Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'ambre de tes yeux
L'ambre de tes yeux
L'ambre de tes yeux
Livre électronique373 pages5 heures

L'ambre de tes yeux

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Après avoir cru qu’elle était née d’un viol, Roxane, institutrice de 36 ans et orpheline de mère depuis peu, sait maintenant qu’elle est plutôt le fruit d’un amour interdit. Son père, moine au monastère Saint-Yves-de-la-Rochette, n’a jamais su que Lisa, la femme qu’il a jadis aimée, a porté son enfant. À ses yeux, Roxane est moins qu’une étrangère, elle n’existe pas… Profondément perturbée, elle tente de rencontrer cet homme qui l’obsède, tout en étant paralysée par la peur. Et s’il reconnaissait en elle ses propres traits ou ceux de sa mère ? Ou pire, s’il la rejetait ?  Comment parviendra-t-elle à nouer une relation durable avec celui-ci, alors qu’autour rôde Charlotte, mère d’un bambin dont le père est novice ? Assoiffée de vengeance, cette dernière complique la quête de Roxane.

Heureusement, Roxane peut compter sur les personnes qu’elle aime, qui elles, naviguent également entre les écueils de leur vie.
LangueFrançais
Date de sortie22 sept. 2021
ISBN9782925144526
L'ambre de tes yeux
Auteur

Claire Meilleur

Native de Montréal, Claire Meilleur habite à Saint-Lambert et se passionne pour le chant et l'écriture. Son premier roman La tache de naissance a été publié par Les Éditions de la Paix en mai 2014. L'ambre de tes yeux est son second roman.

Auteurs associés

Lié à L'ambre de tes yeux

Livres électroniques liés

Fiction psychologique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L'ambre de tes yeux

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'ambre de tes yeux - Claire Meilleur

    Prologue

    Novembre 2006

    Agenouillé dans la chapelle du monastère Saint-Yves-de-la-Rochette, le père Xavier Langevin vivait un des moments les plus pénibles de son existence. Quiconque l’aurait observé aurait pu croire que le moine était en profonde méditation, serein face à la présence de Dieu. En réalité, son esprit était en pleine agitation et aucune prière n’aurait pu l’apaiser. Prêt à s’effondrer, il crut réentendre la remarque malicieuse de Charlotte. Ses propos outrageants.   

    Le père Langevin, maître des novices, portait ses soixante-dix-ans, mais en paraissait dix de moins. La carrure de ses épaules, son port de tête et ses cheveux d’un blanc éclatant lui conféraient une allure de roi. Pour l’heure, ses traits trahissaient une peur viscérale et il nourrissait une colère tout à fait stérile, mais combien orageuse. Pourvu que ce ne soit pas vrai, pensa-t-il avec effroi. Les battements de son cœur lui résonnaient jusqu’aux tempes. Ce n’est qu’un mensonge, se répéta-t-il. 

    Charlotte ! Il ne s’était pas trompé sur son compte. Dangereux petit bout de femme. Elle avait semé le doute, poison vif qui minait son esprit habituellement paisible. Pourquoi s’en prendre à lui ? N’en avait-elle pas assez fait ? Bien sûr, il s’agissait d’un acte de vengeance. Le père abbé avait cru qu’elle se contenterait de l’arrangement, mais devant l’air perfide que Charlotte avait affiché, lui, il s’était méfié, pressentant sa force de caractère malgré son jeune âge. Comment pouvait-on receler en soi autant de mesquinerie ?   

    Il posa sa main sur sa poitrine et tenta de calmer son affolement. Il chavirait comme une chaloupe soulevée au gré des vagues sur un océan en pleine tempête. Non, il paniquait pour rien, il imaginait le pire. Pourtant, un sombre pressentiment lui clouait le cœur. Une intuition fulgurante, à deux doigts de le faire hurler.

    Ce sourire… comment avait-il pu ne rien voir ?

