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Les Affligés: Volume 1 : Isolation
Les Affligés: Volume 1 : Isolation
Les Affligés: Volume 1 : Isolation
Livre électronique378 pages5 heures

Les Affligés: Volume 1 : Isolation

Par M.I.A

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À propos de ce livre électronique

République de Dor-Thimlin. À l’époque instable des temps sombres.

Depuis la fin de l’ère de prospérité, les cinq régions vivent dans la plus grande isolation, chacune abritant ses citoyens dans des villes qui tentent de survivre malgré un climat de peur et de confusion politique.
Naryë, Observatrice d’Aldal et membre de l’Assemblée des Sages, est certaine de sa vision : il existe un moyen de mettre un terme à l’Affliction qui sévit au-delà des murs et de guérir la perte du Don.
L’énergie spéciale qui confère depuis longtemps des pouvoirs particuliers à certains individus est en train de disparaître, sans raison connue, affaiblissant peu à peu une population déjà désespérée.
Naryë est persuadée que la solution de tous leurs maux se trouve à Ulemus, la « Ville Interdite », dans une région si désolée que même les dieux l’ont abandonnée.

Pour mener à bien la mission de sa vie et découvrir la cause de la malédiction qui pèse sur Dor-Thimlin, elle doit se fier à sa vision : regrouper onze hommes et femmes disséminés au sein de la République. Onze futurs compagnons qui appartiennent presque tous, souvent sans le savoir, à l’une des cinq guildes ancestrales : les Observateurs, les Manipulateurs, les Ensorceleurs, les Invocateurs et les Guérisseurs. Onze individus qu’elle doit convaincre de l’accompagner dans une quête peut-être illusoire.
Mais le voyage est long et dangereux, le Don a un prix, les Affligés rôdent partout et même les Humains ne sont pas tous disposés à voir cette mission aboutir...

Découvrez la nouvelle trilogie Fantasy de M.I.A, « Les Affligés », dont « Isolation » constitue le premier volume.

LangueFrançais
Date de sortie18 déc. 2015
ISBN9782370113955
Les Affligés: Volume 1 : Isolation
Auteur

M.I.A

Le pseudo M.I.A (« Missing In Action ») concrétise la rencontre de deux amis passionnés de littérature, de cinéma, et d'actualité politique, pour ne citer que quelques points communs évidents.La méthode de travail choisie pour l'écriture de ce roman est particulière, car près de 1500 kilomètres nous séparent : qui pourrait penser que « Rémoras » et « La Trappe » ont été intégralement pensés, construits et rédigés à distance, grâce à Internet ?

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    Aperçu du livre

    Les Affligés - M.I.A

    cover.jpg

    LES AFFLIGÉS

    Volume 1 : Isolation

    M.I.A

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Fantasy. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-395-5

    1 – Naryë

    L’Assemblée des Sages ne s’est pas toujours appelée ainsi, même si peu de gens s’en souviennent. Elle fut pendant longtemps l’Assemblée des Observateurs, jusqu’au début de la période trouble ayant marqué la fin de l’ère de prospérité. Les sources ne concordent pas toutes, mais on admet généralement que le passage d’une dénomination à une autre s’est fait il y a une soixantaine d’années, quand les temps sombres sont apparus.

    Si l’on trouve encore de vieux textes qui mentionnent cette ancienne appellation, il est par contre impossible de savoir ce qui a justifié un tel changement dans l’organisation de la République de Dor-Thimlin. Nul n’a la réponse à cette question.

    Les Observateurs gouvernaient depuis des siècles, lorsque la composition de l’Assemblée a été brusquement modifiée un jour, ne leur laissant que deux sièges sur dix et la perte définitive du pouvoir qu’ils contrôlaient pourtant avec honnêteté et grande efficacité. Pourquoi ? Comment ? Sur quel ordre ou quelle décision ? Les éventuels témoins qui auraient pu en parler ne se sont jamais exprimés et sont probablement tous morts aujourd’hui. En outre, d’autres problèmes plus graves ont très vite repoussé ces interrogations au plus profond des consciences, jusqu’à presque les effacer au cours des décennies malheureuses qui ont suivi ce bouleversement inexplicable.

