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Court-circuit
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Livre électronique346 pages5 heures

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À propos de ce livre électronique

Qu’auriez-vous fait à la place de Sarah ?
Pas si simple, même si vous aviez subi, comme elle, l’inacceptable.
Dix ans après les faits, une seule évidence pour cette jeune femme devenue flic : le refus d’un déni de justice qu’elle avait cru pourtant pouvoir supporter. En quête d’une vérité longtemps enterrée, elle sera embarquée dans un périple émotionnel dont les conséquences changeront à jamais le cours de sa vie.
En parallèle avec le quotidien haletant de cette jeune policière brillante et engagée, la plongée éprouvante dans un passé glauque et oppressant se révélera être une croisade salutaire qui lui donnera bien plus que ce qu’elle était venue chercher.
Confronté à l’injustice, nul n’est à l’abri et Sarah en fera l’expérience avec une acuité toute particulière.
LangueFrançais
Date de sortie12 sept. 2023
ISBN9782312137223
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    Aperçu du livre

    Court-circuit - Eric Pyla

    cover.jpg

    Court-circuit

    Eric Pyla

    Court-circuit

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2023

    ISBN : 978-2-312-13722-3

    A ma fille, Anne-Laure,

    Rien n’est plus difficile à supporter que la certitude qu’un crime odieux demeurera impuni et nul n’est à l’abri du pire lorsque le constat de l’impuissance de la justice des hommes s’affiche si terriblement.

    Prélude

    Jamais elle ne saurait si elle avait repris connaissance à cause de la douleur atroce qui irradiait au niveau de sa hanche ou si c’était juste l’effet des gouttes d’eau qui ruisselaient sur son visage. Quelle importance ? Elle ne mit pas longtemps à retrouver toute sa lucidité et était désormais certaine de crever dans ce trou.

    Comment ne pas songer à l’ironie de la situation ? La chance lui avait pourtant souri quand le type l’avait ramenée à l’étage. En le voyant s’effondrer brutalement, sans raison apparente, elle en avait profité et avait fui, à l’instinct, sans savoir où elle allait, mais avec la certitude que ça ne pouvait pas être pire.

    Une succession de couloirs, un escalier sombre qui s’enfonçait et puis cette vieille porte vermoulue, au fond d’une cave humide, à peine éclairée par une antique ampoule, où elle avait abouti. Malgré sa hantise à l’idée de mettre la main sur une horreur ou de déranger des rats dans leur repaire, en fouillant un peu dans le capharnaüm de cet espace sordide, elle avait trouvé une barre de fer qui lui avait servi de levier. Le battant avait fini par céder, libérant un passage vers une sorte de douve enherbée.

    Elle avait alors pris la mesure de l’énorme bâtisse. Un vrai château féodal avec ses murs d’enceinte percés de rares ouvertures et reliés par quatre tours massives. Aucune idée du temps passé dans cette prison. Après quelques jours de captivité, elle avait renoncé à compter. La pièce dans laquelle elle était restée cloîtrée le plus souvent était aveugle et la notion de durée était vite devenue floue.

    Trop longtemps ! Beaucoup trop ! Ça, pour le coup, elle en avait eu la certitude et sa force physique pour parvenir à ouvrir avait été décuplée par une détermination sans faille à leur fausser compagnie, coûte que coûte.

    Au début, elle avait cru à sa bonne étoile. Après la porte, elle avait longé le fossé afin de trouver un endroit pour en sortir. Manquant de tomber à plusieurs reprises, sans se soucier des écorchures aux genoux et aux mains lorsqu’elle avait grimpé en s’aidant de pierres mal jointées et des maigres arbustes qui avaient réussi à prospérer en s’enracinant sur le mur extérieur, elle avait enfin réussi à pointer son nez en haut.

    Une large bande de terrain dégagé s’était alors présentée devant elle. Bravant sans hésiter le risque d’être aperçue sous la lumière de la lune, elle avait couru comme une folle en direction des arbres, au loin. En galopant, simplement vêtue d’un tee-shirt et d’une culotte, seuls vêtements dont elle disposait à volonté depuis son arrivée dans ce lieu, elle avait senti des cailloux et des échardes déchirer la peau fragile de ses pieds nus mais rien ne l’avait ralentie.