    Les cloches du monastère se mirent à sonner sept fois, en rappel aux sept péchés capitaux. Les épaules du père Langevin se voûtèrent dans l’attente d’un châtiment, écrasées sous le joug de Dieu.

    Chapitre 1

    Septembre 2005

    Roxane scruta l’horizon et balaya d’un regard rapide la chaussée sur laquelle résonnaient ses pas de course. La chaleur se répandait dans ses veines comme un philtre puissant, rendant ses jambes légères et souples comme un roseau. Un battement sourd dans tout son corps. Ses cheveux fins d’un brun chocolat flottaient au-dessus de ses épaules, s’emmêlaient et lui fouettaient les joues. Elle sortit un élastique de la poche de son coupe-vent et les noua en queue de cheval. Vénus, une chienne au poil blond, croisement de Labrador et de Golden retriever, courait fidèlement à sa suite.   

    Roxane pensa à Christopher. Il n’avait rien fait de mal, pourtant, elle lui en voulait un peu. Elle s’était réveillée pratiquement à l’aube avec l’envie de se nicher contre lui et de rester ainsi toute la matinée ; il n’avait pas eu la même idée. Il s’était levé pour préparer le café dont l’arôme était monté jusqu’à la chambre, puis s’était enfermé pour travailler. Frustrée, Roxane avait sauté du lit à son tour et enfilé ses vêtements de jogging. Quand elle était descendue, Christopher lui avait souri au travers des portes françaises qui séparent l’atelier de la cuisine, demeurant toutefois devant son chevalet. Déception stade deux. Il ne pouvait pas toujours lâcher son pinceau sous prétexte qu’elle venait chez lui le week-end. Il profitait du peu de temps dont il disposait pour peindre. Elle aurait dû se sentir heureuse de le voir aussi captivé par son art, pourtant elle ressentait de l’agacement. Leurs moments d’intimité n’étaient pas si fréquents. À qui la faute ? lui dirait-il. Lui, il n’attendait que cela, qu’elle s’installe définitivement. Il ne l’avait pas habituée à cet empressement au début de leur relation et elle s’émouvait de toute la place qu’il voulait lui laisser.

    Je suis juste fatiguée et à rebrousse-poil, pensa-t-elle. Même si en général elle se sentait heureuse de reprendre le boulot, la rentrée de septembre comportait son lot de stress. Tous ces nouveaux visages qui l’observaient d’un air grave, qu’elle tentait de rassurer. Elle ne voulait négliger aucun de ces petits, mais devait également respecter le programme et le calendrier scolaires qui, eux, n’en avaient rien à faire de l’angoisse de tout un chacun. Le climat de la saison et l’obscurité précoce ne favorisaient pas son humeur. Au lever, elle s’était demandé si elle aurait la force de parcourir le périmètre habituel. Et voilà, elle eut son premier sourire de la journée. Elle avait oublié le bien fou que ça lui faisait. Elle tourna la tête pour voir si Vénus la suivait toujours. Le bitume était glissant par endroit à cause des feuilles éparses et imprégnées d’humidité qui longeaient le bord des trottoirs.