    Cependant, être plus précis quant aux causes et à la date exacte de cet événement presque oublié de tous pourrait permettre de résoudre une énigme plus essentielle, plus dramatique encore, et dont les implications sont subtiles : les temps sombres ont-ils entraîné la fin de l’Assemblée des Observateurs, ou sont-ils au contraire la conséquence de la création de l’Assemblée des Sages ?

    On peut raisonnablement prédire que cette interrogation restera longtemps sans réponse, car découvrir la clef de ce mystère ne ferait sans doute que fragiliser un peu plus une population déjà désespérée. Lorsqu’on ne peut désigner de coupable avec certitude, il est plus simple de maudire le sort et d’accuser les dieux. Les dieux n’ont rien à perdre, eux.

    Archives de Dor-Thimlin – Politique générale

    ***

    Naryë ne distinguait plus vraiment les parois du tunnel, mais elle avançait sans crainte, ayant suivi ce même chemin à plusieurs reprises et reconnaissant parfaitement le parcours. Elle trébuchait de temps à autre, ses chaussons souples ne la protégeant pas assez des cailloux qui jonchaient certaines sections du passage souterrain mal éclairé par sa lanterne. Mais ne percevoir que des ombres ne la gênait pas. Un sixième sens, plus profond et universel que la vue, la guidait. Le Don, tel qu’il se manifestait en elle cette nuit encore, surpassait tous les yeux du monde.

    L’Observatrice espérait simplement qu’elle irait plus loin que la veille, lors de sa tentative précédente. Il lui restait un visage à découvrir. Une identité qui avait autant d’importance que les dix autres et qui se refusait à elle. Ce dernier nom était capital et elle avait déjà échoué trois fois dans sa quête. Il fallait qu’elle se rapproche plus vite, avant que la silhouette fuyante disparaisse au cœur des ténèbres. Connaître la destination de son voyage ne lui serait d’aucune utilité si elle ne parvenait pas à réunir tous ceux qui étaient censés l’accompagner.

    Naryë pressa le pas, sa longue robe blanche flottant derrière elle. Ses mains marquées par le passage des ans frôlaient les parois, l’étroite galerie se resserrant parfois jusqu’à devenir une simple trouée dans la pierre. Elle y était presque. La grande salle allait s’ouvrir devant elle dans quelques secondes, après un dernier virage abrupt qui ne permettait pas d’imaginer pareil espace à une telle profondeur. Comme chaque nuit, elle nota que l’air demeurait respirable, étonnamment peu fétide, malgré l’éloignement de la surface.

    Son arrivée soudaine dans l’immense grotte la surprit, une fois de plus. Les lanternes posées par terre à divers endroits envoyaient de longues ombres vacillantes sur les hauts murs rocheux. Onze ombres. La sienne se joignit aux leurs, d’abord timidement, puis avec plus de vigueur lorsqu’elle s’approcha des sources de lumière. Ils se tenaient à leur place habituelle, en un vague arc de cercle, presque immobiles. Aucun d’eux ne parlait et ils se contentèrent de la fixer avec attention, suivant chacun de ses mouvements.

    À sa gauche, deux des six membres masculins du groupe et trois femmes. À sa droite, tous les autres, à l’exception d’un individu qui se trouvait loin devant Naryë. En retrait par rapport à ses compagnons, tête baissée, il était trop reculé pour que ses traits soient visibles. Mais sa stature indiquait sans conteste qu’il s’agissait d’un homme. Il dépassait tout le monde d’au moins une tête.

    Naryë ne perdit pas une seconde à contempler les visages les plus proches, déjà familiers. Elle aurait tout le loisir de les détailler durant leur périple. Il lui fallait ce onzième nom. Elle devait découvrir le regard de l’inconnu. Ses yeux lui diraient qui il était et où le trouver. L’Observatrice traversa la vaste salle d’un pas rapide, consciente qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Elle ne voulait pas échouer une quatrième fois et le voir s’éclipser alors qu’elle était si près de lui. Rassemblant toute son énergie, elle finit de le rejoindre en courant. La luminosité autour d’elle faiblissait déjà, annonçant la fin de cette courte rencontre. Mais elle ne partirait pas sans ce dernier nom, c’était exclu.

