Elle doit le reconnaître, et ils seraient nombreux à juger ses conclusions indignes d’une mère : ses enfants aussi ont bien plus besoin d’elle que le contraire. Le cadet surtout est en quête de son amour, avec son naturel si vulnérable, son obsession à se coller contre elle en permanence, sa soif inextinguible de tendresse et de câlins. Il a beau être adorable, il l’épuise. L’aîné est plus réfléchi et indépendant ; en cela, il tient davantage d’elle et de son tempérament individualiste. Cependant, tous deux appartiennent au monde équilibré de sa belle-famille et ressemblent à leur père comme de petits modèles réduits. Elle est toujours surprise de les voir, si blonds et déjà élégants malgré leur jeune âge. Elle ne comprend pas comment ils ont pu croître dans son ventre de noiraude, eux qu’elle s’est longtemps évertuée à se convaincre d’avoir désirés, avant de renoncer devant l’impossible.

    Sans la persuasive détermination de son mari, aurait-elle seulement pensé à les concevoir ? Un peu plus tôt, en début de soirée, elle est montée à l’étage, les a bordés dans leur lit et leur a raconté une histoire, une de celles qu’elle invente au fil de son imagination fertile ; comme d’habitude, le plus grand la dévorait de son regard sombre, celui de son père, lorsque le sien est couleur d’azur. Le cadet s’est spontanément lové dans ses bras, sombrant très vite dans un sommeil profond après une journée harassante, passée à courir et à s’amuser.

    Fille de l’Est, qu’est-elle venue faire, au juste, dans cette lignée océanique, assoiffée d’air pur et de réussite sociale ? Son union avec cet homme solaire est totalement contre nature. Elle a cédé de guerre lasse à l’argumentaire d’un personnage brillant et charmeur, qui l’a soutenue dans la pire des épreuves, se prétendant fou amoureux, litanie toujours recommencée de ses sentiments éternels. Elle a eu le tort de ne pas écouter ses voix intérieures ; elles lui criaient pourtant de déguerpir avant de commettre l’irréparable, à savoir s’enchaîner à l’ennui et à la routine. De plus en plus, elle doit fouiller profondément en elle pour trouver la force de continuer à l’accompagner, l’énergie de paraître à ses yeux ce qu’elle n’est décidément pas, une mère, une femme et une belle-fille.

    Un terrible artifice.

    Combien de temps puisera-t-elle à la source de son éducation sage et policée le courage de mimer le jeu des usages, lorsqu’elle n’aspire qu’au renoncement ? Elle a tout imaginé des milliers de fois, échafaudé les stratégies pour disparaître, fuir cet univers conventionnel et sclérosant. Elle n’aurait qu’à s’éclipser. Ce serait si simple. Elle n’a à présent plus besoin de quiconque pour subsister.

    Ce soir, si elle avait anticipé son départ, elle ferait le tour de la maison, traverserait le jardin jusqu’au garage et rejoindrait la route vers le village. La gare n’est pas si loin, dix minutes à peine en marchant vite. Elle peut même prétexter l’envie d’aller se promener un peu pour fumer une cigarette. Elle choisirait de rentrer dans le salon et préviendrait son mari de son projet de flânerie nocturne. Il lui proposerait aussitôt de l’accompagner. Elle lui sourirait une dernière fois, caresserait sa joue maigre, juste au-dessus de la fossette qu’elle aime embrasser sur le visage de son plus jeune enfant. Elle lui répondrait que, non, décidément, elle a envie d’être un peu seule pour avoir le plaisir ensuite de le retrouver. Sa belle-mère l’aiderait sans le deviner, appelant son fils à laisser sa conjointe tranquille, fatiguée sans doute de gérer leurs deux bambins au quotidien.

    Elle monterait dans le premier train pour n’importe où et disparaîtrait à tout jamais.

    Chapitre 1

    — Décidément, ma chère enfant, vous n’êtes guère à ce que vous faites. J’apprécierais vraiment que vous vous concentriez davantage.

    Elle a raison, grince Victoire en elle-même. Je fais de la soupe. Bach mérite quand même un meilleur traitement que ça.

    — Même Fifi ne semble guère goûter votre travail.

    La jeune femme jette un regard amusé en direction de la petite chienne, couchée à l’autre bout de la pièce.

