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Ne crie jamais Victoire
Ne crie jamais Victoire
Ne crie jamais Victoire
Livre électronique475 pages6 heures

Ne crie jamais Victoire

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À propos de ce livre électronique

La presqu’île du Cotentin.
Ses jolis petits ports, ses falaises abruptes, ses plages de sable fin et blond. La mer à perte de vue.
Et aussi ses criques retirées où l’on retrouve des cadavres inattendus, ses rochers majestueux recelant des secrets inavoués, parce qu’inavouables.
La Normandie profonde, où le commissaire Agnelli et l’un de ses équipiers doivent se rendre en toute urgence sur ordre du ministre de l’Intérieur.

Les gendarmes locaux se réjouissent mollement d’être contraints de les accueillir pour leur céder la direction de l’enquête. Les deux policiers vont pourtant les convaincre de les aider, conscients qu’ils ne seront jamais trop nombreux pour démêler le fond de l’affaire et plonger dans un écheveau inextricable de rancunes haineuses et de jalousies familiales.
Car vaincre les réticences des autochtones à raconter les méfaits du passé et tenter de stopper dans sa course folle un tueur assoiffé de vengeance ne sera pas une partie de plaisir !

LangueFrançais
Date de sortie14 févr. 2017
ISBN9782370115201
Ne crie jamais Victoire

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    Ne crie jamais Victoire - Agnès Boucher

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    Ne crie jamais Victoire

    Agnès Boucher

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2017 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2017. Collection Polars. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-520-1

    Chapitre 1

    D’un geste rapide et précis, Nadine Pelletier referme le robinet d’eau froide ; elle attrape le peignoir blanc posé sur le lavabo et s’en enveloppe frileusement ; puis elle enroule ses cheveux mouillés dans une serviette, avec la dextérité du mouvement coutumier devenu machinal. Elle avait grand besoin d’une douche pour se remettre d’aplomb.

    Le congrès de médecine qui l’a accaparée ces quatre derniers jours a été tout aussi épuisant que les précédents : conférences ininterrompues, dîners avec les homologues étrangers, conciliabules et autres apartés ; sans oublier les inévitables propositions stratégiques et alléchantes des grands laboratoires internationaux pour obtenir ses faveurs.

    Le plus délicat, mais non le moins important, reste toujours les retrouvailles entre anciens collègues. Leur froideur a disparu, celle qu’ils ont cru bon de lui infliger pour la punir durant les premiers mois qui ont suivi son départ pour les États-Unis ; beaucoup ont alors considéré sa décision comme une désertion, voire une trahison ; sans doute n’ont-ils affiché qu’une forme de jalousie face à une occasion inespérée et séduisante, qu’ils auraient acceptée plus facilement qu’elle, si par bonheur on avait pensé à eux ; ils ignoraient surtout que son exil s’est avéré un bon prétexte pour fuir une situation personnelle devenue impasse étouffante.

    Nadine n’a jamais caché les raisons qui ont motivé son choix ; elle est ambitieuse et admet sans complexe être sensible aux sirènes mercantiles ; elle ne joue pas les donneuses de leçons comme bon nombre de ses confrères, suffisamment hypocrites pour dissimuler, en société, leur appât du gain et leur soif de reconnaissance, puis succomber sans états d’âme au premier chèque rondelet tendu.

    De plus, placer un océan entre elle et Laurent lui a paru indispensable à la prise d’un nouvel essor.

    À présent, les relations professionnelles sont revenues au beau fixe. Chacun, de ce côté-ci de l’Atlantique, apprécie ses efforts pour harmoniser les partenariats entre les chercheurs français et américains et reconnaît sa neutralité bienveillante. La professeure Pelletier sait se montrer à la fois diplomate et ferme ; sans être arriviste ni écraser les autres pour progresser plus vite, elle goûte les lauriers de la célébrité ; en même temps, fondamentalement, seul son travail de généticienne la passionne.

    Assise devant le lavabo, elle sèche ses cheveux couleur de feu puis les démêle à grands coups de brosse, avant de les emprisonner dans un large bandeau de velours bleu. Le miroir lui renvoie l’image d’une femme encore belle, malgré la bouche que marque un pli désabusé et les yeux agrémentés de fines ridules. Nadine ne s’aime guère au réveil, dans cet état un peu brouillé qui lui rappelle impitoyablement sa jeunesse, bientôt enfuie à tout jamais. Se retrouver seule dans une chambre d’hôtel impersonnelle, quoique luxueuse et confortable, n’améliore en rien son vague à l’âme. D’autant que la journée qui l’attend risque d’être rude. Elle a toujours été une fonceuse, mais retourner à Languiville, ne serait-ce que pour quelques instants, l’angoisse quelque peu.