    Elle n’eut droit qu’à un bref contact visuel, en arrivant à moins de trois mètres de lui, mais ce fut suffisant. La cicatrice sous l’œil gauche retint fugacement son attention, puis Naryë plongea dans le regard sombre. Le Don s’exprima en elle et l’identité recherchée lui fut révélée. Elle vit l’île où elle le trouverait, à l’écart du continent. Le voyage se compliquait un peu plus, mais elle détenait l’essentiel. Le groupe était constitué.

    Je vous rencontrerai bientôt…

    L’Observatrice sortit du sommeil en poussant un léger cri. Prolonger volontairement ses visions spontanées à un rythme trop intense avait un prix. La douleur devenait plus vive, nuit après nuit, et ses yeux la faisaient souffrir. Elle demeura assise quelques minutes dans son lit, incapable de se lever. Le moindre mouvement lui paraissait impossible. Son esprit et son corps n’étaient pas tout à fait réunis. Elle les laissa se retrouver en gardant les paupières mi-closes.

    Le soleil n’était encore qu’une pâle promesse à l’horizon lorsque Naryë s’habilla, après une douche rapide. Elle remplaça la tunique qu’elle portait pour dormir par une autre très semblable, un peu plus épaisse et aussi blanche que le reste de sa maigre garde-robe. Elle avait renoncé à toute coquetterie alors qu’elle n’était qu’une enfant, quand elle avait pris conscience qu’un destin particulier l’attendait. La guilde des Observateurs, qui s’était toujours considérée comme le plus spirituel des cinq groupes détenteurs du Don, se voulait détachée des attaches terrestres afin de mieux comprendre l’âme. Naryë avait suivi le chemin qu’on lui imposait et accepté ses responsabilités. Mais chaque matin, elle s’arrêtait un instant devant son miroir pour s’accorder quelques regrets et pensées égoïstes. Puis elle s’oubliait pour la journée.

    Elle démêla ses longs cheveux bruns striés de gris sans prêter attention à son reflet. Sa chambre n’était pas éclairée et l’aube grignotait timidement l’obscurité. Le mouvement répété de la brosse lui procurait une vague sensation d’apaisement, un calme qui lui était nécessaire aujourd’hui plus que jamais. Certains des neuf autres membres de l’Assemblée des Sages n’allaient pas accueillir son annonce avec joie, c’était à prévoir. Mais l’Observatrice désirait à tout prix éviter que leur réunion débouche sur une nouvelle querelle. La ville d’Aldal et toute la République avaient besoin d’union et surtout pas de discorde stérile.

    Naryë se fit la réflexion que les temps sombres s’éternisaient. Elle n’avait jamais connu l’ère de la prospérité, mais ses souvenirs d’enfance comportaient des fragments d’insouciance. Cinquante ans plus tôt, il était encore possible de croire en des lendemains meilleurs. Ceux qui naissaient maintenant n’auraient sans doute jamais cette chance. Sauf si sa vision se concrétisait et qu’elle parvenait à mettre un terme au sort terrible qui accablait la population. Et mes visions, même anodines, ont toujours été justes, se rappela-t-elle avec fermeté, comme pour couper court à son monologue intérieur.

    — Que Zepha m’entende et nous protège.

    Le dieu de la perception l’écoutait-il seulement ? Elle soupira, enfila une paire de sandales et quitta sa maison sans fermer la porte à clef. Aldal était une ville sûre et Naryë ne possédait aucun objet de valeur.

    Sur le chemin la menant au forum couvert et aux bâtiments administratifs de la cité, elle croisa quelques citoyens aussi matinaux qu’elle. Elle les salua avec respect, une main placée sur le cœur, son tatouage – un œil fermé – près du poignet bien en évidence. Tous lui répondirent de la même façon, mais sans grand enthousiasme. L’Observatrice constatait chaque jour que le moral général ne faisait que baisser et que les sourires devenaient tristement rares. Aussi rares que les bonnes nouvelles en provenance de l’extérieur. La ville principale de la région d’Alcin vivait dans la plus stricte isolation, comme toutes les autres cités, malgré son statut de capitale de Dor-Thimlin.

