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Tue-loup: Tue-loup
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Livre électronique556 pages7 heures

Tue-loup: Tue-loup

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À propos de ce livre électronique

C’est difficile d’être le sauveur prophétisé de sa race. Rory MacGregor, tenu presque prisonnier de la forteresse de son père et pourchassé par la reine Sithe, doit s’amuser de temps à autre. Et quoi de mieux pour s’amuser que de traverser le voile, qu’il est seul à pouvoir déchirer, pour s’échapper
dans l’autre monde? Dans cet autre monde périlleux, Hannah Falconer, aussi prisonnière des circonstances, est presque tuée par le cheval de l’étrange garçon Sithe. Quand Rory parvient à lui faire traverser le voile par ruse et pénétrer dans son monde, elle est convaincue que les choses ne peuvent pas être pires que chez elle… Pendant ce temps, Seth MacGregor s’efforce de protéger son clan de la maléfique reine Kate. Quand elle lance une offensive après des années de calme, il est surpris de découvrir qui mène l’attaque… et qui d’autre conspire contre lui.
La ruse et l’expérience acquises pendant cinq cents ans suffiront-elles pour affronter la menace? Et combien d’amis, combien d’amoureuses, Seth est-il prêt à sacrifier pour garder son fils?
LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2014
ISBN9782897338459
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    Aperçu du livre

    Tue-loup - Gillian Philip

    longtemps.

    REMERCIEMENTs

    Un autre livre qui ne voulait pas coopérer. Parmi les gens qui m’ont aidée à le dompter au fil de nombreuses et fastidieuses ébauches, j’aimerais souligner l’apport de Tanya Wright, Pam Fraser et Derek Allsopp ; je vous aimerai pour toujours.

    Merci à Steven Allsop pour le Lammyr Sleekshard. Tu sais que j’adore ces monstres.

    Lucy Coats est un ange, rebelle ou non, qui est descendu du ciel à la dernière minute pour me donner bon nombre de suggestions, tapes dans le dos et conseils très appréciés. Merci à toi, jolie dame. *GROS CLIN D’ŒIL*

    Elizabeth Garrett m’a (encore) permis de passer du temps au Cliff Cottage et de profiter de son espace et de sa beauté surnaturelle.

    Alison Stroak est une directrice littéraire brillante, adorable et compréhensive qui m’a écoutée me plaindre comme une louve malheureuse aux heures les plus impossibles du jour et de la nuit. Elle a sauvé ma santé mentale.

    Lawrence Mann, de One Mann Brand, est un télépathe au talent énorme qui sait exactement à quoi ressemblent mes personnages. Cette fois-ci, il a vêtu Seth d’un tee-shirt, et je l’en remercie¹.

    Keith Charters est l’éditeur le plus patient que je connaisse et il a accepté de composer avec mes divagations hystériques et mes retards, jusqu’à ce qui ne pouvait être que la toute dernière minute.

    Et mes bons amis sur Twitter et Facebook ont apaisé mes fièvres, m’ont envoyé des margaritas virtuelles et m’ont fait rire si souvent que l’écriture de ce livre a probablement pris encore plus de temps qu’il en aurait fallu. Merci à vous, mes redoutables collaborateurs virtuels.

    Merci à vous tous.

    1. N.d.T.: Il s’agit de la couverture du livre publié au Royaume-Uni, qui diffère de la présente version.

    LES SITHE

    (et autres)

    Les gouttes pourpres teinteront la lune,

    Tandis qu’elle erre au soleil de minuit ;

    Et le ciel naissant prendra la couleur rouge

    Du sang par les anges coupables versé.

    Aux ennuis et à l’astuce,

    Au pincement qui cherche le cœur ;

    À la démence et à la servitude,

    Et à la conscience, la pire de toutes.

    James Hogg, A Witch’s Chant [traduction libre]

    Prologue

    Dans un monde couleur pierre de lune, des choses peuvent rôder partout. Il y avait amplement de lumière, mais c’était une lumière laiteuse et floue. Il ne pouvait rien voir. Le brouillard s’était déposé sur l’étang, étouffant tous les sons.

    Les cimes des sapins se dessinaient en subtiles teintes de gris derrière lui. Ses pieds étaient entourés d’herbes et de roseaux. C’était tout ce qu’il parvenait à voir, et il n’avait pas l’intention de bouger.

    Réticent, ne serait-ce qu’à l’idée de respirer l’obscurité, Turlach restait complètement immobile. Son cœur martelait dans sa poitrine en raison de l’intensité des efforts qu’il devait déployer et de ses nerfs à vif, et il fut forcé d’inspirer. L’air goûtait l’humidité, les roseaux en décomposition et la boue. Il voulut cracher.

    Il était un peu désorienté, mais il savait où il se trouvait, et c’était ce qui importait. Il savait à quelle distance se trouvait la forteresse et quelles étaient ses chances de s’y rendre. S’il choisissait bien sa direction et s’il se déplaçait rapidement et en silence, il pourrait l’atteindre en quelques heures.

    C’était tout de même un pari risqué. Il ne voulait pas faire un mauvais choix.

    Ils étaient près derrière lui, et il le savait. Il était poursuivi par deux personnes qu’il ne considérait pas comme des amis chers et qui n’étaient pas accompagnées. Personne d’autre ne savait. Personne ne savait où il était. Ni pourquoi il y était.

    Turlach frissonna. L’humidité rendait sa gorge râpeuse.