    La première fois qu’elle l’a amenée chez madame Lancrenon, Victoire a craint qu’elle ne se laisse aller à ses pitreries habituelles, comme elle s’y prête toujours lorsqu’elle rencontre de nouvelles personnes. La bestiole a-t-elle senti d’instinct que ce n’était pas le genre de facéties à perpétrer en ce lieu dédié par sa propriétaire à la sacro-sainte musique classique ? Toujours est-il qu’elle a mis beaucoup de respect pour léchouiller la main qui se tendait vers elle avec une spontanéité inattendue pour une femme aussi réservée. Puis elle a affecté des mines de terrier sage et snob, sans davantage moufter. Elle a accepté de prendre son mal en patience, avant d’être à nouveau autorisée à sortir courir dans la rue et redevenir un incorrigible canidé gâté.

    Aujourd’hui encore, elle est vautrée dans sa posture favorite, à plat ventre sur le tapis, son long museau niché entre ses deux pattes avant, dans une imitation impayable du phoque affalé sur la banquise. Son maître, Samuel Wiener, passe de longues heures sur son clavier à étudier les univers sonores de ses copains Ludwig, Franz et Jean-Sèb. Victoire préfère, quant à elle, faire grincer des cordes. Que peut-elle faire pour les amener à se conduire de manière plus adaptée aux goûts d’une petite chienne comme elle ?

    — Où êtes-vous donc, Victoire ? En tout cas, pas du tout concentrée sur les Suites de Bach.

    — Détrompez-vous. Je ne pense qu’à elles, mais mes doigts refusent de s’unir à la partition. Je suis trop nulle, je n’y arriverai jamais. Et maintenant que vous me laissez tomber, tout est foutu pour moi.

    — Vous savez que je ne goûte guère quand vous déraisonnez de la sorte. Vous êtes armée pour prendre votre envol. Vous êtes même l’une de mes meilleures recrues. Alors, ne venez pas me décevoir. Un peu de courage, diantre.

    Surprise et touchée du compliment qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas déguisé, l’intéressée grimace un sourire narquois. Au XXIe siècle, entendre un langage aussi suranné est rarissime. À part le dernier président de la République élu, bien entendu, qui adore parsemer ses propos et discours de « carabistouille » et autre « croquignolesque ». Ce décalage fait partie du charme de madame Lancrenon, personnage à la fois insensible aux modes actuelles et tellement hors du temps.

    — Tu verras, avait prophétisé Pauline, un de ses anciens professeurs, lorsqu’elle lui a donné ses coordonnées. Cette femme est stupéfiante. Elle nous impressionnait tous, au conservatoire. Enfant, elle faisait déjà preuve d’une prodigieuse maturité. Elle saura te préparer au mieux à ton futur rôle de pédagogue.

    En effet, Victoire Meldec a décidé de se reconvertir ; elle n’a plus envie de jouer les chauffeuses de taxi ; le dérèglement climatique et ses conséquences désastreuses pour l’humanité l’ont convaincue d’exercer un métier moins préjudiciable à la sauvegarde de la planète. Elle reçoit déjà quelques élèves, enfants, adolescents ou plus âgés, voire carrément retraités ; elle s’efforce de transmettre à tous son goût pour la musique et le violoncelle, au travers d’un type d’enseignement très personnel, même si toujours rigoureux.

    Très loin des pensées de la jeune femme, madame Lancrenon poursuit son laïus, feignant de ne pas avoir remarqué la mimique facétieuse qu’a suscitée son mode d’expression.

    — Vous savez bien que je n’attends pas de vous une quelconque perfection technique, mais plutôt que vous transcendiez votre interprétation. C’est ce que nous devons faire comprendre à nos apprenants. Car la musique doit avant tout transporter votre auditoire. Souvenez-vous de ce que disait Glenn Gould.

    C’est la meilleure ! Qu’a bien pu exprimer l’autiste le plus célèbre du clavier contemporain ?{1}

    — Auriez-vous l’extrême obligeance de raviver ma mémoire défaillante ? Je n’ai pas votre culture encyclopédique en magasin.

    Madame Lancrenon s’appuie nonchalamment sur le piano, son regard d’un bleu polaire perdu par la fenêtre ouverte, au travers des nuées qui s’amoncellent à l’horizon des toits et laissent présager un orage imminent. Elle semble si fragile, avec sa petite silhouette fine et charmante, sa chevelure poivre et sel coupée en un carré trop classique. Elle s’habille toujours de gris ou de noir, jouant des harmonies entre ces deux couleurs. L’été seulement, elle s’accorde quelques effronteries, ponctuant le tableau de parme ou d’abricot.