    Parvenue enfin à la lisière, elle s’était autorisée une pause pour réfléchir. Aucune idée du lieu et encore moins de la direction à prendre pour trouver quelqu’un et donner l’alerte. Juste cette volonté obsessionnelle de s’éloigner encore et encore du chemin d’accès à cette maudite demeure. Persuadée, qu’à un moment, elle finirait par sortir des frondaisons et trouverait une ferme ou une maison, elle avait repris sa course dans la forêt, sur un rythme moins rapide mais sans se retourner et sans vraiment voir où elle mettait les pieds.

    Durant sa progression devenue nettement plus chaotique, tomber était vite devenu banal. À chaque fois, elle s’était relevée. Même lorsque sa cheville avait tourné et qu’elle avait mis un long moment à la masser avant de redémarrer, elle avait trouvé les ressources. Rien n’aurait pu l’arrêter, elle en avait acquis la certitude.

    Après une avancée plus rapide sur une courte distance dans le lit d’un ruisseau qui lui avait glacé les pieds, une sorte de marécage l’avait obligée à changer de direction. Elle avait alors été freinée par un entrelacs constitué d’une énorme quantité de branches et de troncs d’arbres morts, tombés certainement lors de l’une des dernières tempêtes. Personne n’avait jugé bon de venir exploiter tout ce bois. Beaucoup de boulot et une valeur marchande quasiment nulle.

    Le secteur où elle s’était enfoncée était ainsi devenu progressivement quasi impénétrable. En même temps, ce côté inextricable l’avait rassurée. Ils ne viendraient pas la chercher dans cette jungle ! Alors, sans ménager ses efforts, malgré l’obscurité elle avait repris inlassablement son avancée, mètre après mètre.

    Et puis, il y eut ce tronc imposant à franchir. Celui d’un pauvre chêne plus que centenaire qui n’avait pas résisté aux bourrasques. En se laissant glisser de l’autre côté, ce fut comme si elle avait été aspirée par le vide. La sensation fugace du diaphragme qui avait remonté quand ses pieds avaient cherché vainement un appui et, très vite, le choc, brutal, inévitable.

    Sa nouvelle tentative pour s’appuyer sur les mains et se soulever lui arracha un hurlement. Au moins, elle pouvait bouger ses doigts de pieds. Réflexe idiot qu’elle avait eu aussitôt en s’imaginant clouée à vie dans un fauteuil roulant. Mais même s’il avait fallu s’y résoudre, après réflexion, elle aurait signé sans hésiter en échange d’une remontée à la surface. Elle sentit cette fois que c’était des larmes qui coulaient sur ses joues.

    Pourtant, à part cette foutue hanche qui la faisait atrocement souffrir et lui interdisait toute mobilité, a priori pas de gros dégâts. Des plaies superficielles qui saignaient mais pas d’hémorragie massive… ou alors interne. Si c’était le cas, elle le saurait très vite.

    En tâtonnant, elle parvint à toucher la paroi de la cavité circulaire dans laquelle elle était tombée. Ça ressemblait à une sorte de puits constitué de buses de ciment entassées les unes sur les autres. Sûrement plusieurs mètres de profondeur et au fond un tas de morceaux de bois mort. Pas étonnant qu’elle ait morflé, pensa-t-elle tout en se demandant s’il n’aurait pas mieux valu qu’elle se brise le cou en tombant. Dans son état, se hisser là-haut seule était une vue de l’esprit.

    Hurler ? Au risque de leur indiquer où elle était. Qu’est-ce qui serait le mieux ? Crever dans cet endroit infâme ou leur permettre de lui remettre la main dessus ? Son état n’était plus vraiment compatible avec ce qu’ils avaient coutume d’organiser quand ils la sortaient de la pièce exiguë où elle passait ses journées alors…

    Plus elle y songeait et plus elle imaginait le pire quant au sort qu’ils lui réserveraient s’ils la retrouvaient. Tout cela n’arrêtait pas de tourner en boucle dans son cerveau et, malgré les quelques gouttes qui avaient coulé sur son visage, la soif commençait à la tourmenter sérieusement. De toute façon crier en pleine nuit n’avait aucun sens. Il fallait au moins attendre le jour en espérant qu’un bûcheron, un chasseur ou un promeneur l’entendrait.