    Son estomac se met à gargouiller. Voilà le problème ! Elle a faim, phénomène physiologique qui accroît notablement sa mélancolie. Elle décide de ne plus penser à rien tant qu’elle ne se sera pas rassasiée. Elle enfile un jean et un pull en laine d’alpaga, jette sa vieille veste de cuir fauve sur son épaule dans un geste machinal et rejoint le hall de l’hôtel.

    La salle du restaurant est ouverte et quasiment vide de tout visiteur à cette heure matinale. Seul un homme hésite à se servir une salade de fruits appétissante avant de lui préférer des saucisses moins diététiques. Nadine s’accorde le temps de se faire plaisir et d’avaler un vrai petit déjeuner varié et consistant, puis elle rejoindra la route pour la Manche ; huit heures de voiture, puis le décollage tardif à Charles de Gaulle la ramèneront à Philadelphie. Certains trouveraient qu’elle gâche beaucoup d’énergie simplement pour se recueillir sur une tombe. Nadine pense le contraire. Son amie Annick Blain, qu’elle n’a pu accompagner dans sa dernière demeure, mérite une semblable attention. Alors elle profite de ce séjour en France pour rattraper son absence.

    Paul voulait à toute force venir avec elle. Mais c’est un pèlerinage qu’elle souhaitait effectuer sans témoin. Elle a passé plus de dix ans sans remettre les pieds en Normandie. Il l’aurait gênée dans ce retour aux sources. Elle peine à imaginer un Bostonien bon teint dans ce coin excentré de France. Il est donc rentré la veille aux États-Unis, après qu’elle a également refusé qu’il l’attende à Paris. Quelque temps l’un sans l’autre leur fera le plus grand bien.

    Elle éprouve parfois des difficultés à supporter la tendresse et les attentions dont il ne cesse de l’entourer ; se retrouver seule l’aide à reconstruire son équilibre. Paul Adler, expert en fusion-acquisition, a dû apprendre à lâcher prise et à vivre auprès d’une Européenne émancipée. Son éducation américaine, de type « high society », a formaté son image de la femme : une espèce de petite chose fragile et séduisante, cherchant la protection d’un ersatz paternel. Nadine s’envisage avant tout comme un alter ego. Paul rue dans les brancards lorsqu’elle fait preuve de trop d’indépendance, mais il doit céder face à sa détermination inébranlable. De toute façon, elle s’est montrée loyale avec lui dès le début de leur relation ; c’est son individualité conservée ou la rupture. Finalement, il a sans doute davantage besoin d’elle que le contraire.

    Une berline puissante et confortable l’attend au stand de location de voitures. Il fait beau ce matin sur l’autoroute vers Caen ; l’air est doux au point que Nadine ôte sa veste, coupe la climatisation et baisse à demi la vitre ; le vent joue avec une mèche de ses cheveux ; France Musique la berce tout au long du trajet. Aux abords des côtes, l’horizon semble s’élargir, tendu vers la mer toute proche, mais encore invisible.

    Et puis, c’est une trouée soudaine qui révèle l’immensité d’azur, les ondulations calmes des flots. Un peu plus loin sur la droite, Languiville apparaît, inondé de soleil. Émue presque malgré elle, Nadine lève le pied de l’accélérateur et tente de reconnaître une campagne qui a changé depuis toutes ces années ; elle ne connaît pas ces nouvelles villas. Un panneau sur sa gauche indique la maison natale de son ancien compagnon. Laurent habite-t-il à Chantalouette ? Elle en doute. Il n’a sans doute pas envie de vivre aux côtés de sa mère ni de son frère.

    Elle a cherché à le joindre durant son séjour parisien, mais le répondeur n’était pas branché ; elle a failli aller sonner à l’atelier de l’île Saint-Louis avant de renoncer ; à quoi lui servirait de raviver un passé enfui ? Fidèle à ses principes, vexé et meurtri d’avoir été abandonné sans autre forme de procès, il l’a sans doute remisée aux oubliettes de sa mémoire. Elle ne peut lui donner tort, l’ayant précédé dans la démarche. Ils se sont aimés, leur histoire est bel et bien finie aujourd’hui.

    La voiture roule à petite vitesse vers le port. Sur la place du marché, le clocher de l’église est resté bancal, frappé par la foudre une nuit d’été, juste avant son départ. Depuis, il a été consolidé et le risque d’effondrement endigué, même s’il penche encore un peu sur la nef, comme un clin d’œil à l’Éternité divine. Les rues sont parées de fleurs multicolores, pour répondre aux critères indispensables à tout village qui se veut attrayant pour les sacro-saints touristes.