    Sa bouderie diminua. Fougueux et tendre Christopher. Elle mesurait sa chance de l’avoir rencontré. Seule dans son appartement les soirs de la semaine, elle se languissait de lui, mais passer tout un week-end chez lui, en compagnie de ses deux garçons l’épuisait. Elle avait l’impression de vivre entre parenthèses au milieu de leur famille. Leur vie était si différente de la sienne. Elle n’avait pas l’habitude de son cœur occupé à aimer et n’était guère accoutumée à son corps jamais au repos, si perméable à la présence de Christopher. Un centre névralgique. Elle l’observait constamment, le regardait s’affairer et trouvait même attendrissante sa manière de plisser les yeux. Elle adorait passer ses doigts dans ses cheveux blond-fauve, replacer son toupet qui lui retombait sans cesse sur le front. Il était beau dans ses jeans et voir ses cuisses se mouvoir la distrayait. Un peu trop. Lorsqu’il se penchait vers sa machine à café, elle en profitait pour admirer sa silhouette. Plus grand qu’elle, juste assez musclé, terriblement sexy. Même à l’école, entourée de ses élèves, elle pensait encore à lui. Elle avait si hâte d’être dans ses bras. Dans ses draps aussi. Faire l’amour avec Christopher, c’était comme nager dans ce lac qu’il avait peint, s’y immerger totalement pour étancher la soif qu’ils avaient l’un de l’autre. Un seul plongeon et ils s’enluminaient comme ces couleurs qu’il malaxait de son couteau à palette pour en créer une teinte unique. Lui, au plus profond de son bassin, et elle, emportée par ce courant impétueux, limpide et doux comme l’eau de ce vert turquoise sur la toile. Sans jamais se heurter, leur corps s’amalgamaient, leurs jambes s’entrelaçaient et elle s’étonnait encore de leur mouvance naturelle. L’odeur de leurs étreintes lui était si familière qu’elle se demandait comment elle avait pu vivre aussi longtemps loin de lui.   

    Il lui avait cédé de la place dans son placard, dans quelques tiroirs et pouvait même remonter le bureau remisé dans le garage, le remettre à neuf si elle voulait. Elle se sentait bien dans sa maison, elle aimait la chambre, les fenêtres panoramiques et cette vue imprenable sur les arbres, la rivière aux Quenouilles. Mais était-elle vraiment chez elle ?   

    Quand elle lui avait demandé s’il passerait la journée à peindre, il avait haussé les sourcils. « Sûrement un petit deux heures. De toute manière, tu vas courir, non ? » Il avait raison, bien sûr. Alors qu’est-ce qui l’incommodait autant ?

    Quant aux enfants, ils se comportaient bien avec elle. Elle ne souhaitait pas les confrontations, mais leur politesse lui démontrait qu’elle n’était qu’une invitée. Elle ne leur en voulait pas, Jason et Gregory n’avaient que neuf et onze ans et elle ne tenait pas à les bousculer. On ne débarquait pas ainsi dans une vie tout organisée. Il fallait d’abord s’annoncer et elle préférait que les garçons la connaissent mieux. Une famille n’était pas comme une classe, elle ne pouvait leur imposer aucun devoir et surtout pas celui de l’aimer. Bien que Jason et Gregory n’avaient pas subi de divorce, leur douleur en était plus cruelle. Leur maman n’était plus là, disparue pour toujours. On a au moins quelque chose en commun, pensa-t-elle. 

    Au secondaire, elle avait connu une fille dont la mère venait de mourir. Âgée de dix-sept ans et enfant unique, celle-ci avait dû demeurer seule avec son père, ce qui avait paru un non-sens à Roxane. Comment pouvait-on vivre dans une maison sans la présence d’une mère ? Quelques semaines plus tard, elle l’avait vue discuter et rire à la cafétéria avec ses amies. Elle en avait été troublée, bien qu’elle n’avait pas su à quoi s’attendre ; sûrement pas à la voir agir comme avant. Elle l’avait observée durant des jours, à l’affût d’un indice qui lui aurait révélé le calvaire qu’elle devait subir.

    Elle avait du mal à se figurer la perte immense que les enfants de Christopher devaient éprouver, ou plutôt, elle ne tenait pas trop à se l’imaginer. Elle aspirait à devenir une source de réconfort alors qu’elle-même souffrait encore de la disparition de sa mère.