    Se calmer, y croire, encore, toujours… Facile à dire !

    Les aboiements la réveillèrent brutalement et la peur s’empara d’elle. Pas question qu’ils la trouvent ! Elle préférait crever là. Seule mais libre.

    Sarah ferma les yeux, serra les dents et attendit.

    Chapitre 1

    Cinq ans s’étaient écoulés depuis sa sortie de l’école de police et enfin une perspective qui lui filait une pêche d’enfer.

    Non pas qu’elle ait regretté son choix de passer le concours après ses années de droit à la fac de Bordeaux, mais ses premières affectations dans des commissariats de la banlieue parisienne ne lui avaient pas franchement donné l’occasion de s’éclater sur le plan professionnel. Un mélange d’écœurement et de colère en découvrant la réalité d’un système gangrené par la technocratie. À croire que toute cette complexité était faite pour transformer la moindre procédure judiciaire en épreuve d’obstacles avec son lot d’erreurs inévitables. On n’était pas à une contradiction près.

    Elle n’avait pas mis longtemps à se rendre compte que ces freins évidents limitaient l’action du flic au quotidien. En analysant durant ses études à la fac toutes ces inventions séduisantes supposées mieux garantir les libertés individuelles, déjà, elle avait halluciné. Désormais en première ligne, elle s’étonnait de voir les mêmes bien-pensants qui les avaient votées ou cautionnées éviter avec une belle efficacité de se poser la bonne question. Qui profitait le plus de la situation ? Un régal pour les avocats et les délinquants, même les moins aguerris.

    Pourtant, jamais ce constat ne lui avait fait regretter sa décision. De toute façon, elle aurait été incapable de mettre en avant un vice de forme pour faire sortir quelqu’un et, encore moins, accepter de défendre l’indéfendable. Bref, aucun avenir pour elle au barreau.

    Mais ce qui l’avait attristée bien davantage durant son début de parcours, c’était de voir des collègues chevronnés et hyper compétents devenir tellement blasés qu’ils en arrivaient à baisser les bras en s’en tenant au minimum syndical. À ce rythme, l’engagement sans faille nécessaire pour mener à son terme une enquête allait vite devenir une qualité aussi rare chez les flics que la présence d’un peu d’éthique et d’honnêteté intellectuelle chez la plupart de ces hommes et de ces femmes promus pourtant aux plus hautes destinées républicaines.

    Malgré le marasme ambiant et le côté répétitif des affaires peu enthousiasmantes qu’on lui avait confiées jusque-là, elle aimait son job. Mettre le nez dans le cambouis pour en faire sortir un peu de vérité, c’était sa came à elle. Et puis, comme Sarah le reconnaissait de façon triviale, de temps à autre on tombait sur des PROCS’ ou des juges qui avaient des couilles – femmes comprises – et pas seulement un plan de carrière dans la tête.

    Prenant de plus en plus confiance, durant ces années, elle avait bossé et bien bossé. Avec une seconde place en promotion et ses états de service, en voyant l’opportunité, elle s’était dit que son profil pouvait intéresser. Alors elle avait postulé sans hésiter, balayant les remarques désobligeantes de ceux, majoritaires parmi ses actuels collègues, qui ne lui donnaient aucune chance.

    Parmi ses détracteurs, les plus virulents étaient évidemment ceux qu’elles avaient avertis quand ils avaient tenté de remettre au goût du jour le droit de cuissage à son arrivée. Sarah avait un physique qui laissait peu de monde indifférent, les hommes comme les femmes d’ailleurs. Elle le savait, évidemment, et n’était pas du genre à s’offusquer à la moindre remarque machiste ou au premier sous-entendu. Mais, si on allait trop loin, elle mettait très efficacement un stop sans ambiguïté au malotru.

    Un certain commandant avait eu la très mauvaise idée d’insister lourdement en la considérant comme une proie facile et n’avait pas tenu compte de ses avertissements. Il avait fini sur une table du bloc opératoire dans le CHU voisin avec une orchidectomie en urgence. Pas vraiment prêt à assumer l’agression sexuelle qu’il s’était cru en droit de faire subir à Sarah en s’invitant dans son vestiaire, il avait déclaré à sa hiérarchie que le coup de pied dans le bas-ventre avait été porté par une racaille lors d’une interpellation ratée. Deux autres de ses collègues, guère plus évolués, l’avaient couvert et, bien sûr, le fautif ne fut jamais appréhendé.