    Seuls les fous s’aventurent dehors. Et moi, je vais exiger qu’on me laisse sortir…

    Naryë sourit, malgré son inquiétude, en imaginant la surprise sur le visage de ses homologues. Elle n’avait pas quitté Aldal depuis presque dix ans, comme chacun d’eux. Les membres de l’Assemblée ne devaient prendre aucun risque, ils étaient trop précieux pour la République. Mais les murs fortifiés et les portes gardées nuit et jour ne les protégeraient pas éternellement. L’extinction de la race humaine ne dépendait plus que d’une unique chose : le temps. Et le temps sortirait toujours vainqueur du combat que les hommes menaient contre lui.

    Le soleil se levait lorsqu’elle quitta sans se presser le dédale de ruelles étroites et gravit les marches montant au bâtiment réservé à l’Assemblée pour ses réunions privées. Un édifice de plain-pied, sobre et blanc comme toutes les constructions d’Aldal, qui dans quelques heures réfléchirait avec vigueur les rayons solaires. La région d’Alcin était aride et ne connaissait presque pas la pluie.

    Naryë regrettait parfois de ne pas vivre ailleurs. Enfant, elle avait visité trois des autres grandes villes, à l’époque où les voyages et échanges ne se limitaient pas aux seuls convois transportant des objets de première nécessité. Sa cité préférée était celle de Tesiosos, chef-lieu de Tolbin, la région côtière loin à l’est. Elle se rappela l’odeur de la mer, la fraîcheur du vent sur son visage, les bateaux et l’animation qui régnait près du port. Là-bas, l’isolation était peut-être moins difficile que sous le soleil écrasant d’Aldal. Mais il ne s’agissait que de souvenirs. Aujourd’hui, les habitants de Tesiosos vivaient certainement, eux aussi, dans une ambiance des plus tristes.

    Bientôt, je découvrirai moi-même ce qu’il en est…

    Elle trébucha en haut de l’escalier et jura à voix basse. Sa vue lui jouait des tours, le décor lui paraissait flou et sans relief. Naryë sentit son corps basculer vers l’avant.

    Une main la saisit par le coude et lui évita une chute pitoyable. Elle se redressa pour remercier celui ou celle qui venait de lui rendre son équilibre, forçant ses yeux à faire le point sur le visage qui lui souriait. La surprise la fit sursauter.

    — Amior ?

    — Mère, je croyais que tu réservais tes meilleures pirouettes à tes estimés collègues !

    Le rire taquin de son fils adoptif la dérida. Ses boucles brunes et sa silhouette fluette donnaient à Amior une apparence juvénile qui semblait vouloir perdurer, bien que son vingt-cinquième anniversaire fût proche. Il la prit par le bras et l’entraîna vers l’entrée principale, une large porte à double battant.

    — Pourquoi ne m’as-tu pas attendu ? Je suis passé te chercher, mais tu étais déjà partie. J’ai dû courir pour te rattraper.

    — J’avais besoin de réfléchir avant cette séance. J’ai oublié que tu devais venir, je suis désolée.

    Elle n’en dit pas plus, honteuse d’avoir omis leur rituel quotidien et encore hésitante quant à la meilleure manière d’introduire le sujet qui la préoccupait devant l’Assemblée. Depuis sa première vision, dix jours auparavant, elle n’avait parlé de la situation à personne, attendant d’avoir tous les indices qu’elle estimait nécessaires. Même Amior ignorait tout de ces manifestations impensables du Don.

    Car si Naryë avait toujours eu des visions, entre autres marques de son statut d’Observatrice, ces dernières étaient bien éloignées des scènes qui s’invitaient désormais dans son sommeil. Leur simple répétition, nuit après nuit, soulignait leur importance. Le fait qu’elle puisse les manipuler indiquait que sa propre utilisation du Don avait évolué. Des signes majeurs à ne pas prendre à la légère, qui l’angoissaient tout en éveillant en elle des sentiments d’espoir qu’elle n’avait pas ressentis depuis longtemps.

    Elle se sentit obligée de partager cette incertitude avec son fils.