    Gregory, le plus jeune, semblait s’accommoder facilement de sa présence, en fait, la plupart du temps il l’ignorait. Aucune animosité, peut-être un peu d’indifférence. Lui par contre, impossible de ne pas le remarquer avec tout le boucan qu’il faisait. Il manifestait ses besoins sans honte, confrontait tout le monde de son regard de vainqueur et s’attendait à ce que l’on réponde à ses désirs sur-le-champ. Il aimait l’action, le concret. Les premiers week-ends, Vénus s’était transformée en boule de nerfs en présence des enfants et Roxane s’était inquiétée de leur cohabitation. Avec Jason, l’aîné, les choses se passaient différemment. Elle se rendait compte qu’il l’examinait et sa manière lui rappelait la sienne lorsque, plus jeune, elle contemplait les adultes. Christopher le trouvait fragile, mais Roxane n’était guère convaincue. Son fils paraissait surtout doué d’une sensibilité peu commune et ses grands yeux donnaient l’impression de tout absorber d’un seul battement de cils. Il semblait se tenir à la frontière de deux mondes comme s’il cherchait de quel côté vivre. Elle ressentait aisément sa mélancolie et craignait de lui imposer sa présence. Jason, une beauté incarnée et une telle finesse dans les traits. Ressemblait-il à sa mère ?   

    Édith. Son prénom n’était jamais prononcé et aucune photo d’elle ne traînait nulle part, pas même dans la chambre des enfants. Son absence devenait presque palpable et Roxane craignait d’usurper sa place. Elle aurait préféré les entendre parler d’elle, se remémorer ouvertement leurs souvenirs. Elle semblait s’être envolée sans laisser de trace. Ne sachant où celle-ci avait foulé le terrain, Roxane redoutait de la piétiner. Si elle en connaissait très peu sur la sclérose en plaques, elle savait toutefois que les conséquences de cette maladie pouvaient en engendrer d’autres et conduire au décès. Elle ignorait presque tout à son sujet et n’osait questionner Christopher. Peut-être lui en parlerait-il au moment opportun.

    Arrivée tout près de Prévert, elle ralentit la cadence. Il n’y avait aucun trottoir sur cette petite route qui longeait la rivière et elle redoubla de prudence dans la courbe afin d’éviter les automobilistes trop pressés. Évelyne, la sœur de sa mère, habitait par ici. Depuis quatre ans, sa maison avait été convertie en gîte du passant. Le rôle parfait pour sa tante qui se sentait dans son élément lorsqu’elle prenait soin des autres. Au cœur du village, on retrouvait des artisans, des boutiques de vêtements uniques, des restaurants, dont une crêperie, des cafés et des bars où l’on passait des soirées à écouter des chanteurs et des musiciens. La maison de Christopher se trouvait un peu en retrait de Prévert, là où la rivière se jetait dans de petits cours d’eau qui aboutissaient au marais. Il aimait cet emplacement entre deux villages, une espèce de no man’s land, lieu sauvage qui l’inspirait, disait-il. Aujourd’hui, Prévert offrait un paysage accueillant, mais dans un mois à peine, les habitants affronteraient l’hiver. Les chaises sur les terrasses seraient remisées, les vérandas calfeutrées et les arbustes revêtiraient leur robe de jute. Pour le moment, Roxane profitait du temps assez doux sous le ciel opaque. Elle détestait les journées moches et humides qui agressaient son corps jusqu’aux os. Dès que les arbres perdaient leurs feuilles, elle-même se sentait dépouillée de sa vitalité. Un sourire se dessina sur ses lèvres à l’idée qu’elle passerait de belles soirées au coin du feu, à l’abri des intempéries, enveloppée par les bras chauds de Christopher. Elle devenait toute mollasse quand il se penchait sur elle pour tenter de la deviner. Incroyable comme sa vie s’était métamorphosée depuis un an. Un véritable saut en benji. 

    Son parcours terminé, elle rentra par la véranda et anticipa le plaisir d’une douche bien chaude. À travers les vitres qui donnaient sur la cuisine, elle aperçut Christopher.

    — Tapis Vénus !

    Pendant qu’elle retirait ses baskets et accrochait son coupe-vent, Christopher se pointa sur le seuil.   

    — Pas trop frisquet ? 

    — Un peu venteux, mais l’air est bon.     

    — Une dame a appelé pour toi. J’ai laissé son numéro près du téléphone, ajouta-t-il en quittant la pièce. 

    — Pour moi ? s’étonna-t-elle. 