    Nadine pourrait s’arrêter et flâner, retrouver les pas de son enfance. Sauf que sa vie se déroule ailleurs à présent. Ses parents se sont épuisés à maintenir en activité un commerce peu lucratif et ont fini par provoquer leur propre ruine. Honteux de devoir mendier leur survie auprès de leur fille, ils ont préféré tirer leur révérence et sont morts jeunes et désabusés, avec la même discrétion qu’ils avaient mise à vivre. La famille, réduite à sa plus simple expression, n’a plus de nouvelles de la généticienne que par les échos de ses découvertes scientifiques. La nostalgie ne vaut décidément rien à la professeure Pelletier. À droite, dans un petit renfoncement, l’épicerie où elle a grandi a cédé la place à une supérette impersonnelle. Le passé a disparu, entraînant dans son sillage odeurs et images.

    À la sortie de l’agglomération, sur la route vers Cherbourg, le manoir du député Meldec est toujours retranché derrière un épais rideau de chênes centenaires, avec ses grilles qui voilent l’accès de l’immense parc. L’imaginer immuable la rassure. Elle n’y est jamais entrée. Chez elle, on n’appartenait pas à ce monde de grands bourgeois austères et hautains. C’est bien plus tard qu’elle a appris que les choses ne sont peut-être pas si simples qu’elles le paraissent et que toute famille renferme en son sein un vilain petit canard. Au-delà du domaine, on a construit le nouveau cimetière, bien éloigné des maisons comme le veut une coutume récente en France. Les vivants ne tiennent guère à ce que les morts leur rappellent chaque jour la vacuité de leur existence. Heureusement le site fait face au large, comme pour donner un peu de perspective aux défunts.

    Nadine gare la Mercedes le long du mur de pierres sombres. Le soleil brille ; elle s’en réjouit ; la pluie aurait tout gâché. Après avoir examiné le plan des tombes, elle trouve celle d’Annick : une grande dalle de marbre gris sombre, avec seulement le nom de son amie et deux dates, résumé lapidaire de sa trop courte vie. Une jardinière de pensées chatoyantes s’efforce d’égayer l’ensemble assez austère. La professeure se demande alors si Pierre a choisi d’enterrer son épouse à l’écart des siens parce que le caveau familial était complet ou qu’il la jugeait indigne de reposer à côté de ses aïeux. Non, même sans aimer sa femme, il n’aurait pas infligé pareil affront à leur fils unique. Sans doute, s’il reste une place dans le monument près de l’église, la jouissance en est-elle réservée à Laurent, son aîné de deux ans.

    Aucun sentiment ne vient troubler la visiteuse dans son recueillement. Elle s’étonne de se découvrir si calme. Finalement, seul le corps d’Annick est allongé sous la dalle ; son esprit erre au gré de l’écume de cette Manche qu’elle aimait tant et qui a vaincu son talent de navigatrice chevronnée. À l’autre bout du cimetière, Nadine accorde une brève visite à la tombe où sa mère et son père reposent ; elle note que le fleuriste en assure correctement l’entretien ; là encore, aucune émotion ; cela remonte si loin ; elle a emporté ses parents dans ses souvenirs, en même temps qu’elle émigrait aux États-Unis.

    Jetant un coup d’œil à sa montre, elle constate qu’il lui reste du temps avant de reprendre la route et qu’elle peut s’octroyer une promenade le long des côtes ; c’est là qu’elle retrouvera le plus fidèlement son amie.

    Annick est morte un jour de tempête en décembre, juste après Noël ; malgré la dextérité avec laquelle elle manœuvrait son voilier, tous se sont accordés à dire qu’elle n’aurait pas dû sortir en mer par un temps pareil. Nadine s’est longtemps demandé pour quelle raison, on ne l’en avait pas dissuadée ; elle doit cependant admettre que rien ni personne ne pouvait arrêter Annick Blain une fois sa décision prise.

    Nadine se souvient du jour où la jeune fille lui a annoncé ses fiançailles avec Pierre. Elle l’avait voulu tellement fort, depuis qu’un été, sur la plage, à la faveur d’un match de volley improvisé, elle s’était retrouvée dans la même équipe que ce grand type brun aux yeux d’émeraude qu’elle épiait depuis des années. Elle avait aussitôt jeté son dévolu sur lui et décroché la timbale de haute lutte. Ce n’est pas nécessairement que la concurrence était rude, mais plutôt que le jouvenceau avait un appétit insatiable. Pierre n’a jamais prétendu vouloir se suffire d’une seule femme et sa réputation n’était pas celle d’un gentleman.