    — Aujourd’hui, je dois faire une annonce importante. Je pressens une possible… résistance chez une partie de mes collègues. Je ne suis pas sûre de trouver les bons mots ou d’être assez claire dans mon exposé.

    — Tu es la personne la plus éloquente que je connaisse. Ils t’écouteront.

    Amior venait d’ouvrir la lourde porte déverrouillée et lui cédait le passage. Elle entra en le remerciant d’un sourire. Il ne manquait jamais de lui témoigner son respect et sa tendresse. Ses attentions étaient pour Naryë la preuve qu’un lien fort les unissait, malgré une adoption tardive et imprévue qu’elle avait acceptée sans pour autant la solliciter. Son fils était sa plus grande réussite personnelle.

    Ma seule réussite personnelle…

    Les dalles anciennes du couloir étaient aussi blanches que les murs, disjointes par endroits. La ville manquait d’hommes et de moyens pour faire venir les matériaux nécessaires à un véritable entretien. Les pierres d’Isandrin, le bois de Kilmin et les récoltes de Librin n’arrivaient plus qu’avec parcimonie, au gré des rares convois suffisamment armés pour s’engager sur les routes. Les seuls qui passaient à un rythme hebdomadaire approvisionnaient surtout la cité en nourriture, le reste était superflu.

    La région d’Alcin n’était qu’une vaste zone désolée dont l’unique ressource utile était l’énergie solaire transformée à Aldal par d’anciennes machines datant de l’ère de la prospérité. Un savoir-faire balbutiant, qui aurait pu être perfectionné puis se répandre aux quatre coins de la République, si les temps sombres ne s’étaient pas soudain manifestés. Les hommes capables d’apprivoiser le soleil avaient disparu peu à peu, transmettant des connaissances insuffisantes à des successeurs de moins en moins nombreux.

    Un jour, les pompes puisant l’eau loin sous la surface s’arrêteraient, faute d’énergie. Les parcelles agricoles situées dans l’enceinte de la ville grilleraient sous les assauts de la chaleur. Retranchés derrière leurs murs au milieu d’une terre hostile, les derniers habitants d’Aldal n’auraient d’autre possibilité que de choisir l’exil et d’affronter le monde extérieur en espérant atteindre une région plus clémente. Pourquoi s’entêter à vouloir rester dans une cité n’ayant plus aucune autonomie et possédant comme seul atout son statut de capitale et de siège du gouvernement ? Un gouvernement constitué de dix Sages impuissants.

    Naryë sentit l’émotion lui serrer la gorge. Sa ville était condamnée si elle ne parvenait pas à se montrer convaincante. Le Don faisait appel à elle avec insistance pour une raison évidente : il était encore possible de sauver la République et sa population. L’Assemblée n’aurait pas d’autre choix que d’accepter sa vision.

    Amior la tenait toujours par le bras lorsqu’elle entra dans la salle de réunion. Les murs y étaient percés d’étroites fentes laissant passer l’air tout en empêchant le soleil d’inonder la pièce. La chaleur commençait néanmoins à se faire perceptible et l’Observatrice sentit un fin voile de sueur couvrir sa peau. Mais son appréhension était sans doute plus coupable que la température de ce début de journée.

    Elle examina ses collègues en train de s’installer. Ils arrivaient dans un ordre quasi identique chaque matin, comme si une forme de rituel immuable les condamnait à ne jamais modifier la moindre de leurs habitudes.

    D’abord les deux Invocateurs, trop loquaces pour pouvoir se fondre dans Aldal et son manque de fantaisie, mais en tout point conformes au caractère naturellement expansif de leur guilde. L’homme était plus âgé que la femme, mais il n’avait rien d’un vieillard. Ses gestes amples et son rire sonore plaisaient à Naryë.

    Entraient ensuite les deux Guérisseurs, calmes et attentifs, dont le visage doux reflétait un intérêt pour autrui que personne n’aurait pu contester. Elle ne les avait jamais entendus élever la voix pour s’exprimer.

    Dans leur sillage venaient généralement les Ensorceleurs. La femme possédait sans doute un Don plus développé que son compagnon, car Naryë discernait en elle une énergie particulière, imperceptible chez l’homme. Chez personne d’autre dans la salle, à sa connaissance.