    Iolaire n’avait pas été pris et ramené à la forteresse de la reine ; Iolaire avait réussi à se rendre en sécurité en territoire ennemi. Mais c’était il y a deux ans, et Iolaire était alors à cheval, voyageant par un temps où il pouvait voir, et personne ne savait alors qu’il ne reviendrait pas. De toute façon, ils savaient qu’ils pourraient le tuer plus tard. Ils avaient perdu Iolaire, ils en avaient fait un renégat, et ils ne l’appréciaient pas. Personne n’aimait les renégats. Mais avec lui, avec Turlach, c’était plus qu’une simple question d’amour, de loyauté et de fierté.

    C’était étrange qu’il n’ait pas considéré la possibilité de se rendre chez Kate NicNiven, compte tenu de ce qu’il savait. Il était simplement parti, le plus rapidement possible. Mais même si la reine regimbait contre le plan de Cuthag, Turlach savait que l’idée lui plairait. Les dieux savaient où et comment Cuthag avait trouvé l’exilé, mais l’homme avait toujours fasciné Kate, même quand elle songeait au jugement qu’elle rendait à son égard, ce qui se produisait souvent. Elle regrettait toujours les châtiments qu’elle était forcée de lui faire subir et elle montrait un désir visible de le voir revenir. La reine pouvait résister aux engagements et aux promesses de Cuthag, mais seulement pendant un moment, et seulement pour la galerie. Turlach ne voulait pas être celui qui remettait en question les décisions prises.

    L’exilé revenait donc. Dès que Turlach l’avait croisé, dans les passages les plus profonds de la forteresse, dès qu’il l’avait surpris à se vanter et qu’il avait surpris Cuthag à rire, il avait su que c’était là sa première et dernière chance de partir.

    Il aurait seulement voulu avoir fait preuve de plus de discrétion.

    Ayant remarqué sa fuite, ses deux poursuivants ne voulaient pas courir le risque qu’il atteigne la forteresse ennemie, surtout pas avec ce qu’il avait à dire à Seth MacGregor. Il ne jouirait pas de la marge de manœuvre dont Iolaire avait profité. Pour Turlach et ses poursuivants, il y avait une échéance.

    Il frotta ses bras transis. Il devait bouger. S’il ne bougeait pas rapidement, ils finiraient de toute façon par le flairer, et il serait pris comme un rat.

    Il s’avança prudemment dans l’eau, fâché de devoir troubler sa surface lisse. Les algues étaient denses, et il savait qu’il s’éloignait des berges du loch, bien que les eaux semblassent à peine plus profondes. Les bruits d’éclaboussure créaient des échos trop forts.

    Il devait choisir : semer ses poursuivants en effaçant son odeur ou les semer en ne faisant pas de bruit ; il ne pouvait pas faire les deux. Il n’avait tout simplement pas prévu qu’il y aurait du brouillard.

    À ses pieds, un oiseau s’envola à grand bruit. Par pur réflexe, il tenta de l’attraper, trébucha, puis regarda l’ombre de l’animal danser sur la surface du loch, haletant ; la sueur perlait sur son front. L’oiseau s’était évaporé dans l’épaisse brume blanche, mais il devait s’être posé plus loin sur l’eau, puisque des ondes vinrent clapoter doucement contre ses jambes. Son sang se glaça lentement dans ses veines alors qu’il regardait les rides se calmer. Il y avait d’autres choses dans le loch, des choses bien pires que des oiseaux aquatiques bruyants, pires encore que ses guerriers poursuivants.

    Soudainement, Turlach sut que sa décision était stupide. Il sut qu’il avait été stupide de s’exposer à la fois aux dangers de la terre ferme et du loch. Il s’avança rapidement vers la berge qu’il devinait dans la brume, poussant les roseaux qui se dressaient devant lui. Bien qu’ils fussent brutaux, les guerriers qui le poursuivaient étaient au moins humains. Il préférait tenter sa chance contre eux plutôt que d’attendre comme un mouton attaché que la créature sorte du loch.

    Il longea la berge le plus près qu’il put, observant la moindre agitation de la surface de l’eau. Mais le brouillard pouvait autant l’aider que le gêner, après tout. Il laissait ses peurs d’enfance le terrifier et l’empêcher de l’utiliser à son avantage. Il se mit en colère contre lui-même, ce qui l’aida.

    Le flanc de la colline parsemée de sapins était son meilleur pari. Il fut heureux de marcher sur le sol marécageux pour s’éloigner des eaux, et bien qu’il ne voulût pas quitter complètement le couvert du brouillard, celui-ci s’estompait à mesure qu’il gravissait la colline, ce qui lui permettait de mieux voir ses environs. Sa destination n’était qu’à quelques heures au-delà de la colline et, pour la première fois depuis les derniers kilomètres, il commença à penser qu’il pourrait atteindre son objectif. Sur la terre ferme, il pressa le pas, et trébucha seulement quand son pied trouva un ruisseau souterrain. Il s’arrêta, pantois, pour jeter un coup d’œil derrière lui.

    Il crut d’abord que le soleil perçait le lourd manteau de brouillard quand il vit un éclat de lumière dorée. En un instant, il sut que la position actuelle de la terre rendait la chose impossible. Non. Le soleil était dans son dos, perçant à peine le brouillard. La lumière devant lui était le reflet du soleil sur de l’acier.

    Turlach se mit à courir.

    Désespéré, il monta la forte pente, haletant de panique et d’épuisement, mais le bruit des sabots battant la terre venait de deux directions, devant et derrière. Il redescendit la pente, trébucha et tomba tête première dans la boue. Alors qu’il se remettait sur pied, un dur coup sur le côté de la tête le rabattit au sol.