    La radio diffusant du country américain, musique qu’affectionnait Christopher, Roxane crut qu’il ne l’avait pas entendue et le rejoignit à la cuisine.

    — Comment sait-elle que je suis ici ? Elle a dit ce qu’elle voulait ?

    Le dos tourné, Christopher répondit d’un ton neutre.

    — Des cours de piano pour sa fille de neuf ans.     

    Rembrunie, Roxane lui jeta un œil soupçonneux. 

    — Je ne comprends pas…

    — Quelqu’un l’a sans doute renseignée. À ton école peut-être ? C’est facile de trouver mon numéro, les Barlow, ça ne court pas les rues par ici.

    Il se tenait de biais, fuyait son regard.

    — Pas de chance pour toi, plaisanta-t-il, on sait maintenant que tu me fréquentes. 

    Sourire en coin, il se tourna vers elle. Roxane demeura de marbre.           

    — C’est ma mère qui offrait des cours, tu ne l’as pas informée de son décès ? 

    Devant le ton accusateur, il baissa les yeux.

    — Elle semblait au courant et se demandait si tu ne prendrais pas la relève.     

    Les yeux de Roxane se voilèrent comme pour se soustraire à la lumière du jour. 

    — Tu sais très bien que je ne joue plus ! lança-t-elle d’un ton coupant.

    Christopher ouvrit la porte du réfrigérateur, maintenant un obstacle visuel entre eux. L’atmosphère refroidissait. 

    — Et au cas où tu l’aurais oublié, ajouta-t-elle, je travaille à temps plein.

    — Je n’ai pas voulu répondre à ta place et…

    — Tu peux jeter le numéro, le coupa-t-elle. 

    Elle traversa le salon en coup de vent et grimpa l’escalier. Christopher soupira, il aurait dû se douter qu’elle réagirait ainsi. Sortant de la cuisine, il aperçut Vénus couchée près de Gregory, lui-même à plat ventre devant le téléviseur.     

    — Vénus ! Tes pattes sont mouillées.

    Tête basse, la chienne retourna dans la véranda.

    La porte de la salle de bain refermée bruyamment attira l’attention de Jason qui releva ses yeux de son dessin. Il entendit la douche couler, sûrement Roxane qui revenait de son jogging. Était-elle fâchée ? Il revint à son croquis et s’empara de ses crayons de couleur. Il voulait représenter l’eau, pas tout à fait comme son père l’avait peinte, mais quelque chose de similaire. Il imaginait son aspect, sa transparence bleutée, mais ignorait comment reproduire sa fraîcheur. L’été, lorsqu’il se baignait dans la piscine de son ami Julien, il déposait sa main délicatement à plat sur la surface. Un contact léger et direct qui lui permettait d’en sentir toute la douceur. Il détestait que son ami exécute sa bombe en aspergeant partout. Lui, il s’y glissait tranquillement sans rien brusquer, pour faire corps avec elle. Dans un lac, les courants passaient de chauds à froids, prouvant ainsi que l’eau était vivante. On pouvait la traverser de ses mains, lui donner du remous et on flottait même dessus. De la magie pure et simple. Il ne comprenait pas pourquoi on la qualifiait d’inodore. L’eau, elle sentait l’eau. Il était triste de voir ces cochonneries qui traînaient dedans. Les gens disaient qu’elle causait parfois des maladies, alors que la pollution était la faute des hommes. Puissante et même violente, elle arrivait à détruire des barrages, à inonder des villages. Oui, il connaissait aussi sa dangerosité, les noyades qu’on rapportait, mais lui, s’il devait choisir, il préférerait mourir noyé que brûlé vif. L’eau, plus forte, éteignait d’ailleurs les flammes. Est-ce que mourir dans l’eau facilitait le passage de l’autre côté ? Comme une vague qui nous rejette sur le sable mouillé.