    Son propre collègue Observateur, Findore, arrivait invariablement après eux, s’assurant ainsi des réunions plus courtes en évitant les palabres qui précédaient l’apparition presque théâtrale du couple de Manipulateurs. Naryë ne les aimait pas, ne les avait jamais aimés. Elle était incapable d’expliquer cette aversion contre laquelle elle luttait pourtant depuis des années.

    L’antagonisme entre les deux guildes avait toujours existé, chacune revendiquant sa supériorité dans l’utilisation du Don à des fins spirituelles et mentales. Mais l’Observatrice elle-même considérait cette concurrence comme stupide. L’époque des grands accomplissements était morte depuis de nombreuses décennies. Aucun d’eux n’aurait pu rivaliser avec le plus médiocre des porteurs du Don des siècles précédents. Les bribes de pouvoir instable que chacun possédait paraissaient si dérisoires, si dégradées.

    Une descendance déchue…

    Malgré l’absurdité et la gravité de leur situation, Observateurs et Manipulateurs suivaient une tradition remontant sans doute à la nuit des temps : aucune véritable amitié ne pouvait naître entre ces deux guildes vouées à vivre dans une défiance permanente. Naryë acceptait cette logique étrange tout en la regrettant. Et elle savait déjà que la plupart des réserves qui ne manqueraient pas de jaillir lors de son exposé viendraient de ces deux personnes en particulier.

    Amior dut lire le désarroi sur son visage.

    — Mère, tu ne dois pas t’inquiéter. Chacun ici te respecte.

    Elle acquiesça d’un signe de tête distrait et s’assit dans le fauteuil qui lui était réservé. Son fils prit place derrière elle, sur une simple chaise. Sa présence était admise aux réunions courantes afin qu’il puisse parfaire ses compétences de greffier. L’homme responsable de la transcription des débats publics se faisait vieux et lui céderait bientôt son siège. Amior terminait son apprentissage avant de prendre ses fonctions au forum le mois suivant. Naryë ne doutait pas qu’il accomplirait un travail irréprochable, même s’il ne disposait pas du Don.

    Pourtant, il va falloir qu’il abandonne tout ça avant même d’avoir commencé…

    L’Assemblée des Sages était présidée chaque semaine par un membre différent, cette organisation permettant un maintien parfait de l’équilibre en évitant des frictions superflues. Pour encore deux jours, l’Invocatrice Senesy avait le privilège d’ouvrir les débats. Elle le fit avec son enthousiasme habituel, en agitant inutilement les mains.

    — Aujourd’hui, nous devons parler de la prochaine distribution de…

    — Senesy, je suis désolée de vous interrompre, mais j’ai une déclaration à faire.

    Naryë ne prit conscience de ses propres mots qu’en voyant ses collègues se tourner vers elle, chacun exprimant sa surprise ou sa désapprobation d’une manière toute personnelle. Elle faillit leur présenter ses excuses, mais se ravisa. L’ordre du jour n’avait aucune importance, le secret qu’elle détenait passait avant tout le reste.

    Senesy parut comprendre la détermination de l’Observatrice et lui céda la parole d’un geste gracieux.

    — Nous vous écoutons.

    Naryë prit son temps, cherchant l’introduction idéale, celle qui éveillerait leur curiosité sans lui attirer des protestations immédiates. Une phrase courte, mais assez claire pour qu’ils mesurent la gravité de son propos et acceptent de l’entendre jusqu’au bout. Elle suivit son instinct.

    — Contrairement à ce que nous avons toujours cru, il existe un remède contre la perte du Don et la terrible question des Affligés.

    L’Observatrice laissa passer quelques secondes, le temps d’analyser les réactions autour d’elle. Les deux Guérisseurs, comme elle l’espérait, manifestèrent tout de suite leur intérêt en se penchant légèrement vers l’avant. Les Ensorceleurs ne masquèrent pas leur perplexité, mais ne l’interrompirent pas non plus. Senesy et son homologue Invocateur Nubaka émirent un léger cri de surprise, tandis que Findore contemplait Naryë avec des yeux effarés. Derrière elle, un raclement de gorge lui rappela que son fils était présent et qu’il devait à présent regretter ses propos rassurants.