    Il se traîna à quatre pattes, incapable de se relever. Ce n’était pas l’épuisement ou le sol instable qui l’en empê-chait ; c’étaient les violents tremblements de ses membres défaillants. Terriblement honteux, il ne pouvait lever les yeux.

    — Fugitif.

    La voix mielleuse avait des inflexions moqueuses.

    — Fu-fu-fugitif.

    Turlach ferma les yeux en s’accroupissant. En prenant de grandes bouffées d’air, il s’efforça de se remettre sur pied. S’il serrait les poings assez fort, les tremblements se calmaient un peu. Juste un peu. Il cracha de la boue et leva les yeux, croisant un regard sans pitié.

    — Des regrets, Turlach ?

    Il secoua lentement la tête.

    — Vous voulez jouer à ce jeu longtemps, n’est-ce pas ?

    Des rires retentirent.

    — Nous sommes Sithe ! Y a-t-il d’autres jeux auxquels nous jouons ?

    — Des jeux qui ne sont pas un blasphème, salaud. J’ai entendu ce que tu allais proposer à Kate. Ce n’est pas bien.

    — Ce qui est bien, c’est de gagner. Ce qui est mal, et la voix chantante était revenue, ce qui est mal, c’est de mourir dans la boue et la douleur, comme un lièvre en fuite.

    Est-ce qu’il avait des regrets ? Il allait mourir, il en avait la certitude. Le problème était que Turlach était assez vieux pour se souvenir de cet homme et de la dernière fois qu’il avait hanté les terres sithe. Il était assez vieux pour se souvenir de sa réputation de brute. Pour quelle autre raison aurait-il couru ? Il pouvait avoir eu des doutes par le passé, mais seul cet homme avait pu pousser Turlach à quitter son propre clan. Tout comme le nouveau talent que l’homme avait rapporté de ses aventures dans l’autre monde, le cadeau de paix qu’il avait rapporté à la reine ; seule une telle perversion de la sorcellerie pouvait avoir persuadé Turlach de tenter d’aller voir MacGregor pour le mettre en garde.

    Et échouer.

    Il crispa les lèvres, s’efforçant d’afficher un sourire défiant.

    — Je ne me serais pas battu pour toi, de toute façon.

    — C’est bien dommage.

    Un regard glacial par-dessus son épaule, un signe de tête, et Turlach sentit une lame affilée traverser ses jarrets. Le sol se déroba sous lui, et il tomba comme un oiseau abattu. Le choc l’anesthésia pendant de longues secondes, puis la douleur se fit sentir, fulgurante, dans ses jambes inertes. Ses doigts se crispèrent dans la boue, et il pressa son visage contre le sol trempé pour s’empêcher de pousser un cri.

    Les deux hommes se tenaient au-dessus de lui, marmonnant des mots qu’il ne pouvait entendre, assourdis par les cris dans sa tête. Un pied s’enfonça dans ses côtes, et le tranchant d’une lame souillée de sang lui chatouilla le cou.

    — Ne le tue pas, Cuthag.

    Cette voix musicale, satisfaite.

    « Non, Cuthag. Fais-le. Je t’en prie. »

    Il pouvait sentir l’odeur de son propre sang, et l’odorat de la créature était d’autant plus aiguisé.

    — Le soleil se couche.

    « Je t’en prie. »

    — Elle a faim à cette heure.

    Cuthag émit un rire profond et éloigna la lame de la gorge de Turlach.

    « Cuthag. Je t’en prie. »

    C’était seulement des supplications internes. Rien qu’il laisserait entendre aux deux hommes. La dernière chose qu’il pouvait faire, à tout le moins, était de fermer son esprit.

    — Pauvre Turlach. La créature le flairera. Mais assurons-nous-en.

    Une botte envoya la boue tachée de sang voler autour, éclaboussant doucement la surface de l’étang.

    — Nous partons ?

    Turlach entendit les deux hommes monter sur leurs chevaux qui s’ébrouaient nerveusement, mais il ne les écouta pas tandis qu’ils s’éloignaient dans un galop périlleux. Il n’écoutait que les autres bruits de sabots, qu’il savait venir.

    Le brouillard passa du blanc au gris, et l’air se refroidit, s’épaissit. Il ne bougeait pas, préférant ne pas attirer le prédateur comme un poisson blessé. Il ne voulait pas que ses assassins en fuite l’entendent crier. « Ne bouge pas, Turlach. » Dans la pénombre immobile, dans le silence de son esprit, une lueur d’espoir naquit.

    Cet espoir mourut immédiatement quand il entendit le clapotement d’un corps crevant la surface de l’eau, le grattement d’un sabot sur la pierre et un hennissement inquisiteur.

    « Oh ! grands dieux. Ne bouge pas. Ne respire pas. »

    Il n’y avait rien autour à quoi il pouvait s’agripper, sinon la terre bourbeuse. Il trembla en grinçant des dents, et ferma les yeux en tentant de ne rien voir ni entendre.

    La créature s’approcha et enjamba son corps ensanglanté, tapotant sa tête d’un sabot tout en jouant avec ses cheveux, puis lécha de sa chaude langue la peau de son cou. Soudainement, et malgré lui, Turlach se débattit, tirant désespérément son corps dans la boue collante, rampant vers une issue qu’il savait inatteignable.

    La créature cessa de jouer. Quand elle le saisit entre ses dents, le secoua comme un rat et commença à se nourrir, les spasmes de lutte inutile qui traversaient son corps n’étaient plus volontaires, et Turlach n’était plus en mesure de savoir si ses cris déchiraient l’air humide ni de s’en préoccuper.