    De toute évidence, il ne savait pas que Sarah était loin d’être une petite chose sans défense et encore moins qu’elle était dotée d’une personnalité peu impressionnable. Personne n’avait moufté dans le service après cette histoire, pas plus le commissaire, pourtant pas dupe un seul instant. Si elle n’avait pas échappé ensuite à quelques dragues plus ou moins délicates, elle gérait en général avec doigté ces excès de testostérones occasionnels et puis, de temps à autre, Sarah n’était pas insensible à quelques tentatives plus conventionnelles. Après cet épisode, chacun savait qu’il ne fallait pas la chercher.

    Assise dans la petite salle où on la faisait patienter, elle jubilait. Tous ces cons s’étaient bien plantés car elle était dans la short liste et s’apprêtait à rencontrer une pointure de l’office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRTEH pour faire plus court. La partie était loin d’être gagnée mais elle était bien décidée à prouver que sa candidature était la bonne. Le poste était pour elle.

    Le grand type carré, la cinquantaine flamboyante, qui venait d’entrer dans la pièce et s’approchait d’elle, main tendue, mit fin à ses cogitations.

    – Bonjour, Lieutenant Falko, commissaire divisionnaire Dulac. Si vous voulez bien me suivre, lança-t-il avec une cordialité de circonstance qu’un regard bleu acier, froid et pénétrant, rendait plus qu’hypothétique.

    Ils s’installèrent dans son bureau. L’entretien allait se dérouler autour d’une table ronde, placée sur le côté, et non de part et d’autre de l’immense bureau qui barrait le fond de l’espace. Une volonté évidente de la mettre à l’aise en évitant de rappeler le fossé hiérarchique qui existait pourtant bien entre la jeune policière et lui. Avant qu’il n’engage le dialogue, elle eut le temps de se demander si ce n’était pas une stratégie pour lui laisser penser – à tort – que ce face-à-face serait une formalité et qu’elle pouvait faire fi d’une certaine retenue. Pas naïve, elle se dit qu’elle avait tout à gagner à ne donner à aucun moment une quelconque impression de décontraction, trop facilement assimilable à un manque de professionnalisme.

    – Donc, Lieutenant, vous voulez intégrer notre équipe ? Je vais évidemment vous demander de m’en dire plus sur votre motivation mais je préfère être cash ! Épargnez moi le discours convenu. C’est de bonne guerre dans votre lettre de motivation que j’ai d’ailleurs trouvée intéressante sur la forme comme sur le fond mais, là, je veux vraiment savoir ce que vous avez dans le ventre, commença le commissaire d’une voix posée qui ne laissait planer aucun doute sur ses intentions.

    – Entendu, commissaire, répondit Sarah en espérant masquer un trac bien naturel qu’elle avait senti monter irrémédiablement en patientant dans la petite salle.

    – Alors dites-moi tout. D’abord, pourquoi notre service ? J’imagine que vous savez parfaitement sur quel genre d’affaires nous travaillons. On retient rarement des postulants aussi peu expérimentés que vous. Pourquoi pensez-vous que vous pourriez nous apporter une plus-value ?

    – Vous m’avez dit que vous vouliez de l’honnêteté et pas un discours convenu, enchaîna-t-elle sans laisser place à la moindre hésitation. Alors c’est très simple. Si je suis ici et que j’aspire à rejoindre l’une de vos équipes, c’est parce je pense avoir un avantage que peu de personnes peuvent mettre à votre disposition… enfin, je l’espère sincèrement pour elles.

    – Vous pouvez préciser ? poursuivit Dulac, exprimant d’un léger sourire l’évidente satisfaction qu’elle en vienne directement à la raison profonde de sa présence sans chercher à le mener en bateau.