    — Gould abordait une œuvre en compositeur, et non en interprète. Il voulait mettre en exergue sa propre conception de la partition, la structure intime qu’il y trouvait.

    Victoire hausse les épaules.

    — Sans doute, mais en quoi ce genre de précepte va-t-il m’être d’une quelconque utilité ? Gould était un génie, contrairement à moi, qui ne serai jamais qu’un tâcheron, bougonne-t-elle.

    — Allons, cessez de faire votre mauvaise tête de Normande obtuse et recommencez. Je vous veux parfaite, cette fois. Faites-moi ce cadeau, je l’ai bien mérité, vous ne croyez pas ?

    La mélopée reprend, chaleureuse et puissante. Victoire n’est pas Tortelier{2} ; cependant, elle possède un toucher vigoureux et enthousiaste qu’apprécie madame Lancrenon ; et elle aime véritablement son instrument, si semblable à la voix humaine.

    Voilà près de cinq ans que la jeune femme vient prendre ses leçons, à un rythme souvent désordonné, puisque ponctué de longues périodes d’absence inexpliquée. Mais quand elle réapparaît, il ne fait aucun doute que son violoncelle était du voyage et qu’elle l’a travaillé avec régularité et application, où qu’elle soit allée, comme tout bon artisan doit le faire. Madame Lancrenon lui est reconnaissante de sa persévérance et de son amour pour cet objet bizarre, demi-corps féminin dépourvu de tête et de membres, aux rondeurs suggestives quasi indécentes.

    Depuis un an, Victoire lui a fait part de son objectif d’enseigner à son tour. Le hasard a voulu que la fille de ses voisins sonne un soir chez elle. Sur le paillasson, la gamine se tortillait en bafouillant pour lui demander si elle accepterait de lui donner des leçons. Elle avait envie de s’y mettre depuis que, passant devant la porte de son appartement, elle l’avait entendue jouer. Elle avait déjà étudié la flûte, mais sans grande conviction. Avec des trémolos dans la voix, elle lui a expliqué qu’elle trouvait le son du violoncelle beaucoup plus beau. Échaudés par l’argent dépensé dans l’achat d’une traversière et de cours particuliers, ses parents ont préféré s’assurer qu’elle était réellement motivée, avant d’investir dans une nouvelle acquisition ; ils l’ont donc envoyée au casse-pipe, connaissant le caractère ombrageux de la dame. Si elle avait le courage de l’affronter et parvenait à la convaincre, ils reconsidéreraient la question.

    Sa surprise digérée, Victoire a accepté de relever le défi. Durant son enfance et son adolescence, elle a hanté les conservatoires de Cherbourg et de Paris, selon que son grand-père{3} habitait dans l’une ou l’autre de ces villes. Sans être géniale, elle s’est avérée bonne technicienne et a acquis une très solide éducation musicale. Transmettre à son tour ce qu’on lui a appris lui a tout de suite apporté un réel plaisir, d’autant que sa première élève s’est révélée plutôt douée. Les heures passées à la former et l’accompagner, la satisfaction de la voir progresser de façon régulière, l’ont convaincue de reconsidérer sa vie professionnelle sous un nouvel angle. Du coup, elle lui a même donné l’instrument sur lequel elle a elle-même commencé son initiation ; elle l’a retrouvé dans les affaires du Vieux, entassées depuis des lustres dans la cave. Un petit séjour chez son luthier habituel, rue de Rome, et le violoncelle est reparti comme en 14.

    Durant tout l’hiver, n’ayant rien fait pour encourager la chose, son nom a circulé d’immeuble en immeuble, au point qu’elle commence à se créer une jolie petite réputation. Et la clientèle suit. Quand elle a raconté son aventure à sa professeure, celle-ci s’en est réjouie, presque émue d’avoir su léguer cet autre aspect de sa mission. À son tour, elle s’est prise au jeu et lui a enseigné presque tout ce qu’elle-même connaissait. Le succès de Victoire Meldec lui fait vraiment chaud au cœur.

    L’archet se suspend. La première Suite s’achève. Madame Lancrenon hoche la tête d’un air enchanté. Elle peut s’asseoir au piano et entamer le dernier mouvement de la troisième sonate de Beethoven. Victoire sourit. Si elle a gagné le droit d’accorder son instrument au clavier, c’est qu’elle n’a pas trop démérité dans Bach. La musique du « deuxième Mozart »{4} lui parle davantage, passionnée et sensuelle, terriblement humaniste. Lorsque l’ultime note résonne, une seconde de silence la prolonge.