    RORY

    Il me suffisait donc de dompter le kelpie.

    N’importe quel Sithe qui se respectait pouvait maîtriser un cheval aquatique. Du moins, c’est ce que mon père ne se lassait pas de me dire. S’il pouvait le faire, tout le monde le pouvait. Et il était beaucoup plus jeune que moi quand il avait apprivoisé son rouan bleu. Et comme mon vieil oncle Conal (dont je ne me souviens pas) l’avait déjà dit : « Il n’y a rien de tel ! » (Je ne me souviens peut-être pas de lui, mais je sais tout ce qu’il a déjà dit.)

    Et de toute façon, je ne voyais pas où était le problème. Mon père non plus.

    Le problème était peut-être là.

    Seth était dans une de ses bonnes humeurs : heureux et confiant. Qui avait dit qu’il était facile d’approcher un kelpie ? Pas même lui, pas avant aujourd’hui.

    N’empêche, c’était peut-être la température, mais son humeur était contagieuse. Nous avions quitté la forteresse à cheval ensemble et traversé la lande baignée de lumière du soleil et ornée de rosée et de toiles d’araignée. Au loin, les collines semblaient trop éphémères pour être vraies, mais je savais que la journée serait torride à mesure que le soleil monterait au zénith. Mon père n’avait pas effacé son large sourire de sur son visage depuis qu’il m’avait traîné hors du lit, avant l’aube. Et l’aube venait foutrement tôt à cette période de l’année.

    — Surveille ton langage, me dit-il distraitement.

    Je lui envoyai un regard mauvais à moitié senti, puis je fermai mon esprit. Il éclata de rire.

    — J’espère que tu ne te fais pas trop d’illusions, lui dis-je.

    — Bien sûr que non.

    Bien sûr que si, il s’en faisait. Il s’en faisait toujours.

    Le petit loch était paré de sa robe d’été, inoffensif et attrayant, l’air plus petit qu’en réalité à cause des hautes herbes et des roseaux qui rendaient ses contours imprécis. Seth s’avança jusqu’à ce que son cheval ait de l’eau jusqu’aux fanons, puis il laissa les rênes tomber sur le cou de l’animal. Il avait laissé le rouan bleu à la forteresse ; inutile de provoquer le kelpie en lui présentant l’un des siens, avait-il expliqué. Le hongre bai qu’il avait choisi de monter ne semblait pas très heureux d’être possiblement sacrifié. L’animal agitait la tête, piaffant nerveusement dans l’eau.

    Seth lui flatta le cou, lui murmurant distraitement quelques mots à l’oreille en observant les ondulations à la surface de l’eau.

    — Allons, Rory. Ne perdons pas de temps.

    Mon cheval ne voulait pas s’approcher autant de l’eau, et je ne pouvais pas l’en blâmer. Je descendis et j’attachai les rênes sur une souche brisée, puis je m’avançai sur le haut-fond. L’eau n’était pas vraiment froide. Une poule d’eau apparut dans les roseaux, me présenta son bec rouge, puis disparut sans se presser dans les joncs.

    — Je ne crois pas qu’il y est, dis-je.

    — Non, pas encore.

    Il y avait une note d’impatience dans sa voix.

    — Appelle-le.

    J’abaissai ma défense mentale puis, en me concentrant, je laissai mon esprit s’enfoncer sous la surface miroitante du loch. Je connaissais assez bien la chanson dans ma tête ; j’avais appris directement de l’esprit de mon père comment chanter en silence pour les chevaux aquatiques et je m’étais exercé la nuit dernière, dans le calme de la forteresse, jusqu’à faillir m’hypnotiser moi-même.

    Seth se pencha sur son cheval, et je vis qu’il retenait son souffle.

    La surface du loch s’agita. Les oiseaux du marais se turent. Je savais à quoi m’attendre, mais quand la tête de la créature creva la surface des eaux, je trébuchai en reculant.

    Elle était tout en muscles, éclatante et sauvage. Sa mâchoire était ouverte, ses oreilles couchées, et sa crinière grise emmêlée d’herbes. L’eau du loch coulait en cascades sur son cou voûté et son toupet alors qu’elle tournait la tête pour me regarder de ses yeux aussi noirs et impénétrables que ceux d’un requin.

    Nous nous observâmes pendant un moment, puis la bête s’avança en sautant, plongeant dans les hauts-fonds en poussant des cris, ses sabots faisant voler des gerbes d’eau. Quand la bête eut de l’eau aux jarrets, elle s’arrêta, me lançant un regard furieux.

    Au moins, mon père ne pouvait pas intervenir. Il était trop occupé à jurer contre le hongre bai, qui reculait en s’ébrouant, effrayé. Le temps qu’il calme son cheval, le kelpie était si près de moi que je pouvais sentir son souffle chaud sur ma joue. Il retroussa les lèvres, grignotant mes cheveux de ses dents.

    Je crus que mon cœur allait cesser de battre

    — Continue de l’appeler, glapit Seth. Ne le laisse pas encore entrer dans ton esprit.

    C’était assez facile à faire, presque machinal. Pour autant qu’il arrête de me distraire. En fait, je doutais de pouvoir un jour me sortir cette chanson de la tête. Évidemment, le simple fait de garder une certaine distance mentale avec le kelpie ne l’empêcherait pas de me tuer. S’il en avait envie, il le ferait.