    – Je crois avoir montré ma loyauté et une grande capacité de travail dans mes premières affectations mais je suppose que, ni cela, ni mes résultats à l’école de police n’expliquent à eux seuls ma convocation à cet entretien, reprit Sarah sans se démonter. Je mesure pourtant que vous parler sans détour de ce que je considère comme une force pourrait tout aussi bien me desservir, ajouta-t-elle en laissant un moment à son interlocuteur pour réagir.

    – Je vous écoute, finit par indiquer le divisionnaire à Sarah après un court moment durant lequel deux iris bleus tentèrent une incursion au plus profond de ses neurones.

    – Je sais mieux que personne comment ILS fonctionnent, commissaire, lâcha-t-elle en guettant aussitôt l’effet produit sur le visage de son interlocuteur.

    Le silence pesant qui s’installa immédiatement après cette affirmation lui fit craindre le pire et lorsque Dulac se leva pour se diriger vers la porte, elle crut vraiment qu’il allait lui signifier aussi sec la fin de leur entrevue. Mais non, à travers la partie vitrée de la cloison, elle le suivit des yeux avancer jusqu’à un autre bureau équipé de stores vénitiens. Impossible de voir à l’intérieur…

    La situation commençait à lui peser mais, partir en courant n’étant guère dans sa nature, Sarah attendit. Elle essayait de se canaliser quand elle le vit ressortir avec un dossier en main. Ce qui la déstabilisa ce fut de voir une femme le suivre dans le couloir. Il se réinstalla à la même place et attendit que cette dernière ait ouvert son ordinateur portable pour la présenter.

    Hormis son nom, ce fut quelque peu inutile car Sarah avait compris. Une psy, évidemment ! Son passé avait parlé. Pas le médical bien sûr, inaccessible – enfin, en théorie – mais la procédure avait naturellement suffi à leur donner du grain à moudre. En se disant que cela signifiait au moins qu’ils avaient creusé son profil et que les carottes n’étaient pas forcément cuites, elle attendit calmement de voir l’angle d’attaque qu’ils avaient déterminé.

    Avec l’habitude de fréquenter ce type de professionnel, elle avait appris que la meilleure stratégie était de ne jamais s’énerver et encore moins de les contrarier trop directement. Ils arrivaient toujours avec une explication ou un profil établi à grand renfort de théories aussi intéressantes que réductrices.

    Alors, comme par le passé, elle se prêta au jeu car, lorsqu’elle avait été contrainte de consulter durant plusieurs mois, c’était devenu une véritable partie d’échecs où elle essayait d’avoir toujours un coup d’avance. Freud et consorts allaient sûrement rappliquer. Sarah pensa cependant qu’elle devait redoubler de finesse pour cerner l’objectif que le commissaire s’était fixé en invitant cette personne car, là, l’enjeu était tout autre.

    Ce fut lui qui relança l’entretien et, comme l’avait prévu Sarah, il revint sur son affaire en ouvrant négligemment le dossier. Même à l’envers, elle n’eut aucune peine à reconnaître les procès-verbaux. Il lui sembla tout de même que le ton s’était adouci comme si la lecture qu’il en avait faite l’avait quelque peu ébranlé.

    – Lieutenant, existe-t-il un rapport entre ce qui vous est arrivé, il y a un peu plus de dix ans dans la région bordelaise, et cette motivation à venir travailler à l’OCRTEH ?

    – Vous répondre non serait un mensonge évident, Commissaire. Cette malheureuse expérience explique en partie ma réponse de tout à l’heure.

    – Pourquoi en partie ? reprit-il immédiatement, sans permettre à la psychologue qui venait pourtant d’ouvrir la bouche d’entrer dans la conversation.

    – Eh bien, en fait, j’aime mon job. J’aime enquêter et même lorsque cela impose des actes pas toujours euphorisants, je ne lâche rien. Je fouine mais surtout j’essaie de me mettre à la place du coupable potentiel. On apprend à l’école que lorsqu’on a trouvé le mobile, on a fait plus de la moitié du chemin mais en pratique c’est souvent beaucoup plus subtil et quand il est question de crime organisé, ça se corse vraiment. Comprendre comment ces criminels fonctionnent est indispensable et je pense que, si on peut entrer dans leur logique, alors on gagne beaucoup de temps et d’énergie. Sur ce plan, je ne prétends pas tout savoir – qui le peut ? – mais j’aime bien reconsidérer ma mésaventure en prenant du recul. Je me dis que mes mauvaises et involontaires fréquentations de l’époque peuvent sûrement servir à la flic que je suis devenue aujourd’hui.