    Quand elle a appris que les projets de leur mariage étaient bien avancés, Nadine a tenté de mettre Annick en garde. Rien n’y a changé. Les prédictions du désastre se sont révélées exactes à peine quelques mois après les noces. Il était trop tard. Baptiste était né et sa mère moult fois cocufiée.

    Une marche arrière et la Mercedes retraverse le village en sens inverse avant d’obliquer à droite dans un terrain aménagé en parking. Nadine a eu la bonne idée de se chausser de baskets ; elle arrête la voiture, en sort et hume avec gourmandise l’air chargé d’iode. Sur sa gauche, elle retrouve sans peine le sentier qui ondule à travers les dunes et rejoint le bord de mer. Sans voir la vieille Renault qui s’est garée un peu en arrière sur la route, elle descend vers le rivage ; elle le longe, jouant à échapper aux vagues qui viennent mordiller ses pieds de leur écume jaunâtre ; elle goûte le vent frais qui arrive du large. Comme la marée se retire, une idée germe dans sa tête. Pour autant qu’elle s’en souvienne, la grotte est toute proche. Ainsi, le pèlerinage sera complet.

    Attentive à ne pas glisser sur le varech, elle remet les pas dans ceux de son enfance ; elle remonte jusqu’à la falaise qu’elle escalade avec précaution, contourne les rochers plats de la pointe, avant de gagner lentement une excavation invisible depuis la plage.

    L’intérieur n’a pas changé. La malle et le lit sont toujours là. Quelqu’un doit venir régulièrement, car l’ensemble paraît entretenu. Peut-être Annick s’y réfugiait-elle lorsque plus rien n’allait entre elle et Pierre, ce qui, d’après les courriels qu’elle envoyait à son amie, arrivait de plus en plus souvent. La barque attend, devant l’ouverture qui donne vers le large, qu’on la pousse dans les flots ; du bout des doigts, Nadine en effleure le bois légèrement humide. On dirait presque qu’on vient de l’utiliser.

    Elle s’assied sur le bord. Un coulis d’air l’oblige à relever le col de sa veste.

    Finalement, c’est là qu’aurait dû être enterrée Annick, a-t-elle encore le temps de penser.

    Chapitre 2

    Le réveil est rude ce matin. Tahar Agnelli peine à sortir du monde cotonneux de Morphée et à reprendre pied dans la réalité. Mû par un automatisme de bon aloi, la bouche pâteuse pour cause de tabagie outrancière la veille au soir, l’humanoïde somnolent va se réfugier sous une douche glacée qui le tire peu à peu du coma.

    La suite des opérations n’est guère plus brillante puisque les objets eux-mêmes se sont donné le mot pour se liguer contre lui ; la brosse à dents prend un malin plaisir à glisser entre ses doigts ramollis et à se dissimuler sous le lavabo. Se mettre à quatre pattes pour la récupérer lui permet au moins de constater que la femme de ménage néglige un tantinet le nettoyage de la salle de bains dans ses moindres recoins. Puis c’est le rasoir qui s’en donne à cœur joie, couronnant le tableau de quelques estafilades joliment portées au menton. Peut-être serait-il temps de me laisser pousser la barbe, songe-t-il avec perplexité en contemplant son portrait sanguinolent dans le miroir ; cela aurait le mérite de dérober en partie la cicatrice qui zèbre son profil gauche depuis la tempe jusqu’au bas de la joue, soulignant l’œil de braise et les lèvres fines.

    Autant jeter l’éponge. Il se prépare un café, espérant que cela le remettra d’aplomb et regrettant de ne pas y avoir pensé plus tôt. Mais aujourd’hui l’arabica a un goût immonde de chlorophylle synthétique et se révèle trop fade pour lui fouetter le sang. Il aura mal rincé sa bouche en se lavant les dents.

    Dépité, il abandonne son bol dans l’évier et repart dans sa chambre. Des deux pièces voisines lui parviennent des bruits de respiration et de ronflement. Tout le monde roupille ! Il jette un regard ému à la couette si engageante, mais ne s’y arrête pas. Il lui reste une dernière étape à accomplir et non des moindres, pour clore son chemin de croix. Debout les fesses à l’air devant l’armoire béante, il se fige durant cinq longues minutes dans l’expectative la plus totale, avant de se décider, sans aucune originalité, pour un jean et une chemise noirs.

    On n’a jamais dit qu’il était obligé de voir la vie du bon côté.