    Je levai une main tremblante sur le haut de son encolure. Sa crinière était comme des fils de soie entre mes doigts. J’avais de la difficulté à m’imaginer qu’elle soit assez solide pour que je puisse me tenir. Dans ma tête, la chanson était devenue une mélopée, me permettant de me concentrer sur la créature, de la sentir. Grands dieux, quelle chaleur et quelle puissance se tapissaient sous cette peau laiteuse ! Pour la première fois, je n’agissais pas pour mon père. Pour la première fois, je désirais vraiment, profondément, ce cheval.

    J’empoignai sa crinière, près du garrot. Je me préparai à sauter. La bête tressaillit brusquement, puis elle cria et enfonça sa tête dans ma poitrine. J’en eus le souffle coupé, et des étoiles dansèrent derrière mes paupières, mais je pus rester debout, retrouvant mon équilibre juste à temps pour voir le kelpie s’avancer en montrant les dents.

    Je me jetai sur le sol détrempé et sentis les sabots de la bête frapper le sol de chaque côté de ma tête, m’éclaboussant au passage. Je ne la vis pas replonger dans le loch, mais j’entendis un énorme « plouf » suivi du bruit des oiseaux d’eau pris de panique.

    Je m’appuyai sur mes coudes, embêté autant par le silence de mon père que par l’eau boueuse. Je ne voulais pas lever la tête. Jamais.

    Après une éternité sans prononcer un mot, il poussa un soupir.

    — Eh bien, dit-il. Je suppose qu’il venait de manger. Heureusement.

    Mon frère m’avait parlé de l’autre monde, univers terrible et périlleux au-delà du Voile. Honnêtement, je me demandais parfois comment ce serait d’y vivre. Je rêvais parfois d’un endroit où on appelait les services sociaux si vos parents vous envoyaient à l’école avec la mauvaise paire de gants.

    Je me relevai et j’essuyai du mieux que je pus la boue qui me recouvrait.

    — Désolé, marmonnai-je.

    — Ne t’en fais pas, dit-il après un moment, tirant sur les rênes de son cheval. Visiblement, il est impossible à apprivoiser.

    — Je croyais que ça n’existait pas, répondis-je sèchement.

    Visiblement, ça existe.

    Il voulait dire que si son fils ne pouvait pas l’apprivoiser, personne ne le pouvait. J’aurais aimé l’apprivoiser, pour lui prouver qu’il avait tort, mais je savais que je n’y parviendrais jamais. Cette fois, alors que je montais sur mon cheval, je m’assurai de fermer complètement mon esprit. Pas parce que j’avais peur que Seth sache que je craignais l’échec, mais parce que je ne voulais pas qu’il sache à quel point sa déception me préoccupait.

    Ce n’est pas que j’avais une peur excessive des kelpies ; je m’étais accoutumé au rouan bleu, après tout. Je pouvais le monter seul, sans la surveillance de mon père. Et je savais que cela le faisait suer. Je n’aurais pas dû être capable de le faire, mais il y avait beaucoup de choses que je n’aurais pas dû être capable de faire. Et cela ne m’empêchait pas de les faire.

    Mais la seule chose que je voulais vraiment faire, la seule chose qui m’aurait valu l’estime de mon père, était la seule chose que je n’arrivais pas à faire. Je jetai un regard plein de ressentiment au loch et j’essuyai la boue de mon visage.

    — Écoute, dit-il enfin, pendant que nos chevaux trottaient tranquillement vers la forteresse. Oublie tout ça. Ça n’a pas d’importance. Ce n’est pas un exercice obligatoire.

    — Si ce n’est pas obligatoire, soulignai-je froidement, tu ne l’aurais pas mentionné trois fois.

    — Seigneur, Rory. Je n’essaierai pas de te remonter le moral, dans ce cas.

    — Je n’ai pas besoin que tu me remontes le moral.

    Menteur. Je ne serais jamais un guerrier comme lui, mais j’aurais au moins pu être son égal sur un kelpie. Ou pas, apparemment.

    — Ce n’est pas une foutue compétition. Tu es mon fils, pas mon partenaire d’entraînement.

    Mon visage tourna au cramoisi.

    — Tu ne devais pas entendre ça. Sors de ma tête.

    — Ferme mieux ton esprit.

    Ce que je fis.

    — Laisse-moi simplement venir ici seul la prochaine fois. C’est toi qui me déconcentres.

    Je ne le regardai pas pendant un moment, puisqu’il n’avait pas répondu. Je ne voulais pas savoir à quel point cette dernière pointe l’avait blessé. Évidemment, je ne croyais pas qu’il le laisserait voir.

    — Tu peux oublier ça, répondit-il enfin. Tu sais très bien pourquoi tu ne peux pas aller te promener seul.

    — J’ai quatorze ans. Quand as-tu l’intention de me laisser devenir un homme ?

    — Quand tu agiras comme tel. Hé !

    J’avais éperonné mon cheval et j’avais pris une avance considérable avant même qu’il ait le temps de seulement penser à me suivre. En l’occurrence, il ne me suivit pas. Je me dirigeais vers la forteresse, et il le savait. Il avait probablement autant besoin de passer du temps sans moi que j’avais besoin de passer du temps sans lui. Il me cria simplement un avertissement.

    — Tu ne peux pas apprivoiser le tien, mais ça ne veut pas dire que tu peux t’approcher du mien.

    Très bien.

    Voyons voir jusqu’où il irait pour m’en empêcher.

    KATE

    Elle n’était pas accoutumée à la colère. De brèves pointes de colère, oui ; des colères qu’elle pouvait facilement apaiser par une séance de flagellation ou par une exécution sommaire ou encore, si elle avait de l’affection pour le contrevenant, par de simples excuses teintées d’humiliation. Mais elle n’était pas habituée à cette furie sauvage qui lui brûlait les entrailles chaque jour comme un enfant non désiré, immuable et impossible à oublier. Laszlo, elle le savait, aurait aimé voir son enfant en son sein, dans un espoir vain que cela consoliderait sa position, mais la possibilité que cela se produise s’amenuisait ; son insécurité n’était donc qu’une irritation mineure, et ses attentions constantes, un divertissement parfaitement acceptable.