    – Vous dites que c’est une partie de votre motivation, enchaîna aussitôt la femme, visiblement exaspérée que le commissaire ne l’ait pas laissée attaquer bille en tête. Il y a donc un autre versant. Comment le définiriez-vous ?

    – Je n’ai plus de colère, répondit sans la moindre hésitation Sarah qui avait anticipé depuis un moment ce que la psy aurait aimé faire émerger. D’ailleurs, assez longtemps, c’est plus à moi que j’en ai voulu. A ma naïveté et surtout mon imprudence coupable. Celle d’une gamine de dix-huit ans qui n’écoutait guère les conseils. Je sais que me croire sur parole est un risque si vous retenez ma candidature, mais c’est ainsi. Ce qui me fait postuler, c’est la volonté de contribuer à démasquer ceux qui animent des réseaux mafieux. Faire déférer devant des juges des individus qui nient l’existence même de la personne humaine, c’est la mission que je suis prête à assumer avec rigueur, calme et sang-froid. Voilà. Sans doute me trouvez-vous prétentieuse mais c’est la stricte vérité et puis, ne pas envoyer ma candidature aurait été un acte manqué… Il paraît que ce n’est pas très bon, conclut Sarah en plongeant dans le regard toujours aussi bleu du commissaire qui ne put réprimer, cette fois, un vrai sourire malgré sa volonté évidente de conserver une neutralité de surface.

    La psychologue ne s’avoua pas vaincue pour autant et Sarah s’attacha à la désarmer par des réponses simples et directes sans qu’à aucun moment elle ne montre une quelconque agressivité à son égard. Comme quoi elle en avait à revendre du self-control car elle commençait sérieusement à lui courir sur le haricot la gonzesse. En plus, habillée comme un sac et pas franchement désirable ! Sarah préféra rire intérieurement de cette pensée en donnant le change. Elle fut tout de même soulagée lorsque le commissaire signifia qu’il souhaitait mettre un terme à l’entretien et invita la psy à quitter la pièce.

    Dulac ne revint pas sur son argumentation et se contenta de quelques précisions sur le groupe qu’il avait l’intention de renforcer. Elle s’attendait donc à se voir raccompagnée à son tour avec une formule convenue quand la question la prit au dépourvu.

    – Au fait, Lieutenant, comment va le commandant Lardi ?

    Elle n’avait pas vu le coup arriver. Cette fois, elle ne put masquer qu’il l’avait déstabilisée. L’absence de répartie lui parut sonner comme les aveux du meurtrier placé en garde à vue mais elle lutta malgré tout pour continuer à soutenir le regard amusé du commissaire qui ne l’avait plus quittée des yeux. Heureusement, bon prince, il dissipa vite le léger malaise qui s’installait.

    – Rassurez-vous, je connais bien l’énergumène et si jamais vous n’avez pas le poste, ce ne sera certainement pas à cause de lui. Ce connard a eu ce qu’il méritait. Je regrette d’ailleurs de ne pas lui avoir moi-même cassé la gueule quand nos parcours se sont croisés !

    Sarah jugea qu’il était inutile d’en rajouter et le laissa conclure l’entretien. La remarque finale de Dulac lui parut tout de même quelque peu ambiguë.

    – Savez-vous que le responsable de formation qui était en charge de votre promotion est l’un de mes meilleurs amis ?

    Faire semblant ou dire la vérité ? Pari risqué s’il prenait mal le fait qu’elle avait effectivement appelé le formateur en question en recevant sa convocation. Il finirait bien par l’apprendre – si ce n’était déjà fait – alors après tout, autant rester sur la même ligne de conduite. Elle reconnut donc qu’elle l’avait contacté afin d’en savoir plus sur le service pour lequel elle postulait.

    Légère omission car la conversation avait vite tourné autour de la personnalité de l’homme qui allait la recevoir. Resté en relation avec Sarah depuis sa sortie de l’école, ce flic expérimenté ne lui avait pas caché son amitié avec le commissaire divisionnaire avant de lui donner quelques infos utiles en l’encourageant dans sa démarche.