    — Vous vous sentez prête à vous lancer dans le grand bain sans bouée ? demande madame Lancrenon sans regarder Victoire.

    — Euh, n’exagérez pas le challenge. Je forme des mioches, des débutants, pas des petits prodiges, et votre aide m’est précieuse.

    — Mais vous vous souvenez de ce que je vous ai dit à l’automne ?

    — Que vous arrêtiez d’enseigner ? Le temps est donc venu ?

    — En effet. Vous allez devoir vous appuyer sur vos seules compétences.

    Victoire observe madame Lancrenon d’un air dépité.

    — Vous savez que je ne m’y fais pas. C’est un tel gâchis.

    — C’est la vie, Victoire, tout simplement. Et celle-ci nous impose de devoir tourner des pages, que ce soit volontaire ou non.

    — Pardonnez-moi, mais vous n’êtes pas si âgée que ça. Nadia Boulanger{5} a reçu des élèves jusqu’à la fin.

    — Merci pour la comparaison, apprécie la professeure. Mais ma décision est irrévocable. Cependant, je vous propose de revenir une dernière fois la semaine prochaine.

    — Pour une ultime leçon ?

    — Pas exactement… Venez sans votre instrument, nous prendrons un thé entre collègues. Je voudrais vous recommander auprès de confrères que je connais bien. Je leur ai déjà parlé de vous, mais je préfère en discuter avec vous avant que vous ne les contactiez. Je vous expliquerai tout, c’est promis. Et vous n’aurez aucun reproche à me faire, j’en suis certaine.

    — C’est chic de votre part.

    Madame Lancrenon ne répond pas, esquissant juste un sourire entendu. Victoire ne peut pousser plus avant sa curiosité, car la sonnerie de la porte d’entrée retentit de manière péremptoire et prolongée.

    — Voilà Martial, note l’enseignante.

    Le temps est venu de laisser la place. Victoire va devoir attendre quelques jours avant de tout comprendre. Elle fait coulisser la pique dans le corps du violoncelle et s’affaire à le ranger avec une dextérité mêlée de délicatesse. Traduisant le message subliminal, Fifi s’étire sur le tapis en ouvrant une gueule immense pour bâiller fort élégamment. Pendant ce temps, la professeure a refermé la partition beethovénienne et en cherche déjà une autre dans l’une des piles entassées sur la caisse du piano. Une nouvelle sonnerie tonitruante la rappelle à l’ordre, sans qu’elle paraisse accélérer le rythme pour autant.

    Elle finit pourtant par sortir de la pièce et aller accueillir le visiteur. Elle revient quelques secondes plus tard. Un préadolescent la suit, la dégaine quelque peu négligée, le pas traînant sur le parquet encaustiqué. Il a posé une casquette de base-ball à l’envers sur ses cheveux bruns ; son tee-shirt dépasse de la ceinture son jean tire-bouchonné sur les chevilles. Sous le bras, il trimbale un ballon de basket, qu’il lâche sitôt qu’il aperçoit la petite chienne.

    — Fifiiii !

    À quatre pattes pour se mettre au niveau du cabot qui a bondi à sa rencontre, il glapit de rire, chatouillé par les coups de langue qu’elle lui plante au hasard sur ses joues et son cou. Durant quelques secondes, ce ne sont que hurlements de joie, tandis que le gamin et le terrier se roulent à terre. Jusqu’à ce que Victoire, consciente de l’agacement progressif de madame Lancrenon, se décide à reprendre les choses en main.

    — Bon, Fifi, ce n’est pas le tout, mais on va travailler, maintenant. L’argent ne se gagne pas tout seul, ça se saurait.

    Martial se relève à regret et Fifi revient sagement trottiner au pied de sa maîtresse.

    — Elle est trop cool, ta chienne.

    — Je t’ai déjà dit que ce n’est pas la mienne, mais celle d’un ami. Quand son boulot l’empêche de l’emmener, il me la confie. Comme ça, elle ne se morfond pas pendant des heures dans son appartement. Il craint qu’elle ne devienne aussi neurasthénique que lui.

    — Mes vieux, ils voudront jamais que j’en aie un pareil à la maison.

    — Tes parents, rectifie madame Lancrenon avec un soupir amusé.

    — Ouais, si vous y tenez…

    — D’où sors-tu, débraillé de la sorte ? continue la professeure.