    Kate fit descendre un ongle le long de son échine, le faisant remuer et gémir doucement. Étendu dans un enchevêtrement de draps, il s’éveilla, tourna maladroitement la tête pour lui faire face, puis sourit.

    — Il y a des choses à faire et des gens à recevoir, dit-elle sur un ton chantant.

    — Pas tout de suite.

    Il la prit dans ses bras et l’attira à lui. Pendant quelques secondes, elle contempla l’idée de céder, mais elle décida de se défaire de son emprise et sortit les jambes du lit. Il la poursuivit avidement du regard.

    — Que veut ce foutu Cuthag, de toute façon ? demanda-t-il en grognant. Je n’aime pas cet homme.

    — Il n’est pas nécessaire de l’aimer. Je n’ai jamais connu un guerrier aussi fiable. Maintenant, lève-toi.

    Un éclat de rébellion illumina son regard, mais il la domina sagement. Kate lui adressa un sourire indulgent alors qu’il s’extirpait du lit et qu’il prenait ses vêtements. Elle permettait ces gestes de rébellion, pour peu qu’ils soient brefs et finalement regrettés. C’était l’autre type de rébellion qui lui glaçait le cœur dans la poitrine et qui la gardait éveillée, écumant de rage en silence jusqu’aux petites heures de la nuit.

    Elle était reine par consentement. Elle avait été choisie par acclamation par la grande majorité de son peuple. Elle était aimée, et tout ce qu’elle demandait, c’était de l’amour. De l’amour et de la loyauté. Ses intérêts correspondaient à ceux de son peuple, même si certains d’entre eux pouvaient en douter. Leurs doutes lui importaient peu. Ce qu’elle demandait, c’était leur confiance.

    Amour, loyauté et confiance, donc. Et certains de ses subordonnés ne pouvaient même pas lui donner ce qu’elle demandait.

    — MacGregor se terre comme une hermine dans sa forteresse. Il me défie, il tue mes guerriers, il propage des mensonges dans tous les villages. Pour le peu de respect dont il fait preuve à mon égard, il pourrait tout aussi bien monter sur ses remparts et me présenter son cul.

    — Je croyais qu’il l’avait déjà fait.

    Elle le gifla, mais pas assez fort pour faire naître du ressentiment durable.

    — Il croit qu’il peut continuer ainsi indéfiniment, gardant son fils de moi et niant ma mainmise sur le Sgath². Je ne pourrai le tolérer plus longtemps.

    Laszlo toucha sa joue à l’endroit où la marque rouge de sa main s’estompait déjà.

    — Pars en guerre ouverte, et tu perdras plus de guerriers que tu ne peux te le permettre. Les terres de sa forteresse sont comme un anneau d’acier. Les membres de son clan ont un esprit aussi impénétrable qu’un mur de fer. Tu me l’as dit toi-même.

    — C’est le cas de la plupart d’entre eux.

    Elle se décida pour la douce robe en soie grise : légère comme le matin, mais suggérant l’idée d’une toile d’araignée meurtrière.

    — Et il attire plus d’alliés de jour en jour avec sa sale langue. J’aimerais la couper avec des cisailles rougies par le feu.

    Il haussa les épaules.

    — Quoi qu’il en soit, donnes-en l’ordre, et je mènerai une attaque. Nous perdrons beaucoup d’hommes, mais il sera mort en un mois, je te le promets.

    — Je ne veux pas le voir mort. Je veux le voir anéanti. Même un « simple mortel » peut certainement comprendre la différence.

    — Alors continue de jouer ton jeu de l’attente, murmura Laszlo en l’embrassant dans le cou. Je croyais que c’était ce que tu préférais. Toi qui as tout le temps du monde.

    Est-ce que quelqu’un, maintenant ou dans son avenir sans fin, comprendrait un jour ce qu’elle pouvait vivre ? Est-ce que quelqu’un s’était déjà arrêté pour apprécier l’ironie de son sort ? Elle, qui avait tout le temps du monde, et qui devait livrer une course effrénée contre la montre et regarder son prix s’échapper, hors de portée ? La seule chose qu’elle désirait plus que tout était la chose qui allait, vacillante, vers sa propre mort. Et elle était terrifiée à l’idée de ne jamais l’attraper.

    « Sgath. Sgath, sale loque de Voile. Ne meurs pas avant que je puisse te tuer. »

    Elle ne l’attraperait peut-être pas à temps, elle qui manquait de temps. Elle qui n’avait plus de temps. Kate se demanda si elle avait ri, cette créature des plus profondes noirceurs, quand elle se tenait là, tremblante, pour faire un pacte lié à une « ombre solide ».

    « Dévoreuse d’âmes. J’ai pris autant d’âmes que toi, depuis que tu m’as pris mon nom. Et ce n’est jamais assez. Le savais-tu ? Bien sûr que tu le savais. Tu savais pour la faim insatiable.

    La faim insatiable.

    Comme moi… »

    Mais ça en valait la peine. Ça en valait la peine. La vie sans le nom, qui vieillissait et qui tuait. Elle ne pouvait pas tuer, cela faisait partie du pacte, mais il y aurait toujours ceux qui le feraient pour elle. La force de son esprit était une énergie physique, pas une sorte de faible lien empathique. Et quand elle vidait un homme vivant de son âme et de sa force, elle les sentait toujours, pendant un instant : l’étincelle et le feu qui mouraient, le bref frisson d’extase. C’était suffisant. Elle préférait ces touches fugitives de mortalité que de mettre fin à ses jours, de retourner à la poussière.