    ***

    Un peu plus tard, c’est le même séant, décemment vêtu cette fois, qu’il pose sur son fauteuil. Agnelli se sent incapable de passer à l’action. Comme toujours avec la prochaine arrivée de l’été, ses gènes insulaires reprennent inexorablement le dessus. Ce n’est plus le poil corse qui pousse dans sa paume, c’est un baobab, voire la forêt amazonienne. Il préfère siffloter quelques mesures d’un air qui lui trotte dans la tête, les doigts croisés sous la nuque, les pieds posés sur le bureau, la prunelle perdue dans un ciel vierge de tout nuage.

    Le lieutenant Nottier vient le tirer de sa rêverie.

    — J’ignorais que vous aimiez Fauré, Patron, remarque-t-il.

    — Qu’est-ce que tu racontes ? grogne le commissaire.

    — Gabriel Fauré, compositeur français à cheval sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, contemporain de Debussy.

    Agnelli fusille son équipier du regard en même temps qu’il revient sur le plancher des vaches.

    — Tu es gentil, je suis moins ignare que tu ne le penses. Je sais qui est Fauré.

    — Oh !

    Le subalterne ne semble pas vraiment convaincu. Son haussement de sourcils traduit assez bien le degré avancé de son scepticisme. Même profondément intelligent, le commissaire n’a pas la réputation d’être un intellectuel, encore moins un artiste.

    — Excuse-moi, Luc, le réveil a été difficile. Mais aussi, pourquoi me causes-tu zizique de si bon matin ?

    — Ce n’est pas son Requiem que vous siffliez ?

    Agnelli a une très jolie grimace pour admettre son inculture.

    — Ma foi, je n’en sais bigrement rien. Ma charmante frangine n’arrête pas de nous bassiner avec ça en ce moment. J’avoue qu’à force, ça s’accroche dans mes méninges de profane. Car tu as raison, je ne connais Fauré que de nom.

    — Votre sœur ? Mais je croyais qu’elle était dans un couvent ? s’étonne Nottier.

    — Et comment tu sais ça, toi ?

    — Je vous ai entendu en parler avec Serge.

    — Ah ? Eh bien non ! L’expérience chez les bonnes sœurs a fait long feu, à ma grande satisfaction. Sarah m’a informé la semaine dernière qu’elle faisait une pause qui, je l’espère, ne prendra jamais fin !

    Ne souhaitant pas s’appesantir sur les états d’âme sororaux, le commissaire pose ses mains sur le bureau et regarde son équipier droit dans les yeux.

    — Alors comme ça, tu es mélomane.

    — Je fais partie d’un chœur amateur.

    Aussitôt le lieutenant se mord les lèvres. Il aurait mieux fait de se taire. Le « Ô » muet de surprise qui arrondit la bouche de son supérieur hiérarchique laisse augurer des mises en boîte répétées et acharnées. Fort heureusement, les vacances approchent et la plaisanterie sera vite oubliée.

    — Chapeau ! Tu m’as bluffé, Wolfie, je m’incline.

    Deux secondes d’intense réflexion sont nécessaires avant que le jeune homme ne saisisse la référence au génial Autrichien{1} ; dans le genre, Agnelli aurait pu faire pire.

    — Euh, c’est pas tout ça, Patron, Berthier a demandé plusieurs fois après vous ce matin.

    — Qu’est-ce qu’il me veut, l’agité du bocal ?

    — Je n’en sais rien. Il a sa voix des mauvais jours. Je serais vous, je ne le ferais pas poireauter trop longtemps.

    Le commissaire hausse les épaules. Malgré la pertinence de la remarque, les états d’âme du directeur de la PJ n’ont aucune chance de le dissuader de se préparer le second jus de sa journée. Il sourit d’aise à le découvrir presque parfait et cède enfin à la curiosité pour rejoindre Alain Berthier dans son grand bureau.

    ***

    Celui-ci pousse quasiment un cri de joie en le voyant apparaître ; d’habitude, il grognerait de ce que le policier n’a pas eu la délicatesse de frapper à sa porte.

    Faut-il qu’il patauge dans la panade, pense Agnelli en prenant le siège qui lui est offert.

    — Ah ! Commissaire ! Je vous attendais avec impatience !

    Son front pâle se colore un peu, ce qui signifie que, de blême, il passe à l’ivoire.

    — C’est ce que le lieutenant Nottier m’a laissé entendre.

    — J’ai un « immense » service à vous demander.

    L’intéressé grimace aussitôt. Dans quel guêpier va-t-il se retrouver s’il n’y prend garde ?

    — Enfin, pas pour moi, pour le ministre.