    Une odeur de viande, d’oignons et d’épices monta jusqu’à lui. Il aimait ces arômes dans la maison, malgré la tristesse ressentie au souvenir de sa mère. Il se demandait où elle était maintenant, sûrement un ange avec un corps éthéré. Éthéré. Il aimait ce mot qu’il avait découvert tout récemment dans le dictionnaire. La mort l’intriguait vraiment et plusieurs personnes en parlait avec un drôle d’air. Même qu’ils chuchotaient parfois. Au décès de sa mère, il avait vu son père pleurer pour la première fois, mais il avait également perçu sa colère. Mourir était-il quelque chose de mal ? Et était-ce difficile de mourir ? Curieux, il aurait bien essayé quelques jours, s’assurant du même coup du bien-être de sa mère. Ouais, son frère le traiterait de fou ! Il chassa toutes ces pensées et se pencha à nouveau sur sa feuille. 

    Sous la douche, Roxane tenta de se calmer. Christopher faisait fi du piano alors qu’il savait très bien qu’elle n’y arrivait pas. Toutes ces partitions lui rappelaient cruellement la mort de sa mère ? Tant pis, le piano n’avait qu’à mourir lui aussi !

    Elle s’habilla, se sécha les cheveux puis redescendit se réfugier dans la pièce où elle effectuait ses corrections scolaires. Fuyant la confrontation avec Christopher.

    Pour dîner, elle se prépara un sandwich et retourna dans le petit bureau. Ils passèrent l’après-midi à s’occuper chacun de leur côté et ne s’adressèrent la parole que lorsque nécessaire. Durant le souper, Christopher tenta de détendre l’atmosphère et ne reparla plus des cours de piano. La cuisine rangée, Roxane s’installa au salon et se plongea dans la lecture du journal. Vénus la suivit et se coucha à ses pieds. Christopher pénétra dans la pièce à son tour, déposa une bûche au centre du foyer et l’entoura de petits bois d’allumage et de papiers. Tandis qu’il entretenait la flamme, il jeta de brefs coups d’œil vers Roxane qui l’ignorait. Le feu maintenant bien alimenté, Christopher vint s’asseoir à ses côtés et passa un bras derrière ses épaules. Elle se tourna vers lui, léger sourire aux lèvres.

    — J’aimerais bien inviter Janik et Simon pour souper, un autre week-end. 

    — Ici ? questionna Christopher en haussant les sourcils. Mais oui, ce serait super !

    — On serait plus confortable que chez moi, mon appartement est trop petit.

    Agréablement surpris par son changement d’humeur, il repoussa quelques mèches de ses cheveux.

    — Je trouve que vous avez de très bonnes idées, chère demoiselle !

    — Ça ferait du bien à Janik, les derniers mois n’ont pas été faciles avec Simon.     

    — Normal après l’agression qu’il a subie.   

    —  Je vais l’appeler demain. Euh… ce n’est pas un problème si tu vois Simon ici ?

    — D’un point de vue éthique, je te rassure, ça fait un bout que j’ai terminé la physio avec lui. Tes amis sont maintenant les miens.

    L’entrée bruyante des enfants détourna leur attention. Les deux garçons s’étendirent à plat ventre sur le plancher, la tête blonde et frisée de Jason aux côtés de celle de Gregory dont la teinte des cheveux, légèrement plus foncée, rappelait celle de leur père. Après quelques minutes, Vénus se leva pour se coucher tout près de Jason qui cachait bien mal sa fierté. Roxane sourit. Ils formaient déjà une belle paire, ces deux-là. 

    Le bois crépitait et répandait son odeur agréable dans toute la maison. Deux petites lampes tamisaient la pièce lui conférant une atmosphère intimiste et moelleuse. Roxane coula un regard vers Christopher, légèrement allongé. Son chandail s’en trouvait retroussé et dévoilait la peau de son ventre ferme. Elle eut soudain envie d’y promener ses doigts, mais se retint en présence des enfants. Elle se cala contre lui et tenta d’oublier le piano. Pour l’instant, quelque chose, ou plutôt quelqu’un occupait constamment son esprit.