    Malgré elle, elle ne peut s’empêcher de tirer sur le bas du tee-shirt de son élève, lequel est à moitié dépoitraillé.

    — En traversant le parc, j’ai croisé des copains qui jouaient au foot, alors j’ai tapé quelques balles avec eux, explique-t-il.

    — Tu n’avais pas très envie de venir, c’est ça ? croit-elle comprendre avec un demi-sourire.

    — Dites pas ça, c’est trop chouette ici, pas de risque que je vous oublie. Mais en même temps, il fait trop beau aujourd’hui. On pourrait pas mettre le piano sur la terrasse ? propose-t-il en regardant le volumineux demi-queue, imaginant sans doute déjà s’arc-bouter pour le pousser près d’une des fenêtres.

    — Tu n’as qu’à étudier la flûte, lui conseille Victoire, ainsi tu pourras t’installer où bon te semble.

    — Comme c’est notre dernier cours, est-ce qu’on peut jouer autre chose que du Schubert ? demande alors Martial en se tournant vers madame Lancrenon.

    — Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce pauvre Franzie ? intervient encore la jeune femme.

    — Il me bouffe juste le moral. L’autre jour, j’ai vu un film à la télé. Y’avait Depardieu qui disait à la fin « Il fait chier, votre Schubert, vous comprenez ? Il fait chier ! »{6}

    La professeure lève les yeux au ciel, mimant le désespoir devant ce propos sacrilège.

    — Mon Dieu ! Pourquoi m’obligez-vous à entendre de pareilles horreurs ?

    — Pourtant, c’est sacrément bath, Schubert, argumente Victoire, également choquée.

    Martial esquisse une moue narquoise en agitant ses mains en tous sens sous leur nez.

    — Je préfère Liszt, c’est plus costaud.

    Victoire éclate de rire.

    — Ben voyons, tu n’as peur de rien, toi.

    — Au moins, tu as travaillé depuis la dernière fois ? s’inquiète madame Lancrenon.

    — Vous savez bien, j’adooooore jouer. J’y passe des heures tous les jours, le mec de ma mère n’en peut plus, c’est super. Bientôt, il va craquer et la quitter. On sera tranquille et elle redeviendra cool. Peut-être même qu’elle m’achètera une Fifi. Sinon, on a été voir monsieur Kerminsky. Il a beaucoup aimé ce que je lui ai interprété hier. Il a dit à maman que j’étais une petite merveille. Elle en grimpait au rideau de kiff. Il croyait que je ne l’écoutais pas, mais j’ai bien entendu.

    L’enseignante fronce les sourcils. Encenser ses élèves ne fait pas partie de ses habitudes. Si elle a recommandé l’adolescent à son confrère, c’est parce qu’elle sait qu’ils pourront travailler ensemble et tireront le meilleur de ses dons exceptionnels pour le hisser vers les sommets.

    Martial claque une bise sur la joue de Victoire, comme pour la congédier. Puis il s’assied devant le clavier et pose ses doigts rondelets sur les touches, enchaînant ses gammes avec un naturel déconcertant. La jeune femme sourit. Espérons qu’il ne gâche pas son talent, songe-t-elle en s’éclipsant après avoir laissé quelques billets dans une coupelle sur la cheminée et esquissé un salut de la main à destination des deux musiciens.

    Mais ils sont absorbés dans leur passion commune, « soupirent »{7} ensemble et ne lui portent plus aucune attention. Fifi sur les talons, elle sort sur le palier et referme tout doucement la porte de l’appartement derrière elle.

    Chapitre 2

    Tout est paisible à bord du Thalys. Le train est parti depuis une bonne heure de Bruxelles-Midi, et dans un peu plus d’une demi-heure, il entrera en Gare du Nord à Paris. Beaucoup de passagers se sont assoupis, bercés dans leur somnolence par le rythme régulier et le ronflement de la rame à grande vitesse, lancée à près de 300 kilomètres-heure.

    Au milieu d’un wagon de première classe, une jeune femme sommeille par intermittence. Après avoir lutté pendant quelque temps contre l’envie de dormir, elle a fini par appuyer son visage contre le montant de son siège. Au préalable, elle a glissé sous sa joue une écharpe en laine pour amortir le contact de sa peau contre le revêtement de tissu. Entre ses bras, elle tient bien serré un long étui en vieux cuir durci. Au moment de l’embarquement, un contrôleur s’est voulu complaisant et lui a proposé de l’installer dans l’espace à bagages, situé juste au-dessus de sa place. Elle s’y est farouchement opposée, défendant son bien comme si son interlocuteur avait cherché à le lui dérober.