    Difficile de savoir si cette franchise fut appréciée. L’homme qui la raccompagna ensuite vers la porte semblait toujours aussi difficile à cerner. Un vrai coffre-fort ! Restait à attendre son appel pour connaître la décision finale. Pas le plus simple pour Sarah qui savait pertinemment que, dans ses qualités, la patience n’était pas celle qu’elle avait de plus développée.

    Les jours suivants furent donc difficiles à vivre pour Sarah. Une sorte de yo-yo émotionnel où alternèrent les moments de déprime pendant lesquels elle analysait son entretien en n’y pointant que du négatif – en particulier lorsque la psychologue était entrée en scène – et, d’autres, où elle essayait de se persuader qu’elle avait joué sa carte à fond avec une réelle chance de succès.

    Bref, pas à prendre avec des pincettes et l’ambiance au boulot s’en était ressentie. Elle s’en voulait d’autant plus que malgré un certain nombre de collègues qu’elle ne regretterait guère, quitter ce commissariat et surtout son équipe serait un crève-cœur si elle était choisie.

    Mais l’envie de découvrir autre chose était trop forte. Alors quand le numéro du commissaire divisionnaire Dulac s’afficha, un peu avant 19 heures ce jeudi soir-là, elle tremblait tellement qu’elle faillit faire une fausse manip et rejeter l’appel.

    – Lieutenant Falko ?

    – Oui, commissaire. Merci de me rappeler aussi vite, répondit-elle avec un calme et une hypocrisie qui l’étonnèrent elle-même.

    – Je vous attends lundi matin. 8 h dans mon bureau.

    – Euh… pour un nouvel entretien, commissaire ? bredouilla-t-elle, complètement décontenancée par la sécheresse de l’annonce.

    – Non, pas du tout, Lieutenant, j’ai le feu vert administratif et j’ai parlé à l’instant à votre taulier pour le prévenir. Vous commencez lundi… enfin, à moins que vous n’ayez réfléchi entre-temps.

    – Non… non ! réussit-elle à lâcher, complètement tétanisée. Mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à une réponse positive, commissaire.

    – Je comprends mais rassurez-moi, vous êtes toujours par-tante ?

    – Oh, sans hésitation… et à 200 % ! Vous pouvez compter sur moi… Je n’en reviens toujours pas !

    – On en reparlera lundi mais, entre nous, vous voulez savoir ce qui a fait pencher la balance en votre faveur ? reprit-il sur un ton cordial vraiment nouveau.

    – Oui, bien sûr, Commissaire, fit Sarah toute surprise par la proposition.

    – Eh bien, au-delà de votre profil et de vos compétences, vous étiez la seule personne pour laquelle la psychologue avait émis un avis défavorable et je crois que, concernant ces experts, on a en commun une analyse assez proche, Lieutenant Falko. Bienvenue à l’Office, Sarah… Enfin, si vous m’autorisez à vous appeler par votre prénom sans que je prenne un risque excessif, s’empressa-t-il d’ajouter avec humour avant de raccrocher, évitant du même coup à Sarah l’embarras d’une réponse.

    Sarah regarda au moins dix fois sa liste d’appels pour se convaincre qu’elle n’avait pas rêvé. Elle n’y croyait toujours pas et il fallut celui de son patron du moment qui la félicita immédiatement pour sa nomination, avant de lui dire que pas mal de monde, et lui en particulier, allaient la regretter pour que tout cela prenne forme dans sa tête. Pas bien loin de la retraite, elle avait aimé travailler sous ses ordres. Un des derniers tauliers à avoir débuté une carrière comme simple inspecteur, à une autre époque, comme il disait.

    Pas vraiment adepte des effusions, elle fut néanmoins bien obligée de convenir que revenir faire un pot avec ceux qui avaient partagé coups durs et réussites durant ces deux dernières années serait une nécessité.

    Mais dans l’équipe, il y avait Marc. Avec lui, ça serait plus délicat, forcément.

    Chapitre 2

    Incapable de s’endormir, Sarah laissait libre cours à ses pensées. Jamais elle n’aurait imaginé que le simple fait d’évoquer lors de ce fameux entretien ce qui lui était arrivé

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