    Chapitre 2

    La température clémente de la journée incita Roxane à enfourcher son vélo. Plutôt que de téléphoner à Janik, elle préférait se rendre chez elle pour lui faire part de son invitation à souper. Sur le chemin, elle se délecta des odeurs automnales qui flottaient dans l’air. Après une vingtaine de minutes, elle gravit la côte Saint-Ignace. Qui sait, peut-être que son amie voudra l’accompagner en vélo ? Pas si sûr, pensa-t-elle aussitôt. Prise entre son travail, son conjoint et ses quatre enfants, Janik dépensait déjà beaucoup d’énergie et la méditation constituait la seule activité personnelle qu’elle s’octroyait depuis un an.

    Elle s’approchait de la maison au toit rouge et vit Simon qui travaillait à l’extérieur. Celui-ci l’accueillit chaleureusement.

    — Toujours en forme, toi !

    — Il fait trop beau pour m’en priver. Toi, ça va ?

    — Les muscles en bouilli. J’ai nettoyé toutes les gouttières.

    — Hum, pas un peu trop pour ton épaule ?

    — Mon père m’a donné un coup de main, il vient juste de partir. 

    Son père appréciait sûrement de l’aider, songea Roxane, mais elle ne doutait pas qu’il devait surtout rechercher la présence de son fils depuis qu’il avait failli y rester. Les trois individus qui avaient fait irruption dans sa clinique vétérinaire ce jour-là ne s’étaient pas contentés de leur butin. Simon avait été battu à coups de poing, à coups de pied et à coups de patère sur la tête. Bien qu’il se rétablissait physiquement, il n’était plus le même. Les mâchoires contractées et une haine furibonde s’imprimait parfois sur sa physionomie habituellement joviale.

    — J’imagine que tu voulais voir Janik ? Elle est au centre de méditation. 

    — Encore ? 

    — Je lui demande de te rappeler ?

    — S’il te plaît. Allez, bonne journée et n’en fais pas trop !

    Elle descendit la côte en direction de la piste cyclable et opta pour le tour du grand lac. Elle admira le panorama, déçue que son amie s’enferme à l’intérieur pour apprendre à respirer. C’est plein d’oxygène dehors !

    Simon l’avait regardée partir avec envie. Ce qu’il aurait donné pour posséder le quart de son endurance physique. Il avait rencontré Roxane ce jour où il était tombé follement amoureux de Janik. Depuis, Roxane, n’avait pas pris une seule once. Il ne pouvait pas trop se plaindre de son apparence, mais il souhaitait surtout récupérer son énergie d’avant. Il rangea le reste de ses outils à l’intérieur du garage et veilla à ne rien laisser à la portée des enfants. Dans la maison, il jeta un œil sur les jumeaux qui dormaient encore et referma la porte de chambre.

    Quelque chose l’agaçait, comme une mouche qui revient sans cesse se déposer sur son bras. Vers la fin de l’après-midi, les deux aînés revinrent de leur entraînement de hockey.

    — Ce n’est pas compliqué, il fallait juste frapper la rondelle vers le but. Ça te prend-tu des lunettes ? Même Mélançon l’aurait fait ! 

    — Sauvageau m’est rentré dedans, ce n’est pas de ma faute. Si tu es si bon, pourquoi tu ne l’as pas chopée la rondelle, hein ? 

    — Hey, les gars, on se calme ! Le sport c’est pour s’amuser. 

    Les garçons la bouclèrent aussitôt et Simon compta les secondes dans sa tête.

    — Pis tu es menteur Jérémy Potvin ! Sauvageau t’a poussé après que tu as échappé la puck. Pourquoi tu n’as pas fait une passe à Beaudoin ? Lui, il l’aurait rentrée dedans, pis… Onze secondes exactement.

    — OK, ça suffit, intima leur père. Et on ne touche pas aux biscuits. Contentez-vous d’un fruit. C’est quoi le score ?

    — On a perdu par un point. Devine c’est la faute à qui !