    Le matin précédent, Gabrielle Willems, médecin anesthésiste, officiait en neurochirurgie dans un bloc opératoire de l’hôpital Érasme, le plus grand centre hospitalier universitaire de Belgique. La routine, en quelque sorte, pour une spécialiste comme elle ; à cet instant précis, elle avait cependant bien conscience que le méningiome sur lequel s’activaient ses collègues, tandis qu’elle surveillait les fonctions vitales du patient, tenait plus de la balle de tennis que du grain de raisin.

    Cela n’empêchait pas Patrick Lejeune de siffloter presque gaiement, tel l’ouvrier lambda en train d’accomplir son turbin quotidien. En l’entendant gazouiller, les autres membres de l’équipe ont aussitôt compris qu’il ne s’était pas trompé ; comme le prévoyaient les résultats de l’IRM, l’exérèse était possible, vu l’emplacement favorable de la tumeur, éloignée de toute zone problématique. Nul risque d’endommager le bulbe, et pas davantage de séances de radiothérapie à programmer.

    La routine, définitivement.

    Après avoir incisé le cuir chevelu et découpé une partie de l’os pour créer une sorte de porte, le neurochirurgien plongea avec une franche délectation dans l’intérieur du crâne et commença à trancher les méninges. Avec sa dextérité coutumière, il préleva la totalité de la tumeur, puis replaça le volet osseux, pour bien refermer le crâne avec quelques agrafes et du fil. D’un geste magnanime, il abandonna les travaux de couture à l’interne de service qui se fit une joie de rafistoler la plaie dans les règles de l’art. Quelques jours suffiraient ensuite pour que la peau cicatrise et que le châssis se ressoude comme un grand. Le patient n’y verrait que du feu dès que ses cheveux auraient repoussé.

    Une poignée de minutes plus tard, le professeur Lejeune est en train de se laver les mains dans ce qu’il appelle l’arrière-cuisine, quand Gabrielle Willems le rejoint. Sans cesser de passer ses avant-bras sous l’eau brûlante, il se tourne vers l’anesthésiste qui ôte son masque, son calot et ses gants, puis les jette dans la poubelle prévue à cet effet.

    — Benoît a terminé de jouer les cousettes ?

    — Il est doué. Il peut se reconvertir dans la haute couture si jamais le job de charcutier lui déplaît.

    — Tu sais, ce n’est pas courant de voir un chirurgien capable d’exécuter de si belles cicatrices. Tu peux être un orfèvre à l’intérieur et un gougnafier pour les finitions.

    — Il vaut mieux ça que le contraire, tu ne crois pas ?

    — En tout cas, on a fait du bon boulot. Fais vraiment chier, ajoute subitement Patrick.

    — De quoi parles-tu ?

    — De tes vacances.

    Gabrielle lève les yeux au ciel. Patrick ne supporte pas qu’elle prenne des congés sans lui. Il a donc décidé de tout mettre en œuvre pour la culpabiliser jusqu’à son départ.

    — Par pitié, tu ne vas pas recommencer avec ça.

    La jeune femme préfère quitter la pièce. À toute allure, elle enfile un long couloir, puis grimpe un escalier lugubre sur deux étages. Elle ouvre plusieurs portes à la volée et finit par se retrouver à l’extérieur du bâtiment, sur une espèce de terrasse de béton gris. Le printemps démarre à peine, après une arrière-saison quasi caniculaire et un hiver clément tout autant qu’éphémère. Le monde marche sur la tête et la nature se réveille lentement. Malgré la douceur des températures, Gabrielle frissonne sous sa blouse de protection ; mais elle préfère attraper un rhume plutôt que de subir les jérémiades de Patrick. Quoiqu’il cherche à l’en dissuader, dans quarante-huit heures, elle posera le pied sur le sol français.

    D’instinct, elle marche jusqu’à une bouche d’aération et soulève une plaque de ciment mal jointe. Un paquet de cigarettes l’attend patiemment dans un recoin. Elle en prend une, l’allume avec gourmandise et la fume à petites bouffées, les yeux fermés, le visage tendu vers le pâle soleil d’avril qui peine à se frayer un chemin au travers des nuées.

    Son répit est de courte durée. La porte grince derrière elle et le neurochirurgien vient s’appuyer sur le mur, juste à

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