    — Soulard ? s’inquiète le commissaire.

    Il n’a jamais été tendre avec les politiques. Le seul mérite qu’il leur reconnaît, c’est d’être très doués pour l’empêcher de faire tranquillement son boulot.

    — On lui a assuré que vous étiez plus ou moins normand. C’est vrai ? s’enquiert Berthier à brûle-pourpoint, l’air vaguement sceptique.

    Agnelli manque de s’étrangler de surprise. Où le directeur de la PJ a-t-il pêché de semblables informations ?

    — Qui lui a dit ça ?

    — Paul Leroy. Il travaille dans son cabinet à présent. Vous apparteniez à ses équipes au début de votre carrière, si je ne m’abuse.

    — C’est exact, à Toulouse. J’ai été obligé de lui prouver par A plus B que du côté paternel, mes aïeux étaient autant hexagonaux que les siens. Il se montrait tellement raciste.

    — Il semble ne plus l’être depuis qu’il a viré sa cuti, ricane Berthier. On ne peut pas travailler pour un gouvernement de gauche et afficher sa xénophobie.

    — Parlez-en aux victimes des goulags, marmonne le commissaire en sortant une cigarette.

    Berthier lui jette aussitôt un regard inquiet. Il hait l’odeur du tabac. Mais le policier n’usurpe pas sa réputation d’anarchiste, tant s’en faut. Il est inutile de lui rappeler l’interdiction légale de fumer dans un lieu professionnel, et encore moins dans ce bureau, véritable sanctuaire de l’air pur et des poumons ventilés.

    — Pour ma part, à l’énoncé de votre nom, j’imaginais votre père corse, continue-t-il.

    — Il m’a fait corse et normand et, par ma mère, je suis kabyle et arabe.

    Berthier l’examine rêveusement. Ses propres ascendants sont beaucoup moins compliqués et intégralement hexagonaux. Apparemment, et malgré son tabagisme excessif, la constitution d’Agnelli paraît plus solide que la sienne. Bientôt, il en voudra à ses aïeux de ne pas lui avoir donné une telle variété ancestrale.

    — Vous êtes donc normand sans l’être tout en l’étant, résume-t-il. Et vous allez souvent là-bas ?

    Cette ingérence inexplicable dans un arbre généalogique, qu’il a pour sa part toujours trouvé compliqué à l’extrême et dont il se fout éperdument, laisse Agnelli pantois.

    — Ma foi, je n’y ai jamais mis les pieds, raconte-t-il presque malgré lui. Ma grand-mère était de Carteret. Elle a quitté son pays enfant. Ses parents tentaient leur chance en Afrique du Nord et se sont installés en Algérie. C’est là qu’elle a connu et épousé mon grand-père. Elle n’est pas retournée sur sa terre natale.

    — Bien, bien, continue le directeur comme s’il se réjouissait de cet exil définitif avant de changer de sujet. Nadine Pelletier, ça vous dit quelque chose ?

    Il arbore un petit sourire satisfait en voyant le commissaire nager dans un subtil brouillard. C’est suffisamment dur de déstabiliser le lascar pour ne pas savourer ce genre d’exploit, même si cela paraîtrait mesquin à tout témoin étranger aux relations orageuses qui opposent les deux hommes depuis qu’ils sont contraints de collaborer.

    — Très confusément. Les potins mondains ne sont pas mon fort. Actrice ? Romancière ? Politicienne ?

    — Professeure de médecine, spécialisée en génétique.

    — Sans blague ! Et que lui arrive-t-il à cette brave dame ?

    Agnelli est retombé sur ses pieds, usant, comme à son habitude, d’une causticité que Berthier ne goûte pas nécessairement ; mais, une fois n’est pas coutume, il feint de ne pas remarquer le cynisme de la question, demeurant concentré sur son propos.

    — On vient de la retrouver morte sur une plage du Cotentin, pas loin de Carteret d’ailleurs !

    — Dommage pour elle. Baignade intempestive ?

    Trop tard. La Gauloise triturée avec amour depuis une longue minute est allumée sans autre forme d’avertissement ; le directeur ne peut retenir une grimace de contrariété.

    — Ah non ! Vous n’allez pas m’imposer votre saloperie de tabac ! s’écrie-t-il par principe, connaissant d’avance l’irrévocabilité de la réponse.

    — Si vous souhaitez que je me concentre sur votre problème, je crains que vous n’ayez pas le choix.