    Mais sans le Sgath, sans la destruction qu’elle devait lui faire subir pour obtenir ce qu’elle désirait, c’était en vain. Combien de fois avait-elle souhaité que la prophétesse aveugle soit encore vivante, pour qu’elle puisse la tuer de nouveau ? Détruis le Voile et NicNiven aura tout ce qu’elle désire ; laisse-le mourir ou survivre, et elle n’aura rien.

    « Je t’ai donné tant, dévoreuse d’âmes. Tout ça pour rien ? Non. »

    Laszlo ne devait pas voir les tremblements qui la tra­versaient. Kate se retourna et prit un collier d’argent et de saphir. Elle l’empoigna, laissant ses motifs ciselés s’incruster dans sa chair, jusqu’à ce que ses doigts cessent de trembler.

    — Le temps manque pour moi aussi, quand il est question du Voile. Il y a l’attente et il y a l’impasse.

    Quand elle eut retrouvé son calme, elle passa le collier d’argent autour de son cou.

    — Cuthag dit qu’il pourrait avoir trouvé le moyen de dénouer l’impasse. Je suis disposée à l’écouter.

    Laszlo fixait déjà son épée à sa ceinture ; elle ne daigna pas l’attendre et traversa la salle, mais elle l’entendit emboîter le pas assez rapidement. Évidemment, il ne voudrait pas être absent quand elle parlerait à l’homme qui l’attendait dans sa salle d’audience, au-delà du grand hall.

    Cuthag inclina la tête quand elle entra. Il pouvait être mielleux, mais elle appréciait sa fourberie et sa loyauté à toute épreuve encore plus. Elle ne lui jeta pas même un coup d’œil en passant devant lui, ses pas faisant écho dans la grande salle. Ce n’est que lorsqu’elle fut assise dans la chaise, sur l’estrade, qu’elle le gracia d’un regard direct. La salle était déserte, à l’exception de Cuthag, comme cela devait être en ces circonstances. Si son entourage ne pouvait pas tolérer son idée, il était préférable qu’aucun n’en prenne connaissance.

    Laszlo s’arrêta à ses côtés ; elle savait qu’il avait le regard noir.

    — Cuthag, mon cher. Vous savez souvent comment me plaire. Voyons si vous saurez continuer.

    Voilà qui était satisfaisant aux yeux de Laszlo. Cuthag le savait aussi. Il lui adressa un sourire en exposant toutes ses dents.

    — La proposition ne vient pas entièrement de moi, Kate. Une… connaissance mutuelle m’a approché. Une personne que nous avons tous deux connue, à une certaine époque.

    — Un revenant, comme on dit. Charmant.

    Elle sourit.

    — Et qui est ce vieil ami ?

    — J’ai pris le soin d’utiliser le mot « connaissance », Kate.

    Cuthag s’esclaffa, et elle haussa un sourcil.

    — J’espère que tu écouteras ce que j’ai à dire.

    Elle se redressa sur sa chaise, fronçant les sourcils.

    — Il est ici, je suppose ? Ou « elle » ?

    — Il. Oui, il est ici.

    Cuthag afficha pour la première fois un air nerveux alors qu’il tournait les talons pour jeter un regard vers la porte dans l’ombre. Des reflets d’argent dansèrent dans la pénombre, alors qu’un homme de grande taille, vêtu d’un manteau de cuir et portant la barbe et des cheveux hirsutes, fit trois pas dans la salle, avant de poser un genou à terre.

    Le silence s’étira. Une seconde. Trois. Cinq.

    Toi ?

    Le verdict de Kate, quand il tomba, était méprisant.

    — Pas encore ! Cuthag, tu me déçois.

    L’homme barbu ne se leva pas, mais son regard était si assuré qu’il paraissait presque impudent.

    — Pauvre vieux Cuthag. Donne-lui une chance. Et à moi.

    — Je t’ai donné plus de chances que je pourrais compter, Alasdair.

    On entendit Laszlo inspirer fortement.

    — Est-ce…

    — C’est bien lui.

    Kate regarda au plafond d’un air absent.

    — Quel genou était-ce la dernière fois, Alasdair ? J’espère que tu alternes, faute de quoi tu en useras un.

    Il éclata de rire.

    — C’est différent, cette fois. Tu seras heureuse de me revoir.

    Elle poussa un soupir en inspectant ses ongles.

    — Dans ce cas, relève-toi et dis ce que tu as à dire.

    — Non. Je ne me relèverai pas tant que je n’aurai pas ton pardon.

    Elle l’étudia, surprise. Laszlo était si tendu à ses côtés qu’elle pouvait le sentir trembler. Tout de même, il était assez intelligent pour ne pas l’interrompre.

    — Comment était l’exil ?

    — Presque agréable.

    Il afficha un large sourire.

    — Qui est l’animal de compagnie « simple mortel », cette fois ?

    Kate jeta un coup d’œil du côté de Laszlo, qui parvenait à peine à contenir sa rage.

    — Il est mon capitaine, Alasdair. Il est ce que tu aurais pu devenir. À tellement d’égards.

    — C’est vrai que je suis parti depuis longtemps. Je crois que je t’ai manqué, vraiment.

    — Et tes membres préférés te manqueront bientôt si tu n’arrêtes pas de me faire perdre mon temps.

