Le livre des fées
Mlle Delubac se prénommait Lucie, mais tout le monde l’appelait Mlle Delubac. Juliette comme les autres, même si elle pensait entretenir avec sa professeure de piano une relation particulière. D’abord parce qu’elle était l’une de ses élèves les plus douées – c’est en tout cas ce qu’elle lui avait dit un jour, après l’écoute attentive d’un prélude de Bach que Juliette avait particulièrement bien interprété, et Mlle Delubac ne se répandait généralement pas en compliments faciles. Ensuite parce qu’elle-même lui vouait une affection particulière depuis le jour où la jeune femme lui avait placé les doigts sur le clavier et qu’elle avait tiré un son de l’instrument. Une première note qui s’était envolée vers le ciel, montrant la voie à toutes celles qu’elle produirait par la suite, plus claires, plus assurées et qui se réuniraient pour devenir musique. Cela avait été pour Juliette comme une seconde naissance. D’où ce lien presque tangible qui la liait à Lucie.
Ainsi, elle s’était sentie autorisée à lui montrer l’album, qu’elle venait de recevoir le week-end précédent pour ses 16 ans. Un album de photos banal comportant quelques clichés d’elle, pris sur une dizaine d’années. Mais le plus important était intercalé entre les photos, sur des morceaux de papier s’organisant en une suite chronologique qui représentait tellement de choses pour elle. Elle connaissait la sensibilité de Mlle Delubac et espérait qu’elle serait touchée par ce montage d’essence magique. Parce que, non, ce partage de nature intime n’était pas tout à fait désintéressé non plus…
Tout avait commencé par une feuille. Une feuille d’arbre, un châtaignier sans doute, se rappelait Juliette, parce que les châtaigniers formaient une communauté autonome et soudée autour de la maison. Une famille, comme la sienne, mais bien plus nombreuse, qui les protégeait des vents en hiver et leur offrait une fraîcheur paisible durant les mois les plus chauds. Une famille à la campagne, une maison à la campagne.
La feuille d’arbre n’avait rien de particulier au premier abord qui pût la différencier de ses sœurs. Mais Juliette, à l’époque, à l’âge de 7 ans bien sonnés, avait l’œil perçant et tous les autres sens en alerte. On ne la lui faisait pas. Et
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