    Simon glissa un regard d’avertissement à Guillaume. Il ouvrit le réfrigérateur à la recherche d’ingrédients susceptibles de concocter un repas. L’estomac dans les talons, il aurait bien fait une razzia sur les biscuits lui aussi. Il entendit Janik qui rentrait et poussa un soupir de soulagement.

    — Salut ! Je suis là. 

    Elle fit irruption dans la cuisine et, contrairement à son mari, elle débordait d’énergie. Ses longs cheveux dorés, légèrement ébouriffés, donnaient l’impression d’une auréole autour de la tête et ses yeux paraissaient plus clairs.

    — La partie, c’était comment ? 

    Simon lui décocha un air entendu. 

    — Plus tard, on crève de faim.   

    — Ouais, il n’y a rien à manger, beugla Guillaume.

    — On a le moral à ce que je vois. Pas de panique les gars, je mets une pizza au four. Prenez un morceau de fromage en attendant.

    Aussitôt dit, ils détalèrent avec la brique au complet.

    — Deux morceaux, pas plus !

    Elle s’approcha de Simon et l’embrassa sur les lèvres.   

    — Tu n’as pas gardé ton père à souper ? Une personne de plus, ce n’est pas un problème.

    Pendant qu’il la détaillait, il comprit ce qui l’avait tracassé. Le commentaire de Roxane. Janik passait effectivement beaucoup de temps au centre de méditation. Devait-il s’en inquiéter ? 

    Celle-ci s’affairait maintenant aux préparatifs du repas et fit un mouvement de tête vers le frigo.

    — Tu veux bien laver la pomme de salade ? 

    Il hocha la tête et la questionna sur sa journée. 

    — Comme d’habitude. Les gens du centre sont vraiment incroyables ! En passant, dans deux semaines je vais partir pour le week-end. Ils organisent un rassemblement avec les membres d’une autre région. Tu peux me faire remplacer à la clinique ? 

    — Une fin de semaine complète ? Mais dis donc, prends tes aises, ne te gêne surtout pas !

    Elle enfourna la pizza, puis les bras croisés, le jaugea d’un air contrarié.

    — C’est quoi ce ton ? Je n’ai pas le droit de sortir ?

    — Ce n’est pas le bon moment, il n’y a pas que le boulot ! Je te rappelle qu’on a des enfants.

    — On va s’arranger pour les garçons. D’ailleurs, il est temps qu’ils se responsabilisent. Dans certains pays, les enfants de huit ans en ont déjà plein les bras. 

    — Bon sang, Janik, ils n’ont même pas cinq ans ! 

    — Tu es vraiment de mauvaise foi, tu sais très bien que je ne parle pas des jumeaux. 

    Il eut envie de répliquer qu’il aurait mieux valu qu’elle accompagne les garçons à l’aréna pendant qu’il nettoyait les gouttières. Harassé de fatigue, il laissa tomber. 

    — Roxane est passée. Elle était déçue de ne pas te voir. 

    — Je l’appellerai tantôt. On mange dans une vingtaine, ça ira ?

    Simon se dirigea vers le salon et s’affala sur le canapé. Janik prépara la salade, légèrement irritée. Après l’agression que son mari avait subie l’an dernier, elle l’avait senti démuni et tandis qu’il rebâtissait son corps et son égo, de son côté, elle avait dû se tenir debout pour les enfants et avait fait preuve d’une grande patience devant ses sautes d’humeur, en plus de mettre les bouchées doubles au boulot. Normal qu’elle éprouve le besoin de se ressourcer. Elle ne souhaitait que prendre soin de ce qui avait été meurtri en elle. C’est à toute sa famille que ces abrutis s’en étaient pris et, chacun à leur façon, ils tentaient de reprendre pied. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas pris une seule heure pour se caresser ? Simon ne manifestait plus aucun entrain pour les sorties. Dès qu’il mettait le pied dehors, Janik percevait sa tension. La peur, elle était toujours là et le faisait se rapetisser.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1