    Elle lui adressa un sourire des plus doux.

    — Je te crois. C’est pour cette raison que je t’ai toujours aimée. Ah ! Pardonne-moi ! Il leva la main alors qu’elle s’apprêtait à claquer des doigts. C’est un amour qui repose sur le respect et la gratitude. Et, bien évidemment, sur l’admiration de ton charme subjuguant.

    Kate bâilla.

    — Tu as affirmé avoir quelque chose d’utile à me dire.

    — C’était un long exil, Kate. J’ai eu amplement de temps pour étudier et apprendre. Et quand je m’instruis, c’est dans les arts les plus utiles. Sais-tu combien de Sithe bâtards et pur-sang vivent en exil dans l’autre monde ? Certainement assez pour devenir des causes perdues et tomber entre mes mains.

    Elle grimaça.

    — Oh ! Mais tes méthodes ont toujours été si grossières et inintéressantes.

    Cuthag toussota.

    — Pas cette fois. Il existe une… technique. Une technique qu’Alasdair a perfectionnée au fil des ans. Elle pourrait s’avérer utile pour nous, contre Murlainn. Je dirais même qu’elle serait… décisive.

    — Une technique dont je n’aurais jamais entendu parler ? Je serais fascinée d’en savoir davantage.

    Son ton était acide ; si Cuthag lui faisait perdre son temps, elle lui flagellerait le torse. En public, dans le grand hall. Ce serait une bonne pratique pour Murlainn, dont le clan lui avait déjà considérablement flagellé le dos.

    Je n’en parlerai pas à vive voix.

    Les yeux de l’homme, alors qu’ils se posaient sur Laszlo, brillaient de mépris.

    Certains pourraient considérer ce que j’ai à dire comme un blasphème ; certains me l’ont déjà dit et ils sont morts. Peut-être voudras-tu expliquer mon plan à ton clan de la façon et au moment qui te conviendra.

    Kate s’enfonça dans sa chaise, presque abasourdie. Laszlo, sachant très bien qu’il était exclu, semblait perplexe et en colère. Elle tapota sur sa joue, pensive.

    — Très bien. Tu as piqué mon intérêt. Parle.

    * * *

    Kate éprouvait presque de la pitié pour Laszlo. Quitter la pièce représenterait l’humiliation suprême. Il devait donc rester là, comme un imbécile, incapable d’entendre ce que Cuthag et Alasdair disaient, incapable de même entendre ses propres réponses. Pauvre « simple mortel ». Il avait toutefois compensé ces faiblesses par d’autres qualités indéniables. Alors que les deux hommes qui se tenaient devant elle se turent dans sa tête, elle toucha sa main et sentit ses doigts se refermer.

    — Tu as le don avec les gens, observa-t-elle en s’adressant à l’homme agenouillé. Un don désagréable, mais efficace.

    — Je suis sociable, répondit-il, affichant un sourire dépourvu d’ironie.

    Il avait toujours réussi à la faire rire, voilà tout. C’est pour cette raison qu’elle avait toujours été prompte à lui pardonner. Murlainn la faisait rire aussi, bien évidemment ; mais il était irrécupérable, et elle avait maintenant un moyen de le punir, si Alasdair disait vrai. Son cœur était certainement plus léger qu’il ne l’avait été depuis des mois.

    — Lève-toi, dit-elle.

    — Est-ce que cela signifie…

    — Oui. Maintenant, lève-toi.

    Elle se leva en même temps que lui, puis descendit les marches pour s’approcher, plongeant son regard dans ses yeux noirs.

    — J’aurai besoin de preuves.

    — Bien entendu. Vous avez des prisonniers de l’une des familles ?

    — Plusieurs, que j’aurai le plaisir de mettre à ta disposition. Laszlo me les amènera ici.

    Elle lança un sourire inclusif à son amoureux.

    — Nils, je te prie de m’amener les deux MacFarquhar et… voyons voir… Muillear et son fils. Deux succès devraient suffire pour me convaincre.

    Kate se leva et traversa l’estrade, jusqu’à un candélabre. Elle toucha l’une des branches pensivement, faisant glisser doucement son doigt jusqu’à sa flamme argentée.

    — Il ne reste maintenant qu’à Rory de jouer son rôle.

    — Ha ! Murlainn tient son fils dans un étau ; ce n’est qu’une question de temps avant que le garçon ne s’en échappe. Il se débat déjà. Tu sais ce qu’il peut faire au Voile ?

    Elle jouait avec une mèche de cheveux couleur de cuivre, observant ses yeux qui suivaient les mouvements de ses doigts. Oh ! elle le possédait.

    — Oui. Tout prend évidemment son sens, à la lumière de la prophétie. La pierre de sang décidera du sort du Voile.

    Mais aussi : « Détruis le voile et NicNiven aura tout ce qu’elle désire ; laisse-le mourir ou survivre et elle n’aura rien. »

    Non. Elle ne devait pas y penser. Elle chassa cette pensée de son esprit.

    — Murlainn forme le garçon. Il sait tout sur le Voile ; il a toujours été en mesure de le toucher. Si le garçon a appris quelque chose, c’est de ne pas toucher au Voile et de ne pas me laisser l’approcher. Jusqu’à présent, il a réussi à respecter le deuxième apprentissage.

    — Le garçon fait ce qu’il peut. Il est prudent et élusif, mais il fera une erreur un jour. Tu pourrais simplement attendre.

    — C’est ce que je fais depuis longtemps, répondit-elle sèchement. Il porte cette satanée pierre bouclier de Leonora ; elle protège son esprit. Et s’il

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