    On ne fait pas ce que l’on veut d’un métis aussi individualiste. De plus, l’excellence de ses états de service à la brigade criminelle arrache des hurlements de jalousie à tous ses collègues. Berthier l’a appris très vite, parfois à ses dépens, et s’est fait une raison, d’autant que la gloire du policier rejaillit toujours plus ou moins sur lui et donc, sur son avancement.

    — OK, reprenons, grogne-t-il entre ses dents en se levant d’un bond pour ouvrir la fenêtre en grand. Nadine Pelletier, vous n’êtes vraiment pas au courant ?

    — Je devrais ?

    — Elle a été assassinée.

    Berthier guette le moindre signe sur le visage impassible du commissaire ; s’il ne l’aime guère, il lui accorde une vive intelligence qui fait trop souvent défaut à beaucoup de ses collaborateurs.

    — Vous m’en voyez désolé, seulement je ne suis pas au jour le jour toutes les enquêtes policières menées sur le territoire. Les miennes me suffisent largement, surtout en ce moment ! Comment est-ce arrivé ? demande Agnelli presque malgré lui.

    — La presse en fait pourtant ses gorges chaudes. On l’a abattue d’une balle, quasiment à bout portant, dans la tête.

    — L’arme ?

    — Un pistolet automatique modèle 1935S.

    — Ah ? Intéressant, reconnaît le commissaire avant d’ajouter, comme pour détendre l’atmosphère. J’ignorais qu’on faisait de la génétique à Carteret.

    — C’est loin d’être le cas. D’après son compagnon, un Américain, Paul Adler, elle était partie se recueillir sur la tombe d’une de ses amies, décédée en décembre dernier. N’ayant pu se rendre à l’enterrement, elle a profité de son passage en France pour faire un détour par Languiville. Elle s’était installée depuis plusieurs années aux États-Unis où elle travaillait dans le cadre d’échanges franco-américains. Elle est célèbre pour ses recherches. Ne me demandez pas en quoi elles consistent, je m’en fous complètement. Malgré cet exil volontaire, elle était restée en contact avec cette amie, une dénommée Annick Blain. Elles correspondaient assez régulièrement par mails. Dans les derniers, Annick Blain se disait menacée.

    — Par qui ?

    — Ce n’était pas précisé clairement. Apparemment, un peu tout le monde.

    — Et comment est morte cette copine parano ?

    — Officiellement, elle s’est noyée au cours d’une virée en mer par gros temps.

    — Cela signifie-t-il que nos collègues vikings ont des doutes quant aux circonstances de son décès ?

    — A priori, non. L’autopsie n’a rien révélé de suspect.

    Agnelli affiche une mimique sadique, pas dupe un seul instant du piège que cherche à lui tendre Berthier.

    — Pourquoi serais-je concerné par ce pataquès ?

    Le directeur soupire d’un air éloquent.

    — Vous savez ce que c’est, la professeure Pelletier était amie avec le ministre.

    C’est beau le pouvoir, cela vous autorise toutes les transgressions.

    — Vous pouvez être plus précis ? insiste le commissaire avec un sadisme nullement dissimulé.

    Il ne lui épargnera rien. Berthier prend son courage à deux mains. Il anticipe pleinement l’ouragan que sa requête va déchaîner.

    — Soulard apprécierait que vous alliez vous promener là-bas, vous consultez le dossier et vous lui donnez votre sentiment.

    Agnelli se rembrunit dans la seconde.

    — Bref, il m’envoie jouer les fouille-merde !

    — Tout de suite les grands mots, s’indigne le directeur.

    — Vous avez vu le boulot qu’on a en ce moment ?

    — Vous y allez, et zou ! Vous nous revenez.

    — Qu’est-ce que vous voulez que j’obtienne en si peu de temps ? Soulard a-t-il des interrogations quant à la manière dont l’enquête est menée ?

    — Du tout ! Jamais il ne mettrait en doute les compétences des gendarmes, s’agace Berthier avant de préciser sa pensée, d’ailleurs, il se fout complètement de ce que vous croyez.

    — Sympathique pour eux, comme pour moi, grince le commissaire.

    — N’en rajoutez pas trop, s’il vous plaît, c’est déjà assez difficile comme ça.

    Agnelli s’avance sur le bord de sa chaise et s’accoude au bureau de merisier blond. D’un geste négligent, il écrase son mégot dans un cendrier de marbre. Le menton posé sur sa paume, il développe son argumentaire.

    — Sincèrement, vous me voyez marcher sur les plates-bandes de fonctionnaires qui connaissent mille fois mieux que moi les rites de cette belle région ? C’est comme si un Corrézien venait mettre son nez en plein Belleville. Laissez-moi rire !

    — Les mœurs normandes ne doivent pas beaucoup différer des coutumes corses.