    Comme elle l’avait prévu, Sanzig la Manipulatrice fut la première à vouloir s’exprimer.

    — Naryë, cette affirmation est absurde. Elle est même honteuse. Sous-entendre ainsi que des générations d’hommes et de femmes auraient inutilement subi les temps sombres est insultant pour leur mémoire et pour tous les sacrifices consentis. Qu’est-ce qui vous prend ?

    L’Observatrice ne se laissa pas déstabiliser par le ton moralisateur. Elle connaissait la technique de sa collègue : l’amener à se justifier pour qu’elle s’emporte et perde toute contenance. Elle n’allait pas jouer selon ses règles.

    — Pour la première fois de ma vie, j’ai eu une suite de visions identiques et manipulables. J’ai pu les explorer pendant mon sommeil, en tirer des informations.

    — Des rêves plus réels que la moyenne, voilà tout.

    — Dix nuits de suite ? Me présentant des personnes que je ne connaissais pas et qui n’ont jamais mis les pieds à Aldal, mais que je peux aujourd’hui nommer et situer sans difficulté ? Ce sont des rêves envoyés par les dieux, dans ce cas !

    Naryë sourit légèrement devant la mine déconfite de Sanzig, en conservant néanmoins une attitude amicale. L’hostilité ne lui procurerait aucun avantage.

    Senesy reprit soudain son rôle de meneuse des débats et ne cacha pas sa curiosité.

    — Que vous ont dit ces visions, Naryë ?

    — Que les temps sombres ont une cause très concrète et que nous pouvons inverser le cours des événements. Que le Don pourrait revivre tel que nos ancêtres l’ont connu. Que nous ne sommes pas condamnés à disparaître. Et enfin, que les Affligés peuvent être guéris, rendus à eux-mêmes.

    — Vous déraisonnez totalement ! l’interrompit Sanzig.

    Senesy perdit son attitude affable.

    — Vous n’avez pas la parole ! Naryë n’a pas terminé de nous exposer ce qu’elle a vu.

    L’Observatrice hésita un instant, consciente qu’une vision aussi forte ne pouvait se traduire en mots. Elle avait perçu tant de choses, tant de sensations. La scène de la grotte était claire dans son esprit. Tous ceux qui s’y trouvaient éveillaient en elle des sentiments puissants d’amitié et de loyauté.

    Ma famille…

    Pourtant, elle ne les avait jamais rencontrés, ne connaissait personnellement qu’un seul d’entre eux. Ces émotions étaient celles d’une Naryë qui n’existait pas encore. Elle les éprouverait un jour, après des mois de voyage et de périls communs. Ce seraient des liens indéfectibles forgés au cours d’un périple à peine esquissé dans son esprit et qu’elle devait maintenant justifier.

    — J’ai vu l’avenir. Avec bien plus de clarté que cela ne m’était jamais arrivé. Pour la première fois de ma vie, j’ai compris ce qu’un Observateur pouvait être. Était censé être. Mes visions me ramènent toujours au même endroit, accompagnée des mêmes onze personnes, et leur message est identique dans chaque cas. Je suis bien consciente qu’elles ne traduisent sans doute pas une réalité absolue, mais je ne peux les ignorer.

    La vieille Guérisseuse, Joane, l’interrogea d’une voix douce.

    — Quel est ce lieu dont vous parlez, Naryë ?

    L’Observatrice marqua une pause. Le nom qu’elle s’apprêtait à prononcer allait renforcer le désarroi et l’hostilité ambiants.

    — Ulemus.

    Il y eut un instant d’arrêt dans la salle, le temps que chacun prenne la pleine mesure de cette réponse. L’Ensorceleur Henaxen émit un soupir étranglé.

    — La Ville Interdite ? Comment un tel lieu pourrait-il détenir la clef de nos malheurs ? Même les dieux s’en sont détournés !

    — Je ne peux vous le dire, les visions ne montrent pas tout. Mais je sais que ce qui nous sauvera se trouve sous les ruines d’Ulemus. J’en suis absolument certaine. Et je sais aussi que je dois m’y rendre en personne. J’ai un rôle à y tenir.