    Le commissaire esquisse un sourire en coin, amusé par cette vision toute personnelle du régionalisme français.

    — Est-ce ma faute ? Soulard ne jure que par vous. Que dire enfin ? Il vous adore !

    — C’est trop d’honneurs, car c’est loin d’être réciproque, rétorque Agnelli.

    Berthier jette son dernier atout. Il devrait convaincre le pire des cabochards. Peine perdue !

    — Pensez à votre avancement si vous bouclez l’assassin !

    — Je n’ai jamais eu l’ambition d’être le premier à Rome !

    Un froncement de sourcil agacé lui échoit, digne de l’enfant gâté que le directeur de la PJ a dû être dans son jeune temps.

    — Dans deux jours au plus tard, vous êtes rentré.

    — C’est ridicule ! tonne le policier.

    — L’idée première est d’interroger l’ancien amant de la professeure Pelletier, poursuit Berthier sans paraître remarquer la colère croissante de son interlocuteur. Il est également le beau-frère d’Annick Blain. Soulard y tient absolument.

    — C’est aussi un de ses potes ?

    — Probablement, et sa peinture est très cotée. Nous avons besoin de doigté et pour ça, vous êtes le champion en titre, toutes catégories confondues ! Dixit le ministre !

    — Et si je refuse ?

    — Mon cher, je crains que cette éventualité n’ait, à aucun moment, été envisagée. En un mot comme en cent, c’est un ordre.

    Agnelli étouffe un cri de rage et se lève d’un bond. Berthier a le temps de lui donner le dossier de l’affaire avant qu’il ne se rue hors de la pièce. La porte claque, au risque de faire s’effondrer tout l’immeuble.

    ***

    Derrière son bureau, Ludivine Maurois, secrétaire personnelle du directeur de la PJ et quadragénaire épanouie que plus rien ne semble pouvoir déstabiliser, jette un regard narquois au commissaire, s’offrant le plaisir, rarissime dans la maison, de le mettre en boîte.

    — Qu’est-ce qu’il t’a fait pour que je te retrouve dans un état pareil ?

    — Il m’envoie au fin fond de la Normandie.

    Elle ouvre des yeux stupéfaits.

    — Mutation ?

    — Dieu m’en garde ! Non, seulement emmerder des militaires qui ne m’ont rien demandé !

    — Emmène-moi mon grand, je me charge de te changer les idées, sous-entend-elle.

    Il se détend aussitôt. Tous deux se connaissent bien, hantant les couloirs de la police nationale depuis longtemps. Un moment de tendre faiblesse quelques années auparavant les a même réunis, laissant, parmi d’autres rares traces, l’usage mutuel du tutoiement.

    — Ne tente pas le pauvre mâle que je suis, Ludivine.

    Sur cette réponse sibylline ponctuée d’une œillade complice, Agnelli disparaît dans l’escalier et rejoint son bureau. Le commandant Creusot l’y attend, fort occupé à arroser des plantes vertes moribondes.

    — Tu pourrais quand même faire un effort et penser à les soigner de temps en temps !

    — Avec quoi ? rétorque le commissaire d’un ton rogue. Je carbure à la bière ou au café.

    Creusot hausse les épaules ; la cinquantaine avancée et bedonnante, une fine moustache ombre sa bouche souriante ; il est l’équipier favori d’Agnelli qu’il pratique depuis plus de dix ans.

    — Qu’est-ce qu’il te voulait Dugenou ?

    — M’envoyer du côté de Carteret.

    — L’affaire de la prof de médecine ?

    — Tu en as entendu parler ?

    — Ben, la télé n’arrête pas de nous bassiner avec ce machin. Même Janine m’a fait une scène, comme quoi on ne pouvait plus aller en Charente-Maritime cet été parce que c’était trop près de la Manche.

    — Ta légitime ferait bien de réviser sa géographie et moins regarder TF1. Et puis elle n’est pas une grosse tête chercheuse. Pourquoi le tueur s’intéresserait-il à elle ?

    Le commandant s’approche du bureau sur lequel le commissaire tente de remettre un semblant d’ordre.

    — Ne me dis pas que Berthier t’a refilé le bébé ! On n’a pas trop de bras en ce moment, avec Léo qui enfle à vue d’œil, on risque même de se retrouver en sous-effectif.

    — Tu crois qu’elle est bonne pour le congé patho ? s’inquiète Agnelli.

    — Je n’en sais rien, mais elle ne semble pas en grande forme depuis quelque temps. Ce serait bien que tu discutes avec elle.

    — Si tu le dis,

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