    Sanzig paraissait trop offusquée pour pouvoir s’opposer à une telle idée. Son homologue, Banarv, donna à sa place l’opinion des Manipulateurs.

    — Même si vous pensez, à tort, être importante, les Sages ne quittent pas Aldal, c’est la règle et vous ne l’ignorez pas.

    — Non, c’est une coutume établie dans la peur. Et il est peut-être temps de s’en défaire.

    Banarv, surpris, se tourna vers Joane, qui venait de s’exprimer d’un ton calme et apaisant. La Guérisseuse sourit à Naryë et continua de parler.

    — Tous ici présents, nous ne sommes que de piètres Sages. Le Don en nous est faible, nous nous cachons à Aldal en prétendant attendre des jours meilleurs. Ces jours meilleurs n’arriveront jamais. Pas sans agir. La guilde des Guérisseurs souhaite depuis longtemps pouvoir renouer avec sa devise, « Soigner et servir ». Si l’espoir existe, nous serions fous de le rejeter. Gilan et moi-même désirons en apprendre plus.

    Et elle rendit la parole à Senesy d’un gracieux mouvement de tête. Cette dernière s’en saisit sans attendre.

    — Naryë, les onze individus dont vous parlez, qui sont-ils et êtes-vous en mesure de justifier leur présence à vos côtés ?

    — Je sais seulement qu’ils sont importants. Les visions ne sont pas des prophéties figées, elles peuvent être… métaphoriques et il n’est pas toujours facile d’expliquer quels événements mèneront à une situation précise. Mais j’ai vu ces personnes avec moi à Ulemus. Je suis persuadée qu’elles sont au moins destinées à m’y accompagner.

    — Vous pensez qu’elles disposent de compétences particulières ?

    — Elles ont presque toutes le Don, même si la plupart d’entre elles l’ignorent ou n’en comprennent pas la nature. Toutes, sauf deux.

    — Pourquoi des humains sans talents spéciaux feraient-ils partie d’une mission aussi… importante ?

    Naryë sourit, se souvenant de la carrure du dernier homme qu’elle avait identifié à peine deux heures plus tôt.

    — Le Don n’est pas la seule chose de valeur qui existe. Un combattant vigoureux est un atout précieux lorsqu’il faut affronter le monde extérieur.

    — Vous parlez donc de deux guerriers ?

    — Pas tout à fait… Le premier en a toutes les dispositions, mais il ne connaît aucune discipline. Je sais juste que son rôle sera déterminant, sans pouvoir vous dire exactement en quoi.

    — Et l’autre ?

    — L’autre ? Il s’agit d’Amior. Mon fils.

    2 – Note : ordre n° 1

    Malgré toutes les précautions que nous avons mises en œuvre pour empêcher l’Observatrice Naryë de s’entêter dans son projet de voyage, nous devons accepter le résultat favorable qu’elle a recueilli auprès de l’Assemblée à l’issue des trois séances de délibération privée qui ont été nécessaires pour que le vote des Sages soit unanime.

    Tenter d’intervenir de manière plus poussée aurait attiré l’attention sur nous et il a fallu reculer devant sa détermination. Son départ est imminent et a été rendu suffisamment public pour qu’il soit désormais impossible de la soustraire à la vue de la population d’Aldal.

    Nous n’allons donc pas pouvoir éviter qu’elle quitte la ville de façon officielle.

    Vous vous doutez que nous désirons à tout prix étouffer une découverte qui remettrait en cause les efforts consentis pendant de longues décennies. L’objet dont il vaut mieux taire le nom est en notre possession et doit rester l’unique source de pouvoir disponible. Nous contrôlons également la situation des Affligés comme nous estimons qu’elle doit l’être. Il est exclu qu’une quelconque intervention extérieure menace l’équilibre obtenu.

    Ce que Naryë pourrait trouver à Ulemus, si elle réussissait à atteindre ses fondations, ne ferait que détruire tout ce que nous avons construit avec patience durant un siècle. Le scandale serait immense et retomberait sur tous les dirigeants précédents et actuels de Dor-Thimlin, quel que soit leur statut. La population, pour être correctement gouvernée, ne doit disposer d’aucun motif légitime de contestation